Mare Nostrum Corsica
Calvi, Propriano, Porto Vecchio... : quel avenir pour les "ports secondaires" de Corse ?

L'arrivée du Mega Express à Calvi, en octobre 2013 ; photo : Romain Roussel 
Avant l'interdiction totale des accostages prononcée en août 2016, le port de Calvi était déjà délaissé au profit de celui d'Ile Rousse, aux infrastructures modernisées. Il n'accueillait déjà depuis plusieurs années plus aucune desserte de continuité territoriale depuis Marseille mais seulement des escales occasionnelles depuis Nice ou Savona de la Corsica Ferries.

Avertissement : suite à un arrêté préfectoral, toutes les traversées de car-ferries programmées de et vers le port de Calvi sont interdites à compter du 12 août 2016. En effet, la configuration du port de commerce de Calvi, situé en plein coeur de la ville touristique, ne permet pas d'assurer dans des conditions acceptables les contrôles de sécurité nécessaires à la prévention du risque d'attentats. En conséquence, à compter du 12 août 2016, toutes les traversées des navires initialement programmées de et vers Calvi par la Corsica Ferries (seule compagnie à encore desservir ce port en 2016) sont transférées sur l'Ile Rousse, a priori sans changement d'horaires, sous réserve que les possibilités d'accostage de ce port le permettent... Les passagers concernés peuvent se renseigner auprès de la compagnie maritime dont les coordonnées figurent en page des liens.

En Corse, on distingue traditionnellement les ports principaux de Bastia et d'Ajaccio des autres ports de l'île, souvent appelés "ports secondaires". Peu valorisant, ce terme traduit le fait que le trafic de ces ports de Calvi, l'Ile Rousse, Porto Vecchio, Propriano et Bonifacio représentent à eux tous un trafic trois fois moindre que les ports de Bastia et d'Ajaccio pour ce qui est des passagers et six fois moindre pour ce qui est du fret (exprimé en termes de tonnages nets, comme rappelé dans le tableau ci-dessous). À l'exception de Calvi, tous ces ports dits secondaires sont néanmoins desservis à l'année. 

Sous ce terme générique, se cachent pourtant des réalités bien différentes selon les cas, et ce à plusieurs titres :

* la desserte peut en effet être opérée soit dans le seul cadre de la délégation de service public assurée depuis Marseille par la SNCM et La Méridionale (dans le cas des ports de Propriano et Porto Vecchio), soit dans un cadre privé (cas du port de Calvi), soit dans un cadre mixte (cas de l'Ile Rousse et, dans une certaine mesure, de Bonifacio, la Saremar  - en voie de privatisation - présente sur ce port bénéficiant jusqu'ici de subventions de l'Etat italien) ;

* au sein des ports secondaires, les situations sont bien diverses en termes de trafic passagers : le premier d'entre eux, l'Ile Rousse, bénéficie en effet d'un trafic bien supérieur aux autres (à lui seul, 47% du trafic total des ports secondaires en 2014), d'une desserte plus fournie (jusqu'à 6 rotations par jour en périodes de pointe en 2015), d'une plus grande variété de liaisons (vers quatre ports pendant la saison 2015 : Marseille, Toulon, Nice et Livorno - alors que la plupart des autres ne sont reliés qu'à une seule destination : Marseille pour Porto Vecchio, Santa Teresa di Gallura en Sardaigne pour Bonifacio) et d'infrastructures plus modernes et adaptées à la réception simultanée de deux navires (voir l'article thématique : L'Ile Rousse, bientôt plate-forme portuaire unique de la Balagne ?). Il serait de ce fait peu impacté à toute réorganisation éventuelle de la desserte de service public au départ de Marseille. Pour ce qui est du fret, tous les ports secondaires ont un trafic très faible qui ne pourrait être maintenu sans délégation de service public, seuls Propriano et Porto Vecchio voyant leur tonnage net dépasser les 100 000 tonnes en 2014, soit un niveau qui reste néanmoins 10 fois inférieur à celui enregistré sur le port de Bastia.


"Ports secondaires" de Corse : des dynamiques très diverses et une absence de débat de fond ? 

