Mare Nostrum Corsica 

Les liaisons maritimes de Corse et de Sardaigne pareillement affectées par la COVID, mais des flux sardes supérieurs, plus concentrés sur la saison et sur quelques lignes qu'en Corse
Corsica Victoria et Mega Smeralda au large de Bastia, en août 2021 ; photo : Romain Roussel
La Corsica Ferries - Sardinia Ferries est au global le premier opérateur des lignes de Corse et de Sardaigne, pour le nombre de passagers transportés pendant la saison 2021, même s'il n'arrive qu'au troisième rang sur la Sardaigne. Ici, les Corsica Victoria et Mega Smeralda de la Corsica Ferries se croisent au large du port de Bastia, en août 2021 ; photo : Romain Roussel.



L'institut statistique officiel européen Eurostat a publié en décembre 2021 son bilan annuel de trafic des transports de passagers maritimes en Europe [1], qui s'arrête à fin décembre 2020. Comme attendu, il permet de montrer en particulier l'ampleur de la chute de ces trafics maritimes à l'échelle du continent, due à la crise de la COVID-19 : - 45,0 % au global en 2020 par rapport à 2019. Avec seulement 230,1 millions de voyageurs par mer en 2020, le trafic passagers des ports de l'Union européenne atteint ainsi de loin son niveau le plus faible sur la période 2005-2020 étudiée par Eurostat. En effet, le trafic passagers maritime en Europe n'avait jamais été inférieur à 350 millions annuels sur l'ensemble de cette période, et il dépassait même encore les 400 millions de voyageurs en 2018 et en 2019, le record ayant été établi en 2019 avec 418 millions. En 2020, la baisse a été sévère quel que soit le trimestre considéré, avec les reculs les plus importants logiquement observés lors des périodes de plus fortes restrictions des déplacements (par trimestre, cela donne -14,5 % au T1 2020, -69,3% au T2, -35,7% au T3 et -47,2% au T4, par rapport aux périodes correspondantes de 2019). La crise du coronavirus n'a toutefois pas bouleversé la hiérarchie des principaux pays concernés par le trafic maritime de passagers au sein de l'Union européenne, l'Italie restant solide leader avec 55,1 millions de personnes transportées par mer, devant la Grèce, avec 40,9 millions. Ces deux Etats membres comptabilisent à eux seuls 42% des flux de voyageurs maritimes de l'UE en 2020 ; la France arrive loin derrière, à la 8ème place, avec seulement 10,4 millions de passagers par mer en 2020.

Aujourd'hui, Mare Nostrum Corsicavous permet d'aller plus loin que ce constat, en examinant des données encore plus récentes (datant de 2021) centrées sur la Corse et en les comparant aux flux de transport maritime qu'a connu l'île italienne voisine de Sardaigne. La pertinence de la comparaison s'explique non seulement par le fait que les deux îles sont voisines, mais aussi du fait qu'il s'agit de liaisons maritimes d'une longueur comparable, donc potentiellement desservies par le même type de ferries (contrairement par exemple aux lignes de l'île d'Elbe, nettement plus courtes et pouvant être assurées par des ferries côtiers aux prestations et caractéristiques techniques plus simples). Cette analyse originale, menée en croisant diverses sources régionales
corses et sardes [2], permet de répondre avec rigueur et objectivité aux questions suivantes : en quoi la structure du trafic passagers maritime de la Corse se différencie-t-elle de celle de la Sardaigne, en termes de concentratrion sur un certain nombre de ports ou de lignes ? Est-il plus ou moins saisonnier ou tourné vers l'international ? Les flux de transport des deux îles ont-ils ou non été affectés de manière similaire par la crise du coronavirus en 2020 et en 2021 ? Depuis la crise, quels sont désormais les principaux ports continentaux à l'origine et de destination de ces trafics et les principaux opérateurs concernés par ces flux, pour la Corse et pour la Sardaigne et retrouve-t-on des points communs ? Cette analyse ne s'intéresse en revanche pas ici aux flux de transports de marchandises, dont la saisonnalité, la structure des flux et l'importance des opérateurs concernés pour ces deux îles sont très différents, et qui nécessiteraient une autre étude...




