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  • THE CRETINOUS
    STAR SAUVAGEONS
    En forme de tétine, de tétinou mais oui mais oui, de tétinette même, wa wa wa wa...
    FIRST ENCOUNTER





    1 ) Starlog

    Capitaine James T. Punch, journal de bord de l'USS Disko NX-03, date stellaire 625.7

    Ah, que ces deux mois m'ont donc semblé longs ! Mais après l'inaction forcée imposée par les travaux de maintenance&amélioration, revoicy le Disko sur la route de la gloire ! Et ils sont tous là, mes fiers compagnons, brûlant d'ardeur à l'idée de repartir vers les planètes&astricules de l'espace lointain, après les moult allers&mout retours que nous effectuâmes vers l'inconstante Sélène à la face de cendre. Mais d'autres nous ont rejoints, et dorénavant, l'équipage est au complet, et désireux de rivaliser avec les pédants&gommeux des nouveaux vaisseaux, l'USS Audacious de ce gros niais de Clorckindale (je le hais), l'USS Famous du capitaine Firecloud Bloodfang (qui doit dit-on sa situation à ses anciennes relations "privilégiées" avec sa Majesté notre Reine, et je crois comprendre les secrètes raisons qui poussent le Roi - gloyre éternelle lui soit rendue - à l'envoyer explorer de nouveaux mondes étranges à quelques gigabrasses de son ancienne conquête), l'USS Courageous de Samael Lenilenal et sa joyeuse bande de gais compagnons, et l'USS Miaous de Celina "pétasse" Kysander. Ah, combien je conchie ces vaisseaux eunuques aux moteurs sournois et aux systèmes silencieux. Par Hanhard, un astronef viril, ça doit craquer de tous côtés à la moindre embardée !
       Ah, certes, le Disko n'est point tout à fait l'appareil le plus fringant de l'Astrocorps. Mais c'est sans conteste le plus intéressant, et me donnerait-on demain le commandement du nouvel USS Couscous que... euh... je le prendrais, bien sûr, mais à regret.
       Gloire à nos aimés souverains ! Et mort à l'infâme Clorckindale !


    2 ) Au réfectoire


       " Parce que maintenant je puis vous l'avouer, ma chère Diana, lors de notre première sortie, un certain nombre de personnes, y compris parmi l'équipage, n'avaient pas totale confiance en nos chances de succès.
       - Non ? Sans blague ?
       - Eh si, aussi curieux que cela puisse paraître. C'est pourquoi lors des premières sorties, nous n'avions qu'un équipage réduit au strict nécessaire. Mais aujourd'hui, la fiabilité de notre appareil étant prouvée, nous avons le loisir d'embarquer le lieutenant-commandeur Pleinechope Troisbras, notre conseiller thaumaturgique. Bienvenue à bord à vous et à votre équipe !
       - Euh... merci mon... Capitaine. Qu'est-ce que je suis content...
       - Je suppose que vous l'êtes, c'est pas tout le monde qui entre à l'Astrocorps !
       - Oui, c'est vrai... mais dites-moi, je me demandais, c'est curieusement décoré ce réfectoire!
       - Oui, certains hommes ont des goûts un peu rustiques. Mais il faut les comprendre, lorsque l'on s'embarque pour de lointains rivages, on aime à emporter avec soi quelques éléments de son pays natal."
       Pleinechope Troisbras jeta un oeil circonspect au réfectoire du Disko, un lieu étriqué, biscornu et encombré, sur les murs desquels s'entassaient toutes sortes de débris disposés par l'équipage, jarres vidées, instruments brisés, armes et crânes d'ennemis occis dans quelque lointaine contrée, parchemin stipulant que la tête de tel ou tel était mise à pris dans un lointain royaume (et quelques unes de ces têtes, Pleinechope croyait bien les avoir croisées dans les coursives), vêtements et armures, reliefs de batailles, de bagarres de taverne, d'exploits plus ou moins inventés. Il y avait même une curieuse statue à taille réelle d'un homme aux trait épais et à la mine égrillarde, les genoux légèrement fléchis, la main ouverte dans la position du joueur de bowling au moment de lâcher sa boule. Il était figuré entièrement nu, selon l'usage de la statuaire bardite, et visiblement, en pleine possession de ses facultés viriles.
       " Et cette... oeuvre d'art originale, là-bas...
       - Ah, c'est un peu la mascotte de l'équipage, c'est Will Last.
       - Will Last ?
       - C'est une pittoresque historiette qui est arrivée lors de notre second voyage vers la Lune. Will, qui s'était un peu pris de boisson ce jour-là, avait parié avec ses camarades qu'il pourrait mettre la main aux fesses de l'ingénieur en chef. La statue commémore l'instant précis où il a gagné son pari.
       - Ah ? Vous allez sans doute me trouver naïf, mais en quoi est-ce un exploit justifiant qu'on lui une statue ?
       - C'est vrai, vous n'avez pas encre rencontré notre ingénieur en chef. Elle est parfois un peu... comment dire... soupe-au-lait. Evitez juste d'aborder certains sujets en sa présence, comme sa chevelure, ses jambes, sa manière de se déplacer...
       - Tout ce qui a rapport avec un radeau... compléta Diana.
       - Et évitez les expressions du genre "pour qui sont ces serpents qui sifflent sur nos têtes", elle pourrait le prendre pour elle. Sinon, tout devrait bien se passer. Ah, ce que je suis bien heureux de faire cette mission. Songez que nous partons en des lieux qu'aucune expédition n'a jamais atteint ! Tout excité je suis, pas vous ?
       - Si, si... Mais au fait, est-ce que l'un de nous deux n'est pas sensé être sur la passerelle en ce moment ?
       - Ce que vous pouvez être formaliste, Trouille."


    3 ) Putain, comment c'est loin, les étoiles !


