Mare Nostrum Corsica 

DSP maritime Corse 2023-2029 : quelques évolutions du cahier des charges, mais pas de grand changement au final, si ce n'est son coût record (745 M€)
Les Pascal Lota de la Corsica Ferries, A Nepita de Corsica Linea et la pilotine du port de Bastia, en avril 2022 ; photo : Romain Roussel
Les Pascal Lota de la Corsica Ferries, A Nepita de la Corsica Linea et la pilotine du port de Bastia, en avril 2022 ; photo : Romain Roussel.


L
a Collectivité de Corse a voté le 28 avril 2022 le contour précis d'une nouvelle DSP de 7 ans, prolongeable éventuellement d'une année supplémentaire, qui court de début janvier 2023 à fin décembre 2029. Le principe de cette nouvelle DSP, âprement discutée en amont avec la Commission européenne par le Conseil exécutif de Corse, n'a été adoptée qu'avec les seules voix de la majorité autonomiste (32 voix pour), tandis que 7 voix se sont prononcées contre (groupe PNC et Josépha Giacometti) et que 24 élus se sont abstenus ou n'ont pas participés au vote (respectivement les élus de droite et le groupe PNC). Ce vote entérine de fait le recours à une délégation de service public qui s'inscrit dans la durée, et repousse donc la création éventuelle à terme d'une compagnie régionale corse au plus tôt aux années 2030.

Il semble donc que les précisions apportées au rapport de l'Office des transports de la Corse selon lesquelles "un bureau d’étude « intégré » dédié à la création de cette structure pourra être mis en place dans les deux ans suivant la mise en œuvre du service public objet du présent rapport" n'aient pas pleinement convaincu les élus. Il y était précisé que "cette structure de portage 100 % publique pourrait avoir pour objet l’acquisition et la gestion de l’outil naval nécessaire à l’exploitation des dessertes maritimes entre les ports de Corse et le continent, l’objectif pour la Collectivité étant la mise en place d’un nouveau modèle de gestion dans le respect du droit de l’Union européenne. L’analyse du recours à ce type de structure de portage se fera dans le cadre de l’étude des perspectives de la desserte maritime post 2023".


Comme précédemment et avec seulement de légères modifications de son cahier des charges, cette DSP maritime est attribuée à la Corsica Linea, à titre principal, et à La Méridionale, à titre secondaire, par l'Assemblée de Corse, qui se réunit en session les 21 et 22 décembre 2022 pour entériner ce choix. C'est donc sans surprise que sont reconduites ces deux compagnies, seules candidates depuis que la Corsica Ferries a décidé ne pas concourir, estimant que le cahier des charges ne le lui permettait pas. L'attribution de cette DSP se fait une nouvelle fois sur le fil, juste une semaine avant le début des services (le 
1er janvier 2023), ce qui risque de susciter de nouvelles controverses sur le plan juridique... Au vu des lignes attribuées respectivement à la Corsica Linea et à La Méridionale, qui n'aurait pas postulé sur Bastia, pourtant le premier port de fret de l'île, la candidature conjointe de ces deux compagnies laisserait, selon certains observateurs de la négociation de ce dossier, des suspicions d'entente pour se répartir le marché et rafler la mise avec le niveau de subventions publiques le plus élevé possible. En témoigne le fait, rapporté par Corse Matin qui s'est procuré le rapport de l'Observatoire des transports de la Corse (OTC), que les deux compagnies demandaient initialement une compensation financière de 145 M€ à la Collectivité de Corse, contre 92 M€ annuels pour la DSP sortante d'un niveau équivalent. En témoigne aussi le fait, également, rapporté par cette même source, que le surcoût en question ne s'explique pas seulement - loin s'en faut - que par la flambée du poste carburant, mais aussi par des demandes jugées plus gobalement  "démesurées" sur l'ensemble des postes de dépense, qu'il s'agisse du fonctionnement ordinaire des navires (hors poste carburant) ou d el'investissmeent dans la flotte. Ainsi, Corse Matin rapporte que la compensation moyenne annuelle demandée au moment de l'ouverture des plis, s'élevait ainsi à "73,4 % de plus que le niveau prévisionnel 2022 - exploitation 103,1 %, investissement + 23,2 % et carburant + 111,3 %" - pour les lignes d'Ajaccio (groupement Corsica Linea/La Méridionale) et Bastia (Corsica Linea seule)". Rappelons qu'à son arrivée sur les lignes de Corse en 2016, Corsica Linea prétendait pourtant pouvoir assurer le service fret Marseille-Bastia en se passant de subventions...