Des flux maritimes répartis sur 5 à 6 ports, mais le premier d'entre eux se détache nettement, en Sardaigne plus encore qu'en Corse


Pour fixer les idées et situer géographiquement les différents ports ouverts au trafic des ferries, ont été représentés ci-dessous côte à côte les cartes de Corse et de Sardaigne. Premier point commun, dans chacun des cas, les trafics passagers maritimes sont, en apparence, répartis sur 5 à 6 ports situés autour de ces îles. Par importance décroissante durant la saison 2021 (la saison touristique étant définie habituellement par l'INSEE comme la période allant de début mai à fin septembre), il s'agit, pour la Corse, de Bastia, Ajaccio, Ile Rousse, Porto Vecchio, Bonifacio et Propriano (Calvi étant fermé au trafic ferries depuis l'été 2016) et, pour la Sardaigne, de Olbia, Porto Torres, Golfo Aranci, Cagliari et Santa Teresa di Gallura. Deuxième point commun, dans les deux cas, le port principal en termes de trafic passagers n'est pas la capitale de l'île (respectivement Ajaccio et Cagliari), mais bien un port géographiquement mieux placé par rapport à la majorité des ports continentaux desservis, à savoir Bastia pour la Corse et Olbia pour la Sardaigne. Troisième point commun, pour la Corse comme pour la Sardaigne, les trafics passagers sont assez concentrés sur ce port principal, même si c'est davantage vérifié pour la Sardaigne (60% des trafics passagers sur le seul port d'Olbia durant la saison 2021) que sur la Corse (48% des trafics sur Bastia). La concentration sur le principal port de Sardaigne apparaîtrait encore plus élevée si l'on agrégeait les trafics des ports d'Olbia et de Golfo Aranci (74% au total), ce dernier étant en fait l'avant-port du premier. Cela s'explique très bien pour des raisons gégographiques là encore, les ports d'Olbia et de Golfo Aranci étant idéalement situés par rapport au continent italien, pour lesquels ils représentent la voie d'accès la plus courte. C'est moins vrai en Corse pour Bastia, qui est bien la route la plus courte depuis l'Italie continentale (depuis Savona, Genova, Livorno ou Piombino) mais qui est plus éloigné de l'ensemble des ports de France continentale que le port d'Ile Rousse et plus distant des ports de Marseille et de Toulon que le port d'Ajaccio par exemple. Quatrième point commun, en Corse comme en Sardaigne, l'importance respective des différents ports de ces îles n'a en fait que peu évolué à la suite de la crise sanitaire même si, en Corse, Ile Rousse et Porto Vecchio ont mieux résisté que les autres.


          
Nota Bene : représentation graphique Mare Nostrum Corsica, sur la base de données de trafics passagers maritimes de la CCI de Corse et de Sardegna Mobilità, portant sur la saison 2021 (1er mai au 30 septembre), à l'aide de fonds de carte d-maps. En raison de la superficie très différente des deux îles (la Sardaigne est près de trois fois plus étendue que la Corse, avec 24 090 km2 contre 8 722 km2, les échelles ne sont pas les mêmes, comme indiqué sur ces cartes. Les pourcentages indiqués à l'intérieur ou à proximité des bulles figurent la part du trafic passagers maritime de chacune de ces îles représentée par chaque port durant la saison 2021.



Des trafics passagers maritimes encore plus concentrés sur le mois d'août et sur les lignes nationales en Sardaigne qu'en Corse

Absent des lignes de Corse et longtemps cantonné au fret, Grimaldi Lines domine de plus en plus en Méditerranée après le rachat de plusieurs compagnies de ferries (Minoan Lines en Grèce en 2008, Trasmediterranea en Espagne en 2021...) et le fort développement de ses capacités ferries sur la Sardaigne, où il occupe désormais la place de challenger n°1 du groupe Moby/Tirrenia. Ici, le Cruise Europa au large de Livorno, en août 2021 (au premier plan, un treuil du Mega Regina de la Corsica Ferries) ; photo : Romain Roussel.