       " Quand je pense que nous sommes déjà si loin de la Terre... Mon dieu, comment pourrait-on imaginer que ce petit point, là-bas...
       - Eh bien Capitaine, en fait, ce n'est pas véritablement la Terre. C'est plutôt, sans vouloir vous vexer, la planète géante Theozul.
       - Où est la Terre ?
       - Ouh, ça fait longtemps qu'on ne la voit plus. Songez que nous sommes à plus de neuf-cent mégabrasses de nos foyers"
       Au sommet de la soucoupe se trouvait une sorte de poste d'observation, doté de vitres bombées d'un cristal très pur. Sous ledit poste, on avait monté une lunette d'observation, au service de laquelle s'activait Al Ahdibal, le cosmographe de la mission. Il griffonnait nerveusement des notes cryptiques et des calculs à rallonge de la petite écriture serrée de ceux qui ont l'habitude d'économiser leur matériel.
       " On est peu de chose, tout de même. Lorsque j'ai commencé à étudier mon art, je m'étonnais sans cesse de ce vide, de tout ce grand vide inutile et froid. Mais quelle mouche a donc piqué les dieux créateurs pour avoir conçu un cosmos si vaste et si plein de rien ?
       - Oui, en effet, moi aussi ça me l'a fait. Mais je suppose que vous ne m'avez pas fait demander pour me parler de théogonie ou de métalogique.
       - Eh bien, oui et non. Vous vous souvenez sans doute de la raison de ma présence ici.
       - Euh... oui bien sûr. Mais je ne vous priverai pas du plaisir de me l'exposer, car je ne doute pas que vous êtes fier de la tâche que vous accomplissez, et qui est utile ô combien.
       - Je suis mandé par le collège de cosmographie et astrologie de l'université de Jhor pour tenter de calculer l'éloignement de l'ellipsoïde stellaire.
       - L'ellipsoïde stellaire.
       - La grande sphère aplatie composée, selon les anciens, d'un pur cristal dans lequel sont enchâssées les étoiles, qui sont de pur diamant.
       - Ah, oui, les diamants des étoiles, je me souviens de ça. Et donc, vos mesures avancent ?
       - Certes, mais pas vraiment dans le sens que l'Institut aurait souhaité. Grâce à ma lunette, je mesure l'écartement de couples d'étoiles connus situés à l'avant, sur le côté et à l'arrière du vaisseau. Dans l'hypothèse, improbable, d'un amerrissage, des gilets de sauvetage se trouvent sous vos sièges. En cas de dépressurisation, des masques à oxygène tomberont automatiquement... euh... attendez, je crois que je m'égare là...
       - C'est aussi mon impression. Mais quel est l'intérêt de ces mesures ? Notez qu'en fait, je le sais fort bien, quel est l'intérêt, mais je pense que formulé par un homme d'esprit tel que vous, la chose n'en sera que plus belle.
       - Merci Capitaine. Or donc, nous nous rapprochons des étoiles situées devant nous, en toute logique, nous devrions les voir s'écarter les unes des autres, à la manière des arbres d'une forêt lorsqu'on s'en approche. A l'inverse, les étoiles sises à l'arrière devraient voir leur écartement se réduire.
       - C'est l'évidence même.
       - Or, ce n'est pas le cas. Songez que nous avons parcouru près d'une térabrasse, soit une distance prodigieuse ! Cinq mille fois celle qui sépare la Lune de la Terre, ce n'est pas rien. Notre lunette, bien que de taille modeste, est une des meilleures qui soit, et nous sommes à l'abri des perturbations atmosphériques qui faussent les mesures terrestres. Malgré tout, je n'ai noté jusqu'à présent aucun écart notable.
       - Voilà qui est singulier, il est vrai. Vous êtes sûr de vos calculs ?
       - Vous pensez bien. Alors donc, deux solutions s'imposent. Soit premièrement, l'ellipsoïde stellaire s'est pris d'une aversion particulière pour notre vaisseau, et a décidé de se maintenir immobile par rapport à nous, de manière à ce que jamais nous n'atteignons les étoiles.
       - La chose est difficile à concevoir.
       - C'est pourquoi je pencherai vers la seconde hypothèse, à savoir que les distances qui nous séparent des étoiles sont incomparablement plus éloignées que les théories les plus farfelues ne le prévoyaient. Compte tenu de la précision de ma méthode et de mes instruments, je puis certifier que nous ne nous sommes pas rapprochés des étoiles de plus d'un millième de la distance totale qui nous en sépare.
       - Ah. On ne reviendra donc pas les poches chargées de diamants.
       - Certes non. Et je pense du reste qu'il n'y a pas plus de diamants stellaires que de cheveux sur le crâne du regretté capitaine Pilpa.
       - Oh ? Apus ?
       - Non. Voyez derrière nous, Capitaine, et considérez le soleil. La distance qui nous en sépare lui a déjà fait perdre l'essentiel de sa superbe, il n'est plus, vu d'ici, qu'un astre assez lointain et fade. Certes, il domine encore le ciel, mais on a déjà peine à reconnaître en lui le glorieux bienfaiteur de l'humanité.
       - C'est pourtant vrai. Je puis le contempler sans nullement détourner les yeux.
       - Supposons maintenant que les étoiles soient mille fois plus éloignées du Soleil que le point où nous nous en trouvons. Supposons maintenant que, malgré l'immensité du gouffre béant qui nous en sépare, nous allions à proximité d'une de ces étoiles. Que verrions-nous du Soleil ? Comment nous apparaîtrait-il ?
       - Sans doute très faiblement.
       - Nous n'en verrions, capitaine, qu'une étoile parmi d'autres, voilà tout. Une petite étoile perdue au milieu des étoiles.
       - Eh bien, voilà qui nous remet un peu plus à notre insignifiante place dans l'univers."
       Puis, l'esprit pratique du Capitaine rejoignit l'esprit scientifique du professeur, et les deux hommes s'adressèrent alors un sourire empli d'une profonde compréhension.
       " Toute les étoiles sont autant de soleils. Des milliers de soleils.
       - Des millions, peut-être, Capitaine !
       - Avec des planètes...
       - C'est ma foi assez vraisemblable.
       - Des milliers de races, des pelletées de civilisâtions...
       - Plein les cieux, juste là, derrière cette vitre. On pourrait croire qu'il suffirait de tendre la main...
       - A condition d'avoir le bras d'une longueur peu commune. Mais imaginez donc, des ruines cyclopéennes élevées à la gloire d'improbables souverains trioptes aux jabots ichoreux, des monceaux d'or jonchant les ruelles de prodigieuses cités, de nouvelles façons de concevoir la vie et l'univers, de nouvelles façons de vivre, d'aimer, de communiquer...
       - Exaltante perspective !
       - Des guerriers honorables à défier, des vizirs fourbes à démasquer, des princesses à sauver, de rusés commerçants à gruger, des philosophes dont est-ce que à converser doctement avec...
       - Comme j'ai hâte de les rencontrer.
       - Et des femelles bleues nymphomanes à trois nichons issues d'une culture ignorant la notion de vêtement...
       - Euh...
       - Hum... bref... Tout ça pour dire, mon cher Al Ahdibal, que votre découverte est probablement ce que l'on a trouvé de plus intéressant depuis la fondation de l'Astrocorps, mais que je vous demanderais, si vous le voulez bien, d'attendre un peu pour la divulguer à l'équipage. C'est que certains d'entre eux sont d'extraction modeste, et pour ces âmes simples, souvent pétries de superstitions ancestrales, on peut craindre que le vertige des chiffres et des distances ne heurte de front certaines croyances.
       - Je comprends vos craintes.
       - Bien. Poursuivez vos travaux, mon ami. Prévenez moi si, d'aventure, vous parvenez à calculer l'éloignement d'une étoile, mais j'insiste, n'en parlez qu'à moi."
       Et, retenant pas chassés et refrains joyeux, le Capitaine Punch regagna la passerelle, transporté d'allégresse.


    4 ) Les secrets du chef

       "Alors, c'est vous, le vrai Clibanios ?
       - Le barde de la fameuse Compagnie du Gonfanon ? Le premier homme à avoir posé le pied sur la Lune ? J'ai peine à le croire..."
       Nombre de jeunes cosmatelots posaient cette question à notre cuisinier, doutant d'avoir réellement l'honneur de fréquenter un aussi légendaire personnage. Grande était en outre leur stupeur lorsqu'ils s'apercevaient que celui-ci se contentait, dans la grande aventure de l'Astrocorps, d'un modeste grade de chef, c'est à dire de sous-officier. Ce n'était pas seulement son grade, du reste, mais aussi. En l'occurrence, dans l'odeur de graillon et le joyeux fatras du réfectoire, qui ressemblait de plus en plus à une taverne à putains des bords de la mer Kaltienne, les deux recrues qui s'étonnaient ainsi étaient Bobby Brief et Tim Thelate, deux gaillards à peine sortis de l'adolescence et fiers comme des paons d'arborer la pourpre chemise des équipes de sécurité. Avec le sourire dont jamais il ne se départissait (car c'était un squelette), Clibanios leur répondit ces quelques vers :
       - Le seul, l'unique, l'indivisible,
       Indubitable, imputrescible,
       Si dans le monde j'ai un semblable,
       Le nommer, j'en suis incapable.
       
    - C'est dingue ça, vous avez dû en vivre, des aventures...
       - Il y a quand même une question qui me turlubite : lorsque vous avez marché sur la Lune, avez vous prononcé quelque fameuse parole ? Le moment était solennel et propice à des déclarations fondatrices.
       - Oui, le sérieux était de mise,
       Mais , solitaire sur l'orbe grise,
       Sans air pour porter mes paroles
       Je contais bien des fariboles.
       Sans une oreille pour m'écouter
       Ni censeur pour me corriger
       Je m'exprimais, je le confesse,
       En ces termes pleins d'allegresse :
       
    "Un petit pas pour un squelette
       Un grand bond loin de ma planète
       Trois pour le roi des elfes sous la montagne
       Et dans les ténèbres les lier, Ïa, Ïa, Choubenigourate"
       
    - Eh bé... C'est original... Eh mais, c'est quoi que vous cuisinez là-dedans ? C'est quoi cette odeur de pied malade, c'est le plat ou une bête a crevé dans un coin ?
       - C'est un plat bien robourratif
       Fait de patates et de fromage
       Mêlés en intime mixage
       Pour restaurer les plus actifs.
       En raison de sa consistance
       Entre limon et escargot,
       On appelle ça un aligot,
       Et dans un bol, sert la pitance.
       
