Mare Nostrum Corsica 

Le 23 mars 2012, l'Assemblée de Corse a défini les grands axes du futur service public maritime de la Corse... et les a validés le 5 octobre !

Dès mars 2012, les orientations adoptées prévoyaient, qu'à compter de 2014, la délégation de service public (DSP) serait limitée aux 7 cargos mixtes au départ de Marseille et que l'aide sociale aux passagers des lignes de Toulon et de Nice serait supprimée.
Le Mega Express Four de la Corsica Ferries longe le Napoléon Bonaparte de la SNCM à Bastia, en août 2009
Il n'y aura finalement pas de DSP transitoire et la nouvelle délégation en vigueur à compter du 1er janvier 2014 ne subventionnera plus ni les Mega Express de la Corsica Ferries sur Toulon et Nice, ni les ferries de la SNCM sur Marseille mais uniquement les cargos mixtes, dont la capacité sera accrue, au départ de la cité Phocéenne .  



Déjà avant mars 2012, des positions souvent antagonistes - et parfois fluctuantes dans le temps - des différents acteurs du dossier maritime Corse...

Selon l'hebdomadaire
Le Marin, Marc Dufour, le directeur général de la SNCM (en remplacement de Gérard Couturier), avait déclaré en octobre 2011 qu'il croyait savoir que la décision de l'Assemblée de Corse de choisir son nouveau délégataire interviendrait "fin 2013 et sans doute pas avant", ce qui aurait impliqué que la concession de service public sur Marseille-Corse n'aurait finalement pas été dénoncée avant l'heure (l'échéance prévue de la délégation actuelle étant fixée au 31 décembre 2013), contrairement aux souhaits publiquement exprimés courant 2010 par la SNCM ; dès lors, on pouvait raisonnablement penser que le dispositif d'aide sociale sur Toulon et Nice-Corse n'aurait pas non plus été remis en cause avant cette date.

Toutefois, le coup de tonnerre de l'annulation de l'appel d'offres Marseille-Corse de 2007 intervenu le 7 novembre 2011 a remis totalement en cause ce scénario. Le Figaro rapporte ainsi que "la Cour a estimé qu'il y avait violation du règlement européen sur le cabotage maritime" et rapport les propos de Pierre Mattei de la Corsica Ferries, à l'origine de cette contestation en justice : "Cela montre que nous étions dans notre bon droit et qu'on a subi un préjudice !» précise-t-il. Outre le service complémentaire assuré en périodes de pointe par la SNCM à l'aide des ferries Napoléon Bonaparte et Danielle Casanova (voir présentation de ce service dans la réponse à l'idée fausse n°4), serait dans la ligne de mire de la justice la «clause de sauvegarde» incluse dans le contrat de délégation. Le Figaro précise en effet que "cette clause permet en effet aux entreprises délégataires [SNCM et La Méridionale] de bénéficier d'un complément de subvention quand les recettes prévues au contrat ne sont pas au rendez-vous" et que "ce supplément est considéré comme une aide d'État et plusieurs dizaines de millions d'euros pourraient devoir être remboursés". Un nouvel appel d'offre aurait donc dû être lancé pour un nouveau contrat opérationnel le 1er septembre 2012. «Il va être très difficile de tenir ce délai», confiait Paul-Marie Bartoli, président de l'OTC, à cette même source qui précise également que, selon M. Bartoli, cette décision judiciaire devrait permettre «une remise à plat de l'ensemble du système de continuité territoriale, la DSP et son corollaire étroitement lié, l'aide sociale au passager».

Dans ce scénario, les éventuels concurrents de la SNCM pour la future délégation de service public (initialement censée débuter le 1er janvier 2014) auraient alors risqué de ne pas disposer, cette fois encore, d'un délai suffisant pour adapter leur flotte à cette nouvelle donne du maritime, ce qui aurait hypothéqué leurs chances d'être retenus. Pour mémoire, cette difficulté avait déjà été pointée par la Corsica Ferries lors du précédent renouvellement des délégataires, en 2007 : les compagnies ouvrent leurs réservations pour la saison d'été dès le mois d'octobre de l'année précédente et il serait économiquement insoutenable pour celles actuellement non délégataires des lignes Marseille-Corse de ne pas commercialiser les traversées de plusieurs navires en vue d'une hypothétique attribution de lignes de service public par la Collectivité territoriale de Corse quelques mois plus tard à peine. Pour mémoire, les attributions des lignes de service public maritime de l'île suédoise de Gotland se font généralement au moins deux ans à l'avance pour ne pas faire entrave aux nouveaux opérateurs potentiels...

