Mare Nostrum Corsica 

La navigation rapide ou le mythe du phoenix ? 


L'arrivée du NGV Liamone à Nice, en août 2009.
Le NGV Liamone, retiré des lignes de Corse à l'issue de la saison 2009, a subi alors d'importants travaux (changements de deux moteurs) mais n'a pu qu'éphémèrement continuer sa carrière en Polynésie au sein d'une filiale de Veolia, Raromatai Ferries.  

 

De 1996 à 2000, les NGV ont révolutionné la desserte maritime de la Corse

Introduits en Méditerranée occidentale par la compagnie publique italienne Tirrenia dès 1993 (avec le Guizzo, suivi ensuite par le Scatto et par quatre maxi-navires de la classe Jupiter), les navires à grande vitesse (NGV) modernes ont révolutionné la desserte maritime de la Corse à partir de 19960 en permettant la plus grande réduction de durée des trajets du XXèmesiècle (voir tableau ci-dessous, ciblé sur les principales lignes de Corse sur lesquelles ont navigué des NGV). L'introduction des NGV s'est faite sur fond de rivalité entre SNCM et Corsica Ferries, chacune mettant en service ses deux premiers navires à grande vitesse cette même année : il s'agissait, pour l'une, des NGV Asco et NGV Aliso, pour l'autre de ses deux premiers Corsica ExpressEn 2000, la SNCM récidive avec un navire à grande vitesse de plus grande taille, le NGV Liamone, qu'elle considère alors comme son atout maître.

Exemples de durées approximatives de traversées fréquemment relevées (dans le passé, s'agissant des NGV),
pour trois types de navires, en traversées de jour
Ligne / Type de navire Navires à grande vitesse (NGV) Navires de type Mega Express Ferries classiques
Nice-Bastia 3h45 4h45 à 5h30 6h00 à 7h15
Nice-Calvi 2h45 3h45 à 4h00 5h00 à 5h45
Nice-Ajaccio 4h00 5h30 à 6h15 6h45 à 7h45
Savona-Bastia 3h15 4h15 à 5h00 5h30 à 6h30
Note Bene : il s'agit ici des durées des traversées affichées par les compagnies, qui incluent donc, par construction, l'impact des limitations de vitesse imposées au voisinage de certains ports (notamment à Bastia, à Nice et dans le golfe d'Ajaccio) ainsi que le temps passé par les navires à manoeuvrer dans les ports. Les temps de trajets affichés sont donc plus longs que ceux simulés au graphique ci-dessous à droite sur la ligne Nice-Bastia.

A titre d'exemple, la ligne Nice-Bastia, qui a été une des toutes premières à bénéficier de la grande vitesse, ne durait plus que 3 heures 45, contre un minimum de 6 heures auparavant, soit, d'un coup, un gain de plus de 2 heures ! À titre de comparaison, l'Esterel et le Corse de la SNCM, mis en service en 1981 et 1983, n'avaient permis aux passagers que de gagner une heure de traversée entre Nice et Bastia par rapport à la génération précédente de ferries, constituée du Comté de Nice et l'ancien Corse, construits en 1966 (la traversée avait ainsi été ramenée de 7 heures à 6 heures). Grâce aux NGV, le trafic entre Nice et la Corse, jusque-là moribond, a été complètement relancé et ce, plus particulièrement sur les lignes de Bastia et de la Balagne (Calvi et Ile Rousse). Ainsi, le nombre passagers naviguant entre Nice et la Corse, qui avait fortement décru pendant une quinzaine d'années (de près de 600 000 en 1978, le nombre de voyageurs sur cet axe maritime avait régressé jusqu'à à peine plus de 300 000 en 1995, selon l'Observatoire régional des transports de la Corse et ce, malgré l'entrée en service des ferries de plus grande taille) est spectaculairement reparti à la hausse de 1996 à 2002. Il faut reconnaître, toutefois, qu'il est difficile de faire la part des choses dans cette augmentation des flux entre ce qui relève d'un véritable "effet NGV", sans doute bien réel, et ce qui incombe à l'arrivée de la Corsica Ferries sur le port de Nice dès cette même année 1996, qui a certainement aussi eu un effet stimulant (comme on a pu l'observer ensuite sur le port de Toulon à compter de la fin de l'année 2000, voir la réponse à l'idée fausse n°3). En tout cas, force est de constater que depuis le retrait progressif des NGV des lignes de Nice, initié en 2005, le trafic maritime de ce port ne progresse plus aussi vite (voir graphique ci-dessous à gauche).

                            A partir de 1996, la mise en service des NGV sur la Corse a contribué à stimuler très fortement le nombre de passagers entre Nice et la Corse, passé de 300 000 à 800 000 en seulement 5 ans Alors qu'un gain de 2 nœuds suffit à faire gagner une heure de traversée sur Nice-Bastia (de 8h à 7h) à partir d'une vitesse initiale de 16 nœuds ; à partir d'une vitesse de 30 nœuds, il faut naviguer 12 nœuds plus vite pour réduire d'autant la traversée (de 4h à 3h) !

