Mare Nostrum Corsica
Pour aller en Corse, le bateau domine toujours mais perd du terrain sur l'avion

La noria des ferries à Bastia en 2008 : de gauche à droite, les Sardinia Regina, Moby Freedom (vendu début 2012 par la Moby) et Mega Smeralda ; photo : Romain Roussel. 
Par rapport à l'année 2010, record pour le mode maritime, les ports de Corse ont perdu environ 400 000 passagers en trois ans ; ces pertes sont fortement concentrées sur le port de Bastia. Dans le même temps, les aéroports de l'île en ont gagné autant...



Un partage des trafics passagers et des subventions de la Collectivité territoriale de Corse de moins en moins en faveur du maritime

Le constat d'une prédominance de l'avion pour se rendre en Corse demeure toujours globalement faux : sur une année entière, le ratio est de près de 60% pour le maritime et d'un peu plus de 40% pour l'aérien, comme l'attestent les chiffres publiés par l'Observatoire régional des transports de la Corse (ORTC). Ainsi, en 2013, sur 7,5 millions de passagers transportés, près de 4,3 millions l'étaient par la seule voie maritime. Ces flux de transport maritime se font majoritairement de et vers le continent français, même si la part des trafics passagers avec l'étranger, entièrement concentrée sur l'Italie, est loin d'être négligeable (29% des trafics maritimes environ, en incluant les lignes inter-îles). S'agissant des trafics aériens, la prépondérance des trafics nationaux est nettement plus marquée : à peine 11% du trafic aérien de la Corse s'effectue avec l'étranger en 2013, toujours selon l'ORTC.

La prépondérance de la voie maritime comme mode de transport constitue une spécificité Corse, la plupart des destinations touristiques étant en général majoritairement desservie par les airs. Certains y voient une marque de la faiblesse du tourisme Corse, le transport maritime drainant généralement des voyageurs en provenance de pays géographiquement proches (France continentale, Italie, Allemagne, Suisse...). Pour autant, on peut également y voir plus positivement un "tourisme de proximité" plus respectueux de l'environnement ainsi qu'une réelle marque de dynamisme de la part des transporteurs maritimes qui ont beaucoup oeuvré pour améliorer la diversité et la qualité de leurs prestations, dans le cadre du service public de la continuité territoriale et en dehors, et ont adapté leur offre aux tendances du marché. C'est ainsi que la mise en service des Mega Express de la Corsica Ferries et de la Moby Lines (ces derniers ayant assuré les lignes de Genova-Bastia de 2001 à 2011) a permis depuis 2001 de générer une clientèle nombreuse grâce au compromis qu'ils offrent entre vitesse, confort et tarifs ; de même le confort et la capacité des cargos mixtes en service sur les lignes de Marseille a permis de fortement valoriser ce mode de transport. De fait, sur la période 1995-2010, la part de marché du maritime dans le total des flux de transport "bord à bord" de la Corse - c'est-à-dire en excluant les liaisons aériennes de la Corse ne s'effectuant pas depuis un aéroport de la côte méditerranéenne - avait progressé de 23 points et celle de l'aérien avait été divisée par deux d'après l'ORTC, dans un marché qui avait plus que doublé sur la période (pour passer de 2,0 à 4,1 millions de passagers) ! Ainsi, en 2010, le mode maritime détenait 77% des parts de marché sur le trafic "bord à bord" contre 23% seulement pour l'aérien.

Depuis 2010, les choses ont bien changé. Tout d'abord, avec la réduction de plus de 20% et le plafonnement depuis 2010 des montants de subventions accordées au titre de l'aide sociale maritime pour les passagers naviguant entre Toulon, Nice et la Corse, puis avec sa suppression totale en 2014 (16 millions d'euros d'économies). Ensuite, avec la réduction du périmètre et des subventions de la continuité territoriale maritime entre Marseille et la Corse à compter de 2014. Au total, sur la seule année 2014, la Collectivité territoriale de Corsedevrait ainsi réaliser une économie de plus de 30 millions d'euros de subventions sur le mode maritime par rapport au "régime de croisière" antérieur. Dans le même temps, les subventions à l'aérien ont été significativement augmentées suite au dernier renouvellement de la délégation de service public aérienne en 2012 (à titre d'exemple, 41,5 millions d'euros par an au lieu de 30,5 millions pour la ligne Paris Orly-Corse selon le rapport présenté à l'Assemblée de Corse les 22-23 mars 2012), même s'il est difficile d'afficher des chiffres précis et récents en la matière, plus aucun montant de subvention n'étant désormais publiquement diffusé sur le site officiel de l'Office des transports de la Corse. Du fait de ce "rééquilibrage" des aides publiques en faveur de l'aérien décidé par la Collectivité territoriale de Corse, la compétitivité-prix du mode maritime s'en est trouvé affectée, ce qui a certainement pesé sur les trafics maritimes. Ceux-ci ont par ailleurs visiblement davantage été touchés par la crise économique, que ce soit sur les lignes de Corse ou ailleurs en Europe, plusieurs compagnies maritimes ayant fait faillite ou dû procéder à d'importantes réductions de capacités. Dès lors, le mode maritime ne représentait plus en 2013 que 56,8% des passagers transportés sur la Corse (voir graphique ci-dessous), soit une baisse de plus de 5 points en trois ans !