Cinquième point commun, en Corse comme en Sardaigne, les trafics passagers maritimes sont très fortement concentrés sur la saison touristique, et ce, même depuis la crise COVID. Différence notable toutefois, et qui peut surprendre vue de Corse où l'on entend souvent dire que la saison se concentre sur un seul mois d'été, les pics de trafics estivaux sont encore plus marqués en Sardaigne qu'en Corse, en particulier au mois d'août (qui est traditionnellement le plus chargé) ! Ainsi, en 2021, le mois d'août représente à lui seul en Sardaigne 38% des trafics passagers de l'ensemble de la saison estivale (début mai à fin septembre), contre 34% en Corse. Cela fait qu'au total, pendant les deux mois estivaux les plus chargés (juillet et août), la Sardaigne voit naviguer près des deux tiers de ses voyageurs maritimes de la saison, soit près de 4 points de plus qu'en Corse (66% du total de la saison touristique contre 62%). En valeurs absolues, les écarts semblent encore plus impressionnants, puisque la Sardaigne a vu, en 2021, débarquer et embarquer près de 1,3 million de passagers dans ses ports (de et vers le continent) au seul mois d'août, contre un peu plus de 816 000 pour la Corse, soit plus de moitié plus !

Ces écarts sont d'autant plus impressionnants que la Sardaigne ne compte pour l'essentiel dans ses ports que des passagers de et vers le continent italien (trafic national). En effet, le trafic international (principalement orienté vers la France avec la Corsica Ferries qui assure une liaison Toulon-Porto Torres à l'année et vers l'Espagne avec Grimaldi Lines qui relie également à l'année Porto Torres à Barcelona) y est nettement plus faible qu'en Corse. En effet, bien qu'en recul notable depuis plusieurs d'années, le trafic passagers maritime de la Corse avec l'Italie - assuré principalement depuis Bastia par la Corsica Ferries toute l'année et par la Moby Lines en saison - reste important. Ce constat d'une moindre importance du trafic international en Sardaigne qu'en Corse est vérifié en valeur absolue (138 000 passagers maritimes internationaux pour la Sardaigne en saison, contre 526 000 pour la Corse), mais il l'est encore plus en termes relatifs. En effet, sur la saison 2021, le trafic passagers maritime de la Sardaigne avec le continent s'est concentré à 95,9% sur les seules lignes nationales (3,37 millions), alors que cette concentration n'atteignait que 76,6% sur les lignes de Corse (2,25 millions). Cela n'a laissé dès lors que 4,1% aux trafics internationaux sur la Sardaigne, soit bien moins qu'en Corse (23,4%).

À noter toutefois, et c'est le sixième point commun, que ces taux d'ouverture des trafics maritimes à l'international se sont significativement réduits depuis le début de la crise sanitaire qui a favorisé les vacances dans son pays d'origine. En effet, en moyenne sur les trois dernières saisons ayant précédé la crise, de 2017 à 2019, la part des trafics internationaux atteignait encore 5,9% sur la Sardaigne et 31,9% sur la Corse. C'est donc bien sur les lignes maritimes de Corse que la part des trafics maritimes internationaux s'est le plus réduite depuis l'émergence de la COVID-19 (-8,5 points de parts de marché, contre -1,8 point en Sardaigne entre la période pré-crise et 2021).       

 
Nota Bene : représentation graphique Mare Nostrum Corsica, sur la base de données de trafics passagers maritimes de la CCI de Corse et de Sardegna Mobilità, portant sur la saison 2021 (1er mai au 30 septembre) et distinguant les trafics nationaux (Corse-continent français pour la Corse, Corse-continent italien pour la Sardaigne) des autres trafics passagers avec le continent. Les deux graphiques ont été réalisés à la même échelle de manière à mieux visualiser les différences de niveaux des trafics estivaux entre les deux îles.




Des flux maritimes sardes toujours supérieurs aux corses, mais des évolutions tout à fait similaires depuis le début de la crise COVID 
   
Nota Bene : représentations graphiques Mare Nostrum Corsica, sur la base de données de trafics passagers maritimes de l'Observatoire régional des transport de la Corse et de Sardegna Mobilità,portant sur les trafics annuels depuis 2016. Pour l'année 2021, dont les données n'étaient pas encore connues lors de l'étude, ce sont les données sur les 12 derniers mois arrêtées à fin septembre 2021 (années mobiles à fin septembre) qui ont été prises en compte, ce qui permet d'avoir une très bonne estimation du trafic de l'année entière, car cette période englobe l'intégralité de la saison touristique 2021. Le graphique de gauche présente les niveaux de trafics et celui de droite leurs indices d'évolution de 2017 à 2021 (base 100 en 2016).