France Bleu Frequenza Mora rapporte que Paul-Marie Bartoli a déclaré le 19 novembre 2011 à l'occasion du 3ème congrès des maires de Haute-Corse qu'il faudrait 18 mois pour mettre en place la nouvelle délégation de service public. L'actuelle DSP aurait, dans cette hypothèse, été prorogée de 8 à 10 mois au delà du 1er septembre, ce qui aurait porté son échéance au printemps ou à l'été 2013. Selon ce même média, il aurait également indiqué que les compagnies candidates auraient à signer un accord d'entreprise pour éviter toute nouvelle paralysie du trafic par des grèves : il projetterait ainsi d'instaurer  une obligation pour les grévistes de se déclarer 4 à 5 jours avant le début de tout mouvement socialCorse Matin du 20 novembre ajoute qu'était aussi envisagée l'instauration d'un prix plancher pour les traversées afin de limiter la pointe touristique en saison. Le journal rapporte en outre que, contrairement à ce qu'avait pu laisser penser ses déclarations antérieures, le Président de l'Office des transports s'était finalement déclaré favorable au maintien de l'aide sociale au passager "à condition de rationaliser le dispositif pour qu'il ne prenne pas la forme d'une subvention déguisée et qu'il ne touche que les publics directement concernés : étudiants, seniors, handicapés, famille nombreuses".

Les nouveaux élus de l'Assemblée de Corse auraient décidé du devenir de ce service public sur la base notamment des recommandations de la mission menée par le sénateur Charles Revet au printemps 2010 ; rappelons que le Président du Conseil exécutif de Corse, Paul Giacobbi, avait alors pris position pour la suppression du dispositif d'aide sociale qu'il qualifiait de "critiquable". Dans une interview parue dans Corse Matin le 10 septembre 2010, celui-ci déclarait également qu'il était "tout à fait probable" que la nouvelle délégation de service public maritime inclue aussi des rotations pour la Corse au départ du port de Toulon. Cette information avait alors été qualifiée de "bonne nouvelle" par le Président de la SNCM, Gérard Couturier, qui le confiait dans un entretien au journal le Marin du 15 octobre 2010. Il souhaitait lui aussi la suppression du dispositif d'aide sociale, jugé "antinomique" avec la délégation de service public sur Marseille ; projet de suppression que le Directeur général de la Corsica Ferries, Pierre Mattei, qualifie a contrario de "désastreux pour Corsica Ferries". Interrogé également par Corse Matin, Pierre Mattei précise en effet que "cela reviendrait à nous [Corsica Ferries] évincer de Toulon, un port très bien desservi. Or, une délégation de service public (DSP) ne s'envisage que s'il y a un besoin de service public à satisfaire, ce qui n'est pas le cas" selon lui. Les faits récents semblent lui donner raison, la SNCM s'engageant finalement sur Toulon dès février 2012 en dehors du contrat de service public.

Il est vrai que, jusqu'à présent, les appels d'offres successifs de l'Assemblée de Corse ont tous été remportés par la SNCM, en partenariat avec La Méridionale (CMN), même lorsque la Corsica Ferries a présenté des offres financièrement plus avantageuses pour la Collectivité, comme ce fut le cas la dernière fois. Il n'est donc pas du tout certain que la compagnie aux bateaux jaunes présente de nouveau des propositions en cas de nouvel appel d'offres ; l'éventuelle DSP alors envisagée sur les lignes maritimes Toulon-Corse risquant au final d'aboutir à des coûts plus élevés pour la Collectivité que le système actuel d'aide sociale pour des fréquences de desserte moindres ! Pour mémoire, on comptait en 2012 jusqu'à 5 allers-retours par jour entre Toulon et la Corse à des tarifs très compétitifs et pour un niveau de subvention ne pouvant plus excéder 9 millions d'euros par an du fait de son plafonnement ; il était donc difficile de faire mieux. 

