DSP
maritime Corse 2023-2029 : quelques évolutions du
cahier des charges, mais pas de grand changement au final, si ce n'est
son coût record (745 M€)
Les Pascal Lota de la Corsica Ferries, A Nepita de la Corsica Linea et la pilotine du port de Bastia, en avril 2022 ; photo : Romain Roussel.
Il ressort du rapport détaillant les caractéristiques du nouveau service public que l'essentiel des fondamentaux des DSP précédentes sont conservés : desserte des cinq ports de Corse habituels (Bastia, Ajaccio, Ile Rousse, Porto Vecchio et Propriano) depuis Marseille, par des traversées de nuit sans escale intermédiaire possible, avec quasiment les mêmes fréquences et capacités que celles déjà requises jusqu'alors, avec les mêmes tarifs maximaux également, avec toujours un accent mis sur le fret, mais s'appliquant aussi à certaines catégories de passagers, avec un renfort de capacité de transport exigé pour les passagers sur la ligne de Propriano. Le rapport d'attribution de décembre 2022 conduit à une situation inchangée entre les opérateurs concessionnaires, si ce n'est une interversion des délégataires entre Propriano (jusqu'ici desservie par La Méridionale et qui le sera par Corsica Linea) et Porto Vecchio (jusqu'ici desservie par Corsica Linea et qui le sera par La Méridionale). Quoique coûteuse, cette nouvelle répartition ne règle donc pas la situation structurellement fragile de La Méridionale, conduite à naviguer sur la ligne la plus longue en pleine falmbée des cours des soutes, sans pouvoir toujours faire escale dans le principal port de l'île, Bastia...
Confié au cabinet Gecodia, ce
test de marché réalisé entre
le 19 janvier et le 22 février 2022 a conduit
à identifier trois segments au sein du marché du
transport de marchandises
correspondant au :
- Transport de fret roulant tracté (fret acheminé via des camions montés à bord des navires par des convoyeurs). Selon le rapport, "le même raisonnement que celui développé pour le fret non-tracté s’applique également dans le cas du fret tracté. Aussi, il n’existe pas d’offre privée répondant à la demande de transport régulier de fret tracté captive à Marseille".
- Transport de fret auto-commerce (flottes de véhicules destinés à être commercialisés en Corse ou destinés à la location saisonnière) : le même raisonnement que celui développé pour les frets non-tracté et tracté s’applique également dans le cas du fret auto-commerce, selon le rapport de l'OTC. Aussi, il conclut qu'il "n’existe pas d’offre privée répondant à la demande de transport régulier de fret auto-commerce captive à Marseille".- Transport de passagers résidents en Corse : l’analyse du cabinet Gecodia fait apparaître "une absence de besoin de service public de transport de passagers résidents pour toutes les liaisons à l’exception de celle relative à Propriano". En effet, aucune rotation régulière ou saisonnière n'est assurée entre Propriano et le continent en dehors du cadre de la DSP actuelle. Aussi, est-il précisé que "la totalité de la demande identifiée par l’analyse constitue un besoin de service public, à hauteur de 4.000 pax résidents à l’horizon 2030 pour le segment des passagers désirant voyager vers Marseille/Toulon et 600 pax résidents à l’horizon 2030 pour le segment des passagers voyageant vers Toulon/Nice".
- Transport de passagers résidents en Corse
voyageant pour des raisons médicales : il découle de l’analyse qu’il existe un
besoin de desserte régulière qui pourrait être couvert par l’initiative privée
"à condition que cette dernière garantisse des rotations régulières avec les
ports corses secondaires, et quotidiennes pour les lignes Marseille-Ajaccio et
Marseille-Bastia, entre le dimanche et le jeudi. Cette garantie de régularité et
de fréquence n’existe pas dans le cadre des OSP unilatérales applicables
actuellement. Il existe donc un besoin de service public sur ce segment, à
hauteur d’approximativement 10 pax par rotations entre Marseille et les ports
corses d’Ajaccio et de Bastia et de plusieurs centaines de pax annuellement
pour les liaisons entre Marseille et les ports secondaires corses".
- Transport de convoyeurs : le rapport indique que la demande de convoyeurs est liée
à la demande de transport de fret tracté. Ainsi,
dans la mesure où il
existe un besoin de service public de transport de fret tracté
au départ et à
destination de Marseille, le rapport conclut à l'existence d'un
besoin de service public de convoyeurs de même importance.
- S’agissant du besoin de service public de transport de passagers : malgré l’existence d’un flux régulier d’étudiants corses poursuivant leurs études sur le continent, "l’incertitude des données recueillies et la difficulté à mesurer précisément le trafic d’étudiants ayant recours à la desserte maritime, conduisent l’OTC à exclure du périmètre des futures DSP le transport maritime d’étudiants" précise le rapport. En revanche, l’étude réalisée dans le cadre du test de marché a mis en évidence de manière indiscutable un besoin de service public en transport maritime de passagers résidents en Corse voyageant pour des raisons médicales à destination de Marseille.