Comme représenté au premier graphique ci-dessus portant sur la période 2016-2021, les flux de passagers annuels transportés par mer sur la Sardaigne, avant comme après le commencement de la crise COVID, sont supérieurs à ceux de la Corse, de l'ordre d'un million de passagers environ en 2021. Ainsi, flux inter-îles inclus, le trafic maritime de la Sardaigne dépassait chaque année 5 millions de voyageurs jusqu'en 2019 (5,54 millions cette année-là), contre environ 4 millions annuels sur les lignes de Corse (un peu moins en 2019, seulement 3,90 millions). Ces écarts s'expliquent notamment par un facteur démographique : avec une population estimée par l'INSEE à 349 000 habitants au 1er janvier 2021, la Corse est près de 4,7 fois moins peuplée que la Sardaigne (1,64 million en 2019), même si l'écart relatif se réduit depuis plusieurs années, la Corse étant nettement plus attractive sur le plan 
démographique que la Sardaigne.

Avec la crise de la COVID, la chute des trafics passagers a été impressionnante en 2020 : -41,0% sur la Corse et -44,4% sur la Sardaigne, soit des évolutions tout à fait comparables à celles observées en moyenne dans l'Union européenne par Eurostat (-45,0%). En 2021, les données de Sardegna Mobilità et de l'Observatoire régional des transports de la Corse montrent que le rebond a été bien réel : +26,8% sur la Sardaigne et +25,0% sur la Corse, avec respectivement 3,91 et 2,88 millions de voyageurs
(données 2021 sur 12 mois à fin septembre 2021). Toutefois, cela ne suffit pas, loin s'en faut, à combler la chute de 2020. Comme illustré au graphique de droite ci-dessus, représenté en indices (indices 100 en 2016 pour la Corse et pour la Sardaigne), les trafics passagers maritimes de la Sardaigne et de la Corse sont encore respectivement 25% et 28% inférieurs à leur niveau de 2016. Dit autrement, cela signifie qu'il faudrait une progression d'au moins 34% en Sardaigne et d'au moins 40% en Corse des flux maritimes à partir de 2022 pour retrouver les niveaux moyens d'avant crise ; la route est donc encore très longue ! Plus remarquables encore, les évolutions des indices corses et sardes sont quasi-parallèles depuis le début de la crise COVID, avec des courbes quasiment confondues pour la Corse et pour la Sardaigne de 2019 à 2021, alors même que les évolutions ont été massives. On peut donc en conclure que les trafics passagers maritimes de ces deux îles ont été choqués par la crise d'une manière et avec une ampleur tout à fait similaire. Le léger mieux relatif des lignes sardes en 2021 s'explique en fait intégralement par une dynamique pré-crise plus favorable sur les lignes maritimes de Sardaigne, dont le trafic a progressé de 2016 à 2019, tandis que celui de la Corse se faisait dans le même temps grignoter par l'avion.  



Des opérateurs en commun, mais une plus grande concentration des flux sur un petit nombre de lignes en Sardaigne qu'en Corse
Moby Corse et départ du Mega Express de la Corsica Ferries (Bastia, août 2019 ; photo : Romain Roussel)
Le groupe Moby/Tirrenia est leader sur les lignes sardes et deuxième au global derrière la Corsica Ferries pour le nombre de passagers transportés, Corse et Sardaigne confondues. Ici, le Moby Corse à quai à Bastia et le départ du Mega Express, en août 2019 (photo : Romain Roussel).


Pour bien comprendre comment s'expliquent ces évolutions, il est indispensable de descendre à un niveau plus fin, celui des lignes opérées, et de s'intéresser aux armateurs assurant ces liaisons. Le premier graphqiue ci-dessous représente les 20 premières lignes maritimes de Corse ou de Sardaigne, par ordre décroissant suivant leur trafic passagers relevé durant la saison 2021. Il s'agit donc d'une présentation originale, mixant les liaisons maritimes de ces deux îles, ce qui en permet une comparaison plus directe. Sur ces 20 lignes principales, 11 sont des lignes de Corse, 8 des lignes de Sardaigne et 1 une liaison corso-sarde. On pourrait donc a priori croire, à la simple lecture de leurs noms, que les lignes de Corse dominent celles de Sardaigne ; or, comme on l'a vu, c'est l'inverse. Cela est dû au fait que le trafic passagers de la Sardaigne se concentre davantage sur un petit nombre de lignes maritimes à fort trafic : de fait, 5 des 6 premières lignes sont des lignes sardes, contre 1 seule donc corse.

