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KALON VIII
Adoncques en ce récit chamarré, l'on apprend que la vérité n'est point toujours où on la cherche, que certains monstres ne s'incinèrent pas facilement, et que Dame Sook n'est point de si bas lignage que ça, mais qu'en fait elle est de beaucoup plus bas lignage que ça.


KALON ET LE CENOTAPHE INACHEVE

Un truc écrit


I ) Où l'on mange des petits fours.

Les réceptions de Miklos Faristes sont réputées pour le bon goût raffiné du maître de maison. Sook s'était souvent demandé s'il existait des raffineries de bon goût, si on pouvait les visiter, et où se trouvaient les gisements de bon goût brut.
C'était la première fois que ses amis la voyaient en robe. C'était la première fois qu'ils la voyaient peignée. Il avait fallu toute la science millénaire d'une elfe pour convaincre la sorcière sombre de faire des frais de toilette. Assez curieusement, le résultat n'était pas trop désagréable à regarder, et eut-elle arboré une mine plus avenante qu'un convive un peu éméché eut pu lui faire la cour sans passer pour un pervers.
Elle portait donc une robe en corolle à la dernière mode, toute de satin rouge et de velours rose, avec ça et là quelques passementeries d'or jaune et bleu. Son décolleté mettait en valeur ses clavicules et omoplates, faute de mieux, une tiare d'or et de rubis lui aplatissait, avec une louable efficacité, l'ébouriffure carotte qui lui tenait lieu de système pileux crânien, des bagues et des bracelets précieux tintaient à ses poignets, plus pour rassurer d'éventuels investisseurs sur la bonne santé financière de leur propriétaire que par souci d'esthétique. C'est en vain que Chloé avait insisté pour lui faire porter des boucles d'oreilles, sous le prétexte fallacieux que "c'est la mode". Sook avait la mode en horreur. Comme du reste la quasi-totalité des activités humaines, à l'exception peut-être du commerce. Elle était présentement en grande conversation avec Alvar Sarmillos, fils cadet de Bahamish Sarmillos, le célèbre et richissime négociant en épices rares. Elle n'était pas venue pour ça, mais elle espérait bien profiter de cette petite réception pour défendre les intérêts de compagnies marchandes Balnaises dont elle détenait des parts, et qui l'avaient mandatée pour gagner quelques parts de marché à Sembaris. A cette fin, elle utilisait les service involontaires de sa compagne Chloé, dont le charme elfique n'aurait eu aucune peine à convaincre un vampire de vendre son cercueil. L'innocente jeune fille, bien sûr, ignorait tout du rôle que la matoise sorcière lui faisait jouer, et séduisait tant qu'elle pouvait, c'est à dire beaucoup.
Une enfance passée dans les steppes glacées d'Héboria et dans les mines d'opale de Thendara, en qualité de travailleurs bénévole, ne sont pas réputées pour former aux mondanités, et donc Kalon, engoncé dans un pourpoint noir et argent, se contentait d'avoir l'air fier, ombrageux, redoutable et impénétrable. Ses pensées se résumaient à admirer les formes de certaines invitées, à savourer les petits fours et à contrôler épisodiquement le niveau de remplissage de sa vessie, ce qui pour son cerveau représentait une charge de travail largement suffisante pour qu'il ne s'ennuie pas.
Quand à Melgo, il n'était pas là. Il avait décliné l'invitation, et avait dit à ses amis qu'il allait rendre visite à son vieux maître Vestracht, dans le quartier peu fréquentable du Faux-Port.
"C'est ça, avait perfidement souligné la Sorcière Sombre. Et puis tant que tu y es, donne le bonjour à Félicia, sa petite-fille. Tu te souviens, la petite brune mignonne... "
Il avait cherché durant une seconde une cinglante répartie, mais chose rare, il n'en avait point trouvé. Sans doute parce que Sook avait un peu raison.
Sur une petite scène, dans un coin, monta le maître des lieux, Miklos Faristes lui-même, qui avait bien l'apparence que l'on est en droit d'attendre d'un marchand, c'est à dire gras, court sur pattes, luisant de sueur, et vêtu avec plus de richesse que de goût. Il s'adressa à l'assemblée, qu'il parvint à grand peine à faire taire.
- Mes chers amis, j'espère que vous passez une bonne soirée. Afin de vous faire patienter jusqu'au repas, j'ai l'immense honneur de vous présenter les grand comédiens Melkhior de Chantepleurolle et Auguste Villeroy de Grandcoeur, qui vont maintenant interpréter pour votre plaisir une courte saynette de leur composition intitulée "La mort du Pancrate".
La chose n'intéressait guère le public, qui préféra dans sa majorité reprendre son papotage, et de fait ils ne perdaient rien car la pièce était d'intérêt littéraire assez inexistant, le jeu du cabot Villeroy était pitoyable, pour avoir assisté à la scène, Sook et Kalon étaient bien placés pour se rendre compte que la véracité historique n'était pas le souci principal de l'auteur. Pour être précis, ils en avaient été acteurs. Seul le jeune Melkhior faisait honneur à son art en essayant de sauver ce qui pouvait l'être de cette navrante représentation.

Mais voici, pour que vous vous rendiez mieux compte, un extrait de la pièce ((c) Les classiques Moo-Liehr):

LA MORT DU PANCRATE
drame métaphysique en prose en un acte
de M. Auguste Villeroy de Grandcoeur

LES PERSONNAGES(1)

Sacsos XXVII ................ Le Pancrate
Lagon(2) ................ Le Barbare

La scène est sur le champ de bataille de Gargamelle.

- LE PANCRATE (entrant sur scène côté jardin, solennel) : Gloire guerrière, ô toi dont les plaisirs me furent si longtemps refusés, voici que tu t'offres enfin à moi. Ma tunique enfin se rougit du sang de mes ennemis morts sous les roues de mon char, piétinés par mes fougueux destriers. Adieu, vie médiocre, mesquines questions d'état et soporifiques querelles de ministres sur l'effet de la baisse des taux d'escompte à court terme sur le déficit budgétaire, car voici que moi, Sacsos XXVI, ai gagné ma place parmi les conquérants, les bâtisseurs d'empire, ceux dont les noms dégoulinent sur les flancs des obélisques.(3)
- LE BARBARE (entrant côté cour en sautant, hurlant comme un possédé et faisant des moulinets de son énorme épée) : AAAAAAAAAAAARRRRRRGGH!!!
- LE PANCRATE (reculant, surpris) : Par la malpeste, mais quel est donc ce manant hirsute qui a réussi à passer outre ma puissante garde, et à approcher ma précieuse personne? Sans doute quelque mercenaire nordique avide de gloire et de sang, et résolu à en découdre avec ma personne. Mais je gage que ce lourdaud se laissera berner par une ruse subtile. Holà, du gueux!
- LE BARBARE : Oui-da?
- LE PANCRATE : J'ai une énigme à te poser. Réponds-y et grandes seront tes récompenses, mais malheur à toi si tu faillis, car je serais impitoyable.
- LE BARBARE : Ah? Ouais, vas-y(4).
- LE PANCRATE (articulant soigneusement) : C'est une question de géographie. (en aparté) Un indice... que nous ne voyons pas.
- LE BARBARE (plantant son épée en terre d'un air décidé): Je prend la main!
- LE PANCRATE (en aparté) : Malédiction, il connaît le jeu! (plus fort et à toute vitesse) : Top! Je suis une cité du continent Klisto fondée par les derniers descendants de l'Empire d'Or, au bord de l'Argatha, mes enceintes fortifiées m'ont protégée contre l'anarchie qui règne dans les provinces du Shegann et mon clergé de Prablop maintient la population en semi-esclavage. Je vis essentiellement du commerce et on me surnomme "la porte du Septentrion", je suis... je suis...
- LE BARBARE (tapant du plat de sa main sur le pommeau de son épée) : Achs?
- LE PANCRATE : Damnation, barbare, je t'avais sous-estimé.
Etc...

La sorcière tentait à grand peine de paraître intéressée, sans résultat. Une voix se fit entendre derrière elle :
- Je comprend maintenant pourquoi on appelle ça de l'art dramatique.
C'était un jeune homme dépassant Sook d'une demi-tête, ce qui ne le menait pas bien haut, mince de corps, aux cheveux courts et très blonds, au visage fin et pâle dans lequel s'inscrivait deux yeux verts pleins d'intelligence et de cynisme. Entièrement vêtu de velours noir et pourpre, il était sans doute le fils, ou bien le giton, de quelque noble personnage de l'assemblée. La sorcière classait l'humanité en quatre catégories, la première consistait en elle-même, la seconde était réservée à ses compagnons, la troisième regroupait les gens pouvant lui être utiles, et dans la dernière, de loin la plus nombreuse, s'entassait tout le reste de la vermine bipède. Cependant à l'instant où elle aperçut l'inconnu s'ouvrit en elle une cinquième catégorie où elle s'empressa de le ranger.
- Euh... bonsoir. On se connaît?
- Je suis confus, madame, je manque à tous mes devoirs. Je suis Krondiar Elstimiass, et à mon grand dam, nous ne nous somme jamais rencontrés, croyez que je m'en souviendrais. Quel nom puis-je mettre sur votre délicieux visage?
Pour une fois elle remercia le sort qui l'avait faite rousse, masquant ainsi la soudaine rougeur de ses joues.
- Je me nomme Sook.
- Sook? Comme c'est joli! C'est méridional n'est-ce pas?
Kalon était arrivé silencieusement, comme à son habitude, dans le dos de l'éphèbe.
- Un problème Sook?
- Ben... non, enfin... non Kalon. On discute.
Krondiar et l'Héborien se considérèrent une seconde, puis le barbare repartit sans un mot, au grand soulagement du jeune homme.
- Vous l'avez appelé Kalon? Mais alors vous êtes Sook la Sorcière Sombre, le célèbre archimage de la Compagnie du Val Fleuri?
- Non, je suis juste Cercle d'Or. Alors vous me connaissez?
- JUSTE du cercle d'or? J'admire votre modestie! Madame, vous n'avez sur cette terre plus fervent admirateur. Ah, quel heureux hasard m'a fait croiser votre route ce soir! Sachez que c'est en écoutant le récit de vos exploits que j'ai voici peu opté pour la carrière d'aventurier.
- Ah oui, comme c'est intéressant! Et quelle est votre spécialité?
- Oh, je me flatte d'avoir un bon coup d'oeil à la dague lancée ainsi qu'à l'arc, et je connais aussi quelques sortilèges, qui vous paraîtraient risibles bien sûr. Voyez, mes compagnons sont par là, il y a Miskal, un Héborien comme votre ami - ah, ils se sont trouvés on dirait - et le grand blond barbu est un Khnebite nommé Vegnour. La fille en fourreau rouge est Selyisha, une courtisane Sembarite, et nous avons aussi un prêtre-archer M'ranite nommé Verdantil, de grand courage, qui règle présentement quelques affaires en ville. Mais je crois que vous l'avez déjà rencontré dans le sud.
- Verdantil... Ah oui, cette affaire avec M'ranis. Un gars courageux, une bonne recrue.
- En effet, et nous avons aussi un vieux barde, Olghur, qui nous aide par son expérience et nous réconforte de ses ballades. Et puis quelques porteurs de torches. Voici toute la Compagnie de la Tour Blanche.
- Impressionnant, en effet. Pour la Compagnie du Val Fleuri, vous connaissez Kalon et moi-même, nous comptons aussi dans nos rangs cette fille là-bas, en noir et blanc, qui est malgré les apparence une redoutable combattante, ainsi que Melgo, notre... prêtre. De M'ranis aussi. Enfin, disons que la prêtrise n'est pas son premier métier.
- Ah, nous nous comprenons, madame.
Après quelques secondes de silence gêné, Sook reprit la parole.
- Et à part ça, vous préparez quelque chose?
- Oui, plus ou moins... en fait on a repéré une vieille tombe, le Cénotaphe Inachevé, sur le plateau de Logh.
- C'est juste à côté ça?
- Oui, c'est pas bien loin. C'était censé être le tombeau d'un sorcier du coin, appelé Beshgul, mais il est mort voici trois ans, avant la fin des travaux, et la famille n'a pas voulu continuer à payer.
- Ca n'a rien d'exceptionnel.
- Certes, mais ce qui nous a étonné, c'est que l'architecte qui avait bâti le tombeau, un certain Amergoul, a disparu juste après la mort de Beshgul, apparemment en proie à la plus vive terreur. Une terreur justifiée puisque deux semaines plus tard, on a retrouvé son cadavre à moitié dévoré par les loups dans la forêt de Phtynx, à quinze lieues de là. La veille, sa maison avait mystérieusement brûlé jusqu'au sol, avec dedans tous les plans...
- Un architecte éliminé... oui évidemment, c'est un classique. Dans mon pays on fait comme ça, souvent, pour éviter que les pilleurs de tombe n'aient un boulot trop facile. Pas con. Vous croyez que finalement Beshgul a été enterré avec un trésor?
- Ou que quelqu'un d'autre s'est servi du tombeau pour ensevelir des biens de valeur à l'abri. Dans tous les cas de figure, on ne se donne pas la peine d'occire un architecte réputé pour rien.
- Ca semble logique. Dommage que nous n'ayons pas entendu parler de ça avant vous, ça nous aurait sortis.
- Ah? Les affaires vont mal en ce moment?
- C'est calme. Très calme. Très très calme. En fait cette réception est la chose la plus excitante que nous ayons fait depuis trois mois.
- Ah oui, cette affaire au Phare de la Petite Passe. J'aurais bien aimé y être, ça aurait pu être instructif.
- On s'en est tirés d'extrême justesse et avec beaucoup de chance, et on n'y a pas gagné grand chose somme toute. C'était marrant quand même, mais bon. Tiens, qu'est-ce qu'il fait, votre Héborien?
- J'ai l'impression que ce convive éméché lui cherche noise. On va rire.