    - Bon, si vous êtes sûr que ça se mange, servez moi un bol d'aligot, je vous prie.
       - Bol d'aligot !" S'exclamèrent en choeur tous les cosmatelots présents à portée d'oreille. Et nos deux jeunes gens, perplexes, se demandèrent où était la plaisanterie.


    5 ) Cacmeat


       De toutes les planètes du système solaire, seule Cacmeat avait été découverte par quelqu'un. Comprenons-nous bien, il est évident que toutes les planètes avaient été découvertes un jour où l'autre par un quelconque et anonyme berger des temps passés. C'est que ça se remarque, une planète, dans le ciel, surtout quand on est tout seul, qu' on n'a rien d'autre à faire de ses soirées et que l'on n'a pas encore découvert tous les attraits laineux des fréquentations ovines. Mais ces découvertes dataient toutes de la préhistoire (je parle des planètes, pas des moutons). N'importe quel abruti ayant deux yeux en état de marche est capable de repérer dans le ciel nocturne Kina, la blanche compagne du soleil, Nabout, la perle de sang et Theozul, le gris pèlerin. Avec de la chance, on pouvait en se levant tôt ou en se couchant tard surprendre Ghisbir, le renard, et en suivant l'état du ciel, on pouvait se convaincre de la progression, nuit après nuit, de Serefis sur la voûte céleste.
       Mais il avait fallu attendre l'invention fortuite de la lunette astronomique par Kubonal, dit "le Phol Fysicien", pour que des équipes de jeunes astronomes aux yeux perçants se lancent à la recherche de nouveaux astres. Il y avait cent trente-huit ans, donc, que Yarganaël de Scolopendie avait inscrit son nom dans l'histoire en mettant en évidence le déplacement de ce qui, depuis la Terre, n'était qu'une très faible étoile à peine visible.
       Mais depuis le pont du Disko, c'était autrement plus impressionnant.
       Faiblement éclairée par l'éclat d'un lointain soleil, Cacmeat était une gigantesque boule vert d'eau, écrasante par sa masse. Aucun relief n'était visible à sa surface, mais un oeil exercé pouvait discerner des bandes plus foncées s'enroulant tout autour, et parfois, à leur lisière, des tourbillons grands comme des continents. De minuscules chapelets de nuages bancs très nets, chacun toutefois plus vaste que la Draconie, semblaient flotter à quelque distance au-dessus de la masse verte, y laissant des ombres sinistres. Et puis, il y avait aussi un énorme cyclone sombre, presque aussi grand que la Lune, sous l'équateur. Cacmeat évoquait l'oeil d'un géant, qu'il aurait perdu au fond des cieux. Nonobstant, après quasiment trois semaines de voyage, l'équipage ne pouvait s'empêcher d'éprouver une certaine déception, que le capitaine exprima en ces termes :
       "Merde, encore une putain de planète gazeuse."
       C'est que la fierté d'un cosmatelot, ce n'est pas de girer indéfiniment autour d'un astre pour faire des relevés et des observations. Ce qui fait le sel du métier, sa noblesse, tout son intérêt, et disons-le sans détour, ce qui excite les filles à la buvette de l'astroport, ce sont les randonnées en scaphandre sur des terres inviolées. Exercice qui peut s'avérer dangereux lorsqu'on le pratique sur une planète gazeuse, pour des raisons techniques assez complexes qu'il faut être technicien en astronautique d'un certain niveau pour pleinement saisir.
       "Bah, fit Borgo, avec un peu de pot, on trouvera bien un satelloche ou deux à ramasser des cailloux sur. Tiens, ce truc là-bas...
       - Super, encore un satellite ! Six-cinquante, combien de satellites détectez-vous ?
       - Les relevés sont en train de tomber, capitaine. Il y a deux satellites majeurs, de taille légèrement inférieure à notre Lune. Trois satellites plus petits, et divers débris.
       - C'est dingue ce qu'on découvre comme trucs passionnants. Je n'ai pas vécu de moment plus exaltant depuis la semaine dernière, quand la machine à kawa est tombée en panne et qu'il a fallu la réparer avec les moyens du bord.
       - Je vous sens dépité, Capitaine. On va quand même les voir ? S'enquit Diana.
       - Vu qu'on n'a rien de mieux à faire... Heckle, faites nous une jolie trajectoire jusqu'à... jusqu'au plus proche des deux gros.
       - Le congrueur de navigation a besoin d'un nom, capitaine.
       - Ah oui, c'est à moi de donner des noms à ces passionnantes boules de poussière.
       - Je vous ai connu plus enthousiaste, s'étonna Diana, inquiète de la mauvaise humeur de son supérieur.
       - Effectivement, j'ai été plus enthousiaste au début de l'exploration spatiale. Moi, je me suis engagé là-dedans pour réaliser mon rêve de gosse : entrer en contact avec de nouvelles formes de vies et de nouvelles civilisâtions, découvrir de nouvelles façon de concevoir l'univers... Et jusqu'à présent, tout ce que l'Astrocorps a découvert, c'est des cailloux, de la poussière, de la poussière de cailloux, et des planètes aussi gazeuses qu'inutiles autour desquelles tournent de niais satellites, tels que ces deux nigauds.
       - Vous exagérez. On a aussi trouvé de très intéressantes formations rocheuses et des sites spectaculaires sur Na..."
       Diana s'aperçut trop tard de la gaffe.
       "NON, madame, ON n'a pas découvert de très intéressantes formations rocheuses et des sites spectaculaires sur Nabout. C'EST LE CAPITAINE CLORKINDALE qui a découvert de très intéressantes formations rocheuses et des sites spectaculaires sur Nabout, je vous le rappelle, parce que ce misérable foutre-merde d'enfant de sa mère a léché le cul à cent putain de petits fonctionnaires de l'Astrocorps pour décrocher la seule mission valable du programme spatial ! Et je suis fou de rage, alors je vais me venger sur ces deux crétins de satellites, ce qui est bien légitime. Alors le plus gros, ce sera Tétinia, en l'honneur du merveilleux Grouïn des Tétynes, et l'autre, ce sera Lubéron, parce que c'est la région peuplée de dégénérés où j'allais passer mes vacances, étant jeune. Et pas de commentaire. Jeckle, cap sur Lubéron, dès que votre collègue aura fini ses calculs. Je vous laisse la passerelle, numéro un".
       Et, auguste, il se retira dans les soutes du vaisseau, ourdir quelque sombre complot en compagnie d'Al Ahdibal, Pleinechope Troisbras et la MOA, comme il en avait pris l'habitude depuis quelques jours. Mais Diana n'en était plus à s'étonner des sautes d'humeur de son capitaine, dont elle prit le fauteuil encore chaud avant de s'atteler aux manoeuvres.

