Jean Samuel, le Pikolo, et Primo Levi
Jean Samuel au lycée Edgar Quinet, Jeudi 11 octobre 2001
Un élève du lycée Léonard de Vinci, et une élève du lycée Edgar Quinet lisent l'un en italien, l'autre en français, le poème prologue au livre
Si c'est un homme.
Vous qui vivez en sûreté
Dans vos maisons douillettes,
Vous qui trouvez en rentrant le soir,
Le repas chaud et des visages amis :
Voyez si c'est un homme
Celui qui travaille dans la boue
Qui ne connait pas la paix
Qui lutte pour un morceau de pain
Qui meurt pour un oui ou pour un non.
Voyez si elle, c'est une femme,
Sans cheveux et sans nom,
Sans plus de force pour se souvenir
Les yeux vides et le sein froid
Comme une grenouille en hiver.
Pensez que cela a existé :
Je vous commande ces paroles.
Gravez les dans votre coeur
Quand vous êtes à la maison,
Quand vous partez au loin,
Quand vous vous couchez,
Quand vous vous levez,
Répétez le à vos enfants.
Ou alors que votre maison s'effondre,
Que la maladie vous abatte,
Que ceux que vous avez enfantés
Détournent le regard de vous.
Primo Levi, 1947
Jean Samuel raconte son parcours, puis sa rencontre avec Primo Levi .
compte rendu du témoignage de Jean Samuel
Jean Samuel a l'habitude de parler en Alsace devant les élèves,
il l'a fait dans une quinzaine d'établissements.
Primo Levi lui écrivait en mars 1946: " Que nous le voulions ou
non, nous sommes des témoins et nous en portons le poids".
Lui, il lui a fallu 35 ans pour pouvoir en parler.
Je pense à mes camarades, juifs, tsiganes, résistants, religieux,
homosexuels et à ceux de ma famille, mon père, mon jeune
frère, 17 ans, mes trois oncles. Ma mère et ma cousine sont
rentrés.
De Drancy, mars 1942-juillet 1945, 76000 juifs sont déportés.
En 1945, 2251 sont rentrés.
Ceux qui sont rentrés ne le doivent pas à leur mérite,
ni à l'intelligence, ni à la force, il fallait la chance. On
ne peut se sentir coupable. Ce n'est pas à la place d'un autre que
je suis là, c'est parce que j'ai eu plus de chance.
Et tant que je pourrai, j'essaierai de transmettre le message.
D'un côté l'horreur, et de l'autre côté des amitiés comme il n'en existe pas dans la vie normale. La vie trop dure, la faim, la soif. Il est arrété par la Gestapo d' Agen en mars 1944. A Toulouse, il a fait des études de pharmacie et a préparé une licence des sciences, a fait de la botanique et a fait un certificat de mathématiques générales et de chimie générale.
Il est parti pour Drancy. Il y a passé dix jours. Convoi n°70,
27 mars 1944. Il a été mis dans un wagon, 60 personnes, 8 chevaux.
3 jours et 3 nuits, du 27 mars au 30 mars. Personne ne savait où nous
allions, vers l'Est. Personne ne savait ce qui s'y passait.
Auschwitz. Haute Silésie. Accueilli très violemment. Ils ont
laissé les bagages à l'intérieur. Ce n'est pas comme
Primo. Ils ont sauté sur le ballast.
La voie de chemin de fer qui entre dans le camp a été
créée deux mois après. Il faisait froid, neigeux. Ils
avaient quitté le sud de la France, les arbres en fleurs et là
c'était l'hiver.
Il y avait là le docteur Mengele. Il doit avoir sur la conscience
500 personnes de son convoi gazés immédiatement. Soit à
droite, soit à gauche.A droite les bébés, les enfants
en bas âge, les malades, les personnes âgées, et à
gauche, les hommes, les femmes dans la force de l'age, 15-60 ans.
La chance.