Pour être tout à fait complets sur les positions des uns et des autres quant à la délégation de service public maritime antérieures à mars 2012, signalons que tant Paul Giacobbi que Paul-Marie Bartoli avaient aussi, avant la décision judiciaire de la Cour admnistrative de Marseille, fait part à plusieurs reprises de leurs fortes réserves sur le dispositif de "service complémentaire", qualifié de "système anti-économique" puisque l'Office des transports de la Corse paye ainsi «32 millions avec un remplissage de 35% des ferries » de la SNCM en périodes de pointe. Par ailleurs, le Président de l'exécutif de Corse a toujours été très critique sur les conditions de privatisation de la SNCM en 2006 (le fonds d'investissement Butler aurait ainsi "réalisé en un temps record et sans effort un bénéfice de 60 millions d'euros" dans l'opération, rapporte Corse Matin). Il a ainsi demandé une Commission d'enquête parlementaire sur le sujet afin de "percer à jour cet affaire dans ses moindres recoins" pointant du doigt le fait qu'"il y a des choses anormales, peut-être même illégales, qui ont été faites avec l'argent de la République". 


Après des débats infructueux en novembre 2010, le vote de l'Assemblée de Corse faisant suite aux derniers échanges des 22 et 23 mars 2012 avait permis de dégager des orientations nouvelles à une large majorité des suffrages...

Le port de Bastia, un soir d'août 2010 : de gauche à droite, les Sardinia Regina et Mega Express Four (Corsica Ferries) et l'avant du Napoléon Bonaparte (SNCM)
Selon Paul Giacobbi, Président de l'exécutif Corse, les nouvelles orientations de service public devraient contribuer à améliorer le taux de remplissage des navires des différentes compagnies.


Les débats sur le sujet qui ont eu lieu à l'Assemblée de Corse les 25 et 26 novembre 2010 n'avaient pas permis - loin s'en faut - de dégager un consensus sur les orientations futures en matière de desserte maritime de l'île. Pis encore, le quotidien insulaire 24 ore a, depuis, révélé qu'un courrier de la Commission européenne adressé au Président du Conseil exécutif de Corse n'avait pas été porté à la connaissance des élus de l'Assemblée lors de ces premiers débats alors qu'il aurait été transmis dès le 23 novembre et qu'il mettait fortement en doute la nécessité d'une délégation de service public au départ de Toulon, tout en rappelant qu'il fallait laisser aux compagnies suffisamment de temps pour s'adapter à la nouvelle donne. Dans ces conditions, Camille de Rocca Serra, ancien Président de l'Assemblée de Corse, a déclaré dans les colonnes de 24 ore que le débat avait été faussé tout en rappelant que la DSP n'était "pas le principe, mais l'exception". C'est dans ce contexte tendu que l'Autorité de la concurrence, saisie par la CCI du Var, a rendu
le 17 février 2012 un avis qui pointe du doigt le coût élevé de la délégation de service public actuelle assurée au départ de Marseille par la SNCM et La Méridionale au regard du nombre de traversées effectué et qui préconise, sinon de la supprimer, du moins d'en limiter le périmètre au seul service de base et de ne pas y inclure le port de Toulon en raison de sa difficile compatibilité avec les règles européennes de libre concurrence (voir page spéciale sur cet avis). Pour mémoire, d'après le site Econostrum, le Président de l'Office des transports déclarait précisément, fin 2010, envisager une desserte de la Corse au départ de Toulon à l'aide de deux cargos mixtes, qui seraient venus s'ajouter aux sept actuellement en service entre Marseille et la Corse...