       Les jours suivants, on ne vit guère à son poste le seul maître à bord, occupé qu'il était avec sa bande. L'expédition progressait dans son oeuvre glorieuse, faisant mentir les propos du capitaine Punch. Non, sur les satellites, ils ne trouvèrent pas que des cailloux et de la poussière. Sur Fuck, ils découvrirent de vastes dépôts de sable micaschisteux assez riche en cuivre, et sur Ombrelle, un paysage de glace carbonique striée de tous côtés, très impressionnant vu de la surface.
       L'humeur était maussade sur la passerelle. Les atterrissages et les collectes d'échantillons s'étaient succédés, avec pour seule distraction, la bataille de boules de neige sur Ombrelle. La visite prévue de Tétinia, dont on effectuait les observations préliminaires à cent kilobrasses de la surface, ne présageait rien de mieux. Le tout s'était déroulé sans incident, autres que les dysfonctionnements habituels du Disko, auxquels l'équipage était accoutumé. Il n'y avait même pas eu une seule mort de redshirt. Du reste, le lieutenant-commandeur Bralic vint s'en plaindre à Diana, au moment où, fortuitement, le capitaine passait dans les parages.
       "Faudrait en tuer quequ'zuns, j'arrive point à les t'nir ! C'est des vrais sauvages, not'dame, comment vous voulez maintenir la dixiplime si y'en a pus qui meurent ?
       - Allons, allons, vous exagérez.
       - Hier, y'en a un qu'a mis un étron à lui dans la gaine à ventilation, ça a empuiré les quartiers pendant des heures avant qu'on r'trouve eul'objet du délit. Y'a deux bagarres à l'heure au réfectoire, y'a d'l'aligot partout au mur au plafond, partout. Et j'vous parle point de c'que les plus balèzes font aux plus jeunes dans la moite promixcuité des dortoirs, c'est point racontable à eun'dame.
       - Vous pensez qu'il faudrait leur donner la badine, ou quelque chose comme ça ?
       - Eul'badine ? Mais ma pov'dame, ça fait longtemps qu'on est plus à la badine. Les coups d'canne les calment point plus, y'a guère qu'eul'knout qui les fait taire cinq minutes, et encore... Si encore on trouvait des trucs excitants, mais point du tout, c'est que du caillou et point d'air du tout... Tenez, r'gadez çui ci, de stallite, c'est encore tout pareil aux aut', là, des cratèrles et des bosses, et ç't'espèce de p'tit bitoniot noir au bout de ç't'espèce de tranchée, y'a rien à voir qu'on ai vu sur la Lune, alors y'a comme l'ennui qui s'installe. Comme disait l'aut', "Changement d'herbage réjouit les biaux".
       - Ui, fit Diana, bien consciente des problèmes de discipline.
       - Petit bitoniot noir ? Interrogea le capitaine, sortant soudain de sa léthargie.
       - Ben ouais, le p'tit bitoniot noir planté dans l'ergolozophèle, y vient d'disparaître derrière eul'horizon.
       - Merci, monsieur Bralic, nous allons réfléchir aux mesures qui s'imposent."
       Et lorsqu'il fut ressorti, Diana s'aperçut soudain que le port maussade du capitaine, évoquant celui d'une méduse malade, avait évolué vers celle du jeune cabri à la saison des amours.
       "C'est quoi, cette histoire de bitoniot ?
       - Savez-vous pourquoi monsieur Bralic est notre chef de la sécurité ?
       - Une erreur administrative, sans doute.
       - Non Diana, ce n'est pas une erreur, c'est moi qui ai insisté pour l'avoir avec moi. En effet, ce personnage présente une particularité intéressante : c'est l'homme le plus chanceux du monde.
       - Comment ça ?
       - J'ai longuement étudié sa vie, et rencontré les gens qui furent témoins de ses exploits, c'est très instructif. C'est sans doute un don des dieux, pour compenser toutes les tares qu'il présente par ailleurs. Et c'est pour ça que je l'ai fait venir à bord du Disko, car tant qu'il est avec nous, rien de grave ne peut nous arriver.
       - Grotesque.
       - Oui, ben jusqu'à présent, ça marche. Et je suis convaincu que si notre cher Bralic est venu sur la passerelle aujourd'hui, et qu'il a posé les yeux sur la surface Tétinia à cette heure précise, c'est qu'il était poussé par quelque destinée secrète à nous indiquer un point important. Heckle, combien de temps nous faut-il pour faire une giration complète autour de Tétinia ?"


    6 ) Sortie extra-véhiculaire


       Après la complexe manoeuvre de dégiration, le Disko se mit à descendre assez rapidement pour se présenter à peu près à la verticale de l'anomalie signalée qui, à la lunette d'approche et à cinq kilobrasses d'altitude, présentait un aspect des plus biscornus. On eut dit une sorte de coquillage qui aurait l'étrange manie de pousser en forme d'instrument de musique, avec une sorte de grande trompe pointée vers les cieux muets en une improbable tour oblique. Le tout présentait des tons marrons foncés qui ne permettait guère d'apprécier les détails ni d'évaluer la taille de l'ensemble, cependant, un rapide calcul de Six-cinquante prenant en compte l'éloignement et le facteur grossissant de la lunette d'approche permit de s'apercevoir que l'objet était proprement titanesque, près de quinze fois la longueur du Disko. Le plus étonnant, c'était que les traces laissées dans le régolite et les roches avoisinantes sur une dizaine de lieues, ainsi que divers débris de moindre taille semés sur le chemin, laissaient entendre que la chose était un astronef qui, à une époque qu'il restait à déterminer et en des circonstances inconnues, s'était écrasé sur cette lune inhospitalière. Après un bref survol, le Disko se posa au fond d'une sorte de vallée sinueuse, à une lieue de marche de l'endroit où reposait la titanesque épave, à distance respectueuse et soigneusement dissimulé.
       Le capitaine, qui se retrouvait soudain tout excité, avait décidé d'envoyer une équipe d'exploration, dont il comptait contre toute prudence prendre la tête. Elle se composait de :
       - Chef de l'expédition : Capitaine James T. Punch
       - Responsable technique : Lieutenant Lizzie Lightningstorm
       - Médecin : Enseigne Khunduz Jdobrynewicz
       - Chef de la sécurité : Lieutenant-Commandeur Bralic
       - Gars de la sécurité : Bobby Brief
       - Nana de la sécurité : Emmy Embalming
       Ils avançaient maintenant, fièrement engoncés dans leurs scaphandres de cuir et de cuivre, les puissantes lampes qu'ils portaient sur leurs casques leur donnant précisément l'air de ce qu'ils étaient venus chercher : des extraterrestres. Sans doute, à une époque incroyablement reculée, un flot de quelque liquide avait-il coulé ici à gros bouillon, creusant cette petite vallée large de deux-cent brasses, et dont les parois montaient jusqu'à une trentaine de brasses de dénivelé avant de donner sur un plateau lisse comme le dos de la main. Le sol était recouvert de cette poussière grise qui leur était devenue familière, parfois parsemée d'un caillou aux formes aiguës. L'orbe immense de Cacmeat alanguies sur son lit d'étoiles étaient visibles presque dans l'axe de du canal, illuminée par le soleil sur les trois quarts de sa surface, donnant à la scène une allure fantasmagorique. Bien sûr, il n'y avait aucun bruit, si ce n'est celui des clapets des scaphandres absorbant l'air vicié par la respiration et rejetant à la demande un gaz certes respirable, mais affreusement puant. Ils portaient sur le dos toutes sortes d'instruments, mais le seul qu'ils avaient trouvé utile de sortir, c'étaient les baguettes magiques émettant à la demande de dangereux projectiles, en cas de rencontre hostile. Toutefois, la faible gravité allégeait leurs fardeaux, et ainsi progressèrent-ils assez rapidement jusqu'à l'issue de la vallée, barrée par un vaste chaos de roches. Attentifs et se couvrant les uns les autres de leurs armes, ils escaladèrent alors l'amas confus et voir enfin de près l'objet de leur quête dans toute sa sinistre splendeur.
       Au vu de sa conformation, il était difficile de dire si le vaisseau étranger était échoué à l'envers, à l'endroit ou sur le côté, ni même s'il avait eu une orientation privilégiée. Difficile aussi de savoir si l'impact l'avait déformé ou s'il avait toujours eu cette forme biscornue. Une image frappa le capitaine, était-ce le cadavre d'un dieu ? C'est avec plus de déférence que de crainte qu'ils s'approchèrent.
       C'est en longeant la surface rugueuse et contournée qu'au détour d'un épaulement saillant de la structure, ils découvrirent une surprenante formation. Sans doute était-ce l'entrée moite de la colossale nef, mue par quelque muscle plutôt que par un mécanisme, qui se montrait à leurs yeux, close hermétiquement sur quelque abominable secret originel. Les replis ourlés de pourpres entourant l'opercule de l'obscène ouverture évoquait un oeil fermé vertical, ou tout autre organe revêtu de paupières.
       "Oh, z'avez vu les gars, on dirait eun'zézette des filles !
       - Merci de cette remarquable observation, monsieur Bralic, fit le capitaine. Sans vous, on n'aurait sans doute jamais remarqué la ressemblance. Ça a l'air assez mou...
       - Effectivement capitaine, approuva Bobby Brief en pressant de la main, c'est élastique au toucher.
       - Ouais, et comment on entre ? Demanda Lizzie Lightningstorm.
       - Eh bien, je suppose qu'il y a un quelconque... mécanisme...
       - Oui, il doit falloir actionner un...
       - Euh... en toute logique... C'est ce, euh... là haut, vous voyez...
       - Vous deux, faites-y donc la courte échelle, et appuyez sur eul'bouton !"
       Ainsi firent les deux cosmatelots, qui arrivaient à peine à la hauteur de l'orbe rosâtre. Bobby Brief s'y appuya, puis s'y appuya derechef, et encore aussi fort qu'il put. Il allait avouer son impuissance lorsque la porte, insensiblement, sembla enfler, se gonfler sous l'effet de quelque faim irrépressible.
       Le reste fut très rapide, si rapide en fait que, le temps que les témoins se rendent compte qu'ils assistaient à la réalité et non à un cauchemar sorti des régions les moins fréquentables de leur subconscient, tout s'était terminé. Une énorme langue pourpre et violacée sortit soudain de l'ouverture entrebâillée, barbelée qu'elle était d'une multitude de dents cruelles et triangulaires, et s'enroula autour de la malheureuse Emmy Embalming, qui fut promptement emportée sans pouvoir réagir dans l'intérieur du sombre cénotaphe. Ses ignobles cris d'agonie résonnèrent quelques brefs instants dans les communicateurs, puis cessèrent. Le cosmatelot Brief,, qui avait chu avec une rudesse toute relative en raison de la faible gravité, trouva moyen de s'écarter à quatre pattes, et les autres l'imitèrent en reculant hors de portée, espéraient-ils, du mortel tentacule.
       "D'un autre côté, signala le capitaine Punch, je crois qu'il y a une brèche dans la coque, pas loin, on pourrait passer par là..."



