Ils ramenèrent précipitamment Bobby Brief jusqu'à l'extérieur, puis franchirent bien plus vite qu'à l'aller la distance qui les séparait du Disko. Et dès que l'écluse principale fut repressurisée, ils tentèrent de débarrasser leur compagnon de l'encombrante forme de vie extraterrestre qui se maintenait encore solidement à lui, aussi solidement que la moule à son rocher, ce qui inspira au docteur Jdobrynewicz cette saillie restée fameuse et qui devint un des plus beaux joyaux du "Grand Almanach Draconien des Calembours Lourdingues" :
- Vous pourrez faire quelque chose pour lui, docteur ? S'enquit le capitaine.
- C'est du gâteau ! J'ai vu un cas comme celui-ci à la bataille de Ghurz-Baladar, je l'ai soigné par céphalotomie, ça a très bien marché.
On conduisit le malheureux à l'infirmerie, puis les rescapés de l'expédition regagnèrent leurs postes de travail.
"Allez, on décolle, on n'a pas que ça à faire. 'toute façon, il est pourri ce satelloche.
- Je doute qu'un parasite affectueux puisse être considéré comme une forme de vie intelligente.
- Non, juste deux redshirts.
Et le Disko décolla, soulevant inexplicablement un nuage de poussière. D'autres viendraient bientôt explorer le cénotaphe muet, la hache de guerre à la main, mais telle n'était pas la mission du capitaine James T. Punch. Sa mission, telle qu'il la concevait présentement, consistait à bougonner contre cet univers impropice, rempli de vide et de satellites glacés, et parfaitement dépourvu d'extraterrestres lascives. Verrait-il seulement de son vivant le jour où l'homme rencontrerait, au détour des routes de l'espace, une semblable race croisant dans des vaisseaux de lumière ? Tendrait-il un jour la main à un frère en rêverie venu d'un autre monde ? Quand donc, sur l'écran aveugle du congrueur d'approche de Six-cinquante, s'afficherait la trajectoire d'un vaisseau ami issu du fond des étoiles ?
"Capitaine, j'ai un signal bizarre sur l'écran aveugle du congrueur d'approche ! Signala Six-cinquante.
- Oh ? Fit le capitaine.
- ça se rapproche de nous... et ça manoeuvre même pour croiser notre route. C'est un vaisseau, capitaine.
- Ce serait étonnant, s'inquiéta Diana, le Famous n'a pas l'autonomie pour faire le voyage, le Miaous et le Courageous font la navette Terre-Nabout pour construire la base Alpha, le Couscous ne doit pas être sorti des chantiers, et l'Audacious est en probablement encore immobilisé à cause du mystérieux sabotage dont il a été victime et qui nous a valu de faire ce voyage à sa place.
- Ah oui, c'est vrai, approuva-t-il avec un grand sourire. On va en avoir le coeur net. Sur écran, Lipstick.
L'elfe actionna un curieux et complexe système optique permettant de projeter, sur un plan de pur cristal large d'une bonne brasse, le fruit des observations de la lunette astronomique frontale, par le truchement d'une cliquetante collection de lentilles asphériques, de miroirs paraboloïdes et de prismes biréfringents tel que seuls les elfes du Septentrion savaient en fabriquer, car personne d'autre n'avait la patience de se lancer dans les calculs de focale différentielle.
Après quelques réglages, l'image se fit nette.
La nef étrangère, tout de bronze et d'acier, présentait un aspect anguleux, et trapu, et chacun des angles était garni de pointes recourbées. Des jours allongés pratiqués dans la surface métallique permettaient de donner une vague idée des dimensions, assez imposantes, de l'appareil, pour peu que ses occupants fussent de taille humaine et qu'ils pratiquent des étages de hauteur normale.
- On dirait...
Bip bip, fit l'appareil. Le Capitaine, superbe, se dressa alors, image vivante de la dignité et de l'autorité.