Avant même les débats sur le service public maritime, le ton est monté entre la SNCM et les élus Corses qui ont appris par la presse que, dans une lettre de Gérard Couturier (président du conseil de surveillance de la SNCM) datée du 5 mars 2012 adressée au Président de l'exécutif Corse, Paul Giacobbi, que Veolia transport proposait de vendre ses 66% de participation dans la SNCM pour un euro symbolique à la Collectivité territoriale de Corse. Pointant du doigt la nouvelle DSP qui se profile, Marc Dufour de la SNCM a mis la CTC au pied du mur : « Si le cahier des charges est celui présenté lors de la dernière session de la CTC, nous savons que nous ne pouvons pas mettre en place ce plan et qu’il faut licencier 40 % de l’effectif de l’entreprise. Nous ne pouvons continuer à cautionner des décisions de réduction de volume maritime, ni être comptable d’une suppression de 1000 emplois alors qu’il y a d’autres façons de procéder. Dans ces conditions, nous rendons les clés », rapporte le site Corsenetinfos. Par ailleurs, d'autres contentieux étaient alors en cours :
- à l'été 2012, la Commission européenne s'est prononcée de manière très critique sur les conditions de privatisation de la SNCM fin 2005, certains observateurs craignent que la compagnie ne doive rembourser une partie des quelques 275 millions d'euros de fonds publics reçus de l'Etat par la SNCM lors de son processus de privatisation ;
- la presse insulaire rapporte que la SNCM réclamait à la Collectivité territoriale de Corse une indemnité pouvant aller jusqu'à 100 millions d'euros en dédommagement de la rupture qu'on anticipait alors de la délégation de service public qui devait normalement courir jusqu'à fin 2013 (pour autant, rappelons que la SNCM avait elle-même publiquement appelé de ses voeux la dénonciation de la convention en cours par voie de presse courant 2011 mais espérait alors sans doute une redéfinition de ses axes plus favorable à ses projets...). Aucun accord amiable n'ayant pu être trouvé avec la SNCM, la justice a été saisie par la Collectivité territoriale de Corse (CTC) mais le Conseil d'Etat ayant finalement cassé le jugement de la Cour admnistrative de Marseille, la procédure devrait finalement s'éteindre, la rupture de la DSP 2007-2013 n'étant finalement pas prononcée.

Au vu de ces éléments et des craintes que suscitent pour la SNCM la redéfinition de la délégation de service public, l'actionnaire principal de la compagnie, Veolia, aurait manifesté son intention de faire jouer la clause résolutoire prévue dans le contrat de privatisation de la compagnie pour s'en désengager de manière anticipée (rappelons que le groupe Veolia a, plus généralement, annoncé son intention de se désengager de son activité transport d'ici deux ans). Des pressions que Paul Giacobbi n’aurait pas appréciées, selon le site Corsenetinfos, et qu’il aurait durement condamnées : «Ce n'est pas sérieux. La responsabilité d'un entrepreneur n'est pas de dire qu'il s'en va, au prétexte que les choses ne vont pas bien, mais au contraire d'assumer. Gérard Couturier n'est pas qualifié pour proposer cette vente. La Collectivité ne saurait accepter ce genre de plaisanterie qu'après un inventaire très approfondi ».

De fait, lors des séances de l'Assemblée de Corse des 22 et 23 mars 2012 sur l'avenir de la desserte maritime de l'île, c'est bien des orientations nouvelles qui ont été entérinées à une large majorité :

- le service complémentaire devrait être supprimé : cette décision pemettrait à elle seule à la CTC d'économiser environ 33 millions euros par an de subventions versées à la seule SNCM pour la desserte des ferries Napoléon Bonaparte et Danielle Casanova l'été et en périodes de pointe. Cela constituerait une remise à plat du système actuel (décrit à cette page spéciale), dénoncée par la SNCM et par plusieurs de ses syndicats qui y voient une menace forte sur les emplois de ces navires. 

- le service de base par cargos mixtes serait confirmé et le coût du transport de marchandises de et vers Marseille abaissé : les sept cargos mixtes de la SNCM et de la Méridionale seraient confirmés et effectueraient 23 rotations par semaine et par sens (7 sur Marseille-Bastia, autant sur Marseille-Ajaccio et 3 depuis Marseille vers chacun des ports de Propriano, Porto Vecchio et Ile Rousse). La capacité minimale de transport exigée serait, dans chaque sens, de 410 000 passagers par an et de 1,6 million de mètres linéaires de fret (suite à amendement, le texte initial prévoyait une capacité de 1,4 million, plus proche des niveaux connus jusqu'ici), l'objectif affiché étant de parvenir à une réduction d'au moins 30% - pour atteindre 1000 euros - du coût des transports de remorques entre le port Phocéen et la Corse.

- la durée de la DSP sur Marseille-Corse serait allongée à 12 ans : alors que les DSP précédentes ne duraient que de 5 à 7 ans, le projet s'est porté sur une période plus longue pour sécuriser l'horizon du futur délégataire et lui permettre d'amortir ses navires sur une plus longue durée. La nouvelle convention aurait ainsi pu courir de début 2014 à fin 2025.