Sa mère, 47 ans, petite, maladive, s'était mise du côté
de ceux qui devaient être gazés, et les camions. Lui était
de l'autre. Mengele l'a prise par la peau du cou par deux fois pour la mettre
dans la colonne de gauche en lui disant qu'elle pouvait encore travailler.
Sa mère a survécu au travail très difficile, a construit
des routes, elle s'est retrouvée à Ravensbrück. Puis elle
a été libérée par les Russes. Elle a eu beaucoup
de chance et la volonté de survivre.
Lui, il s'est retrouvé au Kommando 98, celui de chimie.
..
Jean Samuel raconte sa rencontre avec Primo Levi.
Primo Levi, docteur en chimie, a passé comme lui l'examen de chimie.
Pikolo*, le plus petit, le plus jeune. Jean Samuel a été
nommé Pikolo par Alex, un Kapo horrible, mais il lui doit la vie.
Un jour le Kapo demande si quelqu'un lavait et repassait. Il avait l'avantage
de parler allemand, ce qui évitait de prendre des coups. Primo a
donné 4 jours de pain à un jeune pour qu'il lui donne des cours
d'allemand. C'était un investissement rentable dans le camp.
Jean Samuel a levé la main à la question du Kapo. Il a refait
10 à 15 fois le pli du pantalon. Il y avait un double risque à
être Pikolo. Le Kapo allemand, criminel, dont la peine de mort avait
été commuée en peine de privation de liberté,
pouvait l'envoyer à la mort. Et la vie sexuelle était inexistante
dans le camp pour les déportés, mais les kapos avaient des
petits amis. Il est resté Pikolo très peu de temps. Il avait
des avantages : soupe, chaussures, et il tenait la comptabilité du
Kapo.
Puis il est arrivé un nouveau Kapo, violoncelliste hollandais, qui
ne l'a pas gardé.
Le Pikolo allait chercher la soupe dans des récipients de 50 litres
avec deux bâtons. Au retour il fallait trouver un camarade qui fasse
un kilomètre pour aller chercher la soupe et la ramener sur les
épaules. Jean Samuel a demandé à Primo de l'accompagner
et de lui donner une leçon d'italien.
Il s'est passé avec le chant d'Ulysse de La Divine Comédie
de Dante, un moment extraordinaire avec Primo Levi. "J'y suis, attention
Pikolo, ouvre grand tes oreilles et ton esprit"...Primo Levi faisait des
efforts pour se souvenir du texte.
"Considérez quelle est votre
origine :
Vous n'avez pas été
faits pour vivre comme des brutes,
Mais pour ensuivre et science et
vertu."
Ils s'étaient rencontré lors d'une alerte aérienne,
au printemps, les Allemands sont descendus dans les Bunkers et ils se sont
retrouvés dans une baraque, Primo et lui. Un moment extraordinaire,
ni Kapo, ni Vorarbeiter, ni SS. Ils ont parlé des familles, des
goûts, des lectures, ce qui arrivait rarement au camp car il fallait
des jours et des jours pour récupérer la douleur de la vie
qu'ils avaient quittée. Il n'y a que Primo qui a reçu cet
incroyable pouvoir de rentrer intimement dans la vie des gens. Voir Le
système périodique. Il avait le don d'appeler les gens
à se confier à lui. A la Libération, fin janvier, il
a restitué 50 noms avec prénoms, dates de naissance, métiers.
Il a fait ce listing, à Auschwitz.
C'était une journée extraordinaire.
Ils ont été séparés en janvier 1945. Jean Samuel a fait la marche de la mort, Monowitz, Gleiwitz, Buchenwald. Primo Levi , malade, est resté au camp. Libéré par les Russes, il n'est rentré que le 27 octobre 1945. (Voir La Trêve). Il avait promis à son camarade français de le retrouver. Grâce à Charles l'instituteur, en mars 1946, Jean Samuel a envoyé une lettre pour lui raconter ce qui lui était arrivé avec la marche de la mort, envoyé sur les routes, par moins 25°. Primo a répondu une lettre de 6 pages.