Au final, les compagnies délégataires ont eu beau jeu de réduire leurs demandes de compensations financières, qui restent toutefois très significativement supérieures à celles de la DSP précédente (106,6 M€ par an, contre 92 M€ environ) et ce alors même que la vitesse en service des navires a été réduite, ce qui permet de limiter significativement l'effet inflationniste de la hausse des cours du carburant... Sur la durée entière des 7 années prévues pour la DSP, ce sont donc plus de 745 M€ de fonds publics qui bénéficieront exclusivement principalement à Corsica Linea et, secondiarement, à La Méridionale. Pendant ce temps-là, les autres compagnies non délégataires sur la Corse (Corsica Ferries et Moby Lines) n'ont d'autre choix que de financer par elles-mêmes cette hausse du coût des soutes ou de réduire leur nombre de traversées pour encaisser ce choc inflationniste, ce qui accroît les possibles distorsions de concurrence en leur défaveur...

Cette nouvelle DSP fait suite à une série de délégations de service public de quelques mois à deux ans dites selon les cas "courte", "transitoire" ou "de raccordement", toutes attribuées largement en faveur de Corsica Linea (voir article thématique dédié) et qui étaient censées jusqu'ici être les dernières du genre, puisqu'elles visaient à pont entre le système passé et celui entériné dès 2016 par un vote de l'Assemblée de Corse entérinant la création d'une compagnie régionale maritime. Il n'en a donc rien été, d'où la déception affichée par une partie importante du camp nationaliste lors du vote du printemps 2022, qui évoque l'influence "d'un lobby corso-marseillais" et la pérennisation d'un "système vieux de 50 ans", désormais dépassé.

Il ressort du rapport détaillant les caractéristiques du nouveau service public que l'essentiel des fondamentaux des DSP précédentes sont conservés : desserte des cinq ports de Corse habituels (Bastia, Ajaccio, Ile Rousse, Porto Vecchio et Propriano) depuis Marseille, par des traversées de nuit sans escale intermédiaire possible, avec quasiment les mêmes fréquences et capacités que celles déjà requises jusqu'alors, avec les mêmes tarifs maximaux également, avec toujours un accent mis sur le fret, mais s'appliquant aussi à certaines catégories de passagers, avec un renfort de capacité de transport exigé pour les passagers sur la ligne de Propriano. Le rapport d'attribution de décembre 2022 conduit à une situation inchangée entre les opérateurs concessionnaires, si ce n'est une interversion des délégataires entre Propriano (jusqu'ici desservie par La Méridionale et qui le sera par Corsica Linea) et Porto Vecchio (jusqu'ici desservie par Corsica Linea et qui le sera par La Méridionale). Quoique coûteuse, cette nouvelle répartition ne règle donc pas la situation structurellement fragile de La Méridionale, conduite à naviguer sur la ligne la plus longue en pleine falmbée des cours des soutes, sans pouvoir toujours faire escale dans le principal port de l'île, Bastia...