- la DSP ne serait pas étendue aux lignes Toulon-Corse et l'aide sociale sur les lignes Toulon-Corse et Nice-Corse serait supprimée : dès la fin de la DSP actuelle sur Marseille-Corse, l'aide sociale servant à financer les tarifs réduits dont bénéficient les passagers de la Corsica Ferries et de la SNCM des lignes entre Toulon, Nice et la Corse serait abrogée (alors qu'elle devait en théorie courir jusque fin 2013, son envelope annuelle étant limitée à 16 millions d'euros par an, répartis au prorata des passagers transportés par ces compagnies sur ces lignes, soit près de 14 millions d'euros pour la première et 2 millions d'euros pour la seconde). Ce serait donc la fin des tarifs réduits pratiqués sur ces lignes par l'ensemble des compagnies depuis 2002 ; la mise en place d'un tarif résident pour aider les voyages des Corses vers le continent serait toutefois à l'étude mais les contours de ce dispositif n'étaient alors pas connus. Le risque de retour au monopole d'une seule compagnie, celle qui aurait été reconnue délégataire de la DSP, est en revanche écarté du fait de la non extension de la délégation de service public au port de Toulon.

- la faisabilité de la création d'une compagnie régionale maritime serait étudiée. Le rapport qui a été adopté propose la constitution d'une commission spéciale qui étudiera la création d'une compagnie maritime régionale, idée portée de longue date par les groupes nationalistes et autonomistes. Pour autant, le rapport en question se montre assez négatif sur la question, puisqu'il identifie d'ores et déjà d'importantes difficultés dans sa mise en oeuvre pratique. Par ailleurs, la création d'une société d'économie mixte locale supposerait que des collectivités détiennent au moins 50 % du capital à côté d'un ou plusieurs partenaires privés, ce qui n'emporterait pas l'adhésion du président de la région PACA rapporte le quotidien la Provence.

Le schéma acté les 22 et 23 mars derniers prévoyait qu'une partie des sommes ainsi économisées par la CTC serait redéployée vers le transport maritime de fret sur Marseille (les subventions de la SNCM et à la Méridionale progresseraient donc à ce titre mais en échange d'une baisse du tarif de transport des marchandises), tandis qu'une autre partie serait consacrée à l'aérien (à titre d'exemple, les subventions accordées à Air France pour la desserte Orly-Corse progresseraient de plus de 11 millions d'euros par an) et le reste devant a priori profiter au réseau ferré de l'île.

Au total, seule la Méridionale - souvent citée comme modèle par l'exécutif de Corse - sortirait à terme confortée par ces décisions, puisque ses dessertes et leurs subventions seraient confirmées, que le transport de fret sur ses navires serait rendu plus attractif et qu'elle pourrait bénéficier, certes à la marge, d'un report des passagers des rotations de ferries potentiellement supprimées sur Marseille. La situation serait plus difficile tant pour la SNCM que pour la Corsica Ferries, ces dernières devant se passer d'une partie importante de leurs subventions actuelles. Quant au report des passagers transportés jusqu'alors sur les ferries de et vers Marseille, tout dépendra de la capacité de la SNCM à développer ses lignes en dehors des obligations de service public : si le risque avancé dans la presse de suppression de deux ferries apparaît maximaliste, la suppression du service complémentaire pourrait pousser la SNCM à se redéployer en partie vers d'autres lignes en Méditerranée et/ou à intensifier ses dessertes par exemple de et vers Toulon. Dans ce dernier cas, le report des passagers en saison ne se ferait que très partiellement sur les lignes de la Corsica Ferries sur Toulon et Nice, qui devraient quant à elles pâtir substantiellement de la suppression des tarifs réduits permis jusqu'ici par l'aide sociale. Au final, si le scénario d'un "krach touristique" n'est pas totalement à exclure, surtout dans le contexte économique actuel, c'est peut-être vers les lignes italiennes que cette restriction globale des subventions au transport maritime pourrait, à terme, conduire les passagers qui décideraient, malgré le renchérissement des prix, de partir en Corse...



S'écartant des orientations votées en mars, l'exécutif de Corse a présenté au vote le 28 septembre 2012 un cahier des charges laissant ouverte la possibilité d'englober le port de  Toulon dans le périmètre de la future délégation de service public maritime ! Cette option a été rejetée par les élus le 5 octobre.

Le départ du port de Bastia du Corsica Victoria, par temps couvert, en avril 2011.
La Corsica Ferries a argué du fait que son avenir aurait fortement été compromis si la compagnie avait été contrainte de renoncer au port de Toulon sur lequel elle emploie 4 de ses 6 navires de classe Mega.


