Mare Nostrum Corsica 

DSP maritime 2019-2020 : victoire totale de la Corsica Linea, qui évince La Méridionale sur les lignes principales entre Marseille et la Corse !
Bastia, février 2018 ; photo : Romain Roussel
Le Paglia Orba de la Corsica Linea à Bastia, venu en remplacement du Pascal Paoli en février 2018 durant l'arrêt technique de ce dernier navire ; photo : Romain Roussel. La Corsica Linea se voit attribuer pour 15 mois l'ensemble des lignes de service public entre Marseille, Bastia, Ajaccio et Ile Rousse, soit 5 navires mixtes, au détriment de son ex-partenaire, La Méridionale !


La Méridionale
était depuis plusieurs mois déjà en mauvaise posture pour l'attribution des lignes de service public Marseille-Corse jusqu'à fin 2020
L'arrivée à Marseille du Piana, en avril 2018 ; photo : Jean-Pierre Fabre.
L'arrivée du Piana à Marseille en avril 2018 avec, au fond à droite, le Kalliste (photo : Jean-Pierre Fabre). L'éviction de La Méridionale par l'Office des transports de la Corse surprend d'autant plus que c'est la compagnie qui a mené les plus gros efforts en faveur de l'environnement ces dernières années (courant quai, installation d'un système innovant d'épuration des fumées du Piana...) et qu'elle est très appréciée de ses clients.
 

Comme précisé dans l'article thématique précisant les enjeux et le contenu de l'appel d'offres de la nouvelle DSP Marseille-Corse courant d'octobre 2019 à fin décembre 2020, celle-ci a été attribuée par lot. Chacune des lignes entre Marseille et les 5 ports corses desservis (Bastia, Ajaccio - 2 navires pour chacune de ces lignes, ainsi que Ile Rousse, Porto Vecchio et Propriano - 1 navire pour chacune de ces lignes) correspondant à un lot, de manière à garantir une équité entre les candidats potentiels. Toutefois, comme lors des précédentes délégations, il était possible de soumettre des offres pour l'ensemble des lots (ce qu'on fait Corsica Linea et La Méridionale, les deux candidats retenus) et la Collectivité de Corse indiquait qu'elle "se réserve le droit d'attribuer des marchés combinants les lots ou groupes de lots".

De fait, la Corsica Linea avait répondu aux 5 lignes en proposant ses navires mixtes mais aussi ses ferries Méditerranée et Danielle Casanova, qu'elle proposait pour les ports secondaires de Propriano et Porto Vecchio, d'après les informations publiées par Le Marin.
Corsica Linea se présentait d'autant plus en position de force à cet appel d'offres que ses actionnaires ne sont autres que les principaux transporteurs de fret insulaires, ce qui n'est pas le cas de son ex-partenaire La Méridionale. Cette dernière avait également répondu à l'ensemble des lignes mais, dans sa proposition initiale, en faisant appel à des contrats d'affrètements auprès de divers armateurs dont la Tirrenia et Baja Ferries, dirigée par Daniel Berrebi, candidat malheureux à la reprise de la SNCM (et qui a récemment acquis le Stena Carrier que Corsica Linea avait un temps utilisé sur Marseille-Bastia en janvier 2016 pour faire concurrence à l'ex-SNCM,  alors nouvellement reprise par Patrick Rocca...). Or certains de ces armateurs ont retiré entre-temps leur propositions d'affrètement - de manière étonnante pour ce qui est du Stena Egeria, finalement affrété par Brittany Ferries, compagnie partenaire minoritaire de Corsica Linea - cela a fragilisé la compagnie aux bateaux bleus. La Méridionale a donc dû modifier son offre en cours de route - trop tardivement, semble-t-il pour la Collectivité de Corse - et fait l'acquisition d'un quatrième navire, le Liverpool Seaways de l'armateur danois DFDS. La Méridionale entendait ainsi renforcer son offre sur Bastia, en proposant le Piana et le Kalliste, ainsi que ce nouveau navire - à renommer, si son acquisition n'est finalement pas suspendue - pendant les périodes d'arrêts techniques.