En effet, un gentilhomme à la barbiche lustrée tutoyant la trentaine, quelque peu gris, suivi d'une douzaine de ses amis à la mine arrogante s'approchait du colosse barbu, taillé dans la même étoffe que Kalon, quoique plus âgé d'une dizaine d'années.
- Holà, croquant, écartez-vous de mon chemin, que je puisse à mon tour me désaltérer. Ah, mais je vois que quelque rustre a souillé le punch de sa barbe graisseuse! Quelle infection, il y a vraiment des gens qu'on ne devrait pas laisser entrer n'importe où. Mais dites, mes amis, ne humez-vous point ce fumet putride? Je gage que quelque rat aura crevé sous un meuble, dans le coin!
Aucune réaction de l'Héborien, qui se contenta de dévisager l'impudent d'un air que l'on aurait pu qualifier, selon son humeur, de digne ou de bovin. Puis il se retourna vers sa chope et fit mine de boire derechef. Mais l'impudent revint à la charge.
- Je vois que vous n'avez guère ce caractère que l'on prête souvent aux gens du septentrion, peut-être me suis-je trompé, et me trouvè-je en présence d'un citoyen Bardite(5)?
Il resta immobile un instant, puis haussa les épaules.
- Dites-moi, l'ami, ne vous a-t'on jamais dit que vous étiez le plus beau spécimen de foire que l'on vit sur les bords de la Kaltienne? Êtes-vous le fruit de l'accouplement d'une jument et d'un ours? Ou bien un troll a-t-il déposé sa semence parmi votre race?
On pourra s'étonner que le barbare, appartenant à une lignée ombrageuse et fière, n'aie pas plus de réaction devant une telle avalanche de quolibets, cependant cette bizarrerie comportementale s'explique sans peine lorsqu'on connaît le niveau d'éducation moyen du citoyen Héborien, qui avoisine le néant absolu. Le fait est que la plupart des Héboriens ont des difficultés ne serait-ce qu'à maîtriser le langage oral, et que la table d'addition passe chez eux pour une inaccessible et remarquable abstraction mathématique. On disait souvent d'eux qu'ils naissaient à cheval, sans doute les chocs répétés de la selle contre la fontanelle expliquait-elle la médiocrité du quotient intellectuel moyen chez ce peuple.
Ils connaissaient cependant l'existence du langage écrit, et paradoxalement le révéraient au plus haut point, le parant de puissantes vertus magiques. Ainsi était-il de notoriété publique qu'une épée ornée de runes était plus puissante qu'une épée nue, qu'une yourte peinte de glyphes résisterait mieux au vent et qu'une borne de pierre gravée d'un nom d'homme donnait à celui-ci la possession irrévocable de la terre dans laquelle elle est plantée. Bien sûr, car on n'accorde que plus de prix à ce que l'on ne connaît pas.
Cette amusante particularité de la culture Héborienne avait du reste sauvé la vie à bien des esclaves capturés, il suffisait au malheureux de prétendre être un "grand écriveur" pour susciter sur le champ la considération générale, recevoir richesse et honneur, et finir sa vie dans la servitude, certes, mais aussi dans une certaine aisance matérielle. Le captif était alors chargé d'Ecrire sans cesse les mérites des seigneurs d'Héboria un petit peu partout, pour le plus grand prestige de ceux-ci.
Au cours de l'histoire cependant, nombre de paysans incultes mais futés avaient ainsi été capturés et avaient prétendu savoir l'écriture pour sauver leur vie, à telle enseigne que bien des inscriptions considérées comme du plus haut sacré se trouvaient être des gribouillis sans signification. Plus amusant, quelques lettrés avaient aussi été pris et, sachant que nul ne s'en rendrait compte, avaient déversé sur les frontons des temples, aux pieds des trônes de granite et sur les murs des forteresses, des flots d'injures et de malédictions à l'adresse de leurs maîtres, dont certains témoignaient d'une imagination débordante. On comprendra sans peine quel plaisir un esclave peut trouver à agonir son maître d'obscénités sans nom et à ensuite en être félicité par le maître lui-même.
Tout ça pour vous dire que si Miskal n'avait point répondu aux propos du gentilhomme, c'est parce qu'il n'en avait pas compris le premier mot. Et l'eut-il fait que l'importun eut rejoint l'orbite géostationnaire avant d'avoir prononcé le deuxième.
Voyant que les mots ne suffisaient pas, le triste sire se déganta avec style, un doigt après l'autre.
- Demain à l'aube, en champ clos. J'attend vos témoins, barbare.
Et fièrement il souffleta Miskal.
Celui-ci lui retourna immédiatement à la mâchoire un coup d'une telle puissance que non seulement le pauvre homme fit un demi-tour sur elle même et s'étala de tout son long sans connaissance, mais qu'il en perdit de façon définitive une bonne partie de ses capacités mentales, ainsi que l'usage de son maxillaire inférieur.
Les lames peu assurées de ses amis sortirent alors de leurs fourreaux, alors Kalon, rugissant comme un tigre, se porta prestement à l'aide de son compatriote. La bagarre qui s'ensuivit fut digne des plus crasseuses tavernes du Faux-Port, et les cinq compagnies d'aventuriers invitées à cette réception - dont le prétexte était le quinzième anniversaire du neveu de Miklos Faristes - se mêlèrent à la confusion dans une débauche de jurons et de coups de tables, en compagnie de quelques marchands heureux de retrouver pour une soirée les mémorables séances de bastonnade de leur jeunesse, et sous les yeux horrifiés autant qu'excités des spectateurs passifs.
Le pugilat fut prématurément interrompu par l'irruption la milice, et parmi les invités s'égayèrent nos amis dans la nuit glacée, courant à perdre haleine et riant de bon coeur.
Ce fut finalement une soirée réussie, puisqu'il y eut deux morts, et un début d'incendie.

II ) Où la situation s'aggrave, et où l'on prend un cours de magie.

Quinze jours plus tard, dans la grande salle de réception du Palais Royal de Sembaris, se pressait une concentration de héros comme jamais on n'en avait vu dans la cité depuis les âges glorieux et tragiques que les hommes espéraient à jamais révolus.
Bon, d'accord, c'est peut-être un peu exagéré, la biennale des aventuriers, l'an passé, avait réuni deux fois plus de monde, et chaque soir on pouvait trouver une assistance comparable à l'Anguille Crevée, la taverne de la Compagnie du Basilic, mais dans ce genre d'histoire, si on ne force pas un peu le trait de temps en temps, ça devient vite lassant.
Une femme châtain, encore jeune et point trop laide, à la tenue aussi austère que la mine, était montée sur une petite estrade et lisait un parchemin écrit de la main du Roi. C'était Ardina Sulki, la très compétente sous-directrice du service des enquêtes spéciales de la milice royale. La rumeur prétendait qu'un jour, elle avait souri.
- ...Compte-tenu des événements susmentionnés et en vertu de la Bulle Ordinale numéro vingt-sept, nous, Velgush XIV, souverain de Khôrn, en accord avec le Sage Conseil et sur proposition de notre Ministre de la Sécurité Intérieure, déclarons qu'une récompense de dix-mille naves d'or sera versée à la ou les compagnies aventurières qui par leurs actions auront mis fin à cette situation, par quelque moyen que ce fut. Voilà pour le document officiel. On peut raisonnablement supposer que cette soudaine recrudescence des monstres dans les provinces du sud-ouest est due au hasard, mais ce n'est pas moi qui...
- Le hasard? Je m'y attendais, tu as toujours ce mot là à la bouche. Mais comment expliques-tu que toutes ces créatures soient des monstres souterrains? Je suis certain que quelque chose les a fait sortir de leur trou, quelque chose que nous ne pouvons expliquer...
L'homme qui venait de parler était mince, brun et séduisant, du même âge que Sulki, vêtu d'un long manteau brun et passablement plus énervé qu'elle. Dans ses yeux brûlait l'intelligence, la curiosité et aussi un début de panique. C'était Murdel, dit le renard, agent quelque peu en disgrâce des service secrets du royaume, éternel adversaire de la sous-directrice. La rumeur les disait amants.
- Toujours tes intuitions géniales, mon pauvre Murdel. Ne peux-tu donc pas te résoudre au fait que la plupart du temps, ces histoires ont une explication rationnelle, telle qu'un sorcier jaloux ou la saison des amours chez les goules?
- Et les traces de boue sur le mort-vivant que nous avons tué à Kalbeth, une boue comme il n'en existe que dans les contreforts des collines de Bogoth, à vingt lieues de là? Si des monstres font autant de chemin pour semer la terreur, c'est que quelque chose les pousse. Comment peux-tu être aussi aveugle, ils répondent aux appels chthoniens des puissances abyssales et des...
- Oui, comme dans l'affaire de cette jeune fille qui prétendit avoir été engrossée par des créatures venues du ciel. C'est dingue comme un paysan avec une citrouille sur la tête et un drap sur le dos peut ressembler à un être venu d'ailleurs, tu ne trouves pas?
Il ouvrit la bouche pour répondre, puis la referma. Sulki reprit.
- Bon, comme vous pouvez voir sur cette carte, on a découpé la région en plusieurs zones, chacune contenant un donjon notoire. Si vous avez des préférences, je vous écoute.
Pas moins d'une cinquantaine de compagnies remplissaient la salle. Il est vrai qu'à Khôrn, le moindre soupçon de trace d'indice pouvant laisser à supposer qu'une bagarre se préparait attirait immanquablement des pléthores de pilleurs de tombes avides de gloire et de richesses. Il y avait, à la vérité, trop d'aventuriers et trop peu d'aventures. La Compagnie du Val Fleuri avait eu vent de la réunion et s'était donc rendue, au grand complet et en tenue idoine, au Palais. La tenue idoine était la suivante :
Pour Melgo, c'était la Robe de Lumière Abolie, jaune et noire, faite d'une étoffe divine, et qui lorsqu'on rabattait sur sa tête le capuchon cachait le porteur aux yeux du monde. Une large ceinture de métal retenait l'outil de ses bénédictions miséricordieuses, une rapière de trois pieds de long. Sous ses habits, il dissimulait divers outils peu en rapport avec ses fonctions pastorales, tels que crochets, pinces, nécessaire à dégonder les portes. Kalon le colosse portait une cotte de maille neuve (l'ancienne était par trop usagée) par dessus un pourpoint et des braies de cuir épais. Sur son dos, comme à son habitude, il portait un bouclier de fer rond et bombé ainsi qu'une épée bâtarde, à l'aspect redoutable, qu'en ce moment il nommait "la Destructrice". Sook avait retrouvé ses habitudes vestimentaires, gros pull marron, pantalon de même et bottes souples. Elle était armée d'une rapière plus courte que celle du voleur, d'une demi-douzaine de petits poignard cachés en divers points de son anatomie, et portait en bandoulière le sac de cuir noirâtre et informe contenant les multiples composantes, amulettes et parchemins qu'elle estimait utiles à l'exercice de la sorcellerie. Elle s'appuyait sur un grand bâton d'aspect sinistre représentant deux serpents enlacés, dont elle avait passé l'essentiel de son temps lors des derniers mois à tenter de deviner l'utilisation. Quand à Chloé, il avait fallu beaucoup de persuasion pour la convaincre de se mettre dans une tenue adaptée au crapahut dans les kékés, et surtout aux transformations auxquelles elle était sujette. Son seul ornement était donc sa coiffure, avec des tresses jolies et toutes sortes de rubans entortillés dedans, et on l'avait faite rentrer dans une robe de toile blanche toute simple qui, on l'espérait, ne se déchirerait pas à la première occasion, quoique la perspective de se retrouver nue comme un ver ne sembla point traumatiser la jeune elfe outre mesure, comme ses compagnons l'avaient pu constater ces derniers temps.
Bref.
Sook eut soudain une idée.
- Dites-moi, vous qui avez une meilleure vue que moi, le plateau de Logh fait-il partie de la zone à fouiller?
Melgo observa la carte avec curiosité.
- Ben, oui, je crois, pourquoi?
- On n'a pas revu le gars de la Tour Blanche depuis deux semaines non?
- Qui?
- Des aventuriers qu'on a rencontrés lors de cette mémorable soirée, ils voulaient explorer une tombe dans la région, et pour autant que je sache, ils sont pas revenus.
- Et alors?
- Ben tant qu'à chercher, autant chercher par là non? Même si on ne trouve pas la raison de cette invasion de monstres, on aura des chances de ne pas avoir fait le chemin pour rien. Si ce que je sais est vrai, cette tombe a de bonnes chances d'être intéressante.
- Tu crois que ça pourrait être à cause d'eux, tout ça?
- Va savoir. C'est une petite piste mais c'est mieux que rien.

