Mare Nostrum Corsica

Premier bilan des modifications apportées aux obligations de desserte maritime de la Corse à compter de 2010

De gauche à droite, les Napoléon Bonaparte et Mega Express Four en partance de Bastia pour Marseille et Toulon, en traversées de nuit
Si les traversées estivales en ferry de la SNCM sur Marseille-Corse ont transitoirement diminué de 2009 à 2010, le montant global de subvention accordé à la compagnie s'est - temporairement ? - accru. Dans le même temps, l'aide sociale au passager sur Toulon et Nice-Corse, qui bénéficie principalement à la Corsica Ferries, a bien été réduite de plusieurs millions d'euros et plafonnée.


Confrontée à une situation financière devenue difficile, la Collectivité territoriale de Corse a décidé fin 2009 de réajuster ses aides au secteur maritime 


La croissance continue des trafics maritimes de la Corse et des capacités à offrir en matière de service public depuis le début des années 2000 ainsi que la hausse brutale du coût des combustibles de soute a conduit  l'Assemblée de Corse à voter, le 26 novembre 2009, une réduction et un plus grand encadrement de ses aides aux ferries, modifiant ainsi notamment les clauses du contrat de service public conclu avec les compagnies deux ans plus tôt (voir aussi détails sur l'appel d'offres Marseille-Corse de 2007). 

- de conserver inchangée la programmation des sept cargos mixtes, qui assurent le service public de base, toute l'année, entre Marseille et cinq ports corses (Bastia, Ile Rousse, Ajaccio, Propriano et Porto Vecchio) pour les passagers et le fret ;

- de réduire de 108 traversées, parmi les moins fréquentées, les obligations de service public complémentaire entre Marseille et trois ports corses pendant 11 semaines d'été, soit une baisse de capacité de 22% des seuls ferries Napoléon Bonaparte et Danielle Casanova lors des périodes de pointe : ainsi, sur Marseille-Bastia et sur Marseille Ajaccio, le principal ajustement consiste à ramener de 85 000 à 71 000 le nombre minimal de places à offrir durant la saison, tandis qu'il passe de 40 000 à 33 000 sur Marseille-Propriano. 

- de plafonner le mécanisme d'ajustement des recettes (une compensation financière est prévue si les recettes des délégataires sont inférieures aux prévisions établies plusieurs années à l'avance pour toute la période de la convention) à 3% de la compensation financière de référence, c'est-à-dire à 2,1 millions pour la SNCM en 2010.

Au total, les économies attendues sur la compensation financière de référence étaient d'environ 6,5 millions d'euros par an dès 2010 sur la délégation de service public, dont 5 millions pour la SNCM et 1,5 million pour La Méridionale (CMN). Pour 2010, le montant de cette compensation a ainsi été fixé à 70,0 millions d'euros pour la SNCM et à 26,2 millions pour La Méridionale. Toutefois, les montants totaux de subvention finalement versés à ces compagnies par la Collectivité territoriale de Corse, qui intègrent en sus d'autres paramètres, ont en fait été plus élevés, comme en attestent les statistiques de l'Office des transports de la Corse (OTC) : au titre des seules lignes Marseille-Corse, la SNCM a ainsi perçu 84,5 millions d'euros en 2010 (soit près de 8 millions d'euros de plus qu'en 2009) et La Méridionale près de 28,7 millions (soit 350 000 euros de plus qu'en 2009). 

L'écart avec l'évolution attendue pour la SNCM est important (8 millions de plus au total contre 5 millions de moins sur la seule compensation financière de référence, soit un écart de 13 millions d'euros) ; peut-être s'agit-il là de décalages de versements par l'Office des transports ou du contrecoup de la flambée des cours du carburant de l'année 2008 (à son arrivée à la barre de la SNCM fin 2005, le groupe Veolia aurait en effet négocié avec la Collectivité territoriale de Corse un accord très avantageux qui faisait que les neuf dixièmes des hausses éventuelles du coût des carburants sur la période la concession de service public 2007-2013 devaient être pris en charge par la Collectivité) ? En tout état de cause, il faut noter qu'à compter de 2011, la SNCM a, de nouveau, programmé davantage de traversées sur Marseille-Corse, en sus de ses obligations de service public, suite au retrait d'un NGV de Nice1 et au repositionnement les week-ends de pointe des navires l'Ile de Beauté et le Méditerranée sur Marseille-Ile Rousse et Marseille-Porto Vecchio en lieu et place de liaisons initialement prévues sur le Maghreb, qui subit actuellement une certaine désaffection touristique. Ces traversées supplémentaires ne devraient normalement pas se traduire par davantage de subventions pour la compagnie aux bateaux blancs.