Les résultats des compagnies qualifiées pour des négociations sur les différentes lignes ont été révélés dès le 13 février 2019 par le journal Le Marin. La Méridionale qui dessert aujourd'hui Bastia, Ajaccio et Propriano avec un navire sur chacune de ces lignes (en partenariat avec Corsica Linea sur les deux ports principaux de Corse) jouait donc gros. Elle avait davantage à perdre potentielllement que sa concurrente. En effet, le statu quo semblait dès février 2019 quasi-impossible puisque La Méridionale était exclue des négociations pour les lignes d'Ajaccio et de Propriano, qu'elle desservait jusqu'ici et sur lesquelles Corsica Linea restait seule en lice. Seul un rebondissement en justice (La Méridionale a introduit un référé pour revenir en lice sur ces lignes ; rejeté jusqu'ici en justice par le tribunal administratif de Bastia le 19 mars 2019, le cas est toujours en appel devant le Conseil d'Etat) ou remise à plat de la procédure de la DSP par l'Exécutif de Corse, pourrait lui permettre de revenir en lice sur ces lignes. La Méridionale était qualifiée pour négocier avec la Collectivité de Corse sur les seules lignes de Bastia, Ile Rousse et Porto Vecchio, tandis que Corsica Linea l'était pour l'ensemble des 5 lignes. Dès lors, contrairement à sa concurrente, La Méridionale ne pouvait à ce stade de la procédure, être assurée d'en remporter au moins une ! 

A moins d'un rebondissement d'alliance entre compagnies, il semblait juridiquement incompatible que l'Exécutif de Corse puisse attribuer la ligne Marseille-Bastia par demi-lot afin de préserver l'équilibre actuel, le port du nord de la Corse étant desservi en alternance un jour sur deux par le Piana de La Méridionale et par le Pascal Paoli de Corsica Linea

La grève de cinq jours à l'initiative du STC et de la CGT qui a paralysé fin février à Bastia, Ajaccio et Marseille l'ensemble de la flotte de La Méridionale a permis d'attirer l'attention des pouvoirs publics et des directions de ces deux compagnies maritimes codélégétaires du service public sur Marseille-Corse sur cette situation particulièrement tendue. Outre le dépôt du référé en justice, des engagements avaient alors été pris sur l'emploi pour les 15 mois de la future DSP par la direction de La Méridionale quelle que soit l'issue finale retenue... En outre, tant La Méridionale que la Corsica Linea avaient pris des engagements de dialogue pour tenter de rapprocher leurs positions, jusqu'ici très peu compatibles, ce qui avait permis d'éviter un mouvement de grève commun aux deux compagnie le 8 mars 2019. Pour autant, rien n'a depuis fondamentalement changé sur le fond et la Corsica Linea a négocié seule avec la Collectivité de Corse l'attribution des lignes sur lesquelles elle restait seule en lice (celles entre Ajaccio, Propriano et Marseille).



D'un impossible statu quo à une attribution à Corsica Linea un temps contestée en justice et par les syndicats
Bastia, février 2019 ; photo : Romain Roussel
Piquet de grève des marins de La Méridionale à l'arrière du Piana, à Bastia, le 26 février 2019 ; photo : Romain Roussel. De nouvelles grèves ont eu lieu du 21 au 27 juin...


Comme indiqué dans son communiqué du 8 mars 2019, La Méridionale semblait s'en tenir à la proposition d'un statu quo, dans la mesure où elle indiquait qu'elle avait la "volonté de rouvrir les négociations avec Corsica Linea afin de présenter à la Collectivité territoriale de Corse et à l'Office des transports de la Corse une offre de transport maritime en groupement dans le respect de l'équilibre actuel". Plus précisément, elle précisait que : "cet équilibre a pour base la répartition actuelle des navires de nos flottes respectives sur les ports insulaires et le fonctionnement actuel de nos agences commerciales en Corse". Dans ce scénario, le partenariat et le fonctionnement actuel des deux compagnies aurait donc été reconduit à l'identique. Pour Corsica Linea, en revanche, le courrier de la direction daté du 7 mars 2019 évoquait un schéma différent, réitérant une proposition que cette compagnie avait faite à La Méridionale en juin 2018. Plus précisément, il s'agissait là aussi de maintenir au global l'emploi mais de revoir l'affectation des rôles entre les deux compagnies sur la ligne Marseille-Propriano : "l'offre de desserte de service public des deux ports principaux, Ajaccio et Bastia, et des ports départementaux d'Ile Rousse et Porto Vecchio, resterait inchangée sur des périmètres équivalents ; seule la ligne Propriano-Marseille était proposée par Corsica Linea mais avec un navire de La Méridionale et son équipage en propre, sous la forme d'un affrètement de navire armé". En clair, la Corsica Linea demandait à La Méridionale de lui céder le contrôle opérationnel de la ligne Propriano-Marseille (la seule sur laquelle des volumes de passagers significatifs sont exigés par la nouvelle DSP et la seule qui se prolonge naturellement par une DSP corso-sarde Propriano-Porto Torres à attribuer avec là aussi des subventions à la clef...) tout en préservant l'emploi chez sa concurrente. Dans ce schéma, La Méridionale n'aurait plus eu le contrôle que de deux navires (un sur Bastia, un sur Ajaccio) et au lieu de trois et la Corsica Linea, de six au lieu de cinq. On comprend donc le peu d'enthousiame de la première pour cette option... rejetée en son temps par La Méridionale.

