Il y a un mécanisme assez étonnant à observer, qui est que plus une communauté humaine se réduit en nombre, plus elle déploie d'efforts pour se radicaliser, se singulariser, revendiquer une identité, retrouver ses racines, toutes ces choses. Pour ma part, j'ai toujours considéré que la quête des racines était une ambition de lapin, et que le fait de s'associer avec d'autres anticonformistes avait tendance à affadir quelque peu le concept d'anticonformisme. Le phénomène ci-dessus s'observe fréquemment dans les partis politiques, les syndicats, les sectes où cela peut prendre un tour meurtrier. Ma soeur, qui a fréquenté quelques temps le fandom de la série "Buffy the vampire slayer" m'en avait fait l'observation. La série est terminée depuis quelques années maintenant, et c'est bien naturel, l'intérêt s'émousse, la mode passe, les fans vont voir ailleurs. Mais il reste un noyau d'irréductibles, ou plutôt, des noyaux. Et parmi ces noyaux, croyez-vous que règne la concorde et l'amitié que pourraient légitimement éprouver des camarades unis par une passion commune ? C'est bien mal connaître l'humanité que de raisonner ainsi. Les aigreurs s'accumulent, les couteaux sortent, les clans se déchirent par blog interposé, et ce avec d'autant plus de virulence que l'enjeu est, pour tout dire, ténu.
J'en ai encore encore fait l'expérience récemment tandis que je flânais avec nonchalance sur le site agoravox (le média citoyen). Moyennement intéressé par les analyses sur la politique Israelienne, la loi DADVSI et le mépris des fonctionnaires-grévistes-qui-boivent-nos-impôts, voici que mon attention se porte sur une diatribe d'un certain Henri Masson, que je n'avais pas l'honneur de connaître, et qui conspuait un journaliste radiophonique du nom de Benichou. C'est toujours une bonne chose, à mon avis, d'insulter un journaliste. Néanmoins, à la lecture de l'article, je constatais que les faits reprochés à ce Benichou étaient douteux. Masson, donc, lui reprochait en substance d'avoir déclaré que l'espéranto, ça n'avait "pas marché du tout du tout du tout", et que dans le monde, "personne ne parle espéranto".
D'aucuns, tels que moi, jugeront ces propos bien anondins dans le triste monde où nous vivons, déchiré par la guerre, la misère, la maladie et toutes sortes de fléaux à venir. Toutefois, ils suffirent apparemment à monsieur Masson pour justifier qu'il vomisse sur ledit Benichou un flot de malédictions et d'admonestations délivrées par tombereaux entiers. Et de surcroît, voici que dans les commentaires à l'article, des amis et admirateurs de monsieur Masson se liguent avec un bel ensemble de bêlements pour approuver, abonder, applaudir et conspuer l'ignoble journaliste.
Et voici que ma plume me démange, je la sors donc de mon cul et me lance dans une de ces analyses courtoises et mesurées qui, vous le savez, sont ma spécialité. Je fais une recherche sur internet, et je constate que le nombre d'esperantistes dans le monde est sujet à de violents débats, mais que peu d'observateurs sérieux estiment à plus de deux millions le nombre de gens capables de comprendre un peu cette langue (le nombre de personnes réellement aptes à faire un usage quotidien de l'esperanto devant tourner autour des 100 000). Et je me prends à faire observer que deux millions, c'est peu pour un langage qui, depuis sa création (il y a 119 ans quand même) a toujours eu vocation à être une langue universelle (ça fait 0,03% de la population mondiale). Et de faire remarquer qu'à l'évidence, il est peu probable que, par un hasard extraordinaire, s'adressant à un quidam quelque part sur la planète, on ai la chance de tomber sur un espérantiste (ailleurs que dans un congrès, évidemment).
Pauvre de moi ! Qu'allais-je donc faire dans ce panier de crabes ? Aussitôt, me voici assailli par les contempteurs, qui tentent de me dépecer grâce aux pinces fort heureusement émoussées de leurs facultés de raisonnement amoindries par l'abus de masturbation mentale. Ne pouvant pas faire grand chose pour me défendre contre des individus manifestement inaptes à la logique, je me replie, non sans avoir infligé de cruelles blessures à l'amour-propre de mes adversaires.
Quelques temps plus tard, voici que sur le même medium, Henri Masson (qui est en fait un écrivain spécialisé dans la promotion de l'esperanto, comme je l'avais appris entre temps) nous pond un nouvel article, soi-disant sur la désinformation, en fait sur le seul sujet qu'il semble connaître, l'esperanto. Aussitôt, je l'attaque sur son article, et me voici revenu dans la furieuse mêlée, seul ou presque contre une horde de forcenés espérantistes, tel un Chrétien parmi les lions du cirque (mais attention, un Chrétien balèze, c'est plutôt Saint Conan de la Mandale que Sainte Blandine vierge-et-martyre). En fin de compte, comme toute polémique, celle-ci resta stérile. Si ce n'est que grâce à elle, j'ai découvert que l'espéranto, langue inventée alors que menaçaient les grands conflits mondiaux pour jeter un pont entre les hommes de bonne volonté, était devenu le prétexte à la formation d'une énième secticule de dangereux névropathes, agressifs, totalitaires, paranoïaques (parce que bien sûr, si l'espéranto n'est pas plus répandu, ce n'est pas parce que tout le monde s'en fout et que l'anglais fait le boulot, c'est à cause d'un complot des nazis, des communistes et des Américains), et rétifs à toute micro-abrasion de la surface de leur dogme, fut-ce sur les points de détail les plus futiles.
Je n'ai rien a priori contre l'espéranto. Je ne suis pas animé d'intentions criminelle envers les espérantistes (sauf s'ils sont journalistes). Toutefois, le mécanisme selon lequel moins on est nombreux, plus on gueule fort, est dangereux pour la démocratie, car il conduit à la domination de la minorité extrémiste sur la majorité consensuelle. Voici pourquoi, afin de rétablir un peu la balance des pouvoirs face au lobby espérantiste, je me permettrai de poster ce lien bien sympathique, qui vous résumera bien plus doctement que je ne saurais le faire (mais en rosbif) les nombreuses objections que les linguistes ont soulevé contre ce langage :