Corse et Sardaigne confondues, la première ligne est donc la liaison Olbia-Livorno
 [3], qui relie la Toscane à la Sardaigne, avec plus de 934 000 passagers pendant la saison 2021. Elle est opérée par deux compagnies transalpines, la Grimaldi Lines et la Moby Lines. Ces compagnies sont les deux principales en Méditerranée en termes de tonnage et de capacité des navires de commerce ; elles alignent sur Livorno-Olbia des ferries parmi les plus gros de la Méditerranée : les Cruise Europa et Cruise Sardegna de Grimaldi Lines mesurent 225 mètres de long sur 30,4 de large, et peuvent accueillir 2 300 passagers, 610 véhicules et 180 remorques de fret (3 060 mètres linéaires de garage) sur quatre niveaux ; ils filent à une vitesse maximum de 27 noeuds et effectuent chacun un aller-retour par jour en saison sur cette ligne. Ces navires ont remplacé durant la saison 2021 deux ferries de moindre capacité déployés jusqu'ici par Grimaldi sur cet axe, ce qui a contribué au rebond de la ligne. Les Sharden et Nuraghes de la Tirrenia sont opérés également à cette cadence par la Moby Lines en été. Si leurs dimensions sont un peu moindres, 214 mètres sur 26,4, ils peuvent transporter jusqu'à 2 900 passagers et 850 voitures à une vitesse similaire, avec des capacités fret un peu plus réduites (140 remorques au maximum, pour 1 900 mètres linéaires de garage). Ces deux navires seront toutefois remplacés sur cet axe en 2023 par les deux plus gros ferries de Méditerranée, en construction aux chantiers chinois Guangzhou International Company Limited GSI, les Moby Fantasy et Moby Legacy.

La deuxième ligne, par importance décroissante, est la liaison sarde Olbia-Civitavechia
(port le plus proche de Rome desservi par des ferries) [4], avec 624 000 voyageurs durant la saison 2021. En été, trois armateurs distincts y opèrent : Grimaldi Lines, la Tirrenia et Grandi Navi Veloci (GNV). Ces compagnies y naviguent en concurrence durant l'été et, depuis le printemps 2021 et jusqu'en mars 2023, en partenariat hors saison, dans le cadre d'une délégation de service public assurée sans subvention sur cette ligne. Également très porteuse en termes de fret, ces compagnies y font naviguer des cargos mixtes et des ferries alliant de fortes capacités de roulage pour remorques.

La troisième ligne la plus 
importante est la principale ligne de Corse, Ajaccio-Toulon, desservie par la Corsica Ferries en Mega Express jusqu'à deux fois par jour en saison. La CCI de Corse y a dénombré 461 000 passagers durant la saison 2021. Elle précède d'une courte tête une autre ligne desservie elle aussi par la seule compagnie aux bateaux jaunes, Golfo Aranci-Livorno, qui compte 450 000 voyageurs au cours de cette période. Ainsi, au total, les lignes entre Livorno et le Nord Est de la Sardaigne représentent à elles seules un trafic colossal, dépassant 1,38 million de voyageurs sur 5 mois !

Les deux lignes suivantes, qui arrivent quasiment ex-aequo en quatrième et cinquième positions, relient toutes deux le port de Genova, en Ligurie, à la Sardaigne : l'une avec la côte est (Genova-Olbia, 430 000 passagers sur la saison 2021), l'autre avec la côte ouest (Genova-Porto Torres, 422 000 voyageurs). Elles sont toutes deux desservies par GNV, ainsi que par une compagnie du groupe Onorato Armatori, qui a spécialisé la marque Moby sur Olbia, tandis que la Tirrenia fait escale à Porto Torres.

Les six dessertes qui suivent, assez nettement derrière, sont toutes des lignes de Corse. Les cinq premières d'entre elles sont desservies exclusivement ou très majoritairement par la Corsica Ferries : Bastia-Toulon, tout d'abord, avec 303 000 passagers, puis Bastia-Livorno (253 000 passagers, à 70% transportés par les bateaux jaunes), Ile Rousse-Toulon (206 000 passagers), Bastia-Nice (187 000 passagers) et Bastia-Savona (165 000) ; vient derrière Ajaccio-Marseille (130 000 passagers), assurée conjointement par la Corsica Linea et La Méridionale. Les lignes qui suivent comptent toutes des trafics passagers inférieurs à 130 000 passagers sur les 5 mois d'été et sont desservies par diverses compagnies, comme illustré au tableau.