Comme révélé par la radio France Bleu Corse Frequenza Mora le 24 juin 2012, un rapport préparé par l'Office des transports de la Corse au nom du Conseil exécutif de Corse a été présenté aux élus territoriaux le 6 juillet dernier. Contre toute attente au vu des délibérations de l'Assemblée de Corse du 23 mars dernier, celui-ci suggèrait que la future délégation de service public maritime (DSP) englobe les lignes Toulon-Corse en sus des lignes Marseille-Corse dans le périmètre de la future délégation de service public maritime. Ce choix s'appuiyait sur un courrier de l'ancien Ministre des transports, Thierry Mariani, à la Collectivité territoriale de Corse, qui lui aurait suggéré de procéder ainsi... bien que cela ne corresponde ni aux délibérations des élus Corses de mars dernier, ni aux conclusions de l'avis de l'Autorité de la concurrence !

Il semblait donc alors que les attentes de la SNCM - qui annonçait jusqu'à 800 pertes d'emploi en cas de suppression du service complémentaire sur Marseille des ferries Napoléon Bonaparte et Danielle Casanova sans mise en service "compensatoire" de deux navires mixtes supplémentaires sur Toulon - aient, cette fois encore, été entendues. Rappelons aussi que, cet été, le climat social était particulièrement tendu à la SNCM, un nouvel épisode de grève ayant été observé le 15 juin 2012 pour exiger que l'ensemble des navires effectuant les liaisons continent-Corse arborent le pavillon français - donc également ceux de la Corsica Ferries, qui naviguent sous pavillon italien, comme l'y autorise actuellement la législation communautaire. Dans une interview au quotidien insulaire Corse Matin, le PDG de la Corsica Ferries, Pierre Mattei, déclarait le 14 juin 2012 que si tel était le cas : "la France ferait une entorse majeure à la liberté de circulation, cela remettrait en cause les fondements même de l'Union. Mais si vous voulez que nous prenions cette hypothèse, alors Corsica Ferries disparaîtrait du continent français. C'est le but recherché, non ?" et il ajoutait que "ce que veut la CGT des marins, c'est nous rayer de la carte de France et envoyer nos salariés et nos marins au chômage. Qu'elle ait au moins le courage de le dire clairement.
"

La préoccupation de l'emploi apparaît donc majeure à la fois
 à la SNCM et à la Corsica Ferries (qui annonçait en réponse un risque de perte de 500 emplois en cas de retrait de ses navires de type Mega de Toulon) ce qui a rendu très difficile à l'Assemblée de Corse de trouver une position équilibrée permettant de concilier à la fois les intérêts de l'île et ceux des compagnies maritimes et de leurs salariés respectifs. En effet, en cas d'intégration du port de Toulon dans le périmètre de la future délégation de service public et d'adjudication du marché à la SNCM (le PDG de la Corsica Ferries, déjà écartée du marché Marseille-Corse en 2007, "ne pense pas" que la Collectivité territoriale de Corse souhaite que sa compagnie réponde au nouvel appel d'offres), la Corsica Ferries soulignait qu'elle risquait de disparaître du port Varois, l'adjudication des lignes au délégataire étant exclusive. Le précédent des lignes Marseille-Corse montre qu'aucune compagnie maritime ne semble économiquement pouvoir se risquer, sans subvention, à concurrencer les actuels délégataires du service public. Notons que l'exécutif de Corse justifiait sa proposition par une volonté de plus grande régulation du marché et de baisse des prix du fret pour les transporteurs, en arguant du fait que l'extension à Toulon n'aurait porté que sur deux navires et aurait été centrée sur le transport des marchandises. Rappelons toutefois que la SNCM avait annoncé vouloir dans un proche avenir effectuer des aller-retours Toulon-Corse de jour en plus de ses voyages de nuit et venir ainsi directement concurrencer, avec des navires plus rapides que l'Ile de Beauté ou le Corse, les Mega Express de la Corsica Ferries pour le transport des passagers sur ces lignes. L'argument d'une DSP dédié au seul fret sur Toulon apparaissait d'autant moins crédible que la SNCM venait de lancer un appel d'offres international pour la construction de quatre navires neufs (plus quatre autres en option) et que ces navires auraient, en sus d''une capacité de 2300 à 2600 mètres linéaires de marchandises, une capacité passagers bien supérieure à celle des cargos mixtes actuels1 : 1400 à 1600 passagers serait la cible envisagée, d'après le journal le Marin du 6 juillet 2012, ce qui vient confirmer l'ordre de grandeur d'environ 1500 passagers comme dimensionnement des futurs cargos mixtes de la compagnie évoqué dans de précédentes interviews des dirigeants de la SNCM.