    7 ) L'amusant jeu des oeufs de crabes géants avec des queues


       « Ah, mes amis, mais qu'allons-nous donc trouver dans les tréfonds de cette obscur abri aux géométries étrangères ?
       - Rien du tout, j'espère, bougonna Lizzie Lightningstorm.
       - Comment ça, vous n'êtes pas avide de découvrir les trésors que recèlent cette nef ? De toucher du doigt cet émouvant témoignage des industrie d'une civilisation dont nous ignorons tout ? D'étudier la façon dons ces gens vivaient et se déplaçaient ?
       - Non, pas trop. J'ai surtout envie de rentrer sur Terre, là. C'est fou ce que j'aime la Terre depuis que je suis dans l'Astrocorps.
       - Quoi ? Je n'ose croire que vous fussiez à ce point désenchantée que vous ayez totalement perdu de vue les nobles raisons qui vous ont poussée à vous engager. Où est l'esprit d'aventure, la soif de découverte...
       - En fait, les nobles raisons qui m'ont fait faire ce boulot, c'est le noble juge m'a donné le choix entre un noble engagement dans l'Astrocorps et une visite du noble gibet de Ghaz-Wulkhan. Alors le benji, c'est bien sympa, mais tout dépend où vous nouez la corde, d'où ma "vocation".
       - Ah bon ?
       - J'ai parfois le tempérament un peu vif. Ce sont mes petites... compétences particulières, si vous voyez de quoi je parle, qui ont convaincu ce brave homme de me donner une chance... enfin, si on appelle ça une chance. Bref... Oh, dites-donc, c'est joli ici !"
       Le petit groupe d'explorateurs venait de déboucher dans une vaste cavité, plus haute que large, au sol veiné de ridules concentriques menant à une sorte de couche, ou de chaise, issue de la matière même de la nef. Un cadavre y était allongé, celui d'un être qui devait mesurer la taille de deux hommes. La physionomie du géant ne différait pas assez de notre espèce pour qu'on puisse se départir à bon compte de la gêne que procurait sa fréquentation. Sa face maintenant aveugle avait été plate, et ne paraissait pas trop malveillante. Deux bras momifiés pendaient de l'habitacle, assez semblables à ceux de nos hardis aventuriers. Il leur fallut quelques instants pour identifier la source du trouble qui les envahissait à mesure qu'ils tournaient autour du titan mort. Il n'était ni sanglé, ni retenu de quelque manière à son siège, il y était soudé. Par choix ou par nécessité, le pilote avait fait partie de son vaisseau. Au bout d'une poutre d'os blême perçant le plafond, un ensemble de boutons et d'écrans, muets sans doute depuis des millénaires, lui avaient permis, peut-être, de communiquer avec l'extérieur.
       Le torse de la créature était percée d'un trou large comme un bras.
       Un trou fait depuis l'intérieur.

       Ils poursuivirent leur visite en silence, progressant en file indienne dans un boyau rappelant l'intérieur d'un colon, ce qui ne les flattait guère dans leur ego. La pente se fit plus forte, aussi durent-ils escalader un peu, se raccrochant à des villosités gelées, puis arrivèrent dans une pièce encore plus grande que la précédente.
       Circulaire, on l'aurait dite de prime abord basse de plafond, mais c'était une illusion créée par la superficie. On se serait cru à l'intérieur du test d'un oursin aplati, ou dans la peau d'une orange dont on aurait mangé la pulpe avant de l'aplatir. Une dizaine de nervures sombres rayonnaient jusqu'au centre, soutenant le plafond autant qu'elles séparaient le sol en secteurs approximativement égaux. Dans chacun de ces secteurs vaguement triangulaires reposaient des rangées d'orbes brunes et translucides à la surface grumeleuse, chacune affligée à son sommet d'une cicatrice cruciforme. Il y en avait des centaines, des milliers peut-être, et si on avait la mauvaise idée de marcher au milieu, ils vous arrivaient jusqu'au dessus des hanches.
       « Docteur Khunduz, que pensez-vous de ceci ?
       - On dirait des oeufs. Des gros oeufs.
       - Et ?
       - Des gros oeufs s'il vous plait.
       - Mais encore ?
       - Des gros oeufs s'il vous plait, Capitaine.
       - Non mais je voulais savoir s'ils étaient encore vivants.
       - Ah, ça... je ne sais pas. Mais ne comptez pas sur moi pour aller y voir, ça pourrait être dangereux. Eh mais, qu'est-ce qu'il fait cet ahuri ? Bobby, revenez ici bougre d'âne, on ne sait pas ce qu'il y a là dedans !
       - Bah, c'est juste des oeufs, répondit le cosmatelot, qui en avait vu d'autres. Regardez, ils ne bougent pas !
       - Ne touchez à rien, on vient vous chercher...
       - Vous voyez, je donne des coups de pieds dans celui-là... Et là, pareil. C'est juste des gros tas de... jaune d'oeuf avec du blanc autour.
       - Mais pauvre ahuri, tu ne comprends rien...
       - Eh, regardez, on peut mettre le doigt dans cette espèce de trou, là au milieu. Regardez, caché, coucou, caché, coucou, caché, coucAAARGYAYHII !
       - Eh voilà, Ducon, t'as gagné. Il a fallu qu'il aille faire chier les gros crabes à plein de pattes et une queue. Mais cesse de te débattre, imbécile, ta combinaison te protège ! Ah je vous jure, de vrais gamins, un rien les amuse.
       - Je crois que la queue l'étouffe, intervint le capitaine, ce doit être fortement constricteur. Allons le chercher, et ne touchez surtout pas aux autres oeufs ! Ils ont l'air dangereux.
       - C'est un plaisir de servir sous les ordres d'un officier aussi perspicace que vous, capitaine Punch."