Si le bateau continue de dominer l'avion sur les lignes de Corse, son avance s'est considérablement réduite depuis 2010

A noter que le port de Bastia a, à lui seul, concentré la quasi-totalité des pertes du mode maritime : alors que les trafics maritimes de la Corse ont au total reculé de 403 000 passagers de 2010 à 2013 (de 4,65 millions de passagers en 2010, le trafic des ports Corses a chuté à 4,25 millions en 2013), la baisse enregistrée sur le port de Bastia atteint à elle seule... 365 000 passagers selon l'ORTC ! Ces statistiques viennent au plus mal pour les défenseurs du projet de nouveau port à la Carbonite au moment même où ce projet semble de plus en plus controversé quant à son utilité même et à son impact écologique (de récentes études portées à la connaissance du public par le groupe nationaliste Corsica Libera montrant notamment que les herbiers de Posidonie qui seraient détruits pour réaliser le port de la Carbonite génèreraient une perte de ressources de 172 euros par mètre carré et par an, ce qui représenterait 172 millions d'euros de pertes annuelles !).


Un "rééquilibrage" délibéré en faveur de l'avion, générateur de séjours plus courts et plus polluants ?

Si les statistiques d'ores et déjà disponibles pour l'année 2014 ne peuvent valablement servir de base de comparaison en raison des conflits sociaux intervenus à la SNCM depuis le début de l'année qui ont fortement pesé sur le trafic, celles-ci sont assez alarmantes pour le mode de transport maritime. En effet, sur les quatre premiers mois de la saison 2014 (mai à août), l'Observatoire régional des transports de la Corse rapporte que le mode maritime aurait perdu 127 000 passagers tandis que l'aérien en aurait gagné près de 96 000 ! Si ce mouvement se poursuit à l'avenir, ce qui serait tout à fait possible si les réductions de capacités actuellement discutées à la SNCM pour 2015 n'étaient pas compensées par des hausses chez ses concurrents, le mode aérien pourrait bien dominer le maritime sur les lignes de Corse dans un proche avenir.

La prépondérance du maritime sur l'aérien est nettement plus marquée en haute saison


Pour l'heure, ce n'est pas le cas. La prédominance du mode de transport maritime n'est toutefois pas permanente tout au long de l'année. Cela s'explique par le fait que les insulaires, qui sont les plus nombreux à se déplacer de et vers la Corse à ces périodes creuses, utilisent de manière privilégiée l'avion. Ainsi, le trafic aérien prédomine désormais en 2013 d'octobre à mars lorsque les flux sont les plus faibles alors que cinq ans plus tôt, en 2008, ce phénomène de prééminence de l'aérien sur le maritime ne s'observait que de décembre à mars. En revanche, en saison, la prédominance du secteur maritime reste encore très marquée : pour leurs déplacements, les touristes privilégient globalement toujours le mode maritime, plus économique notamment pour ceux qui voyagent en famille (les promotions sont nombreuses en bateau, même en saison). Au mois d'août notamment, on compte ainsi encore 2,1 fois plus de voyageurs en bateau qu'en avion (ce ratio atteignait toutefois 2,7 en 2008, preuve que, même en été, l'érosion du mode maritime est sensible). 

À la lecture de ces chiffres et au-delà de l'attachement personnel que chacun peut avoir pour tel ou tel mode de transport, on peut s'interroger sur la pertinence de ce "rééquilibrage" des trafics passagers de la Corse entre bateaux et avions :

- sur le plan économique, il n'est pas prouvé s'agissant des lignes de Corse que le développement du mode aérien au détriment du maritime permettra un étalement de la saison touristique, synonyme de développement de l'île (alors qu'à l'inverse, la suppression de l'aide sociale maritime, en renchérissant les tarifs des bateaux hors saison, semble d'ores et déjà avoir entraîné en 2014 une réduction de l'offre et une certaine contraction des trafics, même si les résultats de 2014 sont, on l'a vu, à considérer avec la plus grande prudence suite aux mouvements sociaux ayant affecté la SNCM). Au demeurant, la stratégie de la Collectivité territoriale de Corse de vouloir favoriser le mode aérien peut même sembler paradoxale dans la mesure où les analyses des flux touristiques montrent que le transfert du bateau vers l'avion pourrait être synonyme de réduction du nombre de nuitées passées sur l'île (les séjours des passagers aériens étant sensiblement plus courts en moyenne). La réduction du trafic maritime en juin / juillet 2014, période marquée un grève de 17 jours à la SNCM, aurait ainsi induit une baisse de près de 890000 nuitées dans l'île par rapport à la même période de 2013 selon l'Observatoire régional des transports de la Corse ; baisse non entièrement compensée par la croissance des flux aériens ; 

- sur le plan écologique, les déplacements en bateau présenteraient aussi l'avantage d'être plus écologiques, un navire - à condition qu'il soit suffisamment chargé - rejetant nettement moins de dioxyde de carbone par passager transporté qu'un avion (les car-ferries en service sur la Corse transportent en effet jusqu'à 2 000 passagers pour les plus gros d'entre eux), ce qui est particulièrement appréciable pour une destination telle que la Corse, très sensible à la qualité son environnement... Si les études officielles se font rares sur le sujet, la Corsica Ferries indique sur son site internet - sans en préciser le toutefois le mode de calcul - qu'en moyenne, pour un trajet entre Toulon et Ajaccio, un piéton voyageant en avion rejetterait 57 kg de dioxyde de carbone, contre 15 kg seulement en bateau ! Les rejets de dioxyde de carbone d'un groupe de 3 passagers et une voiture transportés en bateau entre Toulon et Ajaccio seraient encore inférieurs à ceux d'un seul passager en avion, puisque ces premiers ne dépasseraient pas 50 kg... En outre, rappelons que la Corsica Ferries propose depuis quelques années à ses voyageurs de compenser leurs émissions de CO2, sur la base du volontariat ; les financements recueillis dans ce cadre auraient d'ores et déjà permis de planter plus de 32000 arbres dans la forêt Amazonienne...



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