Si la rupture de tendance du trafic niçois est spectaculaire dès 1996, le gain de temps sur une traversée telle que Nice-Bastia s'effectue à rythme décroissant
avec la vitesse du navire, ce qui a sans doute contribué aussi à favoriser le remplacement des NGV par des bateaux de type Mega Express.

La principale raison de "l'effet NGV" est à rapprocher de la multiplication de la fréquence des traversées permise par la grande vitesse de ces bateaux, de l'ordre de 37 à 42 noeuds, soit près du double de celle des navires traditionnels en service jusque-là. Ces performances élevées étaient atteintes grâce à une propulsion très puissante relativement à la taille de ces navires (assurée par des 'hydrojets', qui rejettent de l'eau sous pression, et non par des hélices) combinée à un profil de coque particulier (dit en 'V profond', permettant aux navires de déjauger un peu lorsque la vitesse augmente afin de limiter le phénomène de résistance de l'eau, ce qui vaut à ces navires le surnom de 'monocoques semi-planants').

Au départ de Nice, on a ainsi compté vers l'an 2000 - âge d'or des NGV - jusqu'à 6 allers-retours quotidiens pour la Corse en saison, toutes compagnies confondues, contre 2 à 3 rotations maximum de ferries de la seule SNCM quelques années plus tôt. 

Les NGV, fausse bonne idée ou concept prometteur à perfectionner ?

L'exploitation des NGV a cependant montré plusieurs limites qui ont progressivement conduit les compagnies à recourir de moins en moins à ce type de navires : 

Le Mega Express Five, mis en service sur la Corse en avril 2009, qui s'appelait auparavant Phoenix Express
Les navires de type Mega Express, de plus en plus répandus en Méditerranée, allient confort et capacité à naviguer par tous les temps
à une certaine vitesse (25 à 29 noeuds en service).

La SNCM n'affrétant plus aucun NGV pour ses liaisons Nice-Corse à compter de l'été 2011 (l'affrètement du NGV Liamone II pour la saison 2010 n'ayant pas donné pleinement satisfaction), plus aucune liaison n'est désormais opérée en NGV sur les lignes de Corse. En effet, dans le même temps la Corsica Ferries n'a pas reprogrammé les laisons du Corsica Express Seconda entre Bastia, Livorno et Piombino qui pourtant présentaient l'avantage de minimiser les inconvénients de ce type de navire. Il s'agit en effet de liaisons courtes et relativement bien protégées du vent et qui permettent d'exploiter au mieux leur souplesse d'utilisation (la fréquence des rotations peut facilement être adaptée à la demande et les passagers effectuent les traversées en un temps record : à peine 1h45 par rallier Piombino depuis Bastia).

Pour autant, certains croient encore à l'avenir de la navigation à très grande vitesse. Celui-ci ne passe peut-être pas forcément par des navires de type monocoque, qui avaient  été privilégiés à partir du milieu des années 1990 par les différentes compagnies sillonnant la Méditerranée (en particulier la Tirrenia, la SNCM et la Corsica Ferries) car réputés mieux adaptés à la périodicité des vagues rencontrées dans cette région du monde. En effet, ces navires sont désormais peu nombreux à être encore produits par les chantiers navals alors qu'il semble que les navires de type catamaran (et notamment ceux produits en Australie, par Austal, grand spécialiste du domaine) résistent mieux à la crise du secteur, même s'ils demeurent rares en Méditerranée.

Mais l'avenir passera peut-être par des projets encore plus innovants, comme ceux développés par le Bureau Gilles Vaton : il s'agit de bateaux à grande vitesse (les BGV, voir page de liens) reposant sur le concept du trimaran. Si ce projet n'a, à ce jour, pas encore séduit d'armateurs, il n'en a pas moins déjà constitué une avancée importante sur le plan technique en alliant robustesse à la mer (ces navires devraient être particulièrement stables par gros temps), vitesse élevée (jusqu'à 65 noeuds
par mer calme dans certaines versions) et coût raisonnable, comparable à celui des ferries de même dimension. Comme le souligne le Bureau Gilles Vaton au sujet de son prototype BGV 170, "avec une capacité passagers - voitures optimisée, une vitesse de croisière de l’ordre de 50 nœuds, cet ensemble de données appliquées au trafic méditerranéen pourra permettre, sur certains trajets, plusieurs rotations journalières en haute saison. Avec en corrolaire, des possibilités d’exploitation qui mettent les délais au niveau du transport aérien pour des coûts d’exploitation comparables au train ! Avec, comparativement aux autres types de navires à grande vitesse, un comportement marin très supérieur, assurant des possibilités de navigation beaucoup moins météo-contraignantes. "

Image de synthèse du BGV 170 en mer, développé par le Bureau Gilles Vaton En raison de leur largeur imposante, l'accostage des BGV 170 nécessiterait quelques aménagements portuaires selon le Bureau Gilles Vaton, auteur de cette image de synthèse.
Visions du prototype BGV 170, en mer et à quai. Ce navire, d'une longueur de 174 mètres pour 49,70 mètres de large, pourrait transporter 240 voitures
et plus de 1 000 passagers à une vitesse maximale supérieure à 52 noeuds, à mi-charge.