 
Nota Bene : représentations graphiques Mare Nostrum Corsica, sur la base de données de trafics passagers maritimes de la CCI de Corse et de Sardegna Mobilità, portant sur les trafics passagers durant la saison estivale (début mai à fin septembre). Les lignes de Corse sont représentées sur fond rouge, celles de Sardaigne sur fond mauve et classées par importance décroissante durant la saison 2021. Sur le graphique de droite, sont indiqués les taux d'évolution des trafics passagers 2021 par rapport à ceux observés en 2020 d'une part (première année de la crise COVID) et à la moyenne (2017-2019) représentative des années ayant précédé cette crise d'autre part (les couleurs sous les pourcentages, du rouge au vert en passant par le jaune, correspondent aux taux d'évolution, du plus négatif au plus positif). Figurent aussi les noms des compagnies maritimes ayant opéré ces différentes liaisons durant l'été 2021.


Toutes ces lignes ont certes connu un rebond de 2020 à 2021, mais dans des proportions très variables (de +12% à +106%, selon les données de la CCI de Corse et de Sardegna Mobilità). Deux des trois reprises les plus fortes durant la saison 2021 ont été enregistrées sur des lignes de Corse :
- Porto Vecchio-Marseille, +106%, se hisse ainsi au 20ème et dernier rang du classement avec 71 000 voyageurs saisonniers, à la faveur de la substitution de navires de Corsica Linea à plus forte capacité passagers (Jean Nicoli notamment) au navire employé en 2020 sur cette liaison par La Méridionale (le Piana), et grâce aux rotations supplémentaires opérées pendant l'été 2021 par la compagnie aux bateaux rouges sur cet axe ;
- Ile Rousse-Toulon, +85%, dépasse pour la première fois de son histoire le cap des 200 000 passagers sur une seule saison, grâce à une programmation particulièrement nourrie en Mega Express de grande capacité de la Corsica Ferries (notamment le Pascal Lota) et, là aussi, aux rotations supplémentaires opérées les samedis de pointe en été par la compagnie aux bateaux jaunes ;
- Porto Torres-Toulon, desservie par la Corsica Ferries également, connait une très forte reprise (+ 63%), qui la hisse à plus de 81 000 passagers sur la période.

Au final toutefois, 16 des 20 principales lignes maritimes de Corse ou de Sardaigne connaissent encore, durant l'été 2021, un niveau de trafic inférieur à celui observé avant crise (2017-2019). Seules quatre lignes, toutes sur la Corse, ont atteint à niveau supérieur durant l'été 2021à celui de la moyenne pré-crise COVID : c'est le cas d'Ajaccio-Marseille (+2%, selon la CCI de Corse), de Porto Vecchio-Marseille (+14%), d'Ile Rousse-Toulon (+20%), pour les raisons évoquées plus haut, mais aussi et surtout de Porto Vecchio-Toulon (+285%) ! La ligne Porto Vecchio-Toulon, desservie par la Corsica Ferries, a véritablement pris son essor depuis deux ans et notamment durant l'été 2021 (+51%), du fait d'une programmation de ses navires plus soutenue et assise sur des navires à fortes capacités en cabines (le nouveau Mega Regina, associé aux jumeaux Mega Andrea et Mega Smeralda). Les voyageurs pourraient toutefois être davantage répartis entre les ports de Toulon et de Nice à l'avenir, au vu de la programmation initiale des escales de la Corsica Ferries pour la saison 2022, plus équilibrée entre ces deux ports.  