- de réduire de 15 à 12 euros (respectivement, de 20 à 17 euros sur la ligne Nice-Ajaccio) le montant unitaire de l'aide au passagers sociaux transportés2 (pour plus de précisions sur ce dispositif, se reporter aux réponses aux "idées fausses" n°5 et n°6) ;

- de plafonner le montant total de cette aide, qui progressait jusqu'à présent au même rythme que le nombre de passagers transportés et qui avait représenté une dépense d'environ 20,7 millions d'euros en 2009 d'après l'OTC, à 16 millions d'euros par an, dont 9 millions pour les lignes de Toulon et 7 millions pour les lignes de Nice (le surcroît de dépenses à ce titre demeure désormais à la charge des compagnies SNCM et, principalement, Corsica Ferries lorsque le nombre de passagers à aider grâce à ces tarifs réduits aboutit pour ces compagnies à une dépense supérieure à cette enveloppe fermée).

L'économie attendue sur l'aide sociale était donc d'un peu plus de 4,5 millions d'euros par an. Les données 2010 de l'OTC montrent que cette réduction de la dépense a bien eu lieu puisque la compensation financière totale au titre de l'aide sociale est passée d'un peu plus de 20,7 millions en 2009 à environ 17,3 millions en 2010 (le décalage avec le chiffre théorique de 16 millions devant là aussi s'expliquer par des écarts de dates de versement).

La baisse du financement public de l'aide sociale a donc été de plus de 16% sur un an et elle dépasse même les 20% par bénéficiaire une fois corrigé de l'évolution du trafic passagers de 2009 à 2010 (
le trafic des ports de Nice et Toulon avec la Corse ayant progressé sur la période). Sur ces 17,3 millions, près de 15,4 millions ont été perçus par les passagers de la Corsica Ferries et 1,9 million par ceux de la SNCM (l'aide étant accordée au prorata des bénéficiaires transportés sur ces lignes). Cela représente 3,3 millions de moins pour la Corsica Ferries et 250 000 euros de moins pour la SNCM de 2009 à 2010 du fait de la réduction de l'aide publique.

Au total, toutes lignes confondues (Marseille, Toulon et Nice-Corse) les montants des subventions perçues par les différentes compagnies en 2009 et en 2010, soit avant et après réforme du système, sont représentés au graphique ci-après.


D'après l'OTC, les subventions versées à la SNCM ont progressé de près de 8 M€ en 2010 alors que celles de La Méridionale demeuraient stables. Dans le même temps, l'aide sociale bénéficiant aux passagers de la Corsica Ferries diminuait de 3 M€.


Ces chiffres ne sont peut-être pas toutefois définitifs : la Moby Lines qui avait desservi la ligne Toulon-Bastia d'avril 2010 à février 20113 s'était alors vu refuser l'aide sociale par la Collectivivté territoriale de Corse alors qu'elle satisfaisait les conditions requises (de continuité et de régularité de la desserte, de tarifs maximaux etc) pour être elle aussi éligible à cette aide. La compagnie aux baleines bleues a depuis remporté une importante victoire en justice contre l'Office des transports de la Corse qui devrait conduire normalement à ce que lui soient reversées les sommes - estimées à plus de 700 000 euros par la compagnie - au titre de l'aide sociale qu'elle aurait dû recevoir lors de cette période (cette somme ne devrait rien coûter de plus à la Collectivité de Corse mais être ponctionnée sur la dotation des deux autres compagnies). À un horizon encore indéterminé, il est possible que cette décision ouvre la voie à un retour de la Moby Lines sur le port de Toulon, même si une telle décision n'interviendra sans doute pas avant que l'Assemblée de Corse se soit prononcée sur les contours du futur service public qui doit normalement débuter le 1er janvier 2014. Un autre paramètre à prendre en compte dans la décision de la Moby Lines est l'arrivée annoncée sur les lignes Toulon-Corse de la SNCM, intervenue en janvier 2012 en dehors du cadre du service public.


Après 10 mois de présence sur la ligne, la Moby Lines a jeté l'éponge sur Toulon-Bastia et le Moby Corse a finalement rejoint les lignes sardes de la compagnie.
L'une des raisons invoquées par la Moby Lines pour justifier son départ surprise de la ligne Toulon-Bastia en février 2011 a été le refus de la Collectivité territoriale de Corse
de lui faire bénéficier de l'aide sociale au passager transporté au même titre que la SNCM et la Corsica Ferries.