Il fut bien obligé d'en convenir, et faute d'une meilleure idée, le voleur réserva pour son groupe le plateau de Logh. Puis ils repartirent chez eux, bien décidés à partir en expédition dès le lendemain matin. Chloé et Kalon mirent la fin de l'après-midi à profit pour aller quérir des montures et des vivres, Melgo prit la direction du Faux-Port pour "demander conseil à son vieux maître". Et Sook médita longuement afin d'avoir quelques sorts en réserve.
Je ne crois pas vous avoir expliqué comment fonctionne la magie. C'est un tort que je m'en vais brièvement réparer. Brièvement parce que d'une part un exposé, ne serait-il que succint, des principes présidant à la sorcellerie nécessiterait un volume de livres difficilement transportable, et d'autre part parce que personne, même les sorciers les mieux informés, ne parierait sa tête que cette masse de théories est un tant soit peu fondée. Mais plusieurs millénaires d'expériences souvent tragiques et d'interrogations de déités plus ou moins majeures ont permis de dégager quelques bases sur lesquelles s'entendent la plupart des interlocuteurs sérieux.
Tout d'abord, il existe le fluide, qui est en quelque sorte l'énergie magique. Il en existe plusieurs formes, dites élémentaires, telles que le fluide igné, argenté, éthéré, fuligineux, etc..., chacun étant relié à un des éléments qui de l'avis des philosophes composent l'univers. Le sortilège consiste à combiner ces fluides et à en irriguer la matière environnante de la manière adéquate, afin d'obtenir l'effet désiré.
Là où l'affaire se complique, c'est qu'un humanoïde normalement pourvu en facultés mentales est incapable de générer, ou même simplement de conduire dans son corps et dans son esprit l'énorme quantité de fluide nécessaire à l'élaboration d'une sorcellerie moyenne. L'effet d'une telle surtension est variable selon le type de fluide incriminé, mais la mort par carbonisation est généralement considérée comme un moindre mal. Les abords des académies de magie sont souvent encombrées de mendiants hideux, idiots et difformes chargés de rappeler aux étudiants les dangers qu'ils courrent à magifier sans prendre de précautions. Donc il est nécessaire d'étaler dans le temps le lancement du sort, de le stocker par petits bouts. Pour ce faire, il y a plusieurs manières de procéder.
Le plus simple est d'invoquer le Signe du Chaos, ou Mandala, qui est une sorte d'extension de l'esprit du sorcier, mais en beaucoup plus résistant, et dont la nature exacte est encore le sujet de controverses acharnées autant que stériles. Une méditation de quelques heures permet d'accrocher sur ledit Signe tous les petits sorticules nécessaires au sortilège, et de les lancer en même temps en prononçant un simple mot de commande. L'inconvénient principal du système est que les sorts s'effacent peu à peu de l'esprit du mage, qui doit donc les renouveler constamment.
Pour conserver un sort plus longtemps, il est possible d'utiliser les parchemins. Ce sont des feuillets sur lesquels sont inscrits des glyphes magiques qui, lorqu'ils sont lus, déchargent leur puissance mystique. Mais là encore il y a inconvénient : plusieurs jours de dur labeur sont en effet nécessaires pour inscrire un seul sort, et il faut disposer de toute une panoplie d'encres spéciale se rangeant en trois catégories : celles qui coûtent horriblement cher, celles dont l'usage vous rend fou et aveugle en quelques mois et celles qui nécessitent pour leur élaboration le sacrifice d'un dragon, d'un béhémoth velu ou de quelque autre bête fort peu encline à la vivisection. La fabrication de parchemins était donc l'affaire de spécialistes bien payés et las de la vie.
Enfin, il existait l'enchantement, qui consistait à rendre magique un objet quelconque. Là, le temps de préparation se comptait en semaines, voire en mois, ou même en années pour les artefacts les plus puissants. Comme en plus la chose n'était pas à la portée du premier acolyte venu, les enchanteurs étaient fort rares et leurs productions faisaient l'objet d'un commerce peu important en volume, mais prodigieux en valeur monétaire.
Notre sorcière, quand à elle, utilisait essentiellement la première manière, et ne s'en portait pas plus mal.

Au soir, tout le monde rentra à la maison et, autour du dîner, on discuta avec excitation des mille merveilles que pouvait receler le Cénotaphe Inachevé, et tous convinrent que le nom même sonnait comme une invitation à l'aventure. C'est à ce moment qu'on frappa à la porte.

III ) Où l'on se monte le bourrichon et passe une bonne nuit.

C'était Murdel, nerveux et pressé, engoncé dans son grand manteau noir.
- Je peux entrer?
- Grongf, grogna l'Héborien.
Murdel entra donc et apparut dans la salle à manger, heureux de ne trouver personne d'autre que nos compères. Melgo se leva.
- Messire, je suis bien aise de vous voir ici ce soir, et c'est avec plaisir que nous vous invitons à partager notre modeste pitance. Entrez, entrez, mettez-vous à l'aise. Mais je gage, messire Murdel, que ce n'est pas votre amour de la gastronomie qui vous a fait pousser notre porte?
- Euh... ben non. Vous êtes je crois la Compagnie du Val Fleuri?
- Certes, certes, je suis Malig de Thebin, archiprêtre de M'ranis, cette jeune et accorte personne présentement occupée à manger est Chloé, cette charm... enfin, l'autre, c'est Sook la Sorcière Sombre, et ce grand gaillard est Kalon, fils d'Héboria. Mes amis, je vous présente Murdel le Renard, honorable agent appointé par les services du Roi. Alors, que pouvons nous faire pour vous obliger?
- Tiens, vous me connaissez? Peu importe, je crois que vous avez choisi le plateau de Logh comme terrain de quête? Le Puits de Lochdus est le donjon situé sur ce terrain...
- Certes, mais nous avons une autre exploration en tête dans la région.
- Ne serait-ce pas le Cénotaphe Inachevé par hasard.
Melgo laissa échapper un soupir révélateur.
- Peut-être.
Murdel s'assit et se pencha vers ses interlocuteurs.
- Bien, jouons carte sur table. Je suis lié à certains services du royaume, un peu spéciaux, et je ne veux pas savoir comment vous l'avez appris, mais sachez que depuis quelque temps je suis, comment dire... j'ai pris mes distances par rapport à ma hiérarchie, qui conteste la validité de certains de mes thèmes d'investigation.
- Vous êtes en disgrâce? Demanda ingénument Chloé.
- Ben... C'est pas ça l'important. Il se trouve que je ne dispose plus de tous les moyens nécessaires pour mener à bien certaines enquêtes qui me tiennent à coeur.
- Et en quoi cela nous concerne-t-il?
- On va faire un marché. Je vous dis pourquoi je m'intéresser au Cénotaphe, et vous me dites pourquoi vous vous y intéressez.
- Si tant est qu'on s'y intéresse. Mais bon, admettons, nous vous écoutons Murdel.
- Voilà, c'est simple. Ce Cénotaphe devait être la tombe d'un nommé Beshgul. Cet homme, je le connaissais bien, c'était un sorcier fort intelligent, quoiqu'à demi fou, et c'était aussi un habile forgeron. Il vivait dans un manoir retiré du plateau de Logh, et ce qui m'avait conduit à m'intéresser à lui, c'est que les paysans de la région s'étaient plaints de phénomènes étranges ayant lieu autour du manoir. Des choses volantes avaient été aperçues la nuit...
Sook interrompit le jeune homme.
- C'est souvent que chez un sorcier, y'a des phénomènes étranges. C'est quand y'en a pas que c'est inhabituel.
- C'est possible, mais Beshgul était un mauvais sorcier. Je me suis renseigné auprès de la Tour-Aux-Mages, il n'a jamais réussi à devenir compagnon, tout juste acolyte. Comment expliquer dans ce cas qu'il ait pu acheter un immense manoir, alors qu'il n'avait aucune fortune personnelle, et surtout comment expliquer...
Il sortit de sa poche un croquis fait à la va-vite, au dos d'un exemplaire de l'"Indépendant Khôrnien". Le dessin représentait un objet vraisemblablement métallique, ayant eu une forme lenticulaire avant le choc qui l'avait dûment plié, cabossé et éventré.
- Voici l'engin que j'ai vu, de mes yeux, dans un bois à deux lieues du manoir. Cette chose mesurait quatre pas de long et à l'intérieur était aménagé un compartiment où pouvait prendre place un homme de petite taille, ou quelque chose d'équivalent. Et ce compartiment, écoutez-moi bien, était maculé de sang. J'ajoute que dans le feuillage des arbres, au dessus de l'engin, se trouvait une énorme trouée, des branches avaient été arrachées par la chute de la chose et jonchaient le sol tout autour.
- Mais, vous avez vu le corps de ce qui se trouvait dans l'engin?
- J'ai cherché partout, battu les fourrés, rien, sinon de nombreuses traces de pas tout autour. J'ai vite suspecté Beshgul, mais il est mort peu après sans que j'ai pu en tirer quoique ce soit. J'ai fouillé son manoir sous un vague prétexte, et je n'ai rien trouvé. Il ne reste que sa tombe, dans laquelle je n'ai pas pu pénétrer car on ne m'a pas alloué d'équipe de recherche.
- Et vous voulez qu'on l'explore pour vous.
- Je veux que vous l'exploriez avec moi.
- Ben tiens, ça m'aurait étonnée, aussi.
Sook n'appréciait guère d'être accompagnée dans ses aventures par des gens dont elle ignorait tout.
- Et vous, qu'est-ce qui vous intéresse dans cette histoire?
- Nous avons eu vent du fait que l'architecte du tombeau, lui aussi, avait connu un sort funeste et inexpliqué peu après la construction, ce qui est le signe évident que ledit tombeau recèle quelque chose d'intéressant, si vous voyez ce que je veux dire. Une autre troupe d'aventuriers y est partie voici peu, mais ils ne sont pas revenus. Ce qui est plutôt bon signe, vous en conviendrez.
- Voilà qui est intéressant, il faut absolument que nous visitions ce tombeau. Je suis convaincu que c'est là que se trouve la clé du mystère. On part quand?
- Demain à l'aube, nous aimerions arriver là-bas avant la nuit.
- Bien, on se retrouve devant chez vous. J'amènerai un peu de matériel intéressant.
- Vous ne restez pas, demanda Chloé d'une voix légèrement voilée, on pourrait vous trouver une petite place ici non? Et puis c'est dangereux de sortir à cette heure.
Un petit soupir souleva sa ronde poitrine, et ses yeux innocents se posèrent sur le pauvre Murdel avec une intensité étrange. Elle passa ses petits doigts fins dans ses cheveux bruns et blancs et pencha légèrement la tête. Sook prit une moue consternée, Melgo se racla la gorge d'un air gêné, Kalon monta rapidement se coucher. Il est faux de dire que Chloé avait raté sa vocation de courtisane : l'idée de se faire payer ne lui serait probablement jamais venue.
Bref, la Compagnie se mit en marche le lendemain matin, comme prévu, après une nuit sans histoire, en tout cas sans histoire lisible des deux mains.

