"Je cède à ton désir. Le privilège
de la femme que nous aimons plus qu'elle ne nous aime est de
nous faire oublier à tout propos les règles du
bon sens. Pour ne pas voir un pli se former sur vos fronts,
pour dissiper la boudeuse expression de vos lèvres que
le moindre refus attriste, nous franchissons miraculeusement
les distances, nous donnons notre sang, nous dépensons
l'avenir. Aujourd'hui tu veux mon passé, le voici. Seulement,
sache-le bien, Natalie: en t'obéissant, j'ai dû fouler
aux pieds des répugnances inviolées. Mais pourquoi
suspecter les soudaines et longues rêveries qui me saisissent
parfois en plein bonheur? pourquoi ta jolie colère de
femme aimée, à propos d'un silence? Ne pouvais-tu
jouer avec les contrastes de mon caractère sans en demander
les causes? As-tu dans le coeur des secrets qui, pour se faire
absoudre, aient besoin des miens? Enfin, tu l'as deviné,
Natalie, et peut-être vaut-il mieux que tu saches tout:
oui, ma vie est dominée par un fantôme, il se
dessine vaguement au moindre mot qui le provoque, il s'agite
souvent de lui-même au-dessus de moi. J'ai d'imposants
souvenirs ensevelis au fond de mon âme comme ces productions
marines qui s'aperçoivent par les temps calmes, et que
les flots de la tempête jettent par fragments sur la
grève. Quoique le travail que nécessitent les
idées pour
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Honoré de Balzac,
[Le] Lys dans la vallée, 1836
être exprimées ait contenu ces anciennes émotions
qui me font tant de mal quand elles se réveillent trop
soudainement, s'il y avait dans cette confession des éclats
qui te blessassent, souviens-toi que tu m'as menacé si
je ne t'obéissais pas, ne me punis donc point de t'avoir
obéi. Je voudrais que ma confidence redoublât
ta tendresse. A ce soir.