La navigation rapide ou le mythe du phoenix ?
De 1996 à 2000, les NGV ont révolutionné la desserte maritime de la Corse
Introduits en Méditerranée occidentale par la compagnie publique italienne Tirrenia dès 1993 (avec le Guizzo, suivi ensuite par le Scatto et par quatre maxi-navires de la classe Jupiter), les navires à grande vitesse (NGV) modernes ont révolutionné la
desserte maritime de la Corse à partir de 19960 en permettant la plus grande
réduction de durée des trajets du XXèmesiècle
(voir tableau ci-dessous, ciblé sur les principales lignes
de Corse sur lesquelles ont navigué des NGV). L'introduction des NGV s'est faite sur fond de rivalité entre SNCM et Corsica Ferries,
chacune mettant en service ses deux premiers navires à grande
vitesse cette même année : il s'agissait, pour l'une, des NGV Asco et NGV Aliso, pour l'autre de ses deux premiers Corsica Express. En 2000, la SNCM récidive avec un navire à grande vitesse de plus grande taille, le NGV Liamone, qu'elle considère alors comme son atout maître.
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A titre d'exemple, la ligne Nice-Bastia, qui a été une des toutes premières à bénéficier de la grande vitesse, ne durait plus que 3 heures 45, contre un minimum de 6 heures auparavant, soit, d'un coup, un gain de plus de 2 heures ! À titre de comparaison, l'Esterel et le Corse de la SNCM, mis en service en 1981 et 1983, n'avaient permis aux passagers que de gagner une heure de traversée entre Nice et Bastia par rapport à la génération précédente de ferries, constituée du Comté de Nice et l'ancien Corse, construits en 1966 (la traversée avait ainsi été ramenée de 7 heures à 6 heures). Grâce aux NGV, le trafic entre Nice et la Corse, jusque-là moribond, a été complètement relancé et ce, plus particulièrement sur les lignes de Bastia et de la Balagne (Calvi et Ile Rousse). Ainsi, le nombre passagers naviguant entre Nice et la Corse, qui avait fortement décru pendant une quinzaine d'années (de près de 600 000 en 1978, le nombre de voyageurs sur cet axe maritime avait régressé jusqu'à à peine plus de 300 000 en 1995, selon l'Observatoire régional des transports de la Corse et ce, malgré l'entrée en service des ferries de plus grande taille) est spectaculairement reparti à la hausse de 1996 à 2002. Il faut reconnaître, toutefois, qu'il est difficile de faire la part des choses dans cette augmentation des flux entre ce qui relève d'un véritable "effet NGV", sans doute bien réel, et ce qui incombe à l'arrivée de la Corsica Ferries sur le port de Nice dès cette même année 1996, qui a certainement aussi eu un effet stimulant (comme on a pu l'observer ensuite sur le port de Toulon à compter de la fin de l'année 2000, voir la réponse à l'idée fausse n°3). En tout cas, force est de constater que depuis le retrait progressif des NGV des lignes de Nice, initié en 2005, le trafic maritime de ce port ne progresse plus aussi vite (voir graphique ci-dessous à gauche).
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La principale raison de "l'effet NGV" est à rapprocher de la multiplication de la fréquence des traversées permise par la grande vitesse de ces bateaux, de l'ordre de 37 à 42 noeuds, soit près du double de celle des navires traditionnels en service jusque-là. Ces performances élevées étaient atteintes grâce à une propulsion très puissante relativement à la taille de ces navires (assurée par des 'hydrojets', qui rejettent de l'eau sous pression, et non par des hélices) combinée à un profil de coque particulier (dit en 'V profond', permettant aux navires de déjauger un peu lorsque la vitesse augmente afin de limiter le phénomène de résistance de l'eau, ce qui vaut à ces navires le surnom de 'monocoques semi-planants').
Au départ de Nice, on a ainsi compté vers l'an 2000 - âge d'or des NGV - jusqu'à 6 allers-retours quotidiens pour la Corse en saison, toutes compagnies confondues, contre 2 à 3 rotations maximum de ferries de la seule SNCM quelques années plus tôt.
L'exploitation des NGV a cependant montré plusieurs limites qui ont progressivement conduit les compagnies à recourir de moins en moins à ce type de navires :
La petite taille de ces navires (généralement 150 à 250 véhicules, pour ceux affectés aux lignes de Corse1, alors que les ferries classiques et les Mega Express peuvent en transporter jusqu'à 700 à 800 pour les plus gros d'entre eux) s'avère souvent trop juste pour satisfaire les pointes de trafic en saison et pour proposer un nombre significatif de places en tarif promotionnel.