"Je suis le Capitaine James T. Punch, de l'USS Disko, vaisseau d'exploration de l'Astrocorps. Nous venons en paix, au nom de notre civilisâtion toute entière, pour vous porter un salut fraternel qui, je n'en doute pas, sera le prélude à une longue et fructueuse amitié dont...
- Aucun signal retour, capitaine.
- Hum... Essayez une autre fréquence. Hum hum, Capitaine Punch, USS Disko, vous m'entendez ?"
Mais le cornet acoustique restait désespérément silencieux. Légèrement agacé, le Capitaine se pencha à l'adresse de Goodnews, pour lui faire la remarque peu amène suivante :
C'est qu'il s'était produit un léger problème. En effet, s'appuyant sur le panneau de sa console personnelle, le Capitaine avait involontairement actionné débloqué le loquet des commandes d'urgence qui étaient à sa disposition, entièrement désactivé la commande de compensation et coupé les moteurs. Aussitôt, nos hardis aventuriers s'étaient retrouvés à flotter librement dans la cabine, tandis que, la gravité reprenant ses droits, l'appareil se retrouvait attiré conjointement par Cacmeat et Tétinia. Jeckle le remit rapidement sur les rails, mais il avait fait une embardée subite. Une maladresse dont Punch était coutumier, mais qui eut une heureuse conséquence, car pile à ce moment, un grand éclair aveuglant partit du vaisseau étranger et fouetta l'espace à quelques brasses à peine du Disko, faisant résonner la coque d'un tremblement magnétique.
"Regardez, le préempteur de Benogui est cramoisi !
- Quoi ? Mais mais mais... que se passe-t-on ? Quoi dont est-ce-que ? Où que je ? Ils nous attaquent ??? Ils sont hostiles ? Je n'ose le croire, mais où allons ? C'est incroyable, incalculable, inoxydable, inamovible...
- Ils nous foncent dessus, ils vont nous éperonner à pleine vitesse...
- Jeckle, poussez nous hors de leur trajectoire..."
Le croiseur ennemi, qui était deux fois plus long que le Disko mais un peu moins large, passa à plusieurs centaines de brasses, ce qui vu ses dimensions et sa vitesse équivalait à manquer sa cible de peu. Puis, il entama la manoeuvre de demi-tour pour refaire un passage, laissant au capitaine James T. Punch le temps de se ressaisir.
"Générateurs en puissance militaire, relevez les boucliers, armez les phasers...
- Capitaine...
- Chargez les torpilles à photon...
- Capitaine, euh... comment dire...
- Tube lance-torpille un et deux, ouvrez le feu à mon... Oui commandeur ?
- C'est à dire, si vous vous souvenez, on est un vaisseau d'exploration. On n'est pas...
- On n'est pas quoi ?
- Armés. On n'a rien. Rien du tout."
Le visage du capitaine se décomposa. Il chercha du regard une solution sur la passerelle, puis l'homme d'action reprit le dessus, et il se leva précipitamment.
" Numéro un, prenez la passerelle. Essayez de leur échapper le plus longtemps possible.
- Mais... pourquoi moi ?
- J'ai pleinement confiance en vos capacités à prendre la fuite, Trouille !"
Et sur cette belle marque d'estime, il fila dans les coursives comme le vent dans les feuilles des cerisiers.
" Ils arrivent sur nous, madame, vingt-six secondes.
- Euh... Voyons, correction en roulis 15 degrés, cabrez de -35 degrés, impulsion moteurs vers l'arrière, facteur -6, exécution immédiate.
- Compris, facteur moins -6 vers l'arrière... on recule droit sur Tétinia, madame, s'alarma Jeckle.
- Je sais. Borgo, tenez-vous prêt à mettre les moteurs en facteur -4 à mon signal. Jeckle, vecteur de torsion à 90 degrés.
- Hein ?
- Et cessez de me contredire. Combien de temps avant collision ?
- Onze secondes madame, répondit Six-cinquante. Le vaisseau ennemi sera sur nous dans quinze... Oh non, deux petits objets très rapides viennent de sortir du vaisseau inconnu, trajectoire d'interception...
- Des torpilles. Borgo, maintenant !"