Sources :  Observatoire régional des transports de la Corse pour les trafics fret et passagers ; Mare Nostrum Corsica d'après les horaires des compagnies pour les autres informations, se référant à l'année 2014. Depuis cette date, de nouvelles lignes maritimes ont été créées par la Corsica Ferries sur Porto Vecchio (voir plus bas) vers le continent et la Sardaigne en mai-juin 2016 et le trafic du port de commerce de Calvi, suspendu depuis août 2016.

Comme représenté au tableau ci-dessous, d'une délégation de service public à l'autre, le trafic global de ces ports secondaires a globalement connu une croissance comparable à celle des ports principaux de l'île sur longue période (un peu plus de +50% sur 1992-2014). Toutefois, si leur croissance a été plus rapide pendant "les années NGV" (laps de temps désignant ici la période entre la mise en service des premiers navires à grande vitesse en 1996 et celle de l'inauguration des premiers Mega Express en 2001) elle a, à l'inverse, été deux fois plus lente sur la période récente (+5% de 2002 à 2014, contre +10% pour les ports principaux) marquée par l'essor des Mega Express

Plus en détail :

* au sein des ports principaux, Ajaccio a connu une croissance bien plus rapide que celle de Bastia, car il a bénéficié du retour de la Corsica Ferries à partir de 2001 sur lequel la compagnie a fortement développé ses lignes sur Nice et Toulon, tandis que le port du nord de l'île a connu une croissance fortement ralentie depuis le début des années 2000 suite à la morosité des lignes italiennes ; 

* au sein des ports secondaires, plusieurs profils de dynamiques peuvent être observés : 

- celui d'un développement quasi-continu, dans le cas de l'Ile Rousse, qui a bénéficié à la fois de sa proximité du continent français et du recul du port de Calvi à partir du milieu des années 2000 (le record ayant été atteint en 2002) suite à la disparition progressive des NGV. L'Ile Rousse est ainsi passé du quatrième ou du cinquième rang des ports de Corse, selon les années, à un troisième rang incontesté derrière Bastia et Ajaccio et occupe de ce fait le premier rang des ports secondaires depuis 2006 ;

- celui d'un profil de trafic "en cloche", preuve d'un développement contrarié, dans un premier temps pour Calvi (qui a dans un premier temps vu son trafic fortement progresser sous l'impulsion de la concurrence des navires rapides de la Corsica Ferries et de la SNCM à partir de niveaux très faibles avant de refluer pour revenir à des niveaux historiquement bas avec le retrait de ces navires des lignes de Corse) puis, beaucoup plus récemment pour Porto Vecchio (dont le trafic a presque continûment progressé jusqu'en 2012 sous l'impulsion du renforcement de la desserte de la SNCM, notamment en ferries en sus des cargos mixtes de 2011 à 2014, avant de refluer fortement suite à la réduction de la desserte de ces navires) ;

- celui d'une certaine stabilité, voire d'une morosité sur presque toute la période pour les ports de Propriano et Bonifacio, qui finissent en 2014 à des niveaux de trafics inférieurs ou similaires à ceux de 1992.


Source :  Observatoire régional des transports de la Corse pour les trafics passagers. Les années présentées sont celles de début et de fin des délégations de service public (DSP), sauf pour la DSP 1976-2001 : la première année publiée par l'ORTC est 1992 et l'année intermédiaire 1997, première suivant l'introduction des NGV sur les lignes de Corse, est aussi présentée. Les données de trafic de l'année 2014 (et, dans une moindre mesure celles de 2006) doivent être considérées avec prudence, en raison de conflits sociaux nombreux à la SNCM qui ont affecté le trafic des différents ports, aussi la dernière année de référence est-elle plutôt 2013.


À cette situation, très diverse, des ports de Corse n'ont pas fait l'écho de véritables réflexions sur le rôle et la desserte de chacun de ces ports et en particulier de celle des ports secondaires. Il n'y a en particulier eu aucun débat public sur la place des différents ports lors des débats d'orientation de l'Assemblée de Corse qui ont abouti en octobre 2012 au vote des obligations de service public pour la période 2014-2023. Si l'on excepte la réintroduction au dernier moment en 2007, de la ligne Marseille-Propriano au sein du service complémentaire de la délégation de service public (DSP) 2007-2013 afin de maintenir l'activité de deux ferries en saison à la SNCM, les dernières fois où ce sujet a véritablement été évoqué par les élus de l'île remonte aux réflexions préparatoires à la redéfinition du périmètre de la DSP 2002-2006, courant 2001 !