Maintenant que le rapport de l'Office des transports de la Corse a été voté par les élus corses de l'Assemblée de Corse le 27 juin 2019, ont été attribuées à Corsica Linea l'intégralité des deux lignes principales pour le fret (Marseille-Bastia et Marseille-Ajaccio) ainsi qu'une ligne secondaire (Marseille-Ile Rousse, dont la compagnie était déjà attributaire).  

Dans ce scénario annoncé depuis plusieurs mois, la seule lueur d'espoir pour La Méridionale portait sur deux autres lignes secondaires (Marseille-Propriano, dont elle est le conessionnaire actuel, et Marseille Porto-Vecchio, desservie jusqu'ici par Corsica Linea), déclarées infructueuses dans cet appel d'offres. Cela obligera l'Assemblée de Corse à proroger de quelques mois les concessionnaires actuels sur ces deux lignes, avec une question tout de même pour la ligne de Porto Vecchio, desservie par le Jean Nicoli de Corsica Linea, et qui serait entre-temps mobilisé - ainsi que l'ensemble de la flotte de navires mixtes de la compagnie aux bateaux rouges - sur une autre ligne, très vraisemblablement celle d'Ajaccio... 

Dans l'attente de ce nouvel appel d'offres de 11 mois - de début février 2020 à fin décembre 2020 - pour les ports secondaires du sud Corse, La Méridionale devrait donc "faire l'interim" sur Porto Vecchio, en vertu du principe de substitution entre les deux compagnies qui prévaut dans la délégation en cours. Elle pourra employer sur cette desserte un de ses navires désoeuvrés, par exemple le Girolata, et continuer avec le Kalliste sur Propriano. Cela laisserait donc le Pianasans affectation à ce stade. En effet, alors que La Méridionale avait envisagé dans un premier temps en juin 2019 suite à son échec annoncé de faire naviguer ses cargos mixtes sous obligations de service public - sans subventions donc - sur les trois lignes entre Marseille et le sud Corse, ce ne sera finalement pas le cas. La Méridionale y a finalement renoncé face à l'hostilité - un peu surprenante, s'agissant d'une autorité déléguant ce service moyennant compensation fianncière - de la Collectivité de Corse. 

Le Piana ne naviguera donc plus sur Marseille-Bastia à compter d'octobre 2019, sans subvention, où il se serait retrouvé en concurrence frontale avec non plus un mais deux navires de Corsica Linea (le Pascal Paoli et le Vizzavona, jusqu'ici affecté à la desserte du Maghreb et qui débarquera alors sur les lignes de Corse), qui eux, seront subventionnés durant cette DSP de 15 mois... La Méridionale pourra-t-elle tenir avec au plus deux bateaux sur la Corse (si elle remporte le nouvel appel d'offres relancé sur Marseille-Propriano et Marseille-Porto Vecchio) ? Elle a en tout cas réaffirmé ses engagements de maintien du service et des emplois afférents pris lors de la grève de février dernier, y compris pour ce qui est des bureaux de Bastia et d'Ajaccio sur laquelle la compagnie n'opèrera plus, tout du moins jusqu'à fin 2020. Son espoir étant d'y revenir ultérieurement, dans un partenariat à redéfinir avec Corsica Linea... ? Certains observateurs relevaient que naviguer sans subvention entre Marseille et Bastia aurait prouvé que cette ligne est rentable et que des subventions n'auraient dès lors plus été nécessaires pour cette desserte, ce qui aurait compromis le futur système de subventionnement envisagé dans le cadre de la DSP suivante, qui sera mise en place pour une période de 10 ans entre 2021 et 2031 ! L'éviction de La Méridionale de la ligne Bastia-Marseille aurait dans ce scénario, constitué une victoire à la Pyrrhus pour la Corsica Linea, ce pour quoi la Collectivité de Corse était sans doute hostile au dépôt d'OSP par La Méridionale malgré le surcoût que représente la DSP pour ses comptes régionaux...

