Qu'est
ce que le suprématisme?
Maniant des formes simples à caractère
géométrique et unicolores disposées sur
la toile ou érigées dans le réel (architectones),
le suprématisme montre le caractère infini de l'espace,
et la relation d'attraction et de rejet des formes.
Rompant avec la loi des complémentaires du cercle des
couleurs de Goethe, le suprématisme réconcilie
l'art avec la physique de la lumière (Newton, Fraunhoffer)
et adopte une classification des couleurs sous forme de gamme
spectrale présentant des discontinuités.
En accord avec la relativité et le nouveau point de
vue de l'homme sur l'univers, le suprématisme prétend
à un nouveau classicisme qui prendrait le relais d'une
conception perspectiviste restant étroitement liée
à l'horizon terrestre.
Pour Malévitch, l'art est un processus amenant la sensation,
c'est à dire le rapport de l'artiste au monde, à
se concrétiser en oeuvre grâce à un module
formateur, l'élément additionnel, qui structure
la masse picturale ou les matériaux.
Dans la théorie suprématiste, la représentation
n'est pas caractéristique de l'art, mais inhérente
à l'homme en général et ne représente
qu'un des modes d'approche du monde, privilégiant la seule
conscience, au risque de l'hallucination. Le rapport non-objectif
au monde préconisé par le suprématisme,
suppose un réel plus vaste que le réel représentable
et accorde une dimension inconsciente à l'homme allant,
dans son rapport à lui-même et au monde, au-delà
de la représentation, vers la sensation.
Suivant son appellation, le suprématisme se pose comme
modèle supérieur de la finalité artistique
d'art pur, dominant et formant dans son sillage l'art appliqué.
Triple portrait. 1933
Ce tableau, un des derniers de Malévitch, synthétise
la pensée de l'artiste en figurant l'artiste au premier
plan parmi les deux autres acteurs de la vie culturelle: l'église,
à gauche, l'art, au centre, et la "fabrique",
à droite. (les motifs de fond montrent, de gauche à
droite: une sorte de clocher, le plan suprématiste sans
représentation, et une sorte de paysage d'usine).
Malévitch considérait ces trois secteurs
culturels, l'art, la religion et le matérialisme (science,
technologie) comme fondateurs de la vie humaine. Il a développé
ce thème dans plusieurs textes de 1922 (Dieu n'est pas
détrôné), à 1927 (La philosophie du
kaléidoscope).
Par sa facture, ses couleurs, et en regard à
son titre, ce tableau est peut-être aussi une parodie d'une
peinture réaliste-socialiste de l'époque: "La
faculté ouvrière en marche", Ionganson, 1928,
où l'on voit trois jeunes gens, deux garçons et
une fille, se promèner studieusement des livres à
la main, dans un décor urbain. L'usine au fond et le traitement
pictural par larges touches présentent une similitude
notoire avec le tableau de Malévitch.
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