IV ) Où l'on découvre une bien vilaine contrée et rencontre, brièvement, ses habitants.

L'essentiel du pays de Khôrn, c'est à dire la partie la plus favorisée par la nature et par les hommes, se trouvait le long des côtes, et un bel ensemble de routes soigneusement entretenues faisait le tour complet de l'île en restant toujours en vue de la mer. Cependant, l'intérieur des terres laissait à désirer, un peu comme un magasin avec une superbe vitrine et une arrière boutique pleine de rats. Et le plateau calcaire de Logh était encore plus miséreux que le reste du pays. La route proprement dite avait pris fin deux lieues au sud de Sembaris, et nos compères chevauchaient maintenant depuis plusieurs heures sur les chemins tortueux, encaissés et encaillassés de ce triste pays, au grand désespoir de leurs montures aux pieds endoloris(6). Ils n'avaient pas tout de suite remarqué le vent, mais les heures passant, leurs os s'étaient glacés et ils avaient dû s'emmitoufler dans leurs vêtements, regrettant de n'en avoir pas emporté plus. Où que portent les regards de nos amis, ils ne contemplaient qu'herbe rase et jaunie, bois de conifères distordus, buissons épineux, murets grossiers de pierre lépreuse à moitié éboulés et, ça et là, une ferme basse et massive, abritant sans doute quelque monstrueuse histoire de meurtre, d'inceste ou de dette de sang. Le terme paysannerie semble déplacé pour désigner les pauvres bougres qui s'acharnaient, contre toute évidence, à tenter de faire pousser autre chose que des cailloux sur leur terre ingrate, et les quelques moutons semi-sauvages qui paissaient - ou pour être exact qui suçaient les pierres - dans les prés mal délimités semblaient implorer de leurs petits yeux noirs et de leurs bêlements tragiques la main miséricordieuse d'un boucher aimant son métier. Et pour que même les moutons se fassent chier, dieu sait qu'il fallait en mettre un coup. Je pourrais encore continuer un bon moment dans le même registre, vous parler de terre oubliée des dieux, de nuages bas et gris ou de corbeaux rétroplanes, mais je gage que vous avez déjà une bonne vision de cet endroit. Brisons-là, donc.
- Holà, fier et droit paysan de nos riantes campagnes, bénie soit ta maison, féconds tes reins, et honorés tes ancêtres. Saurais-tu où se trouve, par hasard, le Cénotaphe Inachevé? Nous nous devons de rendre hommage à un ami disparu.
Toute la Compagnie admira le métier et l'incalculable mauvaise foi qui fut nécessaire à Melgo pour ainsi parler à la chose crasseuse, poilue, au sexe aussi indéterminé que l'âge, dont la peau huileuse était difficile à différencier des hardes immondes qu'il/elle portait sur son dos bossu. La créature leva les yeux, dont un en état de fonctionnement, pétrifiée, avec un mouvement du bras pour se protéger. Puis il y eut un long silence. Puis il désigna de sa houlette - qui, dans d'autre contrées, se fut appelé massue - une sente serpentant jusque dans un vallon sombre et d'apparence malsaine. Il poussa un petit gémissement, et s'en fut en boitillant de fort pathétique façon.
- Vous voyez, fit Murdel, je vous l'avais bien dit qu'on était sur la bonne route.
- Elle a vraiment l'air mal en point, cette petite vallée. Pourquoi donc les donjons sont-ils toujours dans ce genre d'endroits lugubres et glacés?
- Et bien vois-tu Chloé, répondit Melgo d'un ton doctoral, c'est une simple question de standing. Imagine que tu es un sombre nécromant et que tu souhaites te construire un sépulcre où tu enterreras ton trésor afin qu'il t'accompagne pour l'éternité - ce qui a mon sens est bien bête - et imagine que tu aie le choix entre d'une part le Gouffre Noir de la Désespérance Putréfiée, et d'autre part le Petit Bois Joli des Lutins Farceurs. Lequel tu choisis?
- Je sais pas. Dis?
- Mais le premier, bien évidemment! Sinon on te prend pour un charlot. Quelle andouille voudrait dissimuler son bien dans "La Chaumine du Lapinou" ou "Le Lac du Clapotis Enchanteur" ?
- Ben oui, mais alors si on donne un nom effrayant à son antre, ça va attirer immédiatement tous les aventuriers de la région, comme nous.
- Sans doute, on n'est pas idiots non plus.
- Donc ça va augmenter les risques de se faire piller. Quel intérêt alors?
- Que... ben je... sûrement pas. Enfin, oh et puis je me comprend!
Et le voleur se drapa dans un mutisme digne et renfrogné.
Il était temps, car ils étaient arrivés dans la combe fraîche et moussue, pleine de genêts, de lichens et de champignons s'agrippant jusqu'aux troncs des arbres morts, ou qui faisaient prudemment semblant de l'être.
- Kraâk.
- Tiens, sûrement un lièvre dans les buissons.
Melgo, qui devait exercer son art du lancer de dague, tendit l'oreille et attendit quelques secondes un second craquement pour ajuster son tir. La lame partit en tournoyant selon une trajectoire tendue, comme soutenue par la volonté supérieure de son lanceur, et se ficha dans quelque chose de mou.
- Alors, fit le voleur avec fierté, voyons ce que nous allons manger ce soir.
Le cadavre roula sans bruit hors du buisson. Pas très appétissant. C'était visiblement un habitant du cru, qui était occupé à dieu sait quoi dans un genêt avant de défuncter de façon impromptue.
- Oups.
Aussitôt, une dizaine de gaillards - enfin, des bipèdes hirsutes et puants - sortirent des fourrés en criant des obscénités dans un patois incompréhensible, portant qui une faux, qui un bâton, qui des couteaux. Certains individus font horreur, que ce soit pour leur apparence ou pour leur personnalité, mais ceux-là, quand on les voyait, on avait honte d'appartenir à la même espèce. A part Chloé, qui était une elfe. Et Sook, mais on y reviendra.
Sous la surprise, Murdel eut un instant d'hésitation, puis il sortit sa rapière, un peu trop vite car il la lâcha et elle décrivit un beau paraboloïde avant de choir dans une motte, située par chance du côté du sentier opposé. Il descendit de sa monture de peu glorieuse façon, se releva, fouilla quelques temps entre les racines de ce qu'il faudra bien considérer comme un arbre, trouva la lame, la prit entre deux doigts et, petit à petit, réussit à la tirer du piège où elle s'était fichée. Enfin il put se redresser et brandir fièrement sa flamberge, et se sentir bien idiot en se rendant compte que la bataille était terminée. Kalon essuyait sa "Destructrice" sur les haillons d'un cadavre décapité, Sook et Melgo recherchaient leurs couteaux de jet dans les corps et les morceaux de corps qui jonchaient le chemin, et Chloé, nue comme un ver, considérait avec une certaine tristesse sa robe déchirée et les morts démembrés qui jonchaient le sol autour d'elle.
- Tiens, mais c'est notre ami de tout à l'heure ou je me trompe. Je suis sûr qu'il va nous dire où est le donj.
Pour autant qu'ils puissent en juger, c'était bien l'individu qui leur avait indiqué la route. Il s'était terré derrière un arbre pendant la bataille, et Sook l'y avait découvert. Kalon s'avança sur lui et dit :
- Parle!
Il parla. En bégayant et en gémissant, et aussi avec un drôle d'accent et un défaut de prononciation, de telle sorte qu'il fallut plusieurs minutes, de nombreux essais et quelques baffes bien senties pour qu'il se décide à être compréhensible. En gros, il fallait continuer une lieue dans le vallon, vers l'aval. Melgo nota :
- La nuit tombe, je crois qu'on ferait mieux de remonter sur le plateau. 'Pas envie de dormir ici.
- Au fait, on a une tente? S'enquit Murdel.
- Ah merde, je savais bien qu'on avait oublié quelque chose. Bah, on trouvera bien dans la région une fermette prête à accueillir des voyageurs fourbus moyennant quelques piécettes.
- Je crois, fit timidement Chloé, que je préfèrerais encore dormir dehors plutôt que de partager l'intimité de ces dégénérés.
- Oui, le point de vue se défend, mais s'il pleut? Au fait, qu'est-ce qu'on fait de l'autre raclure, là? Il a quand même cherché à nous tuer, ce débris, on peut pas le laisser partir dans la nature comme ça.
- On pourrait lui demander s'il y a un gîte dans les parages.
- Et après, on le remet à la justice du Roi, intervint gravement Murdel. Brigandage sur la personne d'un officier du royaume, son compte est bon, c'est l'arène pour lui!
- Oh, l'arène, quand même, c'est un peu dur, fit Sook en essuyant consciencieusement sa longue dague pleine de sang.
- Telle est... eh mais, pourquoi tu l'as tué!
- Qui, moi? J'ai rien fait il est toujours... ah si, pardon! Excusez-moi, j'ai pas fait attention. L'habitude.
Et, penaude, la petite sorcière remonta sur son cheval.
- Maintenant que j'y pense, on peut dormir dehors, j'ai un sort qui nous réchauffera durant la nuit. Evidemment, j'ai rien contre la pluie, mais c'est mieux que rien.
Et clôturant ainsi cette épisode(7), la Sorcière Sombre tourna casaque et remonta sur le plateau, suivie de ses compagnons inquiets de sa santé mentale, mais somme toute pas plus que d'habitude. On s'assit pour bivouaquer et on fit bombance - il est vrai qu'après une journée de cheval, des biscuits secs et du lard fumé font une bombance fort acceptable. On allait organiser des tours de garde quand Sook signala qu'elle allait invoquer un Esprit de Défense, qui remplirait bien mieux cet emploi. La troupe la regarda faire sa petite cuisine avec émerveillement, car en vérité il n'y avait pas d'autre spectacle, et lorsque l'ectoplasme verdâtre apparut, il fut accueilli par des applaudissements nourris, ce qui le fit rosir de contentement l'espace d'un instant. Il est rare qu'on applaudisse les créatures magiques lorsqu'elles apparaissent, et c'est un tort. Après tout, elles ont elles aussi besoin de reconnaissance.
A donc, le lendemain matin, se leva le soleil sur le plateau de Logh. Il fut tenté de se recoucher.
La Compagnie du Val Fleuri redescendit dans le vallon et rejoignit le petit ruisseau sympathique qui coulait au fond(8). La sympathie qu'il inspirait venait sans doute du fait qu'en coulant, il érodait le plateau, et que tout ce qui pouvait hâter la fin de ce pays maudit méritait des encouragements.
Au bout d'une lieue Crhineheart, soient dix-sept arpents de Bgokey et treize aunes Sgurno (mettez une borne et un peu plus), ils découvrirent la Clairière. Le val s'élargissait, donnant sur une sorte d'étang à l'eau trop noire pour être dite croupie, dans laquelle aucune bactérie bien élevée n'aurait eu l'idée de proliférer. Autour, comme penchés pour boire, une demi-douzaine d'arbres grisâtres trempaient leurs racines et leurs branches tordues dans le plan d'eau. Des mégalithes brisés, dont les faces grossières montraient encore, lorsque le soleil les frappait selon le bon angle, les stries de rune anciennes, bornaient sans doute le sanctuaire de quelque culte immonde et caduc. Même le vent du plateau avait cessé, ce vent qui paraît-il rendait fou, mais dont l'absence était visiblement pire. Aucun bruit de crapaud, ni d'engoulevent, ni de quoi que ce fut. L'entrée du Cénotaphe Inachevé était là, tapie derrière un saule pleureur, basse, carrée, protégeant sous un auvent de granite massif une étroite porte de bronze sombre, entrouverte. Sur la gauche de l'entrée, deux tas de pierres, longs chacun de deux pas, larges d'un et hauts d'un pied, deux piquets de bois plantés devant, portant les écriteaux suivant:
"C'est ici que Selyisha, courtisane Sembarite, a trouvé le repos éternel"
"Dernière demeure d'Olghur, le barde aveugle "
- Quelle horreur, ils sont morts! gémit Chloé en se tournant vers Kalon d'un air affolé.
- Je me demande comment c'est arrivé, se demanda Melgo d'un air soucieux.
- Ils sont sûrement tombés sur les mêmes pillards que nous.
- Non, ils n'auraient pas laissé de survivants. Peut-être une autre bande.
- Ou autre chose, dit Murdel d'un air sombre. A l'intérieur.
- Cela augure mal de ce que nous risquons de trouver dans ces souterrains, prophétisa Melgo. Sans doute des pièges innombrables, des monstres sanguinaires et des énigmes tortueuses disséminés au sein d'un dédale insondable et meurtrier.
- Ne nous laissons pas abattre par un mauvais présage, répondit Chloé, et si nos prédécesseurs ont connu une fin tragique, il nous faut les venger.
- Pourquoi, on a des provisions, fit Sook distraitement.
- Les VENGER, avec un V, précisa l'elfe.
- Trésor, bougonna mâlement Kalon en désignant l'entrée d'un gantelet impérieux.
- Oui. Il faut y aller, fit Murdel.
- En effet, allons-y, lui répondit Melgo.
- Ouais, acquiesça Sook.
- Oui oui, émit Chloé en hochant la tête.
L'entrée grise du Cénotaphe Inachevé semblait irradier de malévolence, et un souffle humide et glacé en sortait par lentes bouffées, comme la respiration de quelque géant endormi.
- Qui passe en premier?