    8 ) First contact


       Ils ramenèrent précipitamment Bobby Brief jusqu'à l'extérieur, puis franchirent bien plus vite qu'à l'aller la distance qui les séparait du Disko. Et dès que l'écluse principale fut repressurisée, ils tentèrent de débarrasser leur compagnon de l'encombrante forme de vie extraterrestre qui se maintenait encore solidement à lui, aussi solidement que la moule à son rocher, ce qui inspira au docteur Jdobrynewicz cette saillie restée fameuse et qui devint un des plus beaux joyaux du "Grand Almanach Draconien des Calembours Lourdingues" :
       "Ah, cet alien-ci, on peut dire que l'esprit du byssus l'habite !
       - Vous pourrez faire quelque chose pour lui, docteur ? S'enquit le capitaine.
       - C'est du gâteau ! J'ai vu un cas comme celui-ci à la bataille de Ghurz-Baladar, je l'ai soigné par céphalotomie, ça a très bien marché.
       - Superbe, faites de votre mieux."
       On conduisit le malheureux à l'infirmerie, puis les rescapés de l'expédition regagnèrent leurs postes de travail.
       "Allez, on décolle, on n'a pas que ça à faire. 'toute façon, il est pourri ce satelloche.
       - Ce n'était pas intéressant ?
       - Je doute qu'un parasite affectueux puisse être considéré comme une forme de vie intelligente.
       - Des pertes ?
       - Non, juste deux redshirts.
       - Alors ça va."
       Et le Disko décolla, soulevant inexplicablement un nuage de poussière. D'autres viendraient bientôt explorer le cénotaphe muet, la hache de guerre à la main, mais telle n'était pas la mission du capitaine James T. Punch. Sa mission, telle qu'il la concevait présentement, consistait à bougonner contre cet univers impropice, rempli de vide et de satellites glacés, et parfaitement dépourvu d'extraterrestres lascives. Verrait-il seulement de son vivant le jour où l'homme rencontrerait, au détour des routes de l'espace, une semblable race croisant dans des vaisseaux de lumière ? Tendrait-il un jour la main à un frère en rêverie venu d'un autre monde ? Quand donc, sur l'écran aveugle du congrueur d'approche de Six-cinquante, s'afficherait la trajectoire d'un vaisseau ami issu du fond des étoiles ?
       "Capitaine, j'ai un signal bizarre sur l'écran aveugle du congrueur d'approche ! Signala Six-cinquante.
       - Oh ? Fit le capitaine.
       - ça se rapproche de nous... et ça manoeuvre même pour croiser notre route. C'est un vaisseau, capitaine.
       - Un vaisseau ? De l'astrocorps ?
       - Ce serait étonnant, s'inquiéta Diana, le Famous n'a pas l'autonomie pour faire le voyage, le Miaous et le Courageous font la navette Terre-Nabout pour construire la base Alpha, le Couscous ne doit pas être sorti des chantiers, et l'Audacious est en probablement encore immobilisé à cause du mystérieux sabotage dont il a été victime et qui nous a valu de faire ce voyage à sa place.
       - Ah oui, c'est vrai, approuva-t-il avec un grand sourire. On va en avoir le coeur net. Sur écran, Lipstick.
       L'elfe actionna un curieux et complexe système optique permettant de projeter, sur un plan de pur cristal large d'une bonne brasse, le fruit des observations de la lunette astronomique frontale, par le truchement d'une cliquetante collection de lentilles asphériques, de miroirs paraboloïdes et de prismes biréfringents tel que seuls les elfes du Septentrion savaient en fabriquer, car personne d'autre n'avait la patience de se lancer dans les calculs de focale différentielle.
       Après quelques réglages, l'image se fit nette.
       La nef étrangère, tout de bronze et d'acier, présentait un aspect anguleux, et trapu, et chacun des angles était garni de pointes recourbées. Des jours allongés pratiqués dans la surface métallique permettaient de donner une vague idée des dimensions, assez imposantes, de l'appareil, pour peu que ses occupants fussent de taille humaine et qu'ils pratiquent des étages de hauteur normale.
       "Ce n'est certes pas de l'astrocorps !
       - On dirait...
       - Goodnews, ouvrez une fréquence."
       Bip bip, fit l'appareil. Le Capitaine, superbe, se dressa alors, image vivante de la dignité et de l'autorité.
       "Je suis le Capitaine James T. Punch, de l'USS Disko, vaisseau d'exploration de l'Astrocorps. Nous venons en paix, au nom de notre civilisâtion toute entière, pour vous porter un salut fraternel qui, je n'en doute pas, sera le prélude à une longue et fructueuse amitié dont...
       - Aucun signal retour, capitaine.
       - Hum... Essayez une autre fréquence. Hum hum, Capitaine Punch, USS Disko, vous m'entendez ?"
       Mais le cornet acoustique restait désespérément silencieux. Légèrement agacé, le Capitaine se pencha à l'adresse de Goodnews, pour lui faire la remarque peu amène suivante :
       "Dites-donc, vous êtes sûre que vous savez faire fonctionner ce machoups..."
       C'est qu'il s'était produit un léger problème. En effet, s'appuyant sur le panneau de sa console personnelle, le Capitaine avait involontairement actionné débloqué le loquet des commandes d'urgence qui étaient à sa disposition, entièrement désactivé la commande de compensation et coupé les moteurs. Aussitôt, nos hardis aventuriers s'étaient retrouvés à flotter librement dans la cabine, tandis que, la gravité reprenant ses droits, l'appareil se retrouvait attiré conjointement par Cacmeat et Tétinia. Jeckle le remit rapidement sur les rails, mais il avait fait une embardée subite. Une maladresse dont Punch était coutumier, mais qui eut une heureuse conséquence, car pile à ce moment, un grand éclair aveuglant partit du vaisseau étranger et fouetta l'espace à quelques brasses à peine du Disko, faisant résonner la coque d'un tremblement magnétique.