Pourtant, les partenaires sociaux ont régulièrement attiré l'attention des élus sur cette question, indissociable en particulier du coût du transport du fret maritime entre la Corse et le continent et, plus généralement, du niveau des prix dans l'île. Ainsi, Philippe Pasqualini, vice-président de la CGPME de Corse, avait-il par exemple affirmé le 27 septembre 2012 en marge des débats préparatoires à la définition de la DSP 2014-2023 dans une interview à France Bleu Corse que la question des besoins et du coût du fret n'avait pas suffisamment été analysée et que des scénarios alternatifs de desserte auraient gagné à être étudiés afin de dégager un gisement important d'économies. Il affirmait ainsi partager les préoccupations formulées par Jean-Claude Graziani (représentant de la CGT au sein du Conseil économique, social et culturel de Corse) selon lesquelles "nous nous posons des questions quand nous voyons un cargo arriver dans un port secondaire avec une remorque à bord" et ajoutait alors "quel est le prix de revient de la remorque ?" et qu'il fallait que les élus puissent expliquer que "le schéma qu'on a choisi coûte peut-être 30%, 40%, 50% plus cher qu'un autre schéma qui aurait privilégié l'efficacité économique de façon à abaisser significativement le coût des transports, de façon aussi à servir de régulation au prix des transports sur la Corse car plus on aura un prix de DSP bas, plus ça va réguler les tarifs vers le bas".



Alors que Calvi s'est effacé progressivement au profit de l'Ile Rousse, Propriano et Porto Vecchio pourraient connaître des fortunes diverses ces prochaines années, compte tenu des stratégies de La Méridionale et de la Corsica Ferries
 
Le Kalliste en mer en juillet 2014 ; photo : Jean-Pierre Fabre.
Depuis l'entrée en service du Piana sur Marseille-Bastia, le Kalliste est dédié à la ligne Marseille-Propriano-Porto Torres, structurellement déficitaire selon La Méridionale ; photo : Jean-Pierre Fabre.


De fait, les déclarations de Marc Reverchon, PDG de La Méridionale, ont fait, près de trois ans après, écho à ce constat. Début 2015, La Méridionale avait en effet décidé de renoncer à la desserte tri-hebdomadaire de jour entre Propriano et Porto Torres, en Sardaigne, et n'avait de fait plus programmé de rotation sur cet axe à compter du premier avril 2015. Finalement, un accord provisoire est intervenu avec l'Office des transports de la Corse pour maintenir provisoirement cette liaison, deux fois par semaine en 2015 et 2016, sauf au plus fort de l'été, dans l'espoir de l'attribution d'une aide européenne au titre de la coopération transfrontalière, la ligne jouant un rôle important dans le commerce entre Corse et Sardaigne.

Pour autant, Marc Reverchon a mis en évidence par ses déclarations que c'était en fait la totalité de l'axe Marseille-Propriano-Porto Torres qui posait problème puisqu'il a indiqué à France 3 Corse le 5 mars 2015 que "cette ligne entre Marseille, Propriano et Porto Torres est aujourd'hui déficitaire de plusieurs centaines de milliers d'euros, il faut que nous trouvions des solutions". Ce constat est d'autant plus inquiétant pour la pérennité à terme du port secondaire de Propriano que La Méridionale percevait depuis 2014 des subventions de la part de la Collectivité territoriale de Corse sensiblement revues à la hausse [1] dans la cadre de la DSP 2014-2023 par rapport à celles qu'elle recevait jusqu'ici (avant d'être finalement rabotées à deux reprises en 2016). 