V ) Où l'on explore un donjon, avec l'aisance que donne l'habitude.

Un couloir sombre et obscur descendait selon une pente assez raide vers des profondeurs encore plus sombres et obscures. Les dalles du sol, soigneusement polies et jointées, étaient recouvertes d'une couche mince de boue glaciale qui rendait la progression facile et rapide, mais difficilement contrôlable. Nos amis contournèrent la difficulté en attachant une corde à une souche, devant l'entrée du Cénotaphe, et en se laissant mollement glisser. Ce mode de déplacement avait un désavantage, c'est qu'il laissait du temps libre pour examiner avec plus d'attention qu'il n'était souhaitable les bas reliefs obscènes et blasphématoires qui décoraient murs et plafond. Mais il est vrai que même les aventures de Placid et Muzo en Albanie prennent des relents de maléfice ancestral lorsqu'elles sont lues à la lueur d'une torche par des aventuriers superstitieux dans un couloir d'un mètre de hauteur sur un peu moins de large situé au fond d'une tombe. Tout est une question de contexte. Il est probable qu'aux murs de la Maison Des Distractions Constructives Pour Hommes De Goût, les mêmes bas-reliefs eussent été qualifiés de lascifs, et mis en valeur dans la galerie "post-destructivisme hallucinatoire" d'un musée d'"art moderne", les visiteurs les eussent trouvés "conceptuellement novateurs"(9).
- Qu'est-ce qu'il fait au lapin avec sa langue, demanda Chloé en désignant une figure bizarre.
- T'es sûre que c'est sa langue? S'enquit Melgo avant de se racler la gorge d'un air gêné.
Bien sûr, le voleur était descendu le premier, car tel était le douteux privilège des voleurs, lesquels sont supposés être plus prompts à déceler les pièges que quiconque. Il nota, l'air soucieux :
- Drôle de truc ce couloir, j'ai jamais entendu parler d'un truc pareil.
- Ben quoi, c'est un couloir en pente. On est censés glisser et s'empaler sur des pieux qui sont sûrement un peu plus loin, c'est pas bien compliqué.
- Trop simple! Regarde comme ces dalles jointent mal, alors que le donjon est tout neuf, c'est visiblement pas fait pour faire glisser des intrus. Les couloirs glissants, en général, on les fait larges et lisses, afin que la victime ne puisse pas s'accrocher, celui-ci est étroit et pleins de prises, ça n'a aucun sens.
- Tout ceci ne me dit rien qui vaille, indiqua Murdel en scrutant la paroi.
Sook était assez énervée par les remarques pessimistes de l'agent royal. Elle lui répondit d'un ton acerbe :
- Sois pas négatif comme ça, Mumu, je suis sûre que l'univers entier ne t'en veut pas personnellement.
- Tiens, on arrive à une salle, signala Melgo pour détendre l'atmosphère.
C'était une petite pièce carrée, plus haute que large, qui présentait la particularité d'avoir un sol à cinq mètres sous le niveau du couloir. Après avoir passé quelques minutes à scruter les murs lisses et suintants à la recherche d'un orifice lanceur de fléchettes, d'un monstre quelconque ou de quelque autre embûche, le voleur descendit le long de la corde et posa un pied prudent sur le dallage sombre. Deux passages minuscules de section carrée, larges chacun de deux pieds, s'enfonçaient horizontalement dans les profondeurs telluriques. C'étaient les seules issues.
- Je crois qu'il va falloir faire un plan, sinon on va se paumer. Je crois qu'on est dans un labyrinthe.
- On pourrait semer des cailloux, fit Chloé, j'ai lu ça dans un livre...
- Totalement idiot, ces souterrains sont pleins de cailloux. Il faut faire un plan sinon les monstres vont ramasser et effacer tout ce que nous laisserons derrière nous pour retrouver la sortie.
- Qu'est-ce qui te fait croire ça? Interrogea Sook.
- Tel est l'enseignement que j'ai reçu à la Guilde des Voleurs de Thebin. Des millénaires d'expérience dans le pillage de tombe ont été compilés dans les Normes Donjonniques, qui stipulent dans le tome 4, chapitre vingt-sept, verset douze, que :

Lorsque dédale tu parcoureras,
Tours et détours tu noteras,
Sans quoi le monstre ramassera
Les marques que tu laisseras,
Et tu l'auras dans le baba.

- Dis moi Mel, t'as vu pas mal de donjs dans ta vie je crois?
- Et je m'en vante!
- T'as déjà vu un streum avec un balai? Moi jamais, ils ont pas le temps de faire le ménage, à mon avis. J'ai pris un bâton de craie, on va juste marquer le chemin, ça ira bien. Allez, hardi ma bande, on va pas y passer la nuit.
Et suivant l'enthousiasme de la sorcière, et ignorant les protestations de Melgo, ils s'engouffrèrent dans la galerie de gauche, parce qu'il faut bien commencer quelque part. Tels des rats dans une galerie, ou des héros de feuilleton américain dans la gaine d'aération d'un repaire de traficants de drogue au teint hâlé et à l'accent hispanique, nos amis explorèrent à la queue-leu-leu le labyrinthe humide. Nombreux furent les embranchements, les détours et les puits verticaux, ce qui donna raison à Sook car nul n'aurait pu, à la pauvre lueur d'une torche, faire le plan d'un endroit aussi complexe. Et tandis que passaient les minutes, nos héros sentaient peu à peu leurs nerfs les lâcher, car même si tous savaient que les légendes sont pour la plupart fausses, tous se souvenaient aussi de leurs terreurs enfantines, des longues nuits blanches, des contes effrayants qu'on leur avait raconté lorsqu'ils étaient petits et qui tous décrivaient en termes bien sombres ce qui se trouve au dessous, dans le ventre de la Terre. En outre la spéléologie n'était pas un loisir très prisé dans le royaume de Khôrn. Le temps parut s'allonger à l'infini, et nul n'eut pu dire exactement combien cette éprouvante partie de l'aventure avait pu durer, à part moi qui ai chronométré ça à une heure et quart environ.
Puis ils débouchèrent à l'extrémité d'un couloir.
C'était un couloir syndical, tel que décrit dans les Normes Donjonniques, 2-07-44 :

Troys mètres de haut aura le plafond
Autant de large fera le couloir
Et la torche dispersera le noir
Jusqu'à douze mètres, et pas plus long.

Les murs étaient ornés de Bas-Reliefs Obscènes et Blasphématoires (BROBs) de type XII (je vous épargne ici la citation des ND) et sur la paroi de gauche étaient enfichées une série de torches éteintes séparées de trois mètres. Melgo aurait parié cher que l'imprudent qui se serait risqué à enlever une seule torche de son logement se fut reçu une belle volée de flèches empoisonnées, ou bien aurait pris sur la tête un gros bloc de pierre, ou alors aurait chû aussi sec dans une cuve d'acide. Il fit signe de suivre en silence, attentif à la moindre aspérité du sol, au moindre bruit suspect. Il contourna avec le plus grand soin une plaque de boue suspecte, puis après une vingtaine de mètres parcourus à la vitesse d'un escargot au galop, il s'immobilisa tout à fait en désignant une portion du mur qui sembla à tous parfaitement normale. Il retourna au début du couloir chercher un madrier qui traînait probablement depuis la construction, requit l'aide de Kalon pour le transporter, puis en prenant leur élan, ils l'envoyèrent sur la zone du couloir qui lui semblait suspecte.
Clic, fit le mur. Puis une fraction de celui-ci longue de cinq pas prit une inclinaison étrange, et bascula totalement en écrasant sous son poids le madrier de bois pourri, en soulevant un nuage de poussière. Pas peu fier, le voleur se retourna souriant vers ses amis.
- Ah, vous ne l'aviez pas vu celui-là, pas vrai? Il était difficile à trouver, il est vrai, et je crois qu'un voleur ordinaire se fut laissé prendre. Et bien, vous ne dites rien, pourquoi vous me regardez avec ces yeux ronds? Vous le saviez pourtant que je suis un excellent voleur?
- Euh, derrière toi, Mel.
- Squelettes, fit Kalon en sortant son épée.
Car derrière le mur était une pièce secrète, petite mais néanmoins juste assez grande pour entasser bien serrés une quarantaine de squelettes humains. Le fait qu'ils tiennent debout sans autre support que celui de leurs jambes mortes indiquait assez clairement qu'ils étaient enchantés, ou pour être plus précis maudits. Certains portaient des glaives, d'autres des lances, quelques uns des boucliers ou des armures fatiguées, et ils s'avançaient sans haine ni pitié pour réduire en pièce les aventuriers horrifiés, comme ordre leur en avait été donné des années auparavant par quelque nécromant. Chloé hurla de terreur, et son hurlement prit vite un timbre métallique et assourdi tandis que son corps gracile se couvrait de plaques de blindage qui la faisaient ressembler à quelque improbable coléoptère noir et luisant, hérissé de cornes et de piques. Kalon la précéda dans l'assaut et fracassa la première tête squelettique qui passa à la portée de la "Destructrice". Cependant il est écrit dans la ND que les quelettes peuvent fort bien se passer de leur tête pour frapper, et donc le mort-vivant répliqua d'un coup d'épée malhabile, que l'Héborien para sans peine de son gantelet protecteur. La tactique de Chloé fut plus efficace : elle fut vite submergée par les monstres et comme ils lui causaient un vif dégoût, elle frappa de tous côtés pour se débarrasser d'eux, plongeant ses petits poings délicats dans les cages thoraciques, broyant les colonnes vertébrales de ses petits doigts potelés, écrasant sous ses petits pieds les phalanges, tarses, métatarses et autres maxillaires tandis que les coups glissaient sur sa cuirasse. Cependant deux squelettes passèrent la ligne des deux guerriers déchaînés et se ruèrent sur Melgo et Murdel, qui reculèrent en courant. Le voleur sauta alors à pieds joints par dessus la plaque de boue qu'il avait évitée plus tôt et se tint de l'autre côté, narguant les mort-vivants. Ceux-ci coururent vers lui, marchèrent sur la boue, déclenchèrent le piège et un fort pesant bloc de plafond les réduisit à deux centimètres d'épaisseur chacun.
- Arrêtez! Cria soudain Sook de sa voix la plus désagréable.
Et tous retinrent leurs coups, y compris les squelettes.
- Désolée de vous interrompre pendant votre séance de défoulage, mais on a autre chose à faire.
Puis, prenant une voix métallique et désignant d'une voix impérieuse les décharnés survivants, pour peu que ce mot soit approprié dans ce cas, elle dit :
- Suivez-nous.
Et les squelettes la suivirent. On se bornera à signaler ici que la Sorcière Sombre est cotée Cercle d'Or, ce qui fait qu'elle pourrait en apprendre à 99% des magiciens, et que donc retourner à son profit un enchantement simple tel que l'animation des cadavres n'était pas vraiment un problème pour elle.
- On va se faire précéder par les bozos, ils vont activer les pièges, et nous on restera derrière, pépère.
Tous trouvèrent que c'était une bonne idée, et le moral remonta, sauf pour Murdel qui contemplait Chloé, hésitant entre envie de s'enfuir à toutes jambes, dégoût d'avoir partagé la couche d'une si étrange créature et curiosité professionnelle.
Puis ils arrivèrent devant la double porte de bronze qui fermait le couloir.
Melgo, le seul à se débrouiller en Haut-Marshkor Cursif, lut pour ses compagnons l'inscription qui dansait en lettres de feu sur la plaquette d'acier fixée au centre géométrique de la porte, là où aurait dû se trouver la serrure.