    9 ) Battle without honor or humanity


       "Regardez, le préempteur de Benogui est cramoisi !
       - Quoi ? Mais mais mais... que se passe-t-on ? Quoi dont est-ce-que ? Où que je ? Ils nous attaquent ??? Ils sont hostiles ? Je n'ose le croire, mais où allons ? C'est incroyable, incalculable, inoxydable, inamovible...
       - Ils nous foncent dessus, ils vont nous éperonner à pleine vitesse...
       - Jeckle, poussez nous hors de leur trajectoire..."
       Le croiseur ennemi, qui était deux fois plus long que le Disko mais un peu moins large, passa à plusieurs centaines de brasses, ce qui vu ses dimensions et sa vitesse équivalait à manquer sa cible de peu. Puis, il entama la manoeuvre de demi-tour pour refaire un passage, laissant au capitaine James T. Punch le temps de se ressaisir.
       "Générateurs en puissance militaire, relevez les boucliers, armez les phasers...
       - Capitaine...
       - Chargez les torpilles à photon...
       - Capitaine, euh... comment dire...
       - Tube lance-torpille un et deux, ouvrez le feu à mon... Oui commandeur ?
       - C'est à dire, si vous vous souvenez, on est un vaisseau d'exploration. On n'est pas...
       - On n'est pas quoi ?
       - Armés. On n'a rien. Rien du tout."
       Le visage du capitaine se décomposa. Il chercha du regard une solution sur la passerelle, puis l'homme d'action reprit le dessus, et il se leva précipitamment.
       " Numéro un, prenez la passerelle. Essayez de leur échapper le plus longtemps possible.
       - Mais... pourquoi moi ?
       - J'ai pleinement confiance en vos capacités à prendre la fuite, Trouille !"
       Et sur cette belle marque d'estime, il fila dans les coursives comme le vent dans les feuilles des cerisiers.
       " Ils arrivent sur nous, madame, vingt-six secondes.
       - Euh... Voyons, correction en roulis 15 degrés, cabrez de -35 degrés, impulsion moteurs vers l'arrière, facteur -6, exécution immédiate.
       - Compris, facteur moins -6 vers l'arrière... on recule droit sur Tétinia, madame, s'alarma Jeckle.
       - Je sais. Borgo, tenez-vous prêt à mettre les moteurs en facteur -4 à mon signal. Jeckle, vecteur de torsion à 90 degrés.
       - Hein ?
       - Et cessez de me contredire. Combien de temps avant collision ?
       - Onze secondes madame, répondit Six-cinquante. Le vaisseau ennemi sera sur nous dans quinze... Oh non, deux petits objets très rapides viennent de sortir du vaisseau inconnu, trajectoire d'interception...
       - Des torpilles. Borgo, maintenant !"
       Les énergies mystiques jaillirent dans les entrailles torturées du Disko avec une force jamais atteinte, poussant les moteurs à leurs limites théoriques. Une longue plainte s'éleva, évoquant celle d'un grand arbre au moment où le vent l'abat. Mais la structure robuste du vaisseau encaissa les efforts titanesques qu'impliquaient cette manoeuvre brutale.
       " Coupez les moteurs, on a redressé... Ouïe..."
       Les deux torpilles à la poursuite du Disko avaient obliqué à sa suite, mais l'une d'elle trop tard, et sa collision avec le satellite avait provoqué une explosion orange très impressionnante, malgré l'éloignement et la vitesse que prenait le vaisseau. Sans doute un nouveau cratère venait-il de se former sur la face vérolée de l'astre gris. Impavide, la deuxième torpille se rapprochait.
       "Demi-tour, Heckle, c'est le moment de nous prouver vos talents de pilote. Passez au ras de la surface, le plus vite que vous pourrez. Quoi qu'il arrive, ne ralentissez pas, et ne volez pas en ligne droite.
       - Pourqu... ? Demanda le pilote avant d'apercevoir un éclair blanc et probablement meurtrier passer à droite de la carlingue.
       - Virez plus sec que ça, on doit semer cette torpille. Oh, regardez, le cañon juste là-bas...
       - Je vois mais...
       - Engagez-vous là-dedans et suivez mes instructions."
       Le manuel de pilotage de la classe NX spécifiait que les manoeuvres devaient se faire selon des procédures précises stipulées dans des annexes longues comme le bras, répertoriées et numérotées, avec des check-lists et des tolérances à ne pas dépasser sous peine de sanctions pouvant aller jusqu'au blâme. Le manuel de pilotage de la classe NX ne spécifiait pas qu'en cas de combat spatial, la procédure la plus appropriée consistait à jeter par-dessus bord le manuel de pilotage de la classe NX. Et pour ce qui était des tolérances d'utilisation, il y avait bien longtemps que l'on avait quitté leurs rivages accueillants, qu'on avait dépassé le pays où les ingénieurs vous confient que "là ça passe mais c'est pas dans le bouquin", qu'on avait laissé derrière les contrées de "en théorie ça devrait fonctionner, mais préviens-moi si tu fais ça que j'ai le temps de me planquer" et que l'on naviguait sur les infinis océans de "mais pourquoi ça n'explose pas ?".
       En toute logique, la décélération brutale du Disko, au sortir du long cañon, aurait dû faire exploser les systèmes de compensation gravimétrique de l'appareil, qui se serait alors étalé en une longue traînée d'échardes de bois, copeaux d'électrargyre et débris organiques. Mais il n'en fut rien, et le vaisseau, après une translation latérale, resta suspendu à l'orée d'un immense cratère empli de nuit. La torpille déboucha à son tour dans l'immensité, flamme d'argent vive comme l'éclair. Elle sembla un instant perdue, cherchant sa proie. Puis, de dépit, explosa dans un éclair qui illumina brièvement le fond de la cavité.
       "Bravo commandeur, superbe manoeuvre !
       - Bravo à vous Jeckle, vous avez magnifiquement piloté.
       - Je n'ai aucun mérite, j'ai un don. Ça m'a rappelé quand j'étais jeune et qu'avec des amis, on roulait en char à pleine vitesse dans une vallée un peu similaire pour s'amuser, près de mon village. Et on arrivait à dégommer un strige à trois cent brasses. Et ils ne faisaient pas deux mètres de large.
       - Commandeur... fit Six-cinquante.
       - Ah bon ? à trois-cent brasses, un strige ?
       - Bon, certains très gros striges faisaient dans les deux mètres... Mais ceux-là, on les laissait tranquilles. C'est que ça peut devenir méchant, le strige géant de mon pays.
       - Commandeur... si ça ne vous dérange pas trop...
       - Oui, quoi encore ?
       - Le vaisseau ennemi est au-dessus de nous, et il vient de lâcher deux torpilles.
       - Ah. Foncez à pleine vitesse vers la falaise, en face, et remontez au dernier moment. Borgo, préparez-vous pour un petit saut à 380% de la puissance d'extinction.
       - Compris."
       Jeckle vira effectivement au dernier moment, et même un peu après le dernier moment, car les boucliers kinétiques inférieurs du Disko heurtèrent assez violemment le bord de la falaise, projetant divers cailloux dont aucun, hélas, ne vint détruire une torpille. Celles-ci, qui semblaient animées d'une vie propre, ne tombèrent point dans le piège de Diana, et continuèrent leur poursuite, se rapprochant inexorablement. Derrière, le fourbe vaisseau ennemi conservait une distance prudente, redoutant peut-être que son adversaire ne dispose d'une arme cachée.
       « Ces torpilles nous coursent comme des chiens poursuivant un sanglier. Selon vous, comment nous repèrent-elles ? Ce n'est certainement pas le flair.
       - C'est sans doute le phlogistique, expliqua Lipstick. J'ai entendu parler d'un sortilège de ce genre, une sorte de spectre assassin que les nécromants invoquent et qui traque sans répit ses pauvres victimes, en se repérant à la chaleur de leur corps.
       - C'est possible en effet, et le Disko émet d'énormes quantités de phlogistique. Tout à l'heure, nous avions presque coupé les moteurs, et la torpille n'a pas pu nous retrouver... mais nous ne pouvons pas nous arrêter pour en avoir le coeur net. Hum... Je vois, virez sec et cap sur Cacmeat, Et faites cracher les moteurs à pleine vitesse, facteur -3 continu ! Prenez une trajectoire d'approche tangente. Combien de temps avant de toucher l'atmosphère ?
       - Quarante secondes madame, mais à cette vitesse...
       - Je sais. Où en sont les torpilles ?
       - Elles manoeuvrent pour retrouver notre trajectoire... elles accélèrent. Elles sont à quarante-cinq mégabrasses derrière nous, distance en diminution. Elles sont plus rapides...
       - Jeckle, à mon top, passez en facteur -9. Borgo, ne compensez pas la surpuissance, laissez-là dans les circuits. Lipstick, ouvrez tous les flux des boucliers avant pour qu'ils absorbent l'excédent."
       L'orbe immense et glacée de l'immense Cacmeat augmentait maintenant de volume à une vitesse alarmante. Tout ce qu'ils avaient reçu comme formation à l'Astrocorps, c'est à dire peu de chose mais tout de même, se révoltait à l'idée d'aborder une planète à de telles vitesses. Mais curieusement, le fait que Trouille soit sûre d'elle rassurait l'équipage.
       "Top !"
       Elle avait fait signe peu avant que l'arc de la planète géante ne devienne une droite parfaitement rectiligne. Quelques secondes plus tard, une puissante incandescence naquit juste devant la verrière de la passerelle, qui devint un embrasement, puis des éclairs jaillirent de l'avant, et bientôt le sillage du Disko, secoué comme un prunier par les perturbations, ne fut plus qu'un long panache de plasma rougeoyant. Et bientôt, les deux torpilles, rendues folles par tant de thermie, explosèrent bien loin du vaisseau.
       - Bouclier à 40%, on ne tiendra pas bien longtemps.
       - Alors, remontez. Des traces de notre poursuivant ?
       - Il est à soixante-dix mégabrasses derrière, et il arrive à pleine vitesse.
       - Il va bien finir par se lasser. Jeckle, facteur -3, manoeuvrez pour mettre le cap sur la Terre."
       Diana s'étonnait elle-même. Quelques minutes plus tôt, elle aurait traité de fou quiconque aurait émis devant elle le fait qu'un vaisseau tel que le Disko puisse atteindre le facteur -3. Maintenant, elle considérait cette allure comme l'hypothèse présentant le moins de risques pour elle et son équipage. De nouveau, la carcasse de bois et d'électrargyre gémit de déplaisir. Une harmonique vibratile déplaisante se faisait jour entre deux des ponts. Toutefois, ils parvinrent à la vitesse dite, engloutissant huit millions de brasses à chaque seconde. Elle avait du mal à concevoir une telle vitesse.
       "Ils continuent à se rapprocher, madame.
       - Passez à -2,6.
       - Compris."
       Un frémissement parcourut la structure du Disko. Le vaisseau faisait toutes sortes de bruit, on s'y faisait à la longue. Mais celui-là était franchement sinistre.
       "Ils poussent, eux aussi, ils essaient de nous suivre. Ils nous rattrapent.
       - Alors -2,3. Exécution."
       Bon dieu, ils ne vont quand même pas nous suivre à seize mégabrasses par secondes. Tout le vaisseau se mit à trembler comme un mixer. Plusieurs bruits très secs se firent entendre, des rivets qui sautaient, quelque part.
       "Ils nous rattrapent madame. Ils sont en facteur -2, un peu plus même. Je capte quatre mobiles rapides en approche... torpilles.
       - Qu'est-ce qu'on fait, chef ?"
       Mais pourquoi la regardaient-ils tous comme si elle avait la solution ?
       "Eh bien, je suppose que si nous étions Japonais, le temps serait venu de vous parler des fleurs de cerisiers et de ces conneries . A moins que quelqu'un n'ai une solution miracle... Ce fut un honneur bref mais réel de vous avoir comme équipage. Six-cinquante, combien avant impact ?
       - Dix-huit secondes.
       - Numéro un ? Numéro un, vous me recevez ?
       - Oui Capitaine, le cornet grésille un peu...
       - Passez en facteur deux, immédiatement.
       - Pardon ? Moins deux vous voulez dire ?
       - Négatif Trouille, facteur deux, exécution !
       - Borgo, facteur plus deux, tout de suite !
       Le Disko parut devenir élastique, un élastique qu'un gamin d'une force prodigieuse tendit en une seconde, puis relâcha dans la tête de quelque dieu courroucé. Il disparut dans un éclair bleuté aveuglant, suscitant, pour autant que la chose était possible, l'étonnement de quatre torpilles.