Outre la voie de "la résistance sans subvention", restait aussi pour La Méridionale l'option de la pure voie judiciaire : les résultats de son appel devant le Conseil d'Etat contestant son éviction de plusieurs des lignes de la DSP 2019-2020 devait être connus d'ici l'été mais pourrait être retiré si le rapprochement avec Corsica Linea se confirme...

Autres effets inattendus des soubresauts de cet appel d'offres :

- si La Méridionale s'était maintenue sans subvention sur Marseille-Bastia ou sur Marseille-Ajaccio dans le cadre de simples obligations de service public en plus des deux navires de la Corsica Linea - attributaire officiel de ces lignes - cela serait revenu à accroître de 50 % environ les capacités fret mais aussi passagers sur cet axe. Et ce, alors même que le cahier des charges de la délégation de service public Marseille-Corse 2019-2020 prévoyait de réduire drastiquement les capacités passagers proposées sur les lignes Marseille-Corse, suite à la consultation publique menée au printemps 2018 ! Voilà qui aurait fragilisé encore davantage cette délégation, car la Corsica Lineaaurait en fait pu proposer sur cet axe des navires quasi-exclusivement dévolus au fret. Elle aurait alors pu être accusée par ses concurrentes que ses subventions lui servent aussi à financer son service pour les passagers, ce qui ne fait plus partie du cahier des charges !

- une fois un appel d'offres relancé pour la période courant de début février à fin décembre 2020 sur les lignes Marseille-Propriano et Marseille-Porto Vecchio, cela remettrait potentiellement en lice non seulement La Méridionale, mais aussi la Corsica Ferries, exclue pour des raisons de pure forme dès le début de la procédure... Dès lors, une concurrence entre plusieurs opérateurs - la présence de Corsica Linea semble peu probable au vu du rapprochement en cours avec La Méridionale et du fait que sa flotte de cargos mixtes est désormais entièrement employée - pourrait cette fois véritablement permettre à l'Assemblée de Corse de faire baisser la facture de la desserte maritime de la Corse !

Quoi qu'il en soit, les décisions prises risquent d'être contestées par les uns ou par les autres, ne serait-ce que parce qu'elles risquent de remettre en cause les fragiles équilibres sociaux préexistants et parce que les navires mixtes envisagés sont peu ou prou les mêmes qu'aujourd'hui, alors même que le cahier des charges de la DSP courant d'octobre 2019 à fin décembre 2020 ne prévoit pourtant plus de maintenir des capacités significatives pour le transport des passagers que sur la ligne Propriano-Marseille. Dès lors, sa solidité a été mise à l'épreuve par le nouveau conflit social de juin 2019 à La Méridionale, le deuxième de l'année après celui de février 2019... Les motifs de protestation mis en avant étaient sans surprise directement liés aux soubresauts de la procédure d'appel d'offres maritime Marseille-Corse dont ils réclamaient l'arrêt "pour préserver l'intérêt général et l'intérêt des emplois directs et induits". Ils réclamaient en outre aux directions des deux compagnies maritimes la préparation d'une réponse commune entre La Méridionale et Corsica Linea pour la réponse aux futurs appels d'offres "avec la garantie du maintien des trois navires de La Méridionale, des quatre navires de Corsica Linea sur les cinq ports de la continuité territoriale avec un partenariat des lignes entre les deux compagnies sur les deux ports principaux" de Bastia et d'Ajaccio.