Sans descendance, se morfondait
L'archidiacre Zetthofray de Minght
Qui chaque nuit honorait
Sans succès ses douze épouses.
Jusqu'au soir où Célimna,
La plus tendre et dévouée,
Lui annonça la venue
D'un héritier.
Le sort voulut que l'enfant soit femelle
Et c'est ainsi que naquit
La première archidiacresse de Minght
Son nom sera ta clé, voyageur.

- Merde, une énigme. Quelqu'un sait où c'est de Minght?
Silence gêné. Qui dura un bon moment. Puis Melgo reprit.
- C'est marrant ce mur là, on jurerait...
Il s'approcha du mur de droite, sur lequel était sculpté un squelette dansant sur de petites silhouettes. Puis sans autre forme de procès, il glissa sa main sous l'aisselle de la macabre allégorie, et déclencha un déclic. Le panneau bascula sur son axe horizontal, dévoilant un couloir étroit et bas. Sans un mot, la compagnie s'y engagea et progressa sans histoire jusqu'à un balcon étroit surplombant une salle cubique, large d'une quinzaine de mètres. Une passerelle de pierre d'un seul tenant en partait et, enjambant le sol dallé, rejoignait un deuxième balcon tout semblable au premier, garni lui aussi d'une porte ténébreuse. Sook ordonna à un squelette de s'y engager, puis de franchir le seuil. Le non-mort accomplit sa tâche de son pas sinistre, sans embûche. Melgo franchit à son tour le pont et arriva dans une petite salle qu'il examina en détail. Puis il annonça :
- Il y a un escalier en colimaçon qui monte, et on voit la lumière du jour.
- Enfin une bonne nouvelle, commenta Chloé, on n'aura pas à ramper dans ces conduits poussiéreux pour ressortir.
Melgo revint d'un bon pas, et demanda :
- Est-ce que quelqu'un a trouvé la solution pour la porte?
Un silence gêné s'installa pendant qu'on retournait à l'ennuyeux obstacle.
- Bon, on va pas poirauter ici des heures. Kalon, défonce-moi cette merde comme tu sais si bien le faire.
L'héborien grogna, puis donna de l'épaule dans la massive porte qui, comme elle était massive, résista. Il est parfois un peu obstiné, Kalon. Buté serait un terme plus juste. Il s'acharna, donnant des coups de boutoir de plus en plus forts, faisant résonner le métal comme un gong, ce qui fait que pour l'effet de surprise, c'était raté. Comme souvent en pareil cas, le plus intelligent céda en premier, et la porte s'entrebâilla tandis que la plaquette magique éclatait. Finalement, précédé par un nuage de poussière, la lumière des torches pénétra dans la salle du sarcophage.
Au moins, le constructeur ne pourrait pas être attaqué pour publicité mensongère : le Cénotaphe était bien Inachevé. Les murs de la salle haute et trapézoïdale avaient à peine été creusés et partout on voyait les traces des outils de carrier, dont beaucoup jonchaient encore le sol en compagnie des pierres non évacuées, de reliefs de repas et de hardes diverses. Le tombeau lui-même, situé en contrebas, était à peine dégrossi, mais dans la grande tradition, une lourde plaque de granite le fermait à tout jamais. Ils pénétrèrent dans la crypte sans trop la ramener. Ils se dispersèrent, cherchant des yeux quelque chose pouvant justifier cette dangereuse expédition. C'est Murdel qui, derrière le sarcophage, fit la macabre découverte.
C'était Miskal, l'Héborien qui accompagnait la Compagnie de la Tour Blanche. Il gisait, allongé parallèlement au tombeau, les yeux clos pour l'éternité et les mains croisées sur son épée posée sur lui.
- Ca alors, regardez! Il ne porte pas de trace de blessure.
- C'est pourtant vrai, fit Sook, aidez-moi à le soulever un peu. Non, le cou n'est pas brisé, je ne vois aucun signe d'ecchymose ni d'hémorragie interne ou externe. Babinsky négatif, Glasgow à un, pupilles symétriques et dilatées, portez le en trauma 1, chimie standard, NFS, scan, test de progestérone, une ampoule d'adré en IV, 5cc de physio en voie centrale et prévenez la réa.
- Ghû? Fit Melgo en traduisant le sentiment général.
- Euh, c'est une vieille blague de sorcier. Oh, mais regardez ici, sous les côtes.
- Oui, quelle étrange marque, fit Murdel au comble de l'excitation.
- On dirait trois point, commenta Melgo à l'usage des éventuels non-voyants de l'assistance.
- Formant un triangle, renchérit Chloé, à qui personne ne perdit son temps à expliquer que c'était généralement ce que faisaient les points quand ils étaient par trois.
- Equilatéral, dit Kalon, soucieux de montrer qu'il connaissait au moins un mot de cinq syllabes. C'est par un hasard comme il s'en produit un tous les quinze mille ans dans une galaxie que le mot en question collait parfaitement à la situation.
- En tout cas ça ne me dit rien qui vaille, dit Murdel. Quelqu'un sait-il ce qui a pu lui faire ça?
- Mélanie! S'écria Sook en faisant sursauter tout le monde.
- Qui ça?
- C'est Mélanie, le nom qu'il fallait trouver sur la porte. Mélanie Zetthofray! Ben oui, humour. Non?
Consternation. Puis, gravement, Melgo proposa :
- Je crois qu'on pourrait au moins lui donner une sépulture décente.
Il désigna du menton le sarcophage, et Kalon commença à faire jouer ses muscles impressionnants pour déplacer le couvercle, pourtant lourd. Il laissa juste assez de place pour passer le corps de son compatriote malchanceux.
- Un souterrain, fit Kalon après avoir jeté un oeil au fond.
- Tiens, quel drôle de bruit, observa Chloé.
- Qué bruit?
- Ecoutez, une sorte de cliquetis.
- Ben oui, c'est les squeus qui s'entrechoquent.
- Non, plus aigu, et qui augmente.
- Oui, oui, confirma Murdel, je l'entend faiblement.
- C'est vrai, on dirait des petits crissements...
- Des stridulations dirais-je plutôt.
- Avec des espèces de bruits de piétinements, comme des milliers de petits...
- FERMEZ ÇA TOUT DE SUITE!
Mais c'était trop tard, et déjà la pierre vomissait une marée noire et luisante, des dizaines, des centaines, bientôt des milliers de fourmis. Et alors me direz-vous? Et bien l'espèce Formica Donjonnica est connue pour ses mandibules acérées, sa vie sociale, son sale caractère, son organe à jet d'acide dans l'arrière-train et, ah oui, j'oubliais, ses trente centimètres de long pour les ouvrières les plus petites.
Ce fut un instant d'horreur, de terreur pure, car l'humanité n'a aucune chance confrontée à l'horreur sans nom du monde myrmicéen, à cet univers sans passion, sans regard, sans la moindre parcelle de sentiment, rien que le choix entre manger et être mangé. Nos amis, rapidement bousculés par le flot incroyable des cuticules chitineuses, furent piétinés sans fin par cet ennemi indistinct. Et puis les fourmis passèrent comme elles étaient arrivées, et en l'espace d'un instant, elles disparurent par la porte défoncée.
- Eh ben quoi, on pue le mouton? Pourquoi elles se barrent?
- Vous avez vu ce qu'elles avaient sur la tête?
- Non, j'ai pas vraiment fait attention si elles avaient des sombréros ou des chapeaux-melons.
- Des oeufs. Elles transportaient leurs oeufs, sûrement pour les mettre à l'abri quelque part. Je ne sais pas ce qui a fait fuir toutes ces fourmis, mais c'est là-dessous, et c'est sûrement ce qu'on cherche.
Murdel désigna la tombe, au puits noir et fétide. Un lourd silence retomba. Puis la Sorcière Sombre lança à Melgo un grand sourire plein de dents, et demanda, guillerette :
- Bon, qui passe en premier?

VI Où on passe au deuxième niveau du donjon, et où s'expliquent bien des choses.

