la page de jean pierre ceton

 Le petit roman de juillet (roman)
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(chapitres 1 et ...)
 

-1-

Elle était installée en compagnie d’un homme que j’apercevais de dos.  En fait, c’est seulement vers la fin du repas que je l’avais remarquée, sans doute qu’une table entre nous s’était libérée à un moment.
Il est vrai que j’étais venu dans ce restaurant pour dîner tranquille avec mon fils, que je n’avais pas vu depuis les dernières petites vacances, et pas pour m’intéresser aux jolies filles qui pouvaient s’y trouver.
J’étais en effet si heureux de passer du temps avec lui tellement il semblait joyeux de me raconter ses histoires, sans me parler de sa mère,  je le notais une fois de plus...

Soudain, avec cette brune aux yeux verts, on avait échangé des regards en rafale, au point que c’était vite devenu des regards de compétition. Comme si très vite on avait craint l’influence de l’autre sur soi. Chacun son tour paraissant décidé à ne pas faiblir, mais chacun son tour faiblissant sous le coup d’un regard plus vif qui rendait le suivant encore plus difficile à intercepter de façon neutre ou indifférente.
Un détail, comme toujours il y en a, un petit truc bizarre de hasard était intervenu. Alors que cette jolie brune venait de régler l’addition, le serveur s’était au passage arrêté pour desservir notre table, me laissant involontairement découvrir l’intitulé du chèque.
Ma mémoire dans ces cas-là, rares il faut le dire, ne me lâchait jamais.

Le lendemain, fin d’après-midi, je l’appelais par téléphone, presque naturellement. Gonflé ! qu’elle avait dit après un léger temps de surprise.
Mais sympa, elle avait ajouté, généralement les gens ne donnent pas suite... Oubliant ainsi qu’on n’avait pas vraiment procédé à un échange conventionnel de nos coordonnées.
Tout de suite j’avais senti que mon audace la séduisait, et même que mon appel lui faisait plaisir, comme si elle l’avait effectivement attendu. Du coup je ne m’étais pas étonné qu’elle m’ait reconnu aussitôt.
J’avais repéré ta voix, elle me dira plus tard. Sans expliquer comment elle avait pu y être sensible dans ce restaurant plutôt bruyant.

C’est que je n’avais pas dû être discret dans la manœuvre, parce que mon fils m’en avait un jour reparlé.  Ah! tu te souviens d’elle ?
Je lui avais volontiers raconté que j’étais parvenu à la joindre, grâce à l’annuaire électronique, puisque j’avais mémorisé son nom et son adresse.
Oui évidemment, il n’avait pas besoin que je lui fasse un dessin, juste envie de savoir si je l’avais revue...

Nida aussi bien que moi avions eu du mal à décider de l’heure et de l’endroit d’une rencontre, tant nous étions peu sûrs de retrouver instantanément le coup de sang qu’on s’était fabriqué au restaurant.
Peut-être même qu’elle craignait plus que moi de s’embarquer dans une histoire qu’on devait pressentir pas forcément légère. Du genre à laisser penser que si on y allait, ça risquait d’être pour un bon bout de temps.
Alors, préférant ne pas faire de plans, on avait seulement convenu que je passerais la chercher un soir en bas de chez elle, qu’ensuite on improviserait.

A peine elle s’était installée dans la voiture, que je m’étais mis à rouler sans lui demander où elle voulait aller. D’ailleurs elle ne s’en était pas inquiétée. J’avais juste eu cette politesse un peu exagérée de lui proposer de conduire, si elle le souhaitait.
Puis, on s’était lancés dans une grande balade à travers la ville sur le mode du jeu.
La façon dont on s’était rencontrés qui avait dû nous stimuler, comme si le hasard nous avait choisis l’un pour l’autre, au point de nous propulser dans une conversation particulièrement enjouée. Où tout y passait, la couleur qu’on préférait, la musique qu’on écoutait, les auteurs qu’on aimait etc. Jusqu'à la vie qu’on menait, et bien plus encore celle qu’on aurait voulu vivre.
Dans la liberté rapide de tout se dire, puisque’on avait aucun compte à se rendre, du moins pas encore.

Nida était brune aux cheveux très longs. Sa silhouette qui paraissait équilibrée et légère, était en même temps plutôt dense, ce qui lui donnait une présence au-delà de toute expression... Surtout, elle avait quelque chose de directement sensuel, par exemple dans sa façon un peu naïve de me toucher le bras ou la main au cours de la discussion. Et aussi de fortement séducteur, oui j’avais remarqué tout de suite cette manière équivoque qu’elle avait d’aguicher, soit en laissant découvrir la montée de ses cuisses ou bien le modelé de son épaule, soit en négligeant de ramener le tissu défaillant ou ne le faisant qu’à demi.
Plus simplement, Nida pouvait déclencher un sourire qui prenait le temps de s’épanouir avant de vous quitter.