De fait, le STC, la CGT et la CFDT de La Méridionale ont observé ce mouvement de grève du 21 au 27 juin 2019, bloquant la totalité de la flotte de La Méridionale, que ce soit à Propriano ou à Marseille (mais pas à Bastia ni à Ajaccio, où des arrêtés prefectoraux interdisaient désormais aux navires de la compagnie d'accoster). À Marseille, les grévistes bloquaient également l'accès à plusieurs navires de Corsica Linea. Durant cette épriode, le trafic s'est organisé au départ de Toulon pour maintenir un lien avec la Corse, que ce soit pour le fret ou pour les passagers, à bord des navires de la Corsica Ferries et de ceux de Corsica Linea encore libres de leur mouvements (Pascal Paoli et Méditerranée notamment). Le conflit, très dur, a été levé suite au rapprochement annoncé de La Méridionale de Corsica Linea en vue du futur appel d'offres de 10 ans et à la réaffirmation par La Méridionale de ses engagements de maintien de l'emploi et de ses bureaux bastiais et ajacciens. Pourtant, rien ne semble garantir à ce jour que la Corsica Linea fera effectivement de la place à La Méridionale sur les deux ports principaux de l'île après en avoir eu l'exclusivité sur le fret pendant 15 mois de début octobre 2019 à fin décembre 2020... Si l'accalmie est de retour, l'avenir pourrait de nouveau être agité d'ici fin 2020...





Un résultat d'appel d'offres qui mène à un quasi-monopole de Corsica Linea sur le fret et les subventions 
L'arrivée du Vizzavona à Marseille le 18 juin 2018 ; photo : Jean-Pierre Fabre
L'arrivée du Vizzavona à Marseille, en juin 2018 (photo : Jean-Pierre Fabre). Ce navire, qui desservait jusqu'ici principalement les lignes du Maghreb depuis Marseille, sera affecté à Marseille-Bastia à partir d'octobre 2019 en remplacement du Piana de La Méridionale dans le cadre de la DSP courte, maintenant les propositions du rapport de l'OTC avalisées par l'Assemblée de Corse.

Le rapport consernant la DSP 2019-2020, adopté par l'Assemblée de Corse le 27 juin 2019 propose une répartition des navires mixtes entre ports de Corse en cohérence avec le redéploiement de la flotte envisagé par la Corsica Linea. À titre de comparaison, Mare Nostrum Corsica a mis en parallèle le dispositif en vigueur jusqu'ici avec le schéma qui prévaudra sur les lignes de Corse à partir d'octobre 2019 : 


Source : Rapport final d'analyse des offres de l'OTC (DSP 1er octobre 2019 - 31  décembre 2020)

Ce schéma ne présage pas de l'affectation future des navires de La Méridionale hors subventions, ni des navires qui seront finalement affectés sur les lignes de Propriano et de Porto Vecchio une fois la procédure d'appel d'offres relancée sur ces lignes. Les montants de subventions finalement demandés par Corsica Linea pour les trois lignes sur lesquelles un accord a été trouvé avec la compagnie, après négociation avec l'Office des transports de la Corse (OTC) apparaissent relativement élevés, puisqu'ils dépassent les 80 millions d'euros au total sur cette période de 15 mois et se répartissent comme suit entre ces lignes :

 
Source : Rapport final d'analyse des offres de l'OTC (DSP 1er octobre 2019 - 31  décembre 2020) ; pour les lignes non attribuées, un appel d'offres de 11 mois serait relancé par la Collectivité de Corse pour couvrir la période de début février 2020 à fin décembre 2020.

À ce stade, ces choix étant entérinés par l'Assemblée de Corse, la Corsica Linea aura donc l'exclusivité des subventions versées au mode maritime sur les lignes de Corse et une position fortement dominante pour ce qui est du transport du fret. Jusqu'à présent, la situation était nettement plus équilibrée, puisqu'en cas de conflit social dans l'une des compagnies délégataires du service public, l'autre assurait environ la moitié du service public... 



Un processus de négociation de l'OTC qui n'a pas permis à la Collectivité de réduire la dépense, mais qui a conduit Corsica Linea à concentrer ses efforts financiers sur les lignes où elle restait en compétition avec La Méridionale
Marseille, juin 2018 ; photo : Nicolas Giovannetti
Le Kalliste de La Méridionale, en mer au large de Marseille en juin 2018 ; photo : Nicolas Giovannetti. Selon le rapport de l'OTC, La Méridionale avait la proposition financièrement la plus avantageuse sur les deux lignes finalement déclarées infructueuses (Marseille-Propriano et Porto Vecchio) ainsi que sur Marseille-Bastia, avant que Corsica Linea n'y diminue sensiblement sa demande de compensation financière...