Quelques gages donnés à la Commission européenne sur le périmètre du marché et la mise en concurrence, mais des évolutions de détail qui n'ont toujours pas posé les vraies questions et ni produit de véritable amélioration au final
Le départ du Vizzavona du port de Bastia, en mai 2021 ; photo : Romain Roussel
Le départ du Vizzavona de la Corsica Linea du port de Bastia, en mai 2021 ; photo : Romain Roussel


Un premier gage, de nature à rassurer la Commission européenne, avait été donné sur l'équité de l'appel d'offres entre les candidats potentiels lors du lancement de cette nouvelle DSP : il a été segmenté en 5 lots (chacune des lignes entre Marseille et les 5 ports corses desservis correspondant à un lot). Toutefois, comme lors des précédentes délégations, il a été possible de soumettre des offres pour l'ensemble des lots (comme l'ont toujours habituellement fait Corsica Linea et La Méridionale), ce qui est propice à la constitution d'ententes anti-concurrentielles, et la Collectivité de Corse a pu attribuer des marchés en combinant plusieurs lots.

Le gage principal donné à la Commission européenne a été la réalisation d'un test de marché prélaable au lancement de cette nouvelle DSP, afin d'en justifier les fondements et le périmètre. Ce
test de marché a été diligenté par la Collectivité de Corse et l’Office des transports de la Corse (OTC) à partir du mois de décembre 2021 pour caractériser le besoin de service public de transport maritime de passagers et de marchandises et les a confortés dans l'idée "qu’il était nécessaire d’envisager de conclure de nouvelles DSP pour assurer la continuité territoriale à compter de 2023". La durée de 7 ans de cette nouvelle DSP, courant jusqu’au 31 décembre 2029, devant "permettre d’assurer la continuité de la desserte maritime de manière pérenne", puisqu'il est précisé dans le rapport de l'OTC adopté le 28 avril 2022 que "la durée envisagée se justifie par la nécessité pour les compagnies maritimes d’amortir les investissements consacrés à l’exploitation du service de cabotage dans des conditions d’exploitation normales". Le choix du port continental de Marseille est justifié principalement par la demande des transporteurs (au demeurant pour la plupart actionnaires de Corsica Linea, ce qui ne garantit pas totalement l'impartialité des réponses recueillies par la Collectivité de Corse) et par la nécessité d'assurer le transport de malades corses vers les centres de soins de Marseille.

Confié au cabinet Gecodia, ce test de marché réalisé entre le 19 janvier et le 22 février 2022 a conduit à identifier trois segments au sein du marché du transport de marchandises correspondant au :

- Transport de fret roulant non-tracté (fret acheminé via des semi-remorques sans tracteur) : il ressort du test de marché que deux des trois compagnies répondantes (non nommées dnas le rapport, mais au vu des réponses, il s'agit sans doute de la Corsica Linea et de La Méridionale) ont indiqué "qu’elles ne fourniraient pas d’offre en marché libre ou en OSP unilatérales entre le continent et la Corse à partir de 2023". La troisième compagnie (non nommée, mais très vraisemblablement la Corsica Ferries) a indiqué "qu’elle proposerait une offre de services de transport maritime avec le port de Marseille, mais de manière limitée", soit deux rotations par semaine uniquement avec Ajaccio et Bastia, et seulement deux par mois avec l'Ile Rousse et Porto-Vecchio. Cette dernière compagnie précise également "que son offre n’est valable que si aucune délégation de service public n’est conclue pour assurer les liaisons entre le port de Marseille et la Corse". Aussi, le rapport conclut-il que cette offre ne permettrait pas d’assurer la desserte quotidienne de la Corse alors que "la demande de transport de fret en volume nécessite une desserte quotidienne des ports principaux et supérieure à bimensuelle des ports secondaires" et que "par conséquent, l’introduction d’une délégation de service public sera obligatoire pour assurer le transport des marchandises non prises en compte par l’offre privée" ;

- Transport de fret roulant tracté (fret acheminé via des camions montés à bord des navires par des convoyeurs). Selon le rapport, "le même raisonnement que celui développé pour le fret non-tracté s’applique également dans le cas du fret tracté. Aussi, il n’existe pas d’offre privée répondant à la demande de transport régulier de fret tracté captive à Marseille". 