Elle avait vingt-sept ans, elle venait de me le dire, et n’était partie de chez ses parents que depuis peu. Parce que ses études avaient été longues, et parce que ses parents avaient toujours habité un grand appartement. En réalité parce qu’elle avait vécu une enfance heureuse et libre dont elle n’avait pas vraiment eu le désir de sortir. Ni ses parents de l’en lâcher.
Mais au fait, où est-ce qu’on va ? Dans un semblant de panique, elle s’était arrêtée de parler, comme si elle avait pris subitement conscience qu’elle n’aurait pas dû faire ce qu’elle faisait. Ni être là où elle se trouvait. En ma compagnie justement.
J’avais balancé la seule idée qui m’était venue : Parc  de Saint-Cloud, tu connais ?

Je n’y étais pas retourné depuis l’été d’avant, durant lequel, avec différents amis, on était allés dépenser nos soirées jusqu'à saturation.
Le parc était beau le soir. On pouvait le traverser en voiture, selon des tas de circuits possibles, et s’enivrer du défilement d’ombres et de lumières sur les arbres, tout en écoutant à plein volume de la musique, symphonique de préférence. Et puis il y avait un grand choix de restaurants, sauf qu’ils étaient presque toujours envahis de monde, au risque d’attendre des heures avant de manger quoi que ce soit.

Plus tard, alors qu’à force de tourner et de revenir, donc de s’éloigner du centre sans le quitter tout à fait, on avait dû parcourir une dizaine de kilomètres en près d’une heure, je lui demande enfin si ça va, ce qu’elle voudrait faire, si elle avait faim ?
Non, pas faim, de plus en plus soif...
Là que je lui ai proposé de boire du vin de Champagne, elle ne voulait pas me croire, pourtant c’était vrai que j’en avais une bouteille à l’arrière de la voiture. Même que précisément je l’avais achetée fraîche au cas où elle m’aurait invité à monter quelques instants chez elle avant que nous sortions.

En la raccompagnant vers minuit passé, tandis qu’elle semblait rigoler de m’avoir laissé lui prendre la main, et surtout de m’avoir accordé de la garder, elle m’a déclaré que de toute façon elle ne faisait pas l’amour. Elle préférait me le dire parce qu’elle voulait être honnête avec moi. Comme ça j’étais libre de ne pas la rappeler ni de chercher jamais à la revoir.

L’idée des biscuits vitaminés, arôme cassis, pour accompagner le champagne, ça l’avait beaucoup fait rire. Elle avait aussi paru amusée de ne finalement pas aller s’entasser dans un de ces restaurants du Parc. Surtout de ne pas y être allé du tout au Parc de Saint-Cloud, alors qu’elle croyait toujours qu’on était sur le point d’y arriver.
En réalité, j’avais changé mille fois de direction, d’abord on s’était dirigés vers l’ouest, puis vers le nord, on avait ensuite pris et repris les boulevards extérieurs, et puis roulé un bon bout de temps vers République et Bastille afin de rejoindre le canal Saint-Martin, pour ensuite le longer en passant par Stalingrad, avant de remonter la rue de Crimée, contourner les Buttes Chaumont, descendre Belleville etc.

Nida avait des cheveux bruns vraiment très foncés, tellement noirs qu’ils en avaient des reflets bleus, je lui avais dit en la quittant. Et de grands yeux verts présents dans le visage.
Dans ma légère ivresse, je comprenais qu’elle devait se rendre au travail assez tôt le lendemain, donc qu’elle ne voulait pas faire l’amour ce soir-là, ce qui nous aurait inévitablement entraînés tard dans la nuit. J’admettais en plus qu’elle pouvait se méfier de moi, sans doute ne pas trop saisir qui j’étais. Est-ce que je savais moi qui elle était ?
En fin de compte j’acceptais qu’elle n’avait pas voulu m’accueillir dans son lit cette première fois, tout simplement parce que cela lui aurait paru trop banal.

Pourtant, ç’aurait pu être formidablement jouissif de dépasser un reste de défendu, d’aller à cette folie de se donner à quelqu’un de relativement étranger, avec les gestes libres de ces situations-là. De dévoiler sa personnalité des sens dans les gestes de son corps bouillant, sans pensée d’aucun lendemain ni de surlendemain…
Je devais me dire des choses de ce style tandis que je rentrais seul, lassé de conduire cette voiture dont le moteur bruissait exagérément à force d’avoir tant tourné dans la ville.