Les énergies mystiques jaillirent dans les entrailles torturées du Disko avec une force jamais atteinte, poussant les moteurs à leurs limites théoriques. Une longue plainte s'éleva, évoquant celle d'un grand arbre au moment où le vent l'abat. Mais la structure robuste du vaisseau encaissa les efforts titanesques qu'impliquaient cette manoeuvre brutale.
" Coupez les moteurs, on a redressé... Ouïe..."
Les deux torpilles à la poursuite du Disko avaient obliqué à sa suite, mais l'une d'elle trop tard, et sa collision avec le satellite avait provoqué une explosion orange très impressionnante, malgré l'éloignement et la vitesse que prenait le vaisseau. Sans doute un nouveau cratère venait-il de se former sur la face vérolée de l'astre gris. Impavide, la deuxième torpille se rapprochait.
"Demi-tour, Heckle, c'est le moment de nous prouver vos talents de pilote. Passez au ras de la surface, le plus vite que vous pourrez. Quoi qu'il arrive, ne ralentissez pas, et ne volez pas en ligne droite.
- Pourqu... ? Demanda le pilote avant d'apercevoir un éclair blanc et probablement meurtrier passer à droite de la carlingue.
- Virez plus sec que ça, on doit semer cette torpille. Oh, regardez, le cañon juste là-bas...
- Je vois mais...
- Engagez-vous là-dedans et suivez mes instructions."
Le manuel de pilotage de la classe NX spécifiait que les manoeuvres devaient se faire selon des procédures précises stipulées dans des annexes longues comme le bras, répertoriées et numérotées, avec des check-lists et des tolérances à ne pas dépasser sous peine de sanctions pouvant aller jusqu'au blâme. Le manuel de pilotage de la classe NX ne spécifiait pas qu'en cas de combat spatial, la procédure la plus appropriée consistait à jeter par-dessus bord le manuel de pilotage de la classe NX. Et pour ce qui était des tolérances d'utilisation, il y avait bien longtemps que l'on avait quitté leurs rivages accueillants, qu'on avait dépassé le pays où les ingénieurs vous confient que "là ça passe mais c'est pas dans le bouquin", qu'on avait laissé derrière les contrées de "en théorie ça devrait fonctionner, mais préviens-moi si tu fais ça que j'ai le temps de me planquer" et que l'on naviguait sur les infinis océans de "mais pourquoi ça n'explose pas ?".
En toute logique, la décélération brutale du Disko, au sortir du long cañon, aurait dû faire exploser les systèmes de compensation gravimétrique de l'appareil, qui se serait alors étalé en une longue traînée d'échardes de bois, copeaux d'électrargyre et débris organiques. Mais il n'en fut rien, et le vaisseau, après une translation latérale, resta suspendu à l'orée d'un immense cratère empli de nuit. La torpille déboucha à son tour dans l'immensité, flamme d'argent vive comme l'éclair. Elle sembla un instant perdue, cherchant sa proie. Puis, de dépit, explosa dans un éclair qui illumina brièvement le fond de la cavité.
"Bravo commandeur, superbe manoeuvre !
- Bravo à vous Jeckle, vous avez magnifiquement piloté.
- Je n'ai aucun mérite, j'ai un don. Ça m'a rappelé quand j'étais jeune et qu'avec des amis, on roulait en char à pleine vitesse dans une vallée un peu similaire pour s'amuser, près de mon village. Et on arrivait à dégommer un strige à trois cent brasses. Et ils ne faisaient pas deux mètres de large.
- Commandeur... fit Six-cinquante.
- Ah bon ? à trois-cent brasses, un strige ?
- Bon, certains très gros striges faisaient dans les deux mètres... Mais ceux-là, on les laissait tranquilles. C'est que ça peut devenir méchant, le strige géant de mon pays.
- Commandeur... si ça ne vous dérange pas trop...
- Oui, quoi encore ?
- Le vaisseau ennemi est au-dessus de nous, et il vient de lâcher deux torpilles.