- S’agissant du besoin de
service public de transport de fret auto-commerce : concernant le transport
maritime de fret auto-commerce, l’étude "a conduit à révéler
l’existence d’une carence de marché au départ de Marseille pour la période
2023-2029. Toutefois, la Collectivité et l’OTC ont décidé de traiter le trafic
de fret auto-commerce différemment des autres segments de fret du fait de ses
caractéristiques propres". En effet, le fret auto-commerce présente "un caractère
moins impérieux pour l’économie et les résidents corses que le fret inerte ou
le fret roulant tracté" et" il existe de façon très ponctuelle mais significative des flux
avec Sète et Barcelone", hors DSP. Même s'il s’agit de transports irréguliers, la Collectivité et l’OTC estiment que "les
principaux opérateurs de fret auto-commerce pourraient aussi organiser leurs
flux auto-commerce en dehors des flux maritimes réguliers, en les massifiant et
en recourant ponctuellement à des navires dédiés. A défaut, ces transporteurs
spécialisés pourraient utiliser les capacités résiduelles des compagnies
maritimes sur les liaisons régulières qu’elles assurent au départ de Marseille".
Aussi, la Collectivité
a décidé de "laisser l’initiative
privée répondre au besoin
de service public de transport maritime de fret auto-commerce" et
précise que "ce segment sera exclu du
périmètre des futures DSP".
Par ces exclusions du champ de la DSP du transport des résidents corses (sauf sur la ligne de Propriano) et de l'auto-commerce, la Collectivité de Corse et l’OTC entendent démontrer "par cetet décision forte qu’ils minimisent l’intervention publique au strict nécessaire pour répondre au besoin de service public identifié, conformément aux obligations résultant du droit européen". La Collectivité précise que les critères de sélection des vainqueurs des différents lots sont la valeur technique de l'offre (qui pèse pour 60% dans le choix), le montant de la compensation financière et robustesse du plan d’affaires (qui intervient pour 30% dans le score final) et la responsabilité sociale de l’entreprise (pour 10%).
La démonstration en question n'apparaît toutefois pas pleinement convaincante aux yeux de nombreux observateurs et élus, qui notent que, d'une part, l'offre de passagers des compagnies délégataires du service public sur Marseille est de toute façon très largement supérieure aux besoins identifiés de service public et, d'autre part, la question de laisser le marché de l'auto-commerce à la libre concurrence est un leurre, car ce micro-marché sera de toute façon absorbé par ailleurs par les capacités des compagnies délégataires des lignes Marseille-Corse, comme le suggère le rapport lui-même. De fait, au final, aucun autre opérateur maritime (qu'il s'agisse de la Corsica Ferries ou d'autres compagnies importantes naviguant en Méditerranée occidentale, comme Moby Lines, Grimaldi Lines, GNV ou encore Baléaria) n'ont candidaté à cette DSP, ce qui témoigne de son insuffisant déverrouillage.
Aussi et
surtout a-t-on soigneusement évité d'aborder dans ce
rapport les questions susceptibles de fâcher - mais de permettre
à la Collectivité de réalisaer de réelles économies et
aux ménages des gains de pouvoir d'achat - comme celles de la
desserte des ports secondaires, de la possibilité d'effectuer
des traversées avec escales (toutes interdites par principe dans
la DSP nouvelle, sauf circonstances exceptionnelles), de l'instauration
d'aides à certaines catégories de passagers pour les
dessertes sous obligations de service public (entre la Corse, Nice et
Toulon) ou encore de l'articulation de cette DSP avec celle de la
desserte aérienne de bord à bord, pensée
séparément... Autant de sujets déjà
évoqués dans un précédent article thématique de Mare Nostrum Corsica.
Toutefois, au final, contrairmeent au cahier des charges initial, le rapport adopté le 20 décembre 2022 table non plus sur un tarif de base du fret de 35 euros du mètre linéaire, mais de 40 euros, soit près de 15% de plus, ce qui a provoqué la colère des transporteurs maritimes et risque de provoquer un choc inflationniste sur les denrées de base importées en Corse.
En ce qui
concerne la question cruciale d'un possible impact inflationniste de la
hausse du coût des combustibles, le rapport précise
qu'un mécanisme préventif, dont la faisabilité et
l'efficacité sur le long terme restent toutefois à
apprécier, est normalement prévu pour le juguler : "les charges de
combustibles nécessaires à l’exécution du service feront l’objet d’un mécanisme
de couverture carburant pour une durée proposée par le futur délégataire, qui
pourra, le cas échéant, être discutée en phase de négociation au regard du
caractère actuel particulièrement volatil du coût du carburant. A l’échéance de
ce contrat, la Collectivité pourra décider de mettre en place, sans que le
futur délégataire ne puisse s’y opposer, un mécanisme permettant la
mutualisation des coûts. A défaut, le futur délégataire aura la charge de
négocier un nouveau contrat de couverture pouvant aller jusqu’à l’échéance de
la convention soit le 31 décembre 2029".
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