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Luttons contre le terrorisme
Paris, le 24 novembre 2003

Je ne sais pas s'il y a de plus en plus d'attentats, mais je constate en tout cas qu'il y a de plus en plus de mesures de sécurité, partout et tout le temps. Il ne choque plus personne de voir l'armée patrouiller famas au poing et en tenue-camouflée-rangers-cirés, et si on leur rajoute les policiers nationaux, les policiers municipaux, la milice du métro, la PAF, les CRS, les maîtres-chiens et les gardes privés, on devrait logiquement se sentir de plus en plus en sécurité dans notre beau pays bleu-blanc-rouge-mais-surtout-bleu. Moi, toutes ces matraques, ça ne me dérange plus vraiment, car je suis en train de quitter l'âge où l'on envisage de faire la révolution contre les vieux bourgeois pourris de fric pour entrer dans celui où on se préoccupe de protéger son portefeuille boursier contre les jeunes cons anarchistes. Moyennant quoi, depuis l'augmentation de la recrudescence, on note qu'il y a de plus en plus de mesures dites "sécuritaires", mais dont on peut tout de même s'interroger sur l'impact réel dans la lutte contre le terrorisme international.
Par exemple hier, je vaquais à mes occupations dominicales, ou plutôt à mon absence d'occupation dominicale, quand je me dis que ce serait sympa de passer devant Notre-Dame. Le passage en question est souvent un peu difficile car il faut traverser la file des touristes qui attendent pour faire la visite des tours, file qui peut s'étendre sur quelques dizaines de mètres. Eh bien cette fois ci, après avoir franchi les Japonais, je me retrouve nez à nez avec une de ces barrières métalliques qu'on voit un peu partout (je me demande quelle société les fabrique, ses actionnaires doivent être contents). Derrière, moult flicaille se la jouant Mulder et Hutch en képi et talkie-walkie. Tout ça pour empêcher les gens de trop s'approcher de la façade de l'édifice, dont du reste, les flancs et l'arrière ne bénéficiaient en rien de la même protection. Ben alors, il pue de la gueule, le transept ? Mais sans doute cet obstacle a-t-il une vertu dissuave vis à vis des terroristes. Il est vrai que quand on a passé trois ans dans un camp en Afghanistan à se faire laver le cerveau et à s'entraîner à la kalach, et qu'on a juré de mourir pour sa cause, on est facilement impressionné par une barrière d'un mètre de haut.
"Allo, Usama ? Oui, c'est Omar, c'est pour l'attentat suicide. Par la barbe du Prophète, ces chiens d'infidèles ont mis des barrières en fer autour de la cathédrale ! J'ai la flemme de faire un détour de cinquante mètres, alors je crois qu'on va annuler."
Ce matin, je vais au bureau, c'est pas que ça m'amuse mais il faut bien gagner son croûton. A l'entrée on poussé des écriteaux exhortant les braves employés, qui se connaissent tous depuis dix ans, à porter leur badge bien en évidence sous peine de panpan-cucul directorial. Ce n'était bien sûr pas le cas la semaine dernière, c'est une nouvelle mesure de sécurité. A l'appui de cette nouvelle vigilance, un cerbère numide en costume anthracite invite les distraits à obtempérer. Des esprits chagrins ont fait remarquer que pendant ce temps, personne ne surveille le parking souterrain, où il serait aisé à tout malveillant sachant un peu son affaire de garer une camionnette et 500 kg de TNT devant un pilier porteur. Mais il est bien connu que le terroriste est un individu courtois qui passe par la porte, se présente à l'accueil et obéit avec diligence aux injonctions du personnel de sécurité.
"Allo, Usama ? Oui, c'est encore Omar. Décidément, ces chiens d'infidèles sont rusés comme des hyènes, il y a un Sénégalais payé au smic et armé d'un pistolet à bouchon qui me demande mon badge ! Ouais, je suis d'accord, ne prenons pas de risque, je laisse tomber. Oui, Allah akbar à toi aussi !"
Encore un petit exemple. Vous savez sans doute que quand vous allez dans un établissement financier pour solliciter l'ouverture d'un compte, d'un crédit ou de toute autre prestation du même genre, l'établissement en question vérifie auprès d'un fichier tenu par la Banque de France que vous êtes un individu solvable n'ayant pas un trop lourd passif d'impayés divers. Il est moins connu, mais tout aussi véridique, qu'au même moment, cet établissement interroge un autre fichier, plus discret, pour savoir si vous ne faites pas partie d'une liste de personnes qualifiées de malveillantes (en clair, des terroristes). Voilà une saine précaution, vous dites-vous, qui permet de lutter contre les réseaux financiers qui soutiennent ces organisations. Bien sûr, c'est une louable intention. Dites, au fait, vous en connaissez beaucoup, vous, des terroristes qui se présentent sous leur vrai nom ?