Aussi, peut-être un concept tel que celui-ci permettra-t-il un jour au concept de navigation rapide de renaître de ses cendres, tel le mythique phoenix ? D'autant que le dernier des handicaps mentionné ci-dessus, concernant le prix des soutes, devrait s'atténuer à l'horizon 2015 avec l'obligation pour tous les navires, quels qu'ils soient, de fonctionner avec des carburants sans soufre, qui seraient - à ce jour - 40% plus coûteux que le fioul lourd actuellement utilisé par les ferries classiques.


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Notes :

0 Il ne s'agissait toutefois pas là de la première expérience de navigation rapide sur la Corse, mais aucune n'avait jusqu'ici concerné des liaisons aussi longues que les lignes entre la Corse et le continent français, avec passagers et véhicules embarqués. Parmi les exemples antérieurs, citons les aliscaphes qui reliaient Bastia à la Toscane et à l'Ile d'Elbe dans les années 1960 et, plus récemment, la tentative de la Moby Lines d'introduire l'hydroglisseur Fast Blu entre Bastia, Livorno et l'Ile d'Elbe lors de l'été 1991 (voir illustration à la page de photos de 1990-92). Cette expérience ne dura qu'un été, la quasi-totalité des passagers de ces lignes voyageant en fait avec leur véhicule, que ne permettait pas de transporter un navire de ce type. Avec l'apparition des NGV en 1996, c'était donc déjà au moins la troisième fois que la navigation rapide "renaissait de ses cendres" sur les lignes de Corse !

1 Les plus gros NGV au monde peuvent embarquer jusqu'à 450 véhicules par voyage et 1 800 passagers. C'est le cas notamment du Scorpio de la compagnie italienne Tirrenia, qu'avait affecté la Sardinia Ferries pendant l'été 2008 pour desservir la ligne Livorno-Golfo Aranci (Sardaigne). Très gros consommateurs de carburant (14 tonnes par voyage lorsqu'il naviguait à pleine vitesse, soit 42 noeuds, entre Italie et Sardaigne pour le compte de la Tirrenia), ce navire et ses trois jumeaux ont désormais tous été vendus !

2 Sur les lignes de Corse, la Corsica Ferries a été la première à introduire des navires de ce type, dès le printemps 2001, pour desservir ses nouvelles lignes au départ de Toulon, qui allaient complètement relancer cette desserte. Il s'agissait des Mega Express et Mega Express Two, suivis de près à l'été 2001 par les Moby Wonder et Moby Freedom de la Moby Lines. Prenant plusieurs longueurs d'avance sur la SNCM, qui n'a commencé à faire naviguer le Jean Nicoli qu'en avril 2009, ces deux compagnies ont, depuis 2001, multiplié les acquisitions de navires de ce type dont la conception est plus traditionnelle que celle des NGV. En particulier, leur propulsion se fait par hélices (au lieu des hydrojets installés sur les NGV) et leurs machines, bien que sensiblement plus puissantes que celles des ferries classiques, consomment le même type de carburant (du fuel lourd et non le carburant raffiné des NGV). Pour faciliter l'atteinte de vitesses élevées, les navires de type Mega Express sont dotés d'une coque plus effilée que celle des navires classiques, ce qui se traduit en particulier par une plus grande longueur à largeur donnée. Leur taille imposante (au minimum 175 mètres de long, au lieu de 102 à 134 mètres pour les NGV ayant desservi la Corse) leur permet de naviguer par tous les temps et de transporter un plus grand nombre de passagers et de véhicules (plus de 650 voitures pour les plus gros d'entre eux) à une vitesse suffisante pour enregistrer des gains de temps substantiels par rapport aux ferries classiques (voir tableau en haut de page). En prime, le confort de ces navires est du même ordre que celui proposé à bord des navires traditionnels et donc supérieur à celui des NGV, inspirés sur ce point des avions. Enfin, ces navires sont dotés de cabines (la réglementation l'interdit sur les NGV), ce qui permet aux compagnies de les programmer aussi en traversées de nuit, sur des lignes plus longues que celles desservies par les NGV.Plus récemment toutefois, la Moby s'est séparée du Moby Freedom début 2012.



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