À noter que pour les lignes qui ne seraient pas attribuées pour le moment :

- sur Marseille-Porto Vecchio, l'offre finale de La Méridionale était plus compétitive que celle de Corsica Linea selon le rapport final d'analyse des offres de l'OTC. La Méridionale proposait pour cette ligne un navire en propriété, le Girolata, et Corsica Linea le ferry Danielle Casanova. La Méridionale avait obtenu une note nettement supérieure (97 sur 100 contre 83 sur 100, tous critères confondus) mais a achoppé sur le montant de compensation fianncière, jugé trop élevé : près de 23,1 millions d'euros pour 15 mois, soit moins que celui demandé par la Corsica Linea (25,7 millions), mais bien davantage que celui accordé actuellement par la Collectivité de Corse à la Corsica Linea pour cette ligne (11,6 millions d'euros de subventions pour 12 mois) ;

- sur Marseille-Propriano, La Méridionale a d'emblée été écartée par la Collectivité de Corse, son offre d'affecter le navire affrété Nova Star à titre principal et un autre navire affrété pendant les périodes d'arrêts techniques (l'European Endeavour) ayant été considérée comme nouvelle et postérieure à la date de clôture de l'appel d'offres (elle avait initialement proposé d'affréter le Bithia de la Tirrenia, qui n'a pas les mêmes caractéristiques...). Elle demandait une compensation financière de 18,4 millions d'euros, soit là aussi un montant inférieur à celui finalement proposé par Corsica Linea, en échange du service du ferry Méditerranée, qui après négociation avec l'OTC avait été abaissé à un peu plus de 25,1 millions d'euros...

L'éviction de La Méridionale est donc d'autant plus navrante que, sur les deux lignes déclarées infructeuses, sa proposition financière était nettement plus avantageuse pour la Collectivité de Corse que celle de Corsica Linea, aux dires mêmes du rapport final de l'OTC. Entre les différentes étapes de la négociation, détaillées dans ce même rapport, la compagnie aux bateaux rouges a d'ailleurs fait sensiblement baisser sa demande de subvention sur la ligne principale Marseille-Bastia (de près de 9,6 millions d'euros sur 15 mois), sur laquelle elle demeurait en compétition directe avec La Méridionale, pour l'emporter sur sa rivale alors que son offre y était initialement plus coûteuse de 1 million environ. Au final, sur Marseille-Bastia, Corsica Linea était plus compétitive de près de 4,2 millions d'euros que sa rivale (qui demandait 36,06 millions d'euros de subventions sur 15 mois, contre 31,86 millions).

À l'inverse, sur les lignes sur lesquelles Corsica Linea était seule admise à la négociation, l'OTC n'a quasiment pas réussi à faire baisser les demandes de compensation financière de la compagnie aux bateaux rouges : selon le rapport d'analyse des offres, sa demande de compensation financière n'a pas été réduite du tout sur l'axe Marseille-Ajaccio et n'a baissé que d'un peu plus de 154 000 euros sur l'axe Marseille-Propriano, soit au total des efforts financiers très inférieurs à ceux consentis sur Marseille-Bastia (9,6 millions d'euros). Il semble donc que l'éviction précoce de la négociation de La Méridionale sur les deux lignes du sud Corse ait fortement affaibli le pouvoir de négociation de l'OTC avec Corsica Linea, laquelle a ensuite su négocier de manière tactique pour l'emporter sur un maximum de lignes. 

On peut donc douter de l'optimalité pour la Collectivité, prise dans son ensemble, du système de négociation retenu : il eut bien mieux valu déclarer d'emblée infructueux les lots sur lesquels une seule compagnie restait présente et relancer immédiatement un appel d'offres sur ces lignes, ce qui aurait sans doute permis d'abaisser bien davantage le coût de la desserte de ces dessertes ! Au lieu de quoi, les seules trois lignes déjà attribuées représentent déjà un montant de subventions proche de celui de la délégation de service public précédente, et une fois attribuées elles aussi suite à un nouvel appel d'offres, les deux autres lignes devraient porter au total le coût de la continuité territoriale maritime Marseille-Corse à nettement plus de 100 millions d'euros sur 15 mois, ce qui est considérable compte tenu de la réduction des exigences en termes de nombre de passagers à transporter... Ce coût aurait pu ête davantage contenu si la Collectivité de Corse avait accepté que La Méridionale se positionne sans subvention sur ces lignes, sous régime d'OSP, ce qu'elle a semble-t-il catégoriquement rejeté au niveau de son Exécutif...