Un premier bilan et des perspectives contrastés d'une ligne à l'autre

Au total, le montant global de subvention versé par la Collectivité de Corse n'a pas - encore ? - été réduit du fait de la progression de la subvention de la SNCM observée de 2009 à 2010 sur les lignes Marseille-Corse. Celles-ci, après avoir connu une certaine érosion de leur trafic, ont fortement rebondi au cours de la saison 2011 suite notamment à la réduction des capacités maritimes au départ des ports de Nice et de Toulon (due aux restrictions imposées par le port de Nice4 et au départ de la Moby) et au renchérissement relatif de ces lignes du fait de la réduction effective de l'aide sociale.

Sur Toulon-Corse, les effets de la réduction de l'aide sociale ne se sont pas fait sentir immédiatement, le trafic du port avec la Corse ayant poursuivi sa forte progression en 2010 avant de chuter en 2011 suite au retrait de la Moby ; un rebond est toutefois attendu pour 2012 si la SNCM prend la place laissée vacante par la compagnie à la baleine bleue. À moyen terme, les risques pesant sur la pérennité du dispositif d'aide sociale peuvent toutefois laisser craindre un amoindrissement de la concurrence de la Corsica Ferries et un recul du nombre de voyageurs sur les lignes de Toulon et de Nice qui ne serait pas sans conséquence sur l'économie Corse.

Sur les lignes Nice-Corse, la situation apparaît
d'ores et déjà plus problématique du fait d'une multiplicité d'obstacles : réduction de l'aide sociale et du nombre de rotations autorisées en périodes de pointe, mais aussi impossibilité d'accueillir des navires modernes de 200 mètres et plus (problème similaire à celui rencontré à Bastia) et difficulté de rentabiliser ces lignes hors saison du fait d'une très forte saisonnalité du trafic passagers (plus marquée que celle des lignes de Toulon et de Marseille) et de la faible importance du trafic fret. Dès lors, le trafic passagers du port azuréen avec la Corse ne peut durablement progresser. Le risque est même qu'à terme, des compagnies quittent Nice pour se concentrer sur d'autres plates-formes portuaires déjà existantes (Toulon ou Savona par exemple, que la Corsica Ferries a choisi pour remplacer Genova) ou nouvelles (jusqu'au début des années 1980, la Corsica Ferries desservait la Corse au départ de San Remo qui n'est qu'à une quarantaine de kilomètres de Nice et qui pourrait chercher à développer de nouveau ses infrastructures portuaires si Nice ne le fait pas).

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Notes :

1 Rappelons que la SNCM avait effectué son retour sur la ligne Nice-Bastia pour la saison 2009. Ce retour, qui avait connu un vrai succès commercial cette année-là, s'était confirmé en 2010 avec la mise en place de rotations supplémentaires. En effet, en sus des deux rotations hebdomadaires du car-ferry Corse déjà programmées durant l'été 2009 (les samedis et dimanches), ce sont trois autres rotations hebdomadaires en NGV sur Nice-Bastia qui avaient été assurées pendant la saison 2010. Les traversées en navire à grande vitesse n'étaient quant à elles plus assurées par le NGV Liamone (c'est-à-dire le NGV 3) qui avait navigué sur les lignes Corses de 2000 à 2009 mais par le NGV Liamone II. Ce NGV 4, en provenance de Grèce (où il naviguait sous le nom d'Aeolos Kenteris I pour la compagnie NEL Lines, qui opère sur les lignes inter-îles grecques) était un bateau construit par les mêmes chantiers que les précédents NGV de la SNCM. Ce navire, de plus petite taille que le NGV Liamone (119 mètres de long et 15,7 mètres de large contre 134 mètres de long et 19,8 mètres de large) avec une capacité unitaire un peu moindre (210 voitures contre 250) et naviguant moins vite (29 noeuds annonçait le site web de la SNCM, contre 42 noeuds pour l'ex-NGV Liamone à vitesse maximale), n'aurait toutefois pas donné satisfaction à la SNCM qui l'a rendu à l'issue de la saison 2010 à sa compagnie d'origine. Son affrètement n'a donc pas été renouvelé en 2011. Pour autant, la SNCM n'a pas remis en service sur les lignes Nice-Corse le premier NGV Liamone, trop gourmand en carburant (stationné en Nouvelle Calédonie suite à la liquidation judiciaire de Raromatai Ferries qui l'a exploité temporairement en Polynésie française, le navire aurait été vendu sur le marché asiatique sans que le comité d'entreprise en soit informé, ce qui suscite des remous internes...). Cette décision a été à l'origine d'un conflit social très dur à la compagnie, dont les navires sont tous restés bloqués à quai entre le 31 janvier et le 18 mars 2011 ! 