- Ah. Foncez à pleine vitesse vers la falaise, en face, et remontez au dernier moment. Borgo, préparez-vous pour un petit saut à 380% de la puissance d'extinction.
- Compris."
Jeckle vira effectivement au dernier moment, et même un peu après le dernier moment, car les boucliers kinétiques inférieurs du Disko heurtèrent assez violemment le bord de la falaise, projetant divers cailloux dont aucun, hélas, ne vint détruire une torpille. Celles-ci, qui semblaient animées d'une vie propre, ne tombèrent point dans le piège de Diana, et continuèrent leur poursuite, se rapprochant inexorablement. Derrière, le fourbe vaisseau ennemi conservait une distance prudente, redoutant peut-être que son adversaire ne dispose d'une arme cachée.
« Ces torpilles nous coursent comme des chiens poursuivant un sanglier. Selon vous, comment nous repèrent-elles ? Ce n'est certainement pas le flair.
- C'est sans doute le phlogistique, expliqua Lipstick. J'ai entendu parler d'un sortilège de ce genre, une sorte de spectre assassin que les nécromants invoquent et qui traque sans répit ses pauvres victimes, en se repérant à la chaleur de leur corps.
- C'est possible en effet, et le Disko émet d'énormes quantités de phlogistique. Tout à l'heure, nous avions presque coupé les moteurs, et la torpille n'a pas pu nous retrouver... mais nous ne pouvons pas nous arrêter pour en avoir le coeur net. Hum... Je vois, virez sec et cap sur Cacmeat, Et faites cracher les moteurs à pleine vitesse, facteur -3 continu ! Prenez une trajectoire d'approche tangente. Combien de temps avant de toucher l'atmosphère ?
- Quarante secondes madame, mais à cette vitesse...
- Je sais. Où en sont les torpilles ?
- Elles manoeuvrent pour retrouver notre trajectoire... elles accélèrent. Elles sont à quarante-cinq mégabrasses derrière nous, distance en diminution. Elles sont plus rapides...
- Jeckle, à mon top, passez en facteur -9. Borgo, ne compensez pas la surpuissance, laissez-là dans les circuits. Lipstick, ouvrez tous les flux des boucliers avant pour qu'ils absorbent l'excédent."
L'orbe immense et glacée de l'immense Cacmeat augmentait maintenant de volume à une vitesse alarmante. Tout ce qu'ils avaient reçu comme formation à l'Astrocorps, c'est à dire peu de chose mais tout de même, se révoltait à l'idée d'aborder une planète à de telles vitesses. Mais curieusement, le fait que Trouille soit sûre d'elle rassurait l'équipage.
"Top !"
Elle avait fait signe peu avant que l'arc de la planète géante ne devienne une droite parfaitement rectiligne. Quelques secondes plus tard, une puissante incandescence naquit juste devant la verrière de la passerelle, qui devint un embrasement, puis des éclairs jaillirent de l'avant, et bientôt le sillage du Disko, secoué comme un prunier par les perturbations, ne fut plus qu'un long panache de plasma rougeoyant. Et bientôt, les deux torpilles, rendues folles par tant de thermie, explosèrent bien loin du vaisseau.
- Bouclier à 40%, on ne tiendra pas bien longtemps.
- Alors, remontez. Des traces de notre poursuivant ?
- Il est à soixante-dix mégabrasses derrière, et il arrive à pleine vitesse.
- Il va bien finir par se lasser. Jeckle, facteur -3, manoeuvrez pour mettre le cap sur la Terre."
Diana s'étonnait elle-même. Quelques minutes plus tôt, elle aurait traité de fou quiconque aurait émis devant elle le fait qu'un vaisseau tel que le Disko puisse atteindre le facteur -3. Maintenant, elle considérait cette allure comme l'hypothèse présentant le moins de risques pour elle et son équipage. De nouveau, la carcasse de bois et d'électrargyre gémit de déplaisir. Une harmonique vibratile déplaisante se faisait jour entre deux des ponts. Toutefois, ils parvinrent à la vitesse dite, engloutissant huit millions de brasses à chaque seconde. Elle avait du mal à concevoir une telle vitesse.