Au total, durant la saison 2021, Livorno arrive en tête devant Toulon et la Corsica Ferries devance le groupe Moby/Tirrenia pour le nombre cumulé de passagers transportés au départ et à l'arrivée de ces deux îles
  
Nota Bene : représentations graphiques Mare Nostrum Corsica, sur la base des données de trafics passagers maritimes de la CCI de Corse et de Sardegna Mobilità, portant sur les trafics passagers durant la saison estivale 2021 (début mai à fin septembre). Le graphique de gauche agrège les trafics comptabilisés par ces organismes sur les lignes de Corse (en rouge) et de Sardaigne (en mauve). Le graphique de droite comporte une part estimative, calculée par Mare Nostrum Corsica, pour répartir les trafics des lignes en concurrence sur les lignes de Sardaigne entre les compagnies, ces données n'étant pas communiquées par Sardegna Mobilità. Ces estimations ont été réalisées sur la base de conventions prenant en compte les données de fréquence de la desserte et de taille des navires employés. Sur la Corse, une telle estimation n'a pas été nécessaire, la CCI de Corse publiant les trafics passagers par compagnie sur chacune des lignes.

  
      
Là encore, la présentation originale figurant ci-dessus permet d'avoir une vision inédite des principaux ports émetteurs / récepteurs des passagers maritimes de ces deux îles, prises comme un tout (même si l'on continue de distinguer, pour l'analyse, les trafics spécifiques à chacune d'elles). Avec cette présentation, il ressort clairement, qu'en saison, c'est le port italien de Livorno - relié à la fois à la Corse et à la Sardaigne, mais avec un trafic concentré à 84% sur cette dernière [5] durant la saison 2021 - qui arrive nettement en tête, avec plus de 1,64 million de voyageurs. Il devance Toulon (1,14 million), dont les trafics passagers avec ces deux îles sont, à l'inverse, concentrés à 93% sur la Corse, et l'ensemble portuaire, constitué de Savona et de Genova (1,13 million), tourné très fortement vers la Sardaigne (à 77%), qui arrivent quasiment ex-aequo. Bien qu'il s'agisse de deux ports distincts, il est apparu pertinent pour l'analyse de regrouper ici les trafics des ports de Savona Vado et de Genova, distant d'une trentaine de kilomètres à peine, et dont les lignes maritimes sont à la fois frontalement en concurrence et représentatives, à elles deux, des ports de Ligurie. Viennent ensuite, nettement plus loin, divers autres ports continentaux, tous tournés quasi-exclusivement vers la Sardaigne (Civitavecchia, 804 000 passagers) ou vers la Corse (Marseille, 410 000 passagres, et Nice, 260 000).

Par compagnie, seule une estimation des trafics peut être présentée, comme tenu des limites méthodologiques relatives aux données disponibles sur les lignes de Sardaigne. Il en ressort toutefois sans ambiguité la première place occupée par la Corsica Ferries - Sardinia Ferries durant la saison 2021, avec au total, plus de 2,2 millions de passagers transportés sur la Corse et la Sardaigne, à près des trois quarts sur la Corse. C'est la seule compagnie dépassant la barre des 2 millions de passagers en saison sur ces deux îles. Le groupe Onorato Armatori, agrégeant les trafic passagers de la Moby et de la Tirrenia, arrive deuxième (mais ressortirait à la première place si la comparaison avait inclus aussi l'île d'Elbe), avec un trafic sur ces deux îles compris entre 1,7 et 1,8 million de passagers pendant la saison 2021, aux neuf dixièmes transportés sur la Sardaigne. La Moby/Tirrenia transporte en saison sur la Sardaigne autant de passagers que la Corsica Ferries sur la Corse, mais son trafic sur la Corse est sensiblement moindre que celui de la compagnie aux bateaux jaunes sur la Sardaigne, d'où l'écart global ! La Grimaldi Lines, non présente sur la Corse, arrive troisième, avec un trafic estimé entre 800 000 et 900 000 passagers sur la Sardaigne, soit nettement devant GNV (présente sur la Sardaigne) et Corsica Linea (concentrée sur la Corse), elles-même suivies de loin par La Méridionale. Rappelons toutefois une fois encore que ces dernières compagnies sont davantage orientées vers le trafic fret, non présenté dans ces données, et qu'elle desservent aussi d'autres liaisons passagers que les lignes de Corse et de Sardaigne (en particulier, la Sicile, l'Espagne, le Maroc, la Tunisie, l'Albanie pour GNV ; la Sicile, l'Espagne, la Grèce, la Tunisie et le Maroc pour Grimaldi Lines, la Tunisie et l'Algérie pour la Corsica Linea et le Maroc pour La Méridionale). Les ordres de grandeur présentés ici dépendent donc directement du périmètre de comparaison considéré.