Aussi, malgré les démentis de l'exécutif de Corse, le projet d'extension de la DSP à Toulon à l'aide de deux navires mixtes et son attribution probable à la SNCM aurait pu provoquer un séisme sans précédent au sein de la compagnie aux bateaux jaunes qui doit déjà faire face (comme la Moby Lines) à l'effondrement du marché sarde, sur lequel elle ne peut désormais plus aligner qu'un seul navire au vu des surcapacités observées. Dans ce scénario, le risque d'un retour au monopole maritime de la SNCM sur les lignes de Corse aurait été élevé... 
C'est dans ce contexte extrêmement tendu que se sont positionnés les différents acteurs politiques et économiques insulaires, la proposition d'élargissement de la DSP à Toulon, soutenue par l'aile la plus à gauche de l'Assemblée de Corse, ayant rencontré soit un accueil parfois très réservé de la part des autres élus de la majorité, soit une forte opposition de la quasi-unanimité des autres membres de l'Assemblée. Les trois chambres de commerce et d'industrie de Corse, celle du Var ainsi que la plupart des acteurs de la filière touristique et du monde économique se sont également prononcés contre ce projet.

Le vote sur la question n'est finalement pas intervenu comme prévu dès le mois de juillet, ni le 28 septembre, mais le 5 octobre 2012, la session de l'Assemblée de Corse de fin septembre ayant été suspendue suite au tollé suscité par le projet de rapport sur le transports maritimes, jugé par de nombreux élus imprécis ou trop éloigné des options retenues en mars de cette année. Cela n'a pas été trop préjudiciable en termes de délais, la DSP  2007-2013 sur Marseille-Corse n'ayant, coup de théâtre, finalement pas été annulée puisque le Conseil d'Etat a suivi les conclusions du rapporteur public. Celui-ci avait estimé, le 2 juillet 2012, "que la carence de l'initiative privée n'est pas la condition
sine qua non de la mise en place d'une DSP" et que la DSP actuelle, comprenant donc les deux ferries de la SNCM affectés au service complémentaire, pouvait se poursuivre jusqu'à son terme normal, c'est-à-dire jusqu'au 31 décembre 2013. Il n'était dès lors plus nécessaire de définir une DSP transitoire, sur laquelle l'Office des transports de la Corse, la SNCM et la Méridionale n'avaient justement pas réussi à se mettre d'accord ; dès lors, l'aide sociale sur Toulon et Nice devrait elle aussi perdurer jusqu'à cette même date.

À noter que les travaux sur la nouvelle DSP maritime Marseille-Corse se sont déroulés dans un contexte d'autant plus tendu qu'ils se sont tenus sous l'oeil attentif de Bruxelles qui, suite à une plainte de la Corsica Ferries, a annoncé fin juin 2012 l'ouverture d'une enquête approfondie « en vue de déterminer si les compensations reçues par la SNCM et la CMN pour la desserte des lignes maritimes entre la Corse et Marseille sont conformes aux règles de l'Union Européenne en matière d'aide d'État ». En effet, la Commission européenne dit « avoir des doutes sur la nécessité et la proportionnalité de l'obligation de service public ainsi que sur le mécanisme de compensation » et doute que les paramètres du mécanisme de compensation aient été fixés au préalable d'une manière objective et transparente. La Commission requiert également des informations complémentaires relatives aux compensations réellement payées aux co-délégataires, afin d'évaluer si les entreprises n'ont bénéficié d'aucune surcompensation et si le bénéfice qui leur a été alloué a été correctement établi. Enfin, la Commission examinera si la procédure de sélection était susceptible d'assurer une concurrence réelle et suffisante permettant de sélectionner le candidat capable de fournir les services en cause au moindre coût pour la collectivité ». Il est à noter que cette enquête est distincte de la décision du tribunal de l'Union européenne qui
a annulé mardi 11 septembre 2012 une décision de la Commission de Bruxelles qui avait validé des aides accordées par la France à la SNCM en 2002 (76 M€), puis lors de sa privatisation en 2006 (recapitalisaiton pour un montant de 158 millions d'euros, apport supplémentaire en capital par la CGMF de 8,75 millions d'euros et une avance en compte courant pour 38,5 millions d'euros visant à financer un éventuel plan social). Si cela n'entraîne aucune conséquence immédiate, la SNCM, qui va faire appel de la décision, encourt au final le risque qu'une partie de ces sommes soit requalifiée en aides d'Etat et doive par conséquent être remboursée.