"Ils continuent à se rapprocher, madame.
- Passez à -2,6.
- Compris."
Un frémissement parcourut la structure du Disko. Le vaisseau faisait toutes sortes de bruit, on s'y faisait à la longue. Mais celui-là était franchement sinistre.
"Ils poussent, eux aussi, ils essaient de nous suivre. Ils nous rattrapent.
- Alors -2,3. Exécution."
Bon dieu, ils ne vont quand même pas nous suivre à seize mégabrasses par secondes. Tout le vaisseau se mit à trembler comme un mixer. Plusieurs bruits très secs se firent entendre, des rivets qui sautaient, quelque part.
"Ils nous rattrapent madame. Ils sont en facteur -2, un peu plus même. Je capte quatre mobiles rapides en approche... torpilles.
- Qu'est-ce qu'on fait, chef ?"
Mais pourquoi la regardaient-ils tous comme si elle avait la solution ?
"Eh bien, je suppose que si nous étions Japonais, le temps serait venu de vous parler des fleurs de cerisiers et de ces conneries . A moins que quelqu'un n'ai une solution miracle... Ce fut un honneur bref mais réel de vous avoir comme équipage. Six-cinquante, combien avant impact ?
- Dix-huit secondes.
- Numéro un ? Numéro un, vous me recevez ?
- Oui Capitaine, le cornet grésille un peu...
- Passez en facteur deux, immédiatement.
- Pardon ? Moins deux vous voulez dire ?
- Négatif Trouille, facteur deux, exécution !
- Borgo, facteur plus deux, tout de suite !
Le Disko parut devenir élastique, un élastique qu'un gamin d'une force prodigieuse tendit en une seconde, puis relâcha dans la tête de quelque dieu courroucé. Il disparut dans un éclair bleuté aveuglant, suscitant, pour autant que la chose était possible, l'étonnement de quatre torpilles.
10 ) Facteur 2
De l'intérieur, ce n'était pas plus joli. L'atmosphère de la passerelle était devenue cotonneuse, les contours de chaque objet plus lumineux et flous, leurs dimensions mouvantes, leurs couleurs fantaisistes. Plus un bruit ne parvenait aux oreilles du Commandeur Trouille, et tout semblait se dérouler au ralenti. De pleines giclées d'étoiles dégringolaient de l'avant du vaisseau, comme des gouttes vues de dessous la douche. Quant à ses sensations corporelles, il lui sembla qu'elle avait échangé sa familière défroque de grand primate bipède contre celle d'un décapode céphalogastre à coquille molle habitant les grands fonds marmoréens d'un océan de méthane liquide et ayant abusé de jus de Y-hsplkx frelaté. Ce n'était pas franchement douloureux.
Elle aurait donné cher pour que ce soit aussi simple qu'une franche douleur.
Puis, au bout d'un temps difficile à définir (car la sensation du temps était elle aussi détraquée), tout rentra dans l'ordre.
Et notre équipage de passerelle put reprendre ses habitudes, notamment celle de respirer.
"Notre vitesse...
- Un point un neuf sept gigabrasses par seconde, stabilisée...
- Cap sur la Terre, dans combien de temps Heckle ?
- Vingt-deux minutes madame.
- Six-cinquante, des traces de nos poursuivants ?
- Aucune madame, ils sont restés à proxité de Cacmeat jusqu'à ce qu'on perde le contact.
- Capitaine, j'aimerai assez des explications.
- Rejoignez-moi à la cafet', on va fêter ça. Tétinou !
Le Capitaine fêtait effectivement ça, en compagnie d'une énorme jarre d'eau-de-vie que son degré alcoolique rendait illégale dans nombre de contrées (y compris la Draconie), et accessoirement, en compagnie de Pleinechope Troisbras (qui était un peu gêné, car il faisait partie des rares nains non-buveurs), Al Ahdibal le cosmographe, qui ne buvait pas pour des raisons religieuses, et Lizzie Lightningstorm, officiellement technicienne du noyau réactif, qui normalement aurait dû être à son poste mais ne résistait pas à l'appel d'une bonne bouteille.