Une controverse qui pose de vraies questions sur les fondamentaux de la DSP, insuffisamment éclairés
Bastia, février 2019 ; photo : Romain Roussel
Les Mega Express Three (Corsica Ferries) et Piana (La Méridionale) à Bastia, en février 2019 ; photo : Romain Roussel.


Ces nouveaux soubresauts de la DSP maritime Corse-Marseille montrent à quel point les deux compagnies délégataires (Corsica Linea et La Méridionale) restent économiquement dépendantes de l'attribution ou non de la délégation de service public et à quel point aussi les ports principaux de Bastia et d'Ajaccio jouent un rôle stratégique en Corse. Il semble en effet, au regard des positions émises par les deux délégétaires actuels que "décrocher" les DSP pour les ports de Bastia et d'Ajaccio soit vital, voire très profitable, et qu'à l'inverse, les subventions accordées sur les lignes d'Ile Rousse, de Propriano et de Porto Vecchio ne suffiraient pas à couvrir les véritables coûts fixes de fonctionnement de ces lignes. Et ce, quand bien même l'Exécutif de Corse subventionne en fait deux fois ces lignes : une première fois directement via les compagnies maritimes délégétaires, une seconde fois indirectement, pour inciter les transporteurs à passer par les ports secondaires en raison de la saturation des ports principaux... ce qui semble très contestable tant sur le principe économique qu'en termes de bilan environnemental ! 

Tout cela repose donc la question de la "bonne desserte" de service public : est-il pertinent de ne pas autoriser de traversée avec escale depuis Bastia et Ajaccio vers ces trois ports secondaires alors même que les navires mixtes passent la journée à quai dans ces ports (ce qui crée d'ailleurs là aussi de la pollution, faute de possibilité de branchement au courant à quai en Corse) ? De combien le prix de transport du mètre linéaire de fret pourrait-il être abaissé si des traversées avec escales étaient autorisées ? Cette question n'a semble-t-il pas été étudiée - ou tout du moins pas publiée, le site de l'Office de transports de la Corse (OTC) étant "en maintenance" depuis plusieurs années - d'un point de vue économique. De ce fait, les montants des subventions accordés aux deux compagnies délégataires du service public maritime ne sont-ils plus publiés depuis la DSP achevée en 2017, alors que la transparence sur les montants de subventions était la règle jusqu'ici. Enfin, cela a-t-il un sens, en termes d'emploi des deniers publics, de disjoindre formellement l'attribution des subventions sur les lignes Marseille-Propriano et Propriano-Porto Torres sachant que, compte tenu des horaires imposés par le cahier des charges, cette seconde ligne ne peut réalistement être opérée que dans le prolongement de la première par le même navire de la compagnie la desservant ?  

Le débat actuel pousse aussi des compagnies exclues de longue date de la DSP à s'interroger sur la pertinence du principe même de cette délégation. Ainsi, le directeur général de la Corsica Ferries, Pierre Mattei, a-t-il publié une tribune le 1er mars 2019 dans laquelle il conteste l'utilité et la légalité d'une telle démarche et en souligne le coût très élevé (plus de 90 millions d'euros de subventions à Corsica Linea et La Méridionale en 2018 selon lui, montant invérifiable faute de publication récente de la part de l'OTC...). Selon lui, le coût du transport de marchandises entre Marseille et la Corse serait ainsi, subventions inclues, "2 à 3 fois plus élevé que sur des destinations comparables (Sicile, Sardaigne, Baléares par exemple)". De ce fait, la Corsica Ferries propose un système tout autre - qui n'a sauf erreur pas été examiné jusqu'ici non plus par l'Exécutif de Corse -  basé sur des aides directes aux passagers d'une part et aux transporteurs d'autre part, assorties d'obligations de service public. Cela permettrait selon la compagnie aux bateaux jaunes de faire davantage jouer la concurrence, tout en évitant l'inflation des coûts consécutive à l'instauration de l'aide sociale aux passagers dans les années 2000. En tout état de cause, un tel système remettrait vraisemblablement en cause la position des acteurs actuellement présents à Marseille et serait susceptible de créer de nouvelles tensions sociales...




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