Il est donc à craindre que l'équilibre économique de la ligne Marseille-Porto Vecchio, assurée par la SNCM puis, depuis 2016, par Corsica Linea dans des conditions similaires (3 rotations de fret par semaine, pour des trafics frets et passagers tout à fait comparables, comme représenté au premier tableau) ne soit aussi économiquement précaire, a fortioricompte tenu de la plus grande distance à parcourir (la distance entre Marseille et Porto Vecchio étant plus longue de 45 milles nautiques que celle de Propriano) et de la plus grande capacité exigée sur cette ligne (313 000 mètres linéaires de fret annuels requis pour la ligne de Porto Vecchio contre 188 000 pour celle de Propriano) et ce, en dépit de subventions annuelles supérieures de près de 6 millions d'euros sur cet axe. Pour autant, Porto Vecchio bénéfice depuis fin mai-début juin 2016 de plusieurs nouvelles lignes de la Corsica Ferries, qui a décidé de renforcer significativement sa présence sur le sud de la Corse, en ouvrant ce port sur de nouveaux horizons : Nice et Toulon pour ce qui est du continent français (lignes maintenues pendant l'hiver 2016-2017), Porto Torres et Golfo Aranci en saison estivale pour ce qui est de la Sardaigne et bientôt, Savona, en Italie du nord, à compter de l'hiver 2016. Aussi, le port de Porto Vecchio connaît-il une dynamique renouvelée, puisque dès le premier mois de l'ouverture des nouvelles liaisons de la Corsica Ferries, son trafic passagers a progressé de 102 % (il est passé de 8 999 passagres en juin 2015 à 18 178 pasagers en juin 2016) selon des statistiques de l'Observatoire régional des transports de la Corse (ORTC).

Dès lors, l'avenir des ports secondaires de Propriano et de Porto Vecchio, le premier dépendant intégralement de cette DSP et l'autre de moins en moins, pourrait donc s'avérer assez différent, à moyen terme. En effet, en plein contexte de redressement judiciaire de la SNCM, le journal Les Echos du 30 novembre 2014 révélait un projet de La Méridionale, selon lequel "son plan proposerait à la collectivité corse un périmètre d'intervention plus économique supprimant les escales dans les ports secondaires (Porto Vecchio, Propriano, Ile Rousse)" et que dès lors, la compagnie "n'aurait besoin que des quatre cargos pour assurer le service et de moins de 500 salariés", ce qui semblerait une solution extrême. À ce jour, aucun projet en ce sens, qui affaiblirait considérablement la desserte des ports secondaires du sud de l'île, n'a toutefois été porté ni proposé publiquement, que ce soit par les élus corses suite à l'annulation de la DSP Marseille-Corse à compter d'octobre 2016 ou par La Méridionale. Toutefois, des inquiétudes peuvent poindre pour l'avenir du port de Propriano à terme, que La Méridionale est la seule à desservir après la disparition de la SNCM (qui desservait ce port en car-ferry jusqu'en 2015 inclus) et la non reprise de cette desserte par Corsica Linea

Quant au port de Calvi, son trafic est devenu extrêmement faible ces dernières années, l'obsolescence de ses infrastructures portuaires aidant (le projet de gare maritime n'a jamais vu le jour, le port n'est pas adapté au trafic fret en raison de la pente que doivent gravir les camions et le seul quai disponible n'est que difficilement utilisable en saison du nombre de navires de plaisance présents dans la rade). Le coup de grâce pourrait lui avoir été donné début août 2016, un arrêté préfectoral interdisant, à compter du 12 août 2016, toute escale de ferry au départ et à l'arrivée de ce port pour des raisons de sécurité (liées à l'impossibilité d'effectuer dans des conditions acceptables les contrôles de sécurité liés à la lutte contre le terrorisme). Dès lors, dès cette date, l'intégralité de son trafic est transféré sur l'Ile Rousse...

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[1] En effet, dans le contexte d'une réduction de 14 millions d'euros en 2014 des financements publics globaux consacrés à la desserte maritime Marseille-Corse, La Méridionale a en effet dû percevoir en théorie 40,1 millions d'euros de subventions au total pour ses trois lignes de Corse (Marseille-Bastia, Ajaccio et Propriano) si l'on en croit le rapport de l'Office des transports de la Corse (voir l'article thématique sur ce sujet), contre 32,6 millions auparavant (soit plus de 7 millions d'euros annuels supplémentaires, en contrepartie il est vrai d'une baisse des tarifs du fret).


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