"Alors Trouille, on s'est bien marrés hein ?
- Grmlb.
- Ne faites pas cette tête et prenez donc un verre pour vous détendre. Vous manoeuvrâtes comme un chef, savez-vous ?
- Merci. Expliquez moi pourquoi nous sommes encore vivants malgré la vitesse déraisonnable qui est la notre.
- A cause du fait que les étoiles sont bien loin.
- Tant qu'elles y restent, je les y autorise, mais je ne vois pas le rapport.
- Il se trouve que comme vous le savez, je souhaite atteindre les étoiles.
- Etrange ambition, mais poursuivez.
- Or, les capacités du Disko étaient telles que la chose paraissait impossible. A pleine vitesse, il nous aurait fallu des siècles de voyage ! Voici pourquoi, ces dernières semaines, avec quelques officiers connaissant bien les systèmes, nous avons... euh... fait quelques... aménagements... aux moteurs et au... noyau... Ne me regardez pas comme ça, vous me rappelez ma mère.
- La vie de cette pauvre femme n'a pas dû être facile tous les jours.
- Je savais que ça vous plairait moyennement. Allons, tout se termine pour le mieux ! Regardez, nous avons terminé nos aménagement à toute vitesse, et grâce à ça le vaisseau est entier, et on sera chez nous dans dix minutes... On a même récupéré Bobby Brief ! Hein Bobby, content d'être débarrassé de votre parasite ?
- Ah vous pouvez le dire capitaine. Mais j'ai une faim de loup ! Eh, Clibanios, encore de l'aligot ! Glurck...
- C'est malin, je vous avais dit de ne pas tant vous empiffrer. Eh voilà, il se roule par terre. Vous autres, aidez-le donc, vous voyez bien qu'il va s'étouffer. Mettez-le sur la table, comme ça. Eh bien, Bobby, vous êtes tout pâle.
- Tout va bien Capitaine, je me sens super UUURGLCKX."
A ce moment, une sorte de hernie répugnante se mit à poindre sous la chemise rouge du cosmatelot, qui se teinta bientôt en rouge plus sombre, puis il apparut clairement que
quelque chose sortait de son abdomen, une chose qui se tortillait, tandis que Bobby Brief faisait de même. Puis la chose immonde perça la chemise. C'était une sorte de ver, un asticot noir et aveugle, un cylindre de haine à la bouche garnie de dents aiguës capables, sans doute, d'emporter la main d'un imprudent. Surprise et révulsée, Diana poussa un hurlement abominable sans avoir la force pour autant de fuir. Le parasite, vif comme l'éclair, profita de l'horreur paralysante qu'il suscitait pour sauter de la table et pour filer en direction des cuisines, de table en chaise, utilisant avec opportunité tous les supports à sa disposition.
A ce moment, Clibanios arriva, porteur de son tablier rose et bleu "supercook" et d'un chaudron d'aligot large comme l'avant-bras. L'animalcule tomba dedans. Et y resta, collé cette matière visqueuse et épaisse. Et plus il se débattait, sa longue queue pointue battant l'air, et plus il s'enfonçait. Au bout de quelques secondes, il y mourut, englué dans l'épais fromage des montagnes du Portolan à l'odeur si caractéristique. Le chef empoigna alors l'objet du délit, inanimé, et le considéra avec perplexité.
"Voilà un drôle d'animalcule
A disséquer pour nos magos.
Quelle destinée ridicule
Noyé dans un bol d'aligot.
- Bol d'aligot ! S'exclama le Capitaine.
- Bol d'aligot ! Reprit joyeusement l'équipage.
Bonne nouvelle : il y a de la vie dans l'univers.
Mauvaise nouvelle : elle est hostile.
Mais d'où venait donc ce vaisseau meurtrier autant que mystérieux ? C'est pas gagné d'avance que vous ayez la réponse dans le prochain épisode des Cretinous Star Sauvageons !