Les
derniers événements survenus au Liban, et à Beyrouth en
particulier ont montré que ce que l'on serait tenté d'appeler
le « pari fou » de Rafiq Hariri n'a de sens que dans
un cadre régional sain, tant au niveau économique que militaire.
La concurrence économique ne manque pas dans la région aujourd'hui,
et les tendances expansionnistes des uns et des autres ne se manifestent
pas que par OPA. Les projets mirifiques n'ont de sens que dans un contexte
pacifié.
C'est la raison pour laquelle il nous a semblé important de revenir
sur des propos tenus lors du colloque de Lyon en 1990 par Grégoire
Sérof, architecte et Beyrouthin. En effet, ce dernier, bien avant
que toute polémique n'émergeât réellement, faisait
preuve d'une lucidité qu'il nous a semblé souhaitable de relever.
Il ne propose pourtant pas d'alternative... Son propos exprime en fait
tous les doutes d'un Libanais devant la capacité formelle d'un État
quel - qu'il soit - à gérer efficacement une reconstruction
pour laquelle il s'est montré incompétent à plusieurs reprises.
Il exprime en fait une croyance plus profonde, et probablement plus réaliste :
« L'expérience de quinze ans d'anarchie aidant, anarchie
que d'aucuns affirment être très instructive à beaucoup
d'égards, ne serait-il pas temps d'envisager une démarche qui
serait plus séquentielle que réduite simplement à une représentation
sur papier d'une ville hypothétique ? Un plan d'action plutôt
qu'un plan graphique, qui, étant donné la complexité des
problèmes, privilégierait les petits pas plutôt que les
gestes spectaculaires. Une méthode qui consisterait à mettre
sur pied un programme, à définir une succession d'actions découlant
d'événements prévisibles dont l'objet serait de passer
progressivement d'une première étape de rétablissement/convalescence
aux étapes suivantes plus spécifiquement urbanistiques et, lorsque
la machine sera bien rodée et bien lancée sur la voie de la
normalisation, à la dernière phase qui autoriserait des opérations
d'urbanisme plus audacieuses ».
En fait, il nous semble que la réalité observable aujourd'hui
va tout à fait dans le sens de Grégoire Sérof. Il paraît
en effet indéniable qu'il n'y aura de réconciliation que provoquée
par les Beyrouthins eux-mêmes, et de reconstruction que mise en oeuvre
par ces mêmes citadins, à l'échelle de leur rue, de leur
îlot, de leur quartier. Cela passe évidemment par des étapes
très pragmatiques, peu ambitieuses. Mais l'amélioration de la
vie quotidienne – avec la participation de tous – prime sur
des projets plus vastes, au yeux de tout un chacun.
A terme seulement, la phase de la centralité restaurée s'imposera
par elle-même : « C'est l'aboutissement logique de
tout le processus de normalisation. Il n'aurait été ni juste
ni réaliste de commencer par la reconstruction du Beyrouth traditionnel
et encore moins du centre-ville, qui pour beaucoup représente l'État
central responsable par ses carences d'avoir contribué aux destructions,
avant de pourvoir aux besoins de la banlieue et rétablir dans celle-ci
l'équilibre entre une urbanisation effrénée et un site
malmené par toute sorte de facteurs déstabilisants ».
La reconstruction à l'oeuvre au centre-ville de Beyrouth, paradoxalement,
semble vouloir opérer un retour en arrière, revenir sur un passé,
sur un rendez-vous manqué avec l'Histoire... D'une métropole pleine
d'avenir, elle s'est transformée en une ville éclatée,
ruinée et divisée. Certes, les causes de cette implosion sont
lointaines, et peut-être les a-t-on oubliées, volontairement
ou pas. Mais à l'heure où une nouvelle chance est donnée
aux Libanais, et en particulier aux Beyrouthins, de se redécouvrir,
il serait criminel de remettre en place les conditions d'une future désagrégation.
On aurait voulu voir renaître la ville-État; il faudra d'abord
reconstruire une ville avec ses citadins et un État et ses citoyens,
au risque de voir apparaître une ville-entreprise. « L'architecture
ne doit pas vouloir plus que les peuples eux-mêmes ».
Achevé en mai 1996, Institut d'études politiques de Bordeaux.
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXE: TEXTE DE LOI FONDANT
LA SFU
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