Ces navires, plus souvent en arrêt technique, ne peuvent prendre la mer par tous les temps : les NGV mis en service sur la Corse en 1996 naviguent lorsque les creux ne dépassent pas 3,5 mètres, le , jusqu'à des creux de 5,5 mètres ; au-delà, tous doivent rester à quai ! Les compagnies ont donc, dans un premier temps, dû mettre en place des stratégies de substitution. À la SNCM, la décision de faire naviguer ou non le NGV était prise à la dernière minute, en fonction de l'état de la mer. Au vu de l'incident survenu en décembre 2000, qui a conduit à l'immobilisation du NGV Liamone pendant plusieurs mois pour travaux, la SNCM a également dû renforcer les structures de ce NGV et sa capacité de tenue à la mer, tout en limitant sa période de navigation à la saison estivale ; enfin, elle a procédé au changement de deux de ses moteurs à l'automne 2009. L'hiver, la SNCM a ainsi pris l'habitude de n'assurer la desserte des lignes Nice-Corse qu'en cargo mixte, à raison d'une rotation par semaine. La Corsica Ferries préfère quant à elle désormais programmer toute l'année des navires classiques ou de type Mega Express2 au départ de ses ports continentaux, plutôt que des NGV.
Surtout, les NGV, qui disposent de moteurs très puissants, consomment un carburant raffiné sensiblement plus coûteux que le fuel lourd habituellement uitilisé par les car-ferries traditionnels et par les Mega Express. En période d'envolée des prix des carburants, le poste combustible devient donc particulièrement difficile à équilibrer financièrement. C'est pourquoi, après avoir vendu le NGV Aliso à l'automne 2004 et le NGV Asco en mai 2005 dans le cadre de son plan de restructuration, la SNCM a finalement décidé de faire naviguer à vitesse réduite (environ 28 noeuds, contre 42 noeuds auparavant) le NGV Liamoneà certaines périodes avant de finalement le vendre à un armateur taïwanais. Il en va de même pour les NGV des autres compagnies présentes en Méditerranée qui sont de moins en moins nombreux à naviguer à leur vitesse de pointe, lorsqu'ils naviguent encore ! Ainsi, les quatre NGV géants de la classe Jupiter de la Tirrenia sont-ils désormais tous sortis de flotte, la plupart pour être démolis !
1 Les plus gros NGV au monde peuvent embarquer jusqu'à 450 véhicules par voyage et 1 800 passagers. C'est le cas notamment du Scorpio de la compagnie italienne Tirrenia, qu'avait affecté la Sardinia Ferries pendant l'été 2008 pour desservir la ligne Livorno-Golfo Aranci (Sardaigne). Très gros consommateurs de carburant (14 tonnes par voyage lorsqu'il naviguait à pleine vitesse, soit 42 noeuds, entre Italie et Sardaigne pour le compte de la Tirrenia), ce navire et ses trois jumeaux ont désormais tous été vendus !
2 Sur les lignes de Corse, la Corsica Ferries a été la première à introduire des navires de ce type, dès le printemps 2001, pour desservir ses nouvelles lignes au départ de Toulon, qui allaient complètement relancer cette desserte. Il s'agissait des Mega Express et Mega Express Two, suivis de près à l'été 2001 par les Moby Wonder et Moby Freedom de la Moby Lines. Prenant plusieurs longueurs d'avance sur la SNCM, qui n'a commencé à faire naviguer le Jean Nicoli qu'en avril 2009, ces deux compagnies ont, depuis 2001, multiplié les acquisitions de navires de ce type dont la conception est plus traditionnelle que celle des NGV. En particulier, leur propulsion se fait par hélices (au lieu des hydrojets installés sur les NGV) et leurs machines, bien que sensiblement plus puissantes que celles des ferries classiques, consomment le même type de carburant (du fuel lourd et non le carburant raffiné des NGV). Pour faciliter l'atteinte de vitesses élevées, les navires de type Mega Express sont dotés d'une coque plus effilée que celle des navires classiques, ce qui se traduit en particulier par une plus grande longueur à largeur donnée. Leur taille imposante (au minimum 175 mètres de long, au lieu de 102 à 134 mètres pour les NGV ayant desservi la Corse) leur permet de naviguer par tous les temps et de transporter un plus grand nombre de passagers et de véhicules (plus de 650 voitures pour les plus gros d'entre eux) à une vitesse suffisante pour enregistrer des gains de temps substantiels par rapport aux ferries classiques (voir tableau en haut de page). En prime, le confort de ces navires est du même ordre que celui proposé à bord des navires traditionnels et donc supérieur à celui des NGV, inspirés sur ce point des avions. Enfin, ces navires sont dotés de cabines (la réglementation l'interdit sur les NGV), ce qui permet aux compagnies de les programmer aussi en traversées de nuit, sur des lignes plus longues que celles desservies par les NGV.Plus récemment toutefois, la Moby s'est séparée du Moby Freedom début 2012.
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