    10 ) Facteur 2


       De l'intérieur, ce n'était pas plus joli. L'atmosphère de la passerelle était devenue cotonneuse, les contours de chaque objet plus lumineux et flous, leurs dimensions mouvantes, leurs couleurs fantaisistes. Plus un bruit ne parvenait aux oreilles du Commandeur Trouille, et tout semblait se dérouler au ralenti. De pleines giclées d'étoiles dégringolaient de l'avant du vaisseau, comme des gouttes vues de dessous la douche. Quant à ses sensations corporelles, il lui sembla qu'elle avait échangé sa familière défroque de grand primate bipède contre celle d'un décapode céphalogastre à coquille molle habitant les grands fonds marmoréens d'un océan de méthane liquide et ayant abusé de jus de Y-hsplkx frelaté. Ce n'était pas franchement douloureux.
       Elle aurait donné cher pour que ce soit aussi simple qu'une franche douleur.
       Puis, au bout d'un temps difficile à définir (car la sensation du temps était elle aussi détraquée), tout rentra dans l'ordre.
       Et notre équipage de passerelle put reprendre ses habitudes, notamment celle de respirer.
       "Notre vitesse...
       - Un point un neuf sept gigabrasses par seconde, stabilisée...
       - Cap sur la Terre, dans combien de temps Heckle ?
       - Vingt-deux minutes madame.
       - Six-cinquante, des traces de nos poursuivants ?
       - Aucune madame, ils sont restés à proxité de Cacmeat jusqu'à ce qu'on perde le contact.
       - Capitaine, j'aimerai assez des explications.
       - Rejoignez-moi à la cafet', on va fêter ça. Tétinou !

       Le Capitaine fêtait effectivement ça, en compagnie d'une énorme jarre d'eau-de-vie que son degré alcoolique rendait illégale dans nombre de contrées (y compris la Draconie), et accessoirement, en compagnie de Pleinechope Troisbras (qui était un peu gêné, car il faisait partie des rares nains non-buveurs), Al Ahdibal le cosmographe, qui ne buvait pas pour des raisons religieuses, et Lizzie Lightningstorm, officiellement technicienne du noyau réactif, qui normalement aurait dû être à son poste mais ne résistait pas à l'appel d'une bonne bouteille.
       "Alors Trouille, on s'est bien marrés hein ?
       - Grmlb.
       - Ne faites pas cette tête et prenez donc un verre pour vous détendre. Vous manoeuvrâtes comme un chef, savez-vous ?
       - Merci. Expliquez moi pourquoi nous sommes encore vivants malgré la vitesse déraisonnable qui est la notre.
       - A cause du fait que les étoiles sont bien loin.
       - Tant qu'elles y restent, je les y autorise, mais je ne vois pas le rapport.
       - Il se trouve que comme vous le savez, je souhaite atteindre les étoiles.
       - Etrange ambition, mais poursuivez.
       - Or, les capacités du Disko étaient telles que la chose paraissait impossible. A pleine vitesse, il nous aurait fallu des siècles de voyage ! Voici pourquoi, ces dernières semaines, avec quelques officiers connaissant bien les systèmes, nous avons... euh... fait quelques... aménagements... aux moteurs et au... noyau... Ne me regardez pas comme ça, vous me rappelez ma mère.
       - La vie de cette pauvre femme n'a pas dû être facile tous les jours.
       - Je savais que ça vous plairait moyennement. Allons, tout se termine pour le mieux ! Regardez, nous avons terminé nos aménagement à toute vitesse, et grâce à ça le vaisseau est entier, et on sera chez nous dans dix minutes... On a même récupéré Bobby Brief ! Hein Bobby, content d'être débarrassé de votre parasite ?
       - Ah vous pouvez le dire capitaine. Mais j'ai une faim de loup ! Eh, Clibanios, encore de l'aligot ! Glurck...
       - C'est malin, je vous avais dit de ne pas tant vous empiffrer. Eh voilà, il se roule par terre. Vous autres, aidez-le donc, vous voyez bien qu'il va s'étouffer. Mettez-le sur la table, comme ça. Eh bien, Bobby, vous êtes tout pâle.
       - Tout va bien Capitaine, je me sens super UUURGLCKX."
       A ce moment, une sorte de hernie répugnante se mit à poindre sous la chemise rouge du cosmatelot, qui se teinta bientôt en rouge plus sombre, puis il apparut clairement que quelque chose sortait de son abdomen, une chose qui se tortillait, tandis que Bobby Brief faisait de même. Puis la chose immonde perça la chemise. C'était une sorte de ver, un asticot noir et aveugle, un cylindre de haine à la bouche garnie de dents aiguës capables, sans doute, d'emporter la main d'un imprudent. Surprise et révulsée, Diana poussa un hurlement abominable sans avoir la force pour autant de fuir. Le parasite, vif comme l'éclair, profita de l'horreur paralysante qu'il suscitait pour sauter de la table et pour filer en direction des cuisines, de table en chaise, utilisant avec opportunité tous les supports à sa disposition.
       A ce moment, Clibanios arriva, porteur de son tablier rose et bleu "supercook" et d'un chaudron d'aligot large comme l'avant-bras. L'animalcule tomba dedans. Et y resta, collé cette matière visqueuse et épaisse. Et plus il se débattait, sa longue queue pointue battant l'air, et plus il s'enfonçait. Au bout de quelques secondes, il y mourut, englué dans l'épais fromage des montagnes du Portolan à l'odeur si caractéristique. Le chef empoigna alors l'objet du délit, inanimé, et le considéra avec perplexité.
       "Voilà un drôle d'animalcule
       A disséquer pour nos magos.
       Quelle destinée ridicule
       Noyé dans un bol d'aligot.
       
    - Bol d'aligot ! S'exclama le Capitaine.
       - Bol d'aligot ! Reprit joyeusement l'équipage.

       Bonne nouvelle : il y a de la vie dans l'univers.
       Mauvaise nouvelle : elle est hostile.
       Mais d'où venait donc ce vaisseau meurtrier autant que mystérieux ? C'est pas gagné d'avance que vous ayez la réponse dans le prochain épisode des Cretinous Star Sauvageons !