Jean Samuel dit qu'il a eu de la chance de l'avoir pour ami.
Primo Levi a gardé et les lettres qu'il lui a écrites, et celles
de Jean Samuel, c'est bon pour sa mémoire.
Puis ils se sont donnés rendez-vous en juillet- août 1947, où
il a vu la mer pour la première fois. Ils se sont retrouvés
entre les deux postes frontières Vintimille- Menton. Ils ont passé
2 à 3 heures, face à face, avec des cheveux, un visage
reconstitué. C'était très différent de l'image
de forçat qu'ils avaient à Auschwitz. Il avait dû
remettre son passeport au douanier. Puis en 1950, il est passé à
Turin, voir Primo, mais il était dans les Alpes dans les Dolomites.
Ils se sont vus plusieurs fois.
La dernière fois, en 1985, il l'a vu découragé par Faurisson, Nolte, des gens qui mettaient en doute la Shoah, le fait qu'il y ait des révisionnistes.(= négationnistes)
Le suicide ?
Tout le monde pense qu'il s'est suicidé. Il a eu une lettre d'un
professeur d'Oxford, qui est allé voir sur place. Au 3 étage,
la rampe est très basse. Il était sous traitement
d'antidépresseurs. A t-il eu un moment de perte de connaissance et
-il tombé dans la cage d'escalier alors qu'il attendait sa
femme ?
Il a une copie d'une lettre d'une journaliste de la BBC avec laquelle il
avait rendez-vous. Il avait posté une lettre à Ferdinando Camon,
sans allusion à un projet de suicide.
Pour la police, c'était commode de dire qu'il s'était
suicidé. Accident ou suicide ?
C'était un 11 avril 1987, 42 ans après la libération
de Jean Samuel, le11 avril 1945 à Buchenwald, par les Américains,
comme Jorge Semprun, et le 2 mai il était chez lui.
Il ne veut pas croire au suicide de Primo Levi.
Jean Samuel lit un extrait d' une lettre de Primo Levi.
"Mon cher Jean, ....l'amitié qui nous lie est quelque chose de bien
étonnant et d'unique. Nous nous sommes connus dans des conditions
particulières... Sauvés par le hasard, nous nous sommes
retrouvés au-delà de tout espoir. ..Je t'envoie trois poésies
et l' un des contes que j'ai écrit" ... C'est le chant d'Ulysse "Je
l'ai écrit quand j'étais loin de soupçonner que tu
étais encore en vie.
Je voulais témoigner pour lui, dit Jean Samuel. Quand il est rentré chez lui, il a fallu reconstruire une vie, puis il s'est marié. Il ne voulait pas imposer ses histoires aux gens qui l'entourent. En revenant, c'était les résistants à l'honneur. Eux, on les appelait les "déportés raciaux". Le déclic est venu en 1980, à l'occasion d'un film de la télévision allemande sur les procès de Nüremberg, contre les industriels allemands et il y avait Primo Levi qui lui avait demandé de venir à Turin. Pour la première fois il devait parler et parler en allemand et il était nerveux car il ne parlait plus l'allemand. Primo depuis 1945 a parlé, toujours. Donc il lui était difficile de s'exprimer, mais à partir de là, il a commencé à parler. Il a rencontré un cercle de plus en plus large d'amis de Primo Levi. Aujourd'hui, il essaie de témoigner autant qu'il le pourra.
*Pikolo : C'est un jeune détenu qui obtient cette fonction. Primo Levi écrit : "On lui avait assigné le poste de Pikolo, c'est à dire de livreur- commis aux écritures, préposé à l'entretien de la baraque, à la distribution des outils, au lavage des gamelles, et à la comptabilité des heures de travail du Kommando".
impressions d' une élève de terminale
bibliographie et liens internet
texte et mise en ligne NM, février 2002
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