"Allo, Usama ? Oui, c'est re-Omar. Je sais, tu vas encore dire que je suis parano, mais c'est que j'ai un problème. Voilà, je suis à la Poste, je voulais ouvrir un codevi pour bobonne et les gosses, mais quand j'ai dit que je m'appelais Omar Abdul Jihad et que mon employeur c'était Al-Quaeda, c'est peut-être une impression hein, mais je crois que le mec, il a tiqué. Alors je me demandais, est-ce que par hasard, on ne serait pas fichés quelque part ?"
Alors c'est vrai, je ne suis pas un expert en matière de sécurité. Toutefois, je ne peux me retenir d'émettre quelques doutes sur l'efficacité réelle de ces mesures. Je ne peux pas m'empêcher de me demander par quelle ruse militaire trois braves troufions équipés de famas chargés à blanc peuvent arrêter un avion de ligne lancé à 800 km/h avant qu'il ne percute la tour Elf. A première vue, la puissance de feu d'un gendarme en fin de carrière me semble un peu légère pour contrer les visées d'un commando de douze talibans enragés et armés jusqu'aux dents, décidés à prendre en otage le Palais des Gongrès pendant une comédie musicale (ce en quoi, du reste, je serais assez sur la même ligne idéologique). Il faudra aussi m'expliquer par quelles secrètes techniques Shaolin un vigile de supérette peut espérer désarmer un kamikaze armé d'un UZI et d'une ceinture explosive. J'aimerais assez savoir comment ces fameuses "mesures" qui nous empoisonnent la vie auraient pu empêcher en quoi que ce fut les attentats de New York, Bali, Bagdad ou Istanbul.
Quel est le résultat du sécuritarisme antiterroriste ? Allons donc voir à l'étranger, par exemple, en Israel. Il est inutile de rappeler ici que depuis une quarantaine d'années, ce pays lutte contre la menace constante du terrorisme. Il y a des policiers en armes partout, et là où il n'y a pas de policiers, c'est que les blindés de l'armée patrouillent. Tout le monde a été formé à déclarer les colis sans surveillance, à dénoncer les allées et venues suspectes, tout le monde a fait l'armée, tout le monde se sent concerné, avec juste raison, par la lutte antiterroriste. En outre, c'est un petit pays où tout le monde se connaît et surveille ses voisins, et dont les frontières sont solidement cadenassées et barbelées. Il semble donc difficile d'aller plus loin qu'Israel dans la prévention du terrorisme. Est-ce pour autant efficace ? Trouvez-moi donc un Israelien qui se sente en sécurité dans son pays, pour voir... Autant dire que si ce pays qui y met les moyens n'arrive à rien, l'Europe, avec sa population pléthorique et peu concernée, sa frontière poreuse, ses policiers et ses tribunaux jaloux de leurs petites prérogatives nationales, fait une cible plutôt facile. Et que dire des USA, aux vastes étendues désertiques se prêtant avec bonne volonté à toutes les cavales, où le concept de carte d'identité est vécu comme une atteinte insupportable aux droits de l'homme et où il n'est même pas nécessaire d'y faire passer des armes de guerre, car elles sont en vente libre dans toutes les quincailleries.
Donc, c'est triste à dire mais c'est pourtant l'accablante vérité : la lutte contre le terrorisme, ça ne marche pas. Alors à quoi donc ça sert ? A mon sens, trois hypothèses permettent d'expliquer la frénésie des forces de l'ordre :
- Théorie du complot : Les Puissants qui nous gouvernent n'attendaient qu'un prétexte pour violer la vie privée des gens, et depuis le 11 septembre, ils peuvent laisser libre cours à leurs pulsions liberticides, et d'ailleurs si ça se fait, pourquoi ça serait-y pas eux qui ont fait sauter les tours, on nous cache tout, on nous dit rien, c'est encore un coup des Francs-Macs, des Atlantes de Mû, de la mafia Bulgare, du lobby des céréaliers, du complot des marchands de betterave, la vérité est ailleurs...
- Théorie de la marée noire : Bien sûr, les gens de pouvoir savent pertinament que tout ce déferlement policier ne servira en rien à arrêter un seul terroriste, même chétif et timoré, pas plus que ramasser le fuel sur les plages n'empèchera la prochaine marée d'en remettre une couche, mais au moins, ça calme un peu les passants, et comme le but du terrorisme est de terroriser, finalement, c'est ce qu'il y a de mieux à faire.
- Théorie des parapluies : Selon le bon vieux principe bureaucratique, le commissaire en charge de la sécurité sur l'Île de la Cité s'est dit "Bon, le préfet va me demander ce que j'ai prévu pour Notre Dame, et si je lui répond qu'on ne peut rien faire d'efficace, je vais finir pendu à l'horloge du Quai des Orfèvres, alors réflechissons, qu'est-ce qu'on pourrait faire d'inefficace, qui se verrait et qui ne couterait pas cher, l'Etat étant fort impécunieux(1) ?
Selon votre vécu et votre état d'esprit, je vous laisse choisir la religion qui vous va le mieux.



Impécunieux adj. : mot rarement associé au vocabulaire policier "Brigadier, y me dit qu'il s'est livré à un larcin sur la susdite personne âgée car il se trouvait fort impécunieux, est-ce qu'il y a insulte à agent ?" (Gardien de la Paix Truffard)

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