Le couloir du niveau inférieur était grossièrement taillé, et particulièrement humide. C'était un avantage, avait expliqué Melgo, car les artisans spécialisés n'avaient sans doute pas eu le temps d'y installer les pièges, et s'il y en avait, ils étaient sans doute rouillés ou grippés par la boue omniprésente. Ils descendirent la pente douce avant de voir ce qui avait fait fuir les fourmis.
- C'est inondé. Tout bêtement.
- Les boules. Va falloir se débarrasser des squeus, pasque y savent pas nager, c'est écrit dans les ND. Je me souviens, il y a même une illustration. Sooky, un sort?
- Ben je vais vous étonner, mais oui.
- Ah?
- Car j'ai pensé à emporter l'Ebony Dwarven Daï-Sook'n Staff of Retribution and Destruction de la mort qui tue, ta femme revient, tu gagnes au tiercé, ton patron t'augmente!
- Le quoi?
- Le bâton de M'Ranis, tu te souviens?
- Ah, oui, et ça sert à respirer sous l'eau?
- En principe non, mais à la rigueur, ça peut tenir lieu. Il faut que nous nous tenions les uns aux autres, et moi je vais lancer un sortilège de conversion élémentaire, comme ça l'eau se transformera en air avant d'entrer dans nos poumons. Mais attention, il ne faudra pas se lâcher!
- C'est bien joli, dit Murdel, mais les torches vont s'éteindre dans l'eau non?
- Effectivement, c'est ennuyeux. Attendez, j'ai trouvé! Apportez moi une torche éteinte.
La sorcière chercha précipitamment dans le fouillis une fiole minuscule d'un liquide poisseux et violet qu'elle répandit sur une petite pièce d'argent, puis marmonna une litanie gutturale. Et tandis que dans sa main gauche apparaissait un globe de lumière féérique, elle saisit la torche et fit un effort visible pour fixer l'un à l'autre.
- Et voilà, une touche magique!
- Tu veux dire une torche.
- Non, une touche. C'est marqué ainsi sur le Parchemin Runique Ancien du Feurstléveul de Déhemm, le plus ancien qui décrive ce sort. Cela dit, maintenant que tu m'en parles, c'est peut-être une coquille à la traduction.
Elle continua à agacer tout le monde avec ses considérations historico-mystiques pendant un bon moment, avant de se rendre compte qu'il était temps d'y aller. Elle lança donc une conjuration complexe et son bâton, comme prévu, se mit à luire d'une lueur bleue et à vibrer en produisant un son bas et peu engageant.
- Donc tenez-vous bien, sinon c'est la noyade.
Et sans plus de cérémonie, ils pénétrèrent dans l'eau. Elle était claire, comme souvent dans les cavernes, et fait étrange, elle était salée. C'était une sensation étrange que de respirer dans l'eau, qui dès qu'elle franchissait les lèvres de nos amis se transformait en bulles de l'air le plus pur et sec. Ils nagèrent en silence, et de fait ils n'avaient pas le choix, et s'enfoncèrent droit dans les ténèbres du monde aquatique. Ils explorèrent le dédale de couloirs qui débouchaient sur des culs-de-sac, soit que les ouvriers n'aient pas creusé plus loin, soit que la voûte se fut effondrée. Finalement, devant un éboulis, Melgo fit signe aux autres qu'il sentait un courant passer au travers des pierres et appela Kalon à l'aide. Après force gesticulations, l'Héborien consentit à utiliser sa précieuse épée pour dégager un bloc rocheux particulièrement mal placé. La "Destructrice" parut un instant renâcler, des moirages en zig-zag parcoururent un instant le damasquinage de la lame, mais elle fit son office avec efficacité. Beaucoup d'efficacité en fait.
L'éboulis céda d'un coup, et les cinq compagnons furent aspirés vers l'inconnu dans le grondement déchirant de la masse d'eau enfin libérée. Le courant fut si fort que le groupe fut séparé et, jouets de forces qui les dépassaient, les héros furent propulsés à une vitesse folle au travers d'étroit boyaux, aux parois desquelles ils se heurtèrent de nombreuses fois avant de déboucher, à l'issue de plusieurs longues secondes de panique et de douleur, dans une caverne à moitié remplie d'eau.
La constitution exceptionnelle de l'Héborien sauva la vie de ses amis, car lui seul, après mille coups et heurts, resta conscient. Il put ainsi ramener les corps de ses compagnons sur une petite plage de galets. Il allongea Murdel et Chloé côte à côte, puis Melgo qui encore tenait dans sa main le pantalon de la Sorcière Sombre auquel il s'était cramponné et qui toussait pour expulser l'eau de ses poumons, et enfin Sook, qui donc était, si l'on me passe l'expression, cul nu.
J'ai déjà signalé à plusieurs reprises que Kalon n'était pas de faible caractère. C'était un spécimen digne de sa race, un homme à l'âme bien trempée, peu enclin à fuir le danger quand il se présentait à lui et convaincu au fond de lui-même que peu de choses ne sauraient résister à un homme décidé sachant se servir d'une épée. Cependant il était, comme tous ceux de son époque, pétri de légendes et de superstitions dont le poids écrasant laissait des marques jusque dans les esprits les mieux instruits, alors chez un barbare nordique, vous imaginez.
Tout ça pour dire que Kalon dut mobiliser toutes les ressources de sang-froid dont il était capable pour ne pas s'enfuir à toutes jambes en hurlant que Barug lui vienne en aide, car la noyade lui parut soudain un sort bien doux.
Melgo achevait de reprendre ses esprits, ainsi que Murdel. Non, il ne pouvait défaillir devant ses compagnons, son honneur le lui défendait. Il prit donc son air le plus placide et blasé et, allant voir Melgo, lui dit :
- Sook.
- Oui? (il jeta un oeil à la petite sorcière allongée sur le ventre) Tiens, elle a des fesses? J'avais fini par en douter. On ferait mieux de retrouver sa culotte, sinon elle risque de se réveiller de mauvaise humeur.
Visiblement, les yeux perçants de Melgo avaient perdu de leur acuité, à moins que quelque intéressant mécanisme de protection psychologique n'aie filtré une information capitale entre les yeux et le cerveau du voleur.
- Regarde mieux.
- Oui, et bien quoi? Deux pieds, deux jambes, deux fesses, une queue...
- Ah!
Le sang de Melgo cessa de battre un instant et son coeur se glaça, ce qui prouve qu'il était réellement bouleversé, car d'habitude, c'était plutôt l'inverse.
- Eh, mais elle a une queue votre copine!
- Par Xyf et M'Ranis, c'est pourtant vrai. Je comprend tout maintenant, si elle a l'air si jeune, c'est que les...
- Oui, et elle est rousse, renchérit Murdel, comme souvent elles le sont.
- Je me souviens, dans le Phare, quand le sorcier Merlik a tenté de nous mettre en garde et qu'elle l'a fait taire, je comprend maintenant pourquoi il employait tous les moyens pour la tuer. Et je vois aussi pourquoi elle s'est transformé de si vilaine façon lors de cette aventure dans le sud, avec l'Empire Secret. J'aurais dû comprendre plus tôt, c'est une...
- Et c'est une sorcière comme peu de mortels peuvent l'être. C'en est sûrement une.
- Pourtant, celles-là sont des femelles lascives aux formes généreuses, et Sook...

Le mot que nos amis redoutent de prononcer est "succube".
Toutes les religions font le récit de la création de l'homme. Ce récit est toujours fort imagé, plein de symbolique et chargé de sens caché et de sous-entendus mystiques, cabalistiques, et surtout ils sont très divers. En fait il n'est pas deux religions qui s'accordent sur la manière de créer le premier homme : les Khalkoums du Naïl prétendent que Vüshthi le Grand Ver a fertilisé le sable de sa semence, les Bardites tiennent pour sûr que c'est le Grand Père des Dieux Mussogol qui, sur les Forges du Destin, a façonné le premier bipède, les Sahimounites gagent que c'est sous les sollicitations obligeantes d'un serpent gigantesque qu'une tortue plus gigantesque encore a baratté de ses papattes le Lait Céleste, les Qualquatariens du Retour et des Chats Velus croient dur comme fer à des histoires compliquées et absurdes de soupe primordiale(10), bref, c'est la confusion la plus totale. Par contre un net consensus se dégage à propos de la première femme, qui fut tirée d'une côte du premier homme. Et alors là tout homme ayant un peu de jugeotte soulève sa liquette et compte ses côtes d'un air soupçonneux, et normalement, il en trouve autant de chaque côté. Et s'il pose la question à son prêtre préféré, il se heurte au mieux à un air renfrogné et limite paniqué de la part du Ministre, au pire à un prêche alambiqué en langue sacrée se terminant par une considération du genre "Il est grand, le Mystère de la Foi".
Parce que les prêtres savent.
Parce qu'ils se taisent.
Il savent que la première femme ne fut pas la première, et qu'avant, il y eut un prototype (donc deux côtes manquantes, d'où la symétrie respectée), créé par le ou les dieu(x) créateur(s) de la manière qui lui a semblé adéquate, et qu'elle ne lui a pas, pour des raisons inconnues, donné satisfaction.
Et en toutes les langues, son nom est Lilith, la Damnée.
Le(s) dieu(x) l'a donc chassée de la face de la Terre.
Et donc elle trouva refuge au plus profond des enfers, où elle bâtit son Royaume d'Iniquité.
Et après avoir interrogé quelques démons dignes de confiance et bien informés, il semblerait que même les Diables Inférieurs les plus puissants, les Dieux Anciens, et les Hiérarques des Sept Abysses évitent de la faire chier, car pas mal de trônes dans les Plans Infernaux comme dans les Panthéons se sont retrouvés vides du fait que leurs propriétaires eurent le tort de la ramener face à la Reine des Ténèbres.
Or Lilith est connue, outre son mauvais caractère, pour avoir des appétits fort développés dans bien des domaines, et pour avoir forniqué avec moult et moult mortels et mortelles. Les Livres Saints indiquent généralement que Lilith fut privée par son (ou ses) créateur(s) de la faculté de se reproduire, hélas ce n'est là que propagande optimiste, car sa progéniture est innombrable. Les rejetons sont le plus souvent amorphes, mais parfois il naît un incube ou, plus fréquemment, une succube. Ce sont des créatures d'une beauté surnaturelle, pourvues de pouvoirs inimaginables et qui passent leur temps à séduire les mortels, non pour dévorer leur âme par la suite (quoique ce soit un complément agréable) mais parce que ça les amuse. La meilleure défense contre une succube est, selon les Normes Donjonniques, la suivante :

Lorsque Succube te tentera de ses mortels avantages,
Pour ne point languir une éternité aux Royaumes d'Iniquité,
Il te faut sans trembler ni tarder davantage
T'empaler bravement sur ta propre épée.

Le fait qu'elle soit rousse, immortelle, versée dans les choses des arcanes et qu'elle ait un caractère difficile, comme sa supposée mère, faisait de Sook une succube possible. Le fait qu'elle soit caudée, comme ses supposées soeurs, était un indice convergent, quoique normalement, ces démones fussent aussi ailées et finement cornues, ce qui n'était pas le cas de notre sorcière.

- Tiens, vous avez vu? Sook a une queue!
Chloé, qui venait de se réveiller, ne semblait pas particulièrement bouleversée par la nouvelle. Melgo continua.
- Ca expliquerait aussi qu'elle ne porte jamais de robes, les pantalons larges lui permettent de cacher sa... chose, là. Maintenant que j'y pense, il faudrait qu'on la rhabille, sinon elle risque de se réveiller de mauvaise humeur.
Cette perspective ne réjouissant personne, il fut ainsi et promptement fait. Elle se réveilla avec un méchant mal de crâne. Melgo, pas très à l'aise, s'adressa à elle, en restant à deux pas.
- Euh, Sook, excuse moi de te réveiller, mais pourrais-tu reprendre ton sort d'eau en air pour que nous puissions ressortir d'ici? C'est que l'eau monte vite dans la caverne et bientôt nous serons submergés. Tiens, ton bâton magique.
- Hnghi? Merci. Qu'est-ce qui s'est passé? Où on est?
- Ben, dans une grotte.
- J'avais pas remarqué. Bon, à l'attaque. Mais pourquoi vous me regardez comme ça?
Et alors il y eut une grande variété de raclements de gorges, et moult regards se détournèrent d'un air dégagé, et chacun se trouva quelque chose d'important à faire.

VII ) Où se dénouent les fils de cette aventure.

Finalement, il fallut une heure pour que la grotte fut pleine et que le flux d'eau se fut tari, permettant de repartir à la nage dans le boyau. C'est en remontant qu'ils aperçurent une fissure dans la paroi que, d'un geste, Melgo signala à ses compagnons. Ils s'y glissèrent, l'arme à la main, remontant un fort courant, et débouchèrent dans une salle inondée, mieux taillée que les autres, circulaire, dont les parois portaient de nombreux dessins et des lignes d'écriture, qui attirèrent fort l'attention de Melgo. Au centre était un deuxième sarcophage, bien mieux ciselé que le précédent, et au plafond flottait un cadavre à un stade avancé de décomposition, celui du Khnébite Vegnour, au poignet duquel pendait par une chaîne un petit objet cylindrique. Sur son flanc on pouvait voir les trois points mystérieux, mais l'heure n'était pas aux spéculations gratuites, et de toute façon, Murdel ne pouvait pas parler sous l'eau. Dans un coin de la salle, coincée dans une fissure au ras du sol, une étrange amphore de fer était à l'origine d'un courant fort puissant.
Sook, fort instruite des choses de la magie, comprit immédiatement ce qui se passait et arracha l'objet du cadavre, avec la main en prime, puis s'en servit pour fermer l'amphore. Le courant se tarit aussitôt. Elle fit ensuite un signe de victoire, suivi d'une petite danse d'autosatisfaction parfaitement grotesque, et désigna la surface.

