La quête de la Sainte Icône
Une histoire véridique
(mais un peu arrangée)
Tout avait commencé voici bien des années, à une
époque où tu n'étais pas né, mon jeune apprenti, dans un des estaminets décrépis qui bordent
le port de Too-Looz, la cité du Noir Seigneur Boo-Disz. Comme j'en avais pris l'habitude, et
au mépris de ma propre sécurité, je m'aventurais ce soir encore dans ces lieux mal-famés,
emplis de marins aux faces tannées par le sel et le soleil, recherchant ceux qui avaient
franchi les Colonnes d'Hercule et bravé les caprices de l'océan des Atlantes, afin de ramener
des lointaines terres de l'ouest les mille et une merveilles auxquelles la jeunesse des vieux
royaumes accordait tant de prix. Je savais qu'ils me connaissaient, les habitués du lieu, je
savais qu'ils me surnommaient « le damné », ou « le fou », mais je ne pouvais demander à ces
gens frustes de comprendre l'aura de pureté qui nous berce, nous, les élus, les dévôts de
Sainte Winona de la Resurrection.
Or donc, ce soir-là, après que j’eusse accompli avec mon zèle habituel ma tournée de ces
établissements peu recommandables, dans ma quête infructueuse de Ses paroles, de Ses actes,
ce soir comme tous les autres, je retournais en mon humble chambrette, gageant que le
lendemain, la chance serait avec moi. Cependant, alors que je m’éloignais du « Troll de Mer »,
une voix cassée me hèla depuis une ruelle parfaitement obscure. Croyant à quelque attaque, je
me préparais à prendre mes jambes à mon cou (il ne sied pas qu’un grand-prêtre de Winona,
ayant Site et Patente, se livre à un vulgaire pugilat sur un dock malsain), mais la voix me
rassura.
- Tout doux l’ami, on dit que tu cherches des renseignements sur Sainte Winona?
- Certes, et je puis y mettre le prix, bien que je n’ai pas l’argent sur moi...
- Pour toi, ce sera gratuit, car ta quête est juste. Ecoute-moi bien car le temps presse!
Je m’approchais de l’homme, un vieux loup de mer à la trogne cassée, mais dont les yeux d’un
bleu délavé débordaient de lumière et de foi. Un fidèle!
- Parle, frère, m’empressé-je de l’encourager.
- Je servais sur le « Belle de Nuit », un fameux trois mats fin comme un oiseau, en provenance
des terres saintes au-delà des mers, quand, poussé par la soif, je descendis dans les cales
afin d’explorer les tonneaux de rhum que les capitaines cachent toujours à bord, quand je
trébuchais dans l’obscurité sur un faisceau de tubes cartonnés, lesquels churent en même
temps que moi. Par bonheur, je ne fus pas entendu, et je pus remettre tout en place. Mais
l’un des tubes, suite au choc, avait perdu son opercule, et son contenu, une rouleau de
papier glacé, en était sorti de quelques centimètres. Mû par une curiosité bien légitime,
j’extirpais le parchemin et le déroulais afin de voir ce qu’il contenait. Ah, quel instant
merveilleux ce fut, dans la pénombre de cette cale sordide, car mes yeux indignes se posèrent
sur la face de Sainte Winona de la Résurrection, représentée dans toute sa majesté sur cette
icône, un bien digne de la rançon d’un roi!
- Par la sang-bleu, m’écriais-je, il ne faut pas qu’un tel trésor tombe entre des mains
impies!
- Tu ne crois pas si bien dire, gentil prêtre, mais écoute plutôt. Après avoir rebouché et
remis à sa place le tube, un écrin bien médiocre pour une telle merveille, je remontais sur
le pont, en proie au trouble. Sans doute quelque infidèle au service du capitaine m’aura vu
sortir, car après celà, mes chefs me considérèrent avec méfiance. Il m’arriva même quelques
incidents qui, sans ma chance et mon expérience de la mer, auraient pu m’être mortels, et je
ne crois pas qu’ils étaient tous dus à la fatalité. Un tel trésor excite les convoitises,
c’est certain, la vie d’un homme est bien peu de chose en comparaison de certains enjeux.
Cependant, bien qu’ils se méfient de moi, j’ai pu échapper quelques instants à la surveillance
de ces impies et chercher dans les papiers du capitaine, pour enfin trouver la destination de
l’icône, et ce que j’ai découvert m’a glacé d’horreur car... Aaahh!
Sans que je comprenne ce qui arrivait, l’homme tomba sur moi, se raccrocha à ma main de toutes
ses forces, puis s’écroula sur le pavé sale et humide, une flèche plantée dans le dos. Une
seconde flèche siffla à mon oreille, je détalais alors sans demander mon reste, courant
comme jamais, jusqu’à l’extrême limite de mes forces, et dans le dédale des petites ruelles
de l’arrière-port, que j’avais appris à si bien connaître, je parvins à semer mes assassins.
Alors, reprenant péniblement mon souffle sous le hâvre propice d’un édicule, je me rendis
compte que dans mon poing serré se trouvait un morceau de papier, le dernier cadeau de ce
marin dont jamais je ne connus le nom, sans doute un bout arraché au carnet de bord du
capitaine. Il n’y avait inscrit qu’un obscur code, OD49.
De ce jour, je fus tour à tour traqué et traqueur. Trouvant asile et assistance aux quatre
coins du monde parmi la secrète mais puissante communauté des adorateurs de Winona, je
parcourus les steppes de Shoïken, les hautes montagnes déchiquetées du Krakaboram, les
jungles infectes de Skunt, j’explorais Zarmilla-aux-sept-piliers, la tombe de Xaltotun,
Askolis, la cité d’orichalque, je combattis les légions noires de Bargûlan, le ténébreux
contempteur de Skofian, je fus laissé pour mort à la bataille de Miklos, perdis une main
en défiant le noir seigneur de Sith, je découvris des sectes maléfiques, des créatures
hideuses dont les faces indicibles grimacent depuis des éons entre les dimensions, des
adeptes fanatiques qui faisaient qu’à se prosterner devant les idoles de Nug et de Yeb, des
complots sans nom, et d’autres complots à l’interieur des complots, si bien que mon souvenir
en devient trouble et imprécis, toute ma vie ne fut qu’une longue aventure désespérée, une
quête infinie, et bien qu’à plusieurs reprises je pus apercevoir l’icône sacrée, jamais je
ne pus m’en emparer et la soustraire au mal qui la convoitait.
Jusqu’à hier où, fouinant dans une carterie du centre
ville de Too-Looz, je la trouvais sous la référence OD49, entre
deux posters de Sandra Bullock, et l’achetais pour la modique somme de cinquante-cinq Frankz.
Inutile de te dire, jeune apprenti, que je l'ai punaisée vite fait au mur de ma chambre.
Moralité : ne cherche pas dans les Douze Cités Maudites de Xian ce que tu peux trouver au coin
de la rue, ça fait gagner du temps.