On peut considérer que les temps modernes sont fondamentalement
anti-tragiques; et puisque la pensée chrétienne nous place
définitivement dans le régime de la faute et de son expiation
et puisque dès lors nous sommes coupables et punis, alors il ne
reste plus qu’à en rire. Sans doute ce n’est
pas facile. C’est la thèse qu’énonçait
Giorgio Agamben dans La fin du poème. C’est notre
thèse : tout est comique, spectaculairement comique. Notre destinée
bienheureuse nous devance et en attendant qu’on vienne nous dire
que nous pouvons quitter notre coin où nous sommes punis, nous
nous y ennuyons : alors autant qu’on puisse néanmoins y prendre
du plaisir. Notre faute n’est plus subjective, au pire c’est
de la négligence (hamartia), au mieux c’est pour
rire (ludus). Nous avons cependant conservé, entretenu certaines formes du tragique (certains lieux) : le littéraire, le théâtre. Tous les lieux où ma plainte impute la faute à ce qui est l’en-dehors, l’extérieur, le sans-nom, l’avant, l’antériorité... Racine s’y est plu. Nous aussi d’ailleurs. Mais nous devons considérer que ce que nous éprouvons du tragique n’est que du plaisir, l’extrême plaisir de ce que nous ne savons pas. Ici c’est le songe d’Athalie : on résume : dans un rêve elle voit apparaître un enfant qui la tue et qui récupère de ce fait le pouvoir qu’elle avait usurpé. Terrorisée, Athalie se réfugie d’abord dans le temple de Baal (le sien) puis dans le temple des Juifs (l’autre, celui de l’enfant) : à quels saints se vouer, à quels dieux faire des offrandes, en qui croire ? d’où vient la faute ? qui peut-on accuser ? Alors on les fabrique les idoles, les figures, les objets de dévotion : c’est simple, il suffit de faire en sorte que ce soit stupéfiant et grave. C’est assez facile puisqu’on dispose de tant de formes : ostensoir, reliquaire, déploration, orant, statue, pontife, icône, etc. La croyance est en cela une inorientation et un engluement. Mais si on s’approche suffisamment des figures, on doit s’apercevoir que tout est dérisoire, bricolé, amalgamé, parodique. C’est se déshabiter des croyances, c’est donc à la lettre considérer que nous ne sommes propriétaires de rien, d’aucune image, d’aucun lieu, d’aucun habitat, d’aucune hérédité, d’aucune vocation. Considérons-nous alors comme des locataires. Et peut-être que ce lieu n’est autre que celui de la parodie : le lieu d’à-côté, où il est un peu plus aisé de regarder les choses avec le sourire (la parodie sérieuse), avec un fou-rire (le burlesque). |
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