Le deuxième soir, puis les suivants, j’avais choisi le silence sur cette question de l’amour, comme si elle ne m’en avait jamais parlé. A se demander si son refus ne m’amusait pas, au fond pouvait opérer à la manière d’un challenge, par conséquent constituer un objectif de conquête.
Dès le lendemain en effet, je l’avais presque intégré. D’abord parce que c’était une période de ma vie où je ne me sentais pas particulièrement frustré et où, surtout, je m’imposais de ne pas juger les gens. Je veux dire que je m’en tenais à les accepter tels qu’ils étaient.
Ensuite, parce que je n’y croyais pas trop à son refus de faire l’amour. Malgré tout, j’étais traversé par ces vieux clichés d’hommes selon quoi les filles ne demandent que ça, ou ne veulent que ça en définitive. Comme si les hommes eux n’y pensaient pas à longueur de temps.

Je ne ratais d’ailleurs pas une occasion de déclencher des tentatives de contacts physiques. Bien sûr je commençais à être sacrément amoureux de Nida, et donc à contrôler de moins en moins la furie de mon désir.
Ainsi, à plusieurs reprises, lui ayant volé par exemple un baiser sur les lèvres, ou bien persistant à remonter son corps de douces caresses, elle m’avait dit : non, ne fais pas ça !
Ce que j’avais peut-être interprété autrement qu’elle l’aurait souhaité. Ne sachant s’il fallait retenir le côté autoritaire, voire définitif du refus, ou au contraire une légère intonation de supplication...
De toute façon on se trompe sur les motivations des autres, parce qu’on se les représente à partir de nos propres intentions.

Nida pouvait avoir mille raisons de ne pas pratiquer l’amour, je me disais, tandis que durant mes nuits je remontais déjà son corps en toute liberté. Ou bien que je le descendais puisque je m’en donnais le temps.
J’étais prêt à accepter n’importe quoi, tellement j’en avais la tête tournée d’être amoureux, au fond absolument disposé à tout justifier sans la moindre difficulté.
Il pouvait s’agir par exemple d’un pari stupide entre collègues de travail, selon quoi elle ne coucherait pas avec le prochain type dont elle tomberait amoureuse…
Ou alors, elle en avait simplement reçu plein la gueule dans une histoire d’amour récente... Ou bien cette Nida avait trop fait l’amour sans amour véritablement, et s’en était dégoûtée. Comme si ç’avait été possible !
Bien d’autres hypothèses se développaient en tous sens, au point de m’occuper la tête autant que je le voulais, puisque aucune ne pouvait fournir une explication satisfaisante.

… Avoir éprouvé l’impression de s’être fait « avoir », comme on dit « baiser » justement, et décider qu’ensuite ça suffisait, plus jamais s’y laisser prendre.
Avoir tellement aimé quelqu’un, et ne plus pouvoir aimer un autre... Mais non, je n’arrivais pas y croire, je ne le voulais pas, en tout cas cela ne m’empêchait pas de lui pommeler les seins ou de lui modéliser les fesses, ni bien entendu de la pénétrer avec vigueur et gros désir.
Toujours avec préservatif cependant, drôle de détail dans les rêves. Peut-être avais-je la volonté de lui prouver quelque chose ou de lui donner confiance. D’autant qu’il m’arrivait d’imaginer qu’elle avait peur d’attraper des maladies même en étant protégée.
Car Nida m’était vite apparue telle une personne dont la rationalité pouvait flancher rapidement. Davantage d’ailleurs par une sorte d’humilité que par pur obscurantisme, ce qui ne pouvait que me rassurer.

C’était une période douce qui s’écoulait, ainsi que je peux en juger avec le recul. Je voyais mon fils souvent et je m’entendais vraiment bien avec lui. A mon travail, j’étais occupé par une mission assez pointue que je devais terminer dans des délais précis. Si bien que les balades de nuit avec Nida étaient super plaisantes, quoi ? suffisamment décalantes pour me distraire des jours laborieux.
Pourtant, mes nuits avaient déjà commencé à l’emporter sur mes jours.

Nida qui avait adoré notre première balade, m’avait donc appelé le lendemain vers midi pour m’embrasser. Et aussi pour me dire, je devais la croire, qu’elle se réjouissait à l’idée de faire d’autres balades dans Paris.
Le principe en était simple, si simple qu’elle n’avait pas dû se rendre compte que nous l’avions inventé ensemble.
C’était se déplacer à la recherche de tout ce qui pouvait nous intéresser et nous distraire. Aller n’importe où, à l’inspiration ou au hasard, afin de se promener dans la ville comme dans un immense parc où l’on aurait déambulé à l’infini.
Qu’est-ce que tu choisis ? On va à gauche ou à droite ? Tout droit, tu veux ? Oui, on continue ? Ou bien tu préfères revenir, changer de direction, inventer un autre tour ?
...
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