2 Cette réduction n'est visiblement pas apparue suffisante à certains syndicats de la SNCM et de La Méridionale qui ont déclenché plusieurs conflits sociaux depuis le début de l'année 2010 afin d'obtenir la fin de ce système, accusé de favoriser la "concurrence déloyale". Rappelons que cette aide est attribuée indistinctement aux passagers éligibles des lignes de Toulon et Nice, quelle que soit la compagnie empruntée, pourvu qu'elle satisfasse à des conditions de fréquence minimale de la desserte en toutes saisons et de non dépassement de tarifs maximaux. Cette aide qui a pourtant fortement contribué au développement économique de la Corse a, semble-t-il, suscité des jalousies (aussi bien en Corse qu'à Marseille) car elle a accompagné le développement de la Corsica Ferries sur les lignes françaises, grâce à la baisse des tarifs et à l'augmentation du nombre de traversées qu'elle a permis.

3 La Moby Lines, qui avait déclaré en 2009 vouloir se déployer entre Nice et Bastia, avait finalement porté son choix sur la ligne Toulon-Bastia, dont l'inauguration a eu lieu en avril 2010. Pour ce faire, la compagnie italienne avait affrété pour trois années auprès de la Brittany Ferries le plus ancien de ses navires, le Pont l'Abbé, renommé Moby Corse. D'après le journal Le Marin, une option d'achat serait prévue à l'issue de ce délai si la compagnie est satisfaite de ce navire, construit en 1978 et ayant longtemps navigué en mer Baltique avant de rejoindre la compagnie bretonne en 2006, qui n'en avait plus l'usage et cherchait sans succès à s'en séparer depuis fin 2008. Depuis avril 2010, le Moby Corse effectuait quatre rotations hebdomadaires, la plupart de nuit, entre Toulon et Bastia. Toutefois, depuis le 25 février 2011, la Moby Lines, qui avait pourtant prévu un renforcement de ses rotations entre Toulon et Bastia dans sa programmation initiale pour la saison 2011 (le nombre de rotations hebdomadaires devant passer de 4 à 5) a cessé en quelques jours toute desserte du port de Toulon. Les raisons évoquées tiennent à la fois au non paiement à la compagnie par l'Assemblée de Corse de l'aide sociale et à la flambée des cours du pétrole (à titre d'illustration, une aller-retour sur l'une de ses lignes vedette, Genova-Olbia, un peu plus longue que Toulon-Bastia, lui coûte environ 70 000€ rien qu'en carburant !). Parmi les causes du départ de la Moby, les médias insulaires évoquent également un taux de remplissage insuffisant des navires (malgré les quelques 140 000 passagers transportés depuis l'ouverture de la ligne). Le Moby Corse a depuis été réaffecté sur une ligne sarde de la compagnie (Civitavecchia-Olbia) à la place du Moby Fantasy.

4 À Nice, depuis 2010, les horaires des bateaux sont strictement encadrés afin de minimiser les nuisances sonores pour les riverains, le port étant situé au coeur de la vieille ville. Ainsi, le matin, les navires ne peuvent en théorie arriver avant 6h du matin, ni repartir avant 7h ; le soir, ils ne peuvent arriver après 22h30, ni repartir après 23h30, ce qui fait très juste en termes d'horaires pour des ferries faisant un aller-retour dans la journée depuis Nice vers Bastia ou Ajaccio. L'amplitude horaire des navires a ainsi été fortement réduite par rapport à 2009, mais de nombreux riverains ont toutefois protesté lorsque les navires avaient du retard (la presse locale rapporte que le Corse de la SNCM avait en particulier régulièrement dépassé ses horaires), si bien que l'instauration de pénalités pour les navires "retardataires" serait à l'étude. Depuis 2011, les autorités portuaires niçoises sont allées encore plus loin en réduisant le nombre d'autorisations d'escales de navires à 300 pour juillet-août, ce qui a entraîné mécaniquement une réduction de la desserte de la Corsica Ferries et de la SNCM et donc le retrait de deux navires (les Corsica Serena Seconda et NGV Liamone II).


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