Les Vies de Dora Maar. Bataille, Picasso et les surréalistes

Mary Ann Caws
Editions Thames & Hudson

Jaquette :

Plantant un couteau entre les doigts de sa main gantée, assise seule à une table des Deux Magots : c'est ainsi que Picasso vit Dora Maar pour la première fois. Altière, sensuelle, défiant toutes les conventions, Dora avait été la maîtresse de Georges Bataille avant d'imaginer d'angoissantes photographies surréalistes et de produire de magnifiques portraits, des reportages ou des images de mode.

Elle fut l'amante et la muse de Picasso pendant sept ans, et finit par devenir l'une des figures les plus complexes de son panthéon personnel. Tenant la chronique de leur liaison, Dora Maar photographiait Picasso au quotidien - que ce soit celui de son œuvre ou de leur intimité -, en compagnie de Breton, d'Eluard, de Man Ray ou de Jacqueline Lamba. On lui doit ainsi un témoignage unique sur la genèse de Guernica, cri d'indignation et manifeste politique de Picasso contre les atrocités de la guerre d'Espagne. Elle y apparaît d'ailleurs dans le personnage de la femme à la torche, avant de devenir la " Femme qui pleure ", image exemplaire pour Picasso de sa passion comme des angoisses et des doutes qui l'assaillent.

De ruptures en réconciliations, leur relation connut des moments difficiles pour se terminer de façon déchirante en 1943. Frôlant parfois la folie, Dora parvint à surmonter l'épreuve grâce à son ami Jacques Lacan. Et elle devait survivre à Picasso près d'un quart de siècle.

Vivant en recluse, et versée en religion, Dora choisit de disparaître de la scène publique, et se mit à peindre et à composer des poèmes - Dieu seul pouvait succéder à Picasso, disait-elle. Elle en acquit un statut mythique, devenant à jamais la muse tragique de Picasso, une femme écrasée par l'amour et le génie cruel du peintre. C'est à résoudre l'énigme de cet étrange destin que s'est employée Mary Ann Caws, en rassemblant pour la première fois les éléments du puzzle, et en restituant le fil d'une existence qui s'étendit sur quatre-vingt-dix années. Derrière le mythe, se dessine alors le trajet d'une femme fascinante, et le parcours d'une artiste singulière, aux talents multiples, dont on pourra enfin mesurer l'importance.

Mary Ann Caws, qui enseigne à l'université de New York, est une spécialiste reconnue du surréalisme. On lui doit de nombreux ouvrages sur l'art, la poésie et la littérature.


LES DIABLES DE MAAR
Tout, et même plus, sur la photographe hors norme qui fut l'égérie de Picasso, la patiente de Lacan et qui finit confite en bondieuserie.

Amante de Bataille et de Picasso, camarade de jeux des surréalistes, patiente de Lacan: tout concourt à faire de Dora Maar (1907-1997) une héroïne idéalement romanesque. Jusqu'à son visage numismatique figé par Rogi André en 1941 et aujourd'hui en couverture d'une monographie, la première, à même de rendre justice à celle qui fut aussi une photographe douée de mystère. D'ailleurs, l'auteur des Vies de Dora Maar, Mary Ann Caws, une Américaine installée en France, ne cache pas son attirance pour cette femme à chapeaux au destin extravagant, au point parfois de noyer son sujet dans des détails nunuches.

Née Henriette Théodora Markovitch, d'un père architecte croate et d'une mère tourangelle catholique, élevée un temps à Buenos Aires, Dora Maar revient à Paris, en 1926, pour ses 19 ans. Ce Paris-là, où domine le noir Chanel et les bordels flamboyants, comment ne pas en rêver? Elle, elle rêve d'être peintre, puis photographe. Ouvre un studio-photo, de 1931 à 1934, avec un certain Pierre Kéfer. Rencontre Emmanuel Sougez, l'éminence grise de la Nouvelle Photographie, qui l'encourage à poursuivre dans cette voie. Et certains figurants du Paris artistique de l'entre-deux-guerres, Paul et Nusch Eluard, André Breton et sa muse Jacqueline Lamba, Man Ray, bien sûr, Brassaï, évidemment. Ses photographies ne ressemblent à rien de déjà-vu, dès ses débuts, elle mélange tout: genres et effets, portraits classiques et nus cubiques, naturel et surnaturel. Sans hésiter à trancher dans le réel avec un enthousiasme de petite fille perverse. Ainsi Jeux interdits, photomontage olé olé de 1935, où un gamin réfugié sous une table observe un couple à califourchon (lui en pantalon, elle dépoitraillée).

Un an plus tard, Maar réalise deux merveilles horribles, deux icônes pour collectionneurs non conformistes. La première 29, rue d'Astorg ­son adresse à Paris­ révèle son goût pour une autre dimension tant l'échelle de la statuette au premier plan fausse la représentation et dérape vers un inconnu inquiétant. De la deuxième, Portrait d'Ubu, on fait même des cartes postales car le monstre en gros plan, bébête molle de la famille Painlevé, a su séduire malgré sa hideur (Dora Maar n'a jamais voulu avouer que c'était un fœtus de tatou, mais était-ce bien cela?).

Ambiance Front popu et coup de foudre au café des Deux Magots, entre Dora et Picasso (déjà en ménage, ah les hommes!), vite renforcé par le soleil du Midi où les tourtereaux se retrouvent entourés de leurs amis connus, Eluard & Cie. De ces étés 36 et 37 datent les photos-souvenirs de plage avec le lévrier Kazbek hyperphotogénique, les ombres portées sur les visages, cette atmosphère sous canisses et Pastis qui fait plaisir à voir, même maintenant. Comme il l'a déjà fait avec Brassaï, Picasso convainc sa belle d'abandonner la photographie et de reprendre la peinture. Obéissante, elle se jette dans les natures mortes. Mais quand il peindra comme un fou Guernica dans son atelier des Grands-Augustins, elle seule sera autorisée à l'immortaliser (et les images sont d'une douceur terrible). Echange de bons procédés, elle posera pour lui, célèbre Femme qui pleure. Qui se vendra 37 millions de francs, en automne 98, lors de la vente Dora Maar.

Picasso s'éprend de Françoise Gilot, séparation. Dépression nerveuse, électrochocs, cure psy avec Lacan dans le rôle principal. Après quelques étourderies mondaines, Maar trouve sa voie dans une solitude forcenée, se réfugie près de Dieu. Et garde jusqu'à sa mort les bouts de trucs et de machins-choses que son amant bricoleur avait fabriqués. De lui, elle dira un jour: «Je n'ai pas été la maîtresse de Picasso, il était seulement mon maître.» BRIGITTE OLLIER, Libération, 14/12/2000


Une biographie très fouillée de celle qui fut la muse de Picasso de 1936 à 1943. Une histoire qui commence à la terrasse des Deux Magots, où Dora s'amuse à planter un couteau entre ses doigts. Le peintre sera subjugué. La suite se révèlera plus triste car, une fois séparée, l'amante éconduite mènera une vie de recluse conservant le moindre souvenir du grand artiste. Mais Dora ne fut pas qu'une conquête. Elle fut aussi une grande photographe du mouvement surréaliste (qui attend toujours une grande exposition rétrospective dans un musée) dont elle portraitura les plus célèbres représentants et pour lequel elle livra des photomontages et des images empreintes de mystère et d'une "inquiétante étrangeté" comme par exemple celle intitulée "Ubu roi" qui représente un tatou vu de dessous et en gros plan. ERIC DE THEVENARD

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