- C'est une Amphore Ondine, expliqua triomphalement Sook une fois qu'ils furent remontés. C'est un objet magique très rare et très utile, qui quand on enlève le bouchon se met à déverser des tonnes de flotte sur tout ce qui se trouve devant.
- Oh oui, comme c'est pratique, s'enthousiasma Chloé. Je suppose que la garde serait contente d'avoir une telle cruche, ça leur éviterait de risquer leur vie à chaque fois qu'il y a un incendie.
- Oui, ça leur ferait des économies d'échelle, mais je pensais surtout à nous en servir comme arme.
Murdel se frappa le front.
- Et alors c'est pour ça que les couloirs étaient inondés? Je comprends mieux, sans doute qu'un membre de la Compagnie de la Tour Blanche aura ouvert la cruche par mégarde, ce qui aura submergé les souterrains.
- Et comme apparemment tous les souterrains de la région communiquent, puisque nous sommes dans une région calcaire, tous les monstres du coin auront du fuir leurs abris et courir la campagne, ce qui a alerté les paysans du cru.
- Oui, mais les trois points qu'on a retrouvés sur les corps des deux barb... guerriers. Et l'étrange machine qui s'est écrasée dans la forêt... il y a plus là dessous qu'une simple histoire d'inondation, j'en suis sûr.
- Pour la machine, j'ai un début d'explication. Voyez, cette affaire m'en rappelle une autre, et les inscriptions que j'ai pris le temps de lire sur les murs du sanctuaire...
- Oh, fit Chloé, vous entendez? Une chanson.
La compagnie fit silence. Ils purent entendre, reprise par un beau coeur de voix viriles et graves, provenant du couloir d'entrée, une chanson de marche dans une langue étrangère et pourtant familière.
Et un fort parti de soldats en uniforme noir déboucha alors en riant dans la grande salle. Puis les rires se turent, et sur leurs visages se peignit une surprise au moins égale à celle de nos amis. A leur tête était Krondiar Elstimiass, qui visiblement n'avait pas porté bien longtemps le deuil de ses camarades. Sook fut la première à briser le silence.
- Mais... Qu'est-ce que vous faites là? Vous n'êtes pas mort?
- Euh...
Melgo reprit, sûr de lui :
- Bien sûr qu'il n'est pas mort, puisque c'est lui qui a tué ses compagnons qui en savaient trop long. C'est peut-être même lui qui a tué Beshgul et Amergoul, n'est-ce pas?
- Mais pourquoi il aurait fait ça? Il n'a pas une tête de traître?
- C'est à ça qu'on les reconnaît. Tu te souviens de l'Empire Secret et de ses machines volantes? Leur puissance vient d'un métal contenu dans des barres de contrôle, et j'ai dans l'idée que ce Beshgul a travaillé ce métal et en a emporté les secrets dans la tombe. Dans tous les sens du terme, car il en a écrit les secrets de fabrication sur les murs de son cénotaphe, comme nous l'avons vu. Cet individu aura monté une expédition pour détruire les indices et, employant quelque magie sournoise que je préfère ignorer, aura éliminé ses compagnons un par un pour qu'ils ne parlent pas. Mais quelque chose a cloché, et ces soldats sont sans doute les troupes de l'Empire Secret, venues effacer les dernières traces, pas vrai Krondiar?
- Je me demande comment vous avez entendu parler des machines volantes de l'Empire Secret, mais une chose est sûre, vous ne pouvez plus rester en vie après ce que vous savez.
Il fit un signe sec à l'adresse de ses hommes qui sortirent leurs armes. Chloé fit exploser les derniers haillons de sa robe, ce qui causa une vive surprise aux sicaires orientaux, mais ces hommes de grande qualité n'étaient pas du genre à s'arrêter sur le coup de la surprise et courageusement, ils montèrent à l'assaut de la fille-scarabée qui les attendait toutes griffes dehors. Cependant Kalon bondit comme un tigre sortant du fourré et profita de l'instant de flottement pour égorger un des hommes d'arme de la pointe de son épée. Melgo et Murdel se portèrent sur les côtés pour empêcher que les impériaux ne débordent leur ligne, et réussirent à tenir tête à des bretteurs supérieurs en nombre tandis que derrière, Sook préparait un des sorts offensifs qu'elle avait en réserve.
Alors Krondiar leva sa main gauche vers la sorcière et de ses doigts jaillirent des éclairs d'un bleu profond, les mêmes qui avaient auparavant terrassé ses propres compagnons, frappés dans le dos, mais cette fois bien plus puissants, assez pour franchir la distance qui le séparait de Sook. Les rayons meurtriers fendirent les deux lignes de guerriers qui s'écartèrent instinctivement, laissant les conjurateurs face à face. La sorcière para avec difficulté et lançant prématurément sa Boule de Feu qui, incomplète, grilla les moustaches de ceux qui ne s'étaient pas assez éloignés. Krondiar lança un autre éclair, plus puissant que le précédent, et cette fois la sorcière fut obligée de puiser dans ses réserves de fluide élémentaire à l'état brut, ce que toutes les académies défendent strictement à leurs étudiants de faire, pour le bloquer à moins d'un mètre de sa petite frimousse décidée. L'affaire lui avait coûté, et elle n'était pas sûre de pouvoir recommencer un coup pareil, mais Krondiar était dans la même situation et un instant, il se tâta. C'est alors que, sortant du tombeau, les squelettes esclaves de Sook commencèrent à arriver et, en entendant derrière elle le cliquetis des tibias secs, elle eut un sourire mauvais.
Le traître jugea alors que le moment était venu de se replier en bon ordre sur des positions préparées à l'avance. Il tourna les talons, suivi de la petite sorcière d'humeur fortement homicide tandis que derrière, le moral des impériaux chutait considérablement, on le comprend.
Donc, Krondiar prit la direction de la sortie la plus proche, courut à toute vitesse sur la passerelle de bois et, arrivé sur le promontoire, se retourna pour voir que Sook s'y engageait à son tour, la dague à la main. Alors, nonchalamment, il s'appuya contre le mur, et la pierre s'enfonça avec un bruit sec. Au dessous, les pierres qui retenaient la passerelle se retira, et le pont chut, emportant la sorcière. Elle se reçut assez mal, sur le côté. Un bruit horrible résonna jusque dans son crâne, une douleur sans nom la traversa, et le bras droit brisé, elle émit un hurlement aigu qui s'entendit jusqu'au sarcophage. Mais ce n'était pas fini pour elle car, de petites grilles discrètes, situées à deux mètres de hauteur, se mirent à vomir un liquide noir et gluant, à l'odeur âcre, du feu grégeois. Krondiar nargua alors sa victime.
- Alors, c'est ainsi que périra la Sorcière Sombre. Comme c'est dommage de voir une légende se terminer de si navrante façon, mais après tout, tant qu'à mourir un jour, autant que ce soit horriblement douloureux, histoire de marquer le coup. Je ne pense pas que vous puissiez lancer un sort correctement avec cette douleur au côté, je me trompe. Je vais...
Une cavalcade précipita les choses. Kalon arriva précipitemment sur le balcon et injuria copieusement le fourbe, tandis que Melgo lançait sa corde à sa camarade, qui s'en saisit.
Mais trop tard.
D'un éclair, Krondiar frappa les dalles sous lui, qui s'enflammèrent, et se propagèrent à toute la salle en moins d'une seconde. Les vapeurs inflammables explosèrent et, tandis que de toutes ses jambes s'enfuyait le traître, la silhouette noire de la sorcière, crucifiée de douleur, émettait un son à glacer le sang, un son métallique, qui fit trembler le souterrain jusque dans les tréfonds.
Sa chair n'était plus qu'incandescence, iridescence noire, jaune et rouge, recouverte de toutes les sortes de flammes, son regard, si sombre qu'il brûlait la rétine comme la clarté du soleil, n'était qu'un puits de haine, ses deux ailes noires se déployèrent lentement dans son dos, comme si elles y avaient toujours été cachées, ses extrémités se garnirent de toute une variété de griffes, de pointes et de crocs. Elle se leva, son bras blessé pendant à son côté, alimentant de souffrance l'océan sans fond de sa colère, et s'éleva dans l'air, sans à-coup. Puis, arrivée à la hauteur de la porte, elle se recroquevilla en boule. Et dans un souffle, elle cracha par sa gueule démesurément ouverte, qui n'avait plus grand chose d'humain, une boule de feu aveuglante qui s'engouffra dans le puits et remonta jusqu'à la surface, fondant en lave les escaliers et les parois.
Puis, image même de la fureur, elle se retourna vers ses compagnons, qui un instant furent aveuglés par son regard ardent. Alors elle s'apaisa, et elle vola vers eux, perdant lentement ses attributs démoniaques, sa peau redevint de lait, sa chair maigre, et son regard trouble et myope. Elle se posa, croisa ses bras sur sa poitrine, et demanda simplement, en tremblant :
- Quelqu'un a un vêtement?

En vérité, il est écrit quelque part dans les Normes Donjonniques que brûler une succube pour s'en débarrasser n'est pas une excellente idée, et tout ce qui est écrit dans les Normes Donjonniques est vrai.
En vérité, il est des événements qu'il vaut mieux, peut-être pas oublier, mais en tout cas mettre dans un coin de sa mémoire avec la mention "n'ouvrir qu'en cas d'urgence", et c'est ce que firent Melgo, Chloé et Kalon. Il ne resta de cet épisode qu'une petite gêne entre Sook et ses compagnons, et quelques mots qu'ils rayèrent, d'un accord tacite, de leur vocabulaire.
En vérité, Murdel le Renard, suite à cette affaire, prit son congé des services du royaume. Il devint un diseur de mauvaise aventure réputé - et découvrit qu'il avait d'évidentes dispositions pour cette profession - épousa Ardina Sulki, et ils eurent tout un tas de petites choses que, pour simplifier, nous appellerons des enfants.
En vérité, le dossier de l'épave lenticulaire fut classé sans suite dans les archives du royaume, et aucun lien ne fut fait avec l'affaire des monstres échappés, qui furent du reste promptement occis avec enthousiasme et diligence par tout ce que Khôrn comptait de héros, ce qui fait beaucoup.
En vérité, nos amis reçurent un parchemin de félicitations signé de la main même du roi, où leurs noms étaient mal orthographiés, mais c'est l'intention qui compte. L'important, c'est que la signature soit lisible sur la lettre de change de dix-mille naves qui allait avec.
En vérité, Melgo trouva vite un emploi à l'Amphore Magique, sans en toucher mot à ses camarades. Tout juste remarquèrent-ils qu'il s'absentait plus souvent et commandait du matériel de menuiserie. Le reste du temps, il le passait à prendre l'avis de son vieux maître sur toutes sortes de sujets. Surtout lorsqu'il n'était pas chez lui.
En vérité, Kalon, livré à lui-même sans son ami pour le guider, prit la curieuse habitude de faire un jogging tous les soirs, à la tombée de la nuit. Cette petite séance de sport le menait inévitablement dans les draps de quelque fille de notable peu farouche, ou bien farouche, peu lui importait car, d'un naturel timide, l'Héborien n'osait jamais leur adresser la parole pour demander leur avis.
En vérité, l'elfe Chloé fut fort bouleversée par cette affaire. Lorsqu'elle était bouleversée, elle cherchait ordinairement réconfort dans les bras d'un homme. C'est hallucinant ce qu'elle était bouleversée. A toutes les heures du jour et de la nuit.
En vérité, seule la Sorcière Sombre, et contrairement à ce que son ascendance aurait pu laisser croire, résista à l'appel de la nature, qui du reste ne l'avait jamais appelée bien fort. Son bras se ressouda fort vite, et elle profita de ces quelques semaines d'inaction forcée pour s'interroger sur elle-même, sur sa mère, sur le miracle qui avait valu à son père de survivre à sa conception. Et comme elle n'aimait pas réfléchir, ça la mit de mauvaise humeur.
En vérité, au dessus des mystérieuses venelles de Sembaris, s'amoncelaient déjà les gros nuages gris annonçant l'orage.
Et en vérité, ceci n'avait que peu à voir avec la météo, c'était une métaphore, andouille.

Comme vous vous en rendrez compte en lisant :

KALON ET LA REINE DES TENEBRES

1 ) Se rapportant à la première représentation, La distribution suivante est rarement contestée : Le Pancrate - Auguste Villeroy de Grandcoeur ; Le Barbare - Melkhior de Chantepleurolle ; les Spectateurs - Conternés.
2 Du strict point de vue historique, le nom exact du barbare ayant occis le Pancrate est sujet à ca) ution.
3 ) Le Pancrate vous paraît-il satisfait de son expérience du pouvoir? Relevez des exemples pour étayer votre réponse.
4 ) Les exégètes ont souvent trouvé le style de cette réplique un peu insuffisant.
5 ) Je crois avoir déjà signalé que les Bardites étaient réputés pour leurs moeurs... enfin disons qu'on associait fréquemment ce peuple à certaine espèce de pinnipède.
6 ) Oui, les chevaux ont des pieds, ignare.
7 ) L'usage du genre féminin pour le nom commun épisode est attesté jusqu'au 17ème siècle (Cf. Littré). Putain, c'est moi qui ai écrit ça? Dingue! J'aurais dû faire Lettres.
8 ) Et là, les esprits forts m'objecteront que la chose est assez normale, et que jamais on ne vit ru bondir gaiement le long des crêtes des montagnes, mais que les cours d'eau ont une tendance assez générale à suivre les vallées. Ce à quoi je répondrais que ta gueule, et qu'on est dans un univers fantastique où les cours d'eau font souvent des choses assez surprenantes, ce qui justifie la précision, et que si t'es si malin, t'as qu'à les écrire toi-même, les histoires de Kalon, banane.
9 ) A.V. stock de guillemets, état neuf, ts peu servi, prix AD. Tel (16.1)666.13.13 HR.
10 ) Il y est aussi question du Bol initial et de la Grande Cuiller Du Commencement, c'est dire si c'est crétin.
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