Notes -------------------------------------------------------------------------------------------------------

[1] Page du site de la Commission européenne (disponible uniquement en anglais), intitulée Maritime Passenger Statistics, décembre 2021 et portant sur l'analyse des flux de passagers maritimes européens pour la période 2005-2020, avec un zoom particulier sur les évolutions de 2019 à 2020.

[2]
Les principales sources statistiques régionales ont été mobilisées. Dans le cas de la Corse, il s'agit des données de l'Observatoire régional des transports de la Corse et de la CCI de Corse. Dans le cas de la Sardaigne, les données de Sardegnà Mobilità ont été consolidées par Mare Nostrum Corsica afin d'être exploitées. Les adresses de ces sites figurent sur la page des liens de Mare Nostrum Corsica. Dans certains cas, précisés le cas échéant sous le terme "estimations Mare Nostrum Corsica", des hypothèses ou extrapolations ont dû être effectuées en sus pour aboutir aux données présentées ici.

[3] Il s'agit d'une ligne historiquement opérée par l'armateur italien privé Trans Tirreno Express, racheté par la Corsica Ferries au début des années 1980 pour créer la Sardinia Ferries. La Corsica Ferries - Sardinia Ferries y a navigué jusqu'en 1990, avant de préférer à Olbia son "avant-port", Golfo Aranci, afin de bénéficier de taxes portuaires moindres et d'une proximité un peu plus grande avec le continent italien ; cela s'est fait au détriment du trafic fret, dont l'accueil est plus adapté à Olbia. Sur Olbia-Livorno, la Sardinia Ferries a été concurrencée à partir de 1988 par la Navarma Lines (devenue par la suite la Moby Lines), avant que n'y débarque à son tour le géant du fret Grimaldi Lines au printemps 2016.

[4] A contrario de la ligne Olbia-Livorno, traditionnellement opérée par le secteur privé, la ligne Olbia-Civitavecchia était historiquement l'apanage de la seule compagnie d'État Tirrenia (privatisée au profit de la Moby au début des années 2010) et la principale ligne empruntée par les voyageurs italiens en villégiature en Sardaigne, tandis que son pendant depuis l'avant-port de Golfo Aranci servait à accueillir les trains-ferries de la compagnie des chemins de fer italiens, la Ferrovie dello Stato, qu'elle acheminait également vers Civitavecchia. La Corsica Ferries a été la première compagnie à venir les concurrencer sur cet axe avec son navire à grande vitesse, le Sardinia Express, à partir de 1997 puis avec ses ferries classiques et Mega Express, avant de se retirer de cet axe fin 2011, la crise de 2008 ayant fait chuter le trafic. D'autres compagnies, toutes italiennes, s'y sont depuis succédé : la SNAV, absorbée depuis par le groupe Aponte, également propriétaire des croisières MSC, qui détient aussi GNV et commercialise l'ensemble de ses routes de ferries sardes sous cette dernière marque (le groupe Aponte a fait son grand retour sur Olbia-Civitavecchia pour la saison 2021, après une dizaine d'année d'interruption du service) ; la Moby (qui s'en est finalement retirée au profit de la Tirrenia, qu'elle contrôle également, dans un souci de rationalisation des coûts), et enfin Grimaldi Lines à partir de l'été 2016... 

[5] La concentration des trafics passagers sur l'une ou l'autre de ces îles s'entend ici non par rapport au trafic passagers global de ces ports continentaux, mais au trafic réalisé avec la Corse et avec la Sardaigne. Ainsi, par exemple, pour calculer le taux de concentration de 84% sur la Sardaigne (contre 16% sur la Corse), n'est pas pris en compte le trafic du port de Livorno avec la Sicile ou avec la Tunisie. De même, le trafic du port de Toulon utilisé pour ces calculs, présenté ici comme concentré à 93% sur la Corse (contre 7% sur la Sardaigne), ne prend pas en compte le trafic du port Varois avec les Baléares, le total "Corse plus Sardaigne" faisant 100% par construction.      


Les photos et analyses présentées sur ce site sont la propriété de leur auteur (Romain Roussel, sauf mention contraire) et ne sont pas libres de droits

- Retour au sommaire des articles thématiques ou à la page principale de Mare Nostrum Corsica  - Haut de page