Au final, le cahier des charges adopté le 5 octobre 2012 par les élus2 de l'Assemblée de Corse est finalement assez proche des orientations annoncées en mars, schématiquement, à compter du 1er janvier 2014 :


- la subvention du service complémentaire des ferries au départ de Marseille en périodes de pointe est effectivement supprimée ;

- le service de base assuré par sept cargos mixtes est confirmé et le coût du transport de marchandises de et vers Marseille significativement abaissé ;

- la durée de la DSP sur Marseille-Corse est finalement allongée à 10 ans (et non 12 ans, comme initialement envisagé), sous réserve que cette durée soit jugée conforme aux règles européennes ;

- le projet d'extension de la DSP aux lignes Toulon-Corse est abandonné, le président du Conseil exécutif, Paul Giacobbi, ayant finalement reconnu début octobre 2012 qu'il n'était pas possible de mettre en évidence une insuffisance de desserte de la Corse au départ du port de Toulon au vu de l'importance des moyens navals employés à l'année sur cet axe ;

- la suppression de l'aide sociale sur les lignes Toulon-Corse et Nice-Corse est entérinée, en remplacement, un tarif résident plus avantageux pour les insulaires est instauré ;


- l'étude de la faisabilité de la création d'une compagnie régionale maritime aura été menée et la propriété des navires de la DSP pourrait revenir à la Collectivité territoriale de Corse en cas de désengagement d'une des sociétés délégataires ;

- l'âge maximal des navires employés dans le cadre de la DSP est porté à 30 ans, contre 25 ans proposés dans le rapport soumis au vote par l'exécutif le 28 septembre ; jusqu'ici c'est un âge maximal de 20 ans - appréciés cette fois en début de convention - qui avait été retenu dans le cadre des DSP 2002-2007 et 2007-2013 (les conséquences possibles de ce changement de règle sont présentées à titre purement indicatif dans ce tableau) ;

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la proposition d'un "service social et solidaire", visant à éviter les conflits sociaux, est retenue à la place de la notion de service minimum garanti, initialement proposée dans le rapport soumis au vote mais qui avait été jugée par de nombreux élus comme une atteinte au droit de grève. Ce nouveau service prévoit qu'en cas de grève des navires, au plus 15% des rotations normalement prévues (soit un navire sur sept) puissent continuer à être assurées afin de transporter au moins les résidents corses, les passagers dits prioritaires (par exemple, les personnes devant voyager pour raison médicale) et les marchandises de première nécessité.

Reste donc à la Collectivité territoriale de Corse à définir début novembre les obligations de service public qui entreront en vigueur en 2014 sur les lignes conventionnées (mais plus subventionnées donc) de Toulon et de Nice et à lancer, sur les bases entérinées le 5 octobre, l'appel d'offres pour les lignes Marseille-Corse. Le calendrier envisagé est le suivant : l'appel à candidatures serait publié dans la presse spécialisée courant novembre 2012 pour une ouverture des plis des compagnies soumissionnaires en janvier 2013 et une attribution du marché de la DSP envisagée d'ici la fin mai 2013 si tout se déroule normalement...


Le Piana, en mer, au large de Bastia, en août 2012
Le Piana constituera très certainement le fer de lance de La Méridionale dans le cadre de sa réponse à l'appel d'offres des lignes Marseille-Corse pour la période 2014-2023.
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Note :

1 À l'exception notable du Jean Nicoli, qui peut transporter jusqu'à 1500 passagers, les cargos mixtes actuels de la SNCM et de la Méridionale ont une capacité maximale près de deux à trois fois inférieure. Ainsi, les autres cargos mixtes de la SNCM peuvent embarquer au plus 550 passagers tandis que ceux de la Méridionale peuvent accueilir de 500 à 750 passagers.

2 Le rapport a été adopté par 26 voix pour, issues de divers groupes parlementaires, de gauche comme de droite (Groupe des radicaux, socialistes, démocrates, Gauche Républicaine, Groupe Rassembler pour la Corse). Il y a eu 19 abstentions (Femu a Corsica, Corsica Libera, Corse social démocrate) et 6 voix contre (Front de gauche).

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