- Transport de fret auto-commerce (flottes de véhicules destinés à être commercialisés en Corse ou destinés à la location saisonnière) : le même raisonnement que celui développé pour les frets non-tracté et tracté s’applique également dans le cas du fret auto-commerce, selon le rapport de l'OTC. Aussi, il conclut qu'il "n’existe pas d’offre privée répondant à la demande de transport régulier de fret auto-commerce captive à Marseille".

Le test de marché a aussi concerné le transport des passagers entre Marseille et la Corse, en distinguant là aussi plusieurs segments :

- Transport de passagers résidents en Corse : l’analyse du cabinet Gecodia fait apparaître "une absence de besoin de service public de transport de passagers résidents pour toutes les liaisons à l’exception de celle relative à Propriano". En effet, aucune rotation régulière ou saisonnière n'est assurée entre Propriano et le continent en dehors du cadre de la DSP actuelle. Aussi, est-il précisé que "la totalité de la demande identifiée par l’analyse constitue un besoin de service public, à hauteur de 4.000 pax résidents à l’horizon 2030 pour le segment des passagers désirant voyager vers Marseille/Toulon et 600 pax résidents à l’horizon 2030 pour le segment des passagers voyageant vers Toulon/Nice". 

- Transport de passagers résidents en Corse voyageant pour des raisons médicales : il découle de l’analyse qu’il existe un besoin de desserte régulière qui pourrait être couvert par l’initiative privée "à condition que cette dernière garantisse des rotations régulières avec les ports corses secondaires, et quotidiennes pour les lignes Marseille-Ajaccio et Marseille-Bastia, entre le dimanche et le jeudi. Cette garantie de régularité et de fréquence n’existe pas dans le cadre des OSP unilatérales applicables actuellement. Il existe donc un besoin de service public sur ce segment, à hauteur d’approximativement 10 pax par rotations entre Marseille et les ports corses d’Ajaccio et de Bastia et de plusieurs centaines de pax annuellement pour les liaisons entre Marseille et les ports secondaires corses".

- Transport de convoyeurs : le rapport indique que la demande de convoyeurs est liée à la demande de transport de fret tracté. Ainsi, dans la mesure où il existe un besoin de service public de transport de fret tracté au départ et à destination de Marseille, le rapport conclut à l'existence d'un besoin de service public de convoyeurs de même importance. 

Au final, cette étude conclut donc que "des obligations de service public unilatérales (« OSP unilatérales ») ne pourraient pas suffire pour répondre aux différents besoins de service public évalués ci-dessus" et que "compte-tenu, d’une part, des conclusions de l’étude préalable, et d’autre part, des observations de la Commission européenne, la Collectivité et l’OTC ont décidé de faire évoluer certaines caractéristiques des DSP" comme suit :

- S’agissant du besoin de service public de transport de passagers : malgré l’existence d’un flux régulier d’étudiants corses poursuivant leurs études sur le continent, "l’incertitude des données recueillies et la difficulté à mesurer précisément le trafic d’étudiants ayant recours à la desserte maritime, conduisent l’OTC à exclure du périmètre des futures DSP le transport maritime d’étudiants" précise le rapport. En revanche, l’étude réalisée dans le cadre du test de marché a mis en évidence de manière indiscutable un besoin de service public en transport maritime de passagers résidents en Corse voyageant pour des raisons médicales à destination de Marseille. 

- S’agissant du besoin de service public de transport de fret auto-commerce : concernant le transport maritime de fret auto-commerce, l’étude "a conduit à révéler l’existence d’une carence de marché au départ de Marseille pour la période 2023-2029. Toutefois, la Collectivité et l’OTC ont décidé de traiter le trafic de fret auto-commerce différemment des autres segments de fret du fait de ses caractéristiques propres". En effet, le fret auto-commerce présente "un caractère moins impérieux pour l’économie et les résidents corses que le fret inerte ou le fret roulant tracté" et" il existe de façon très ponctuelle mais significative des flux avec Sète et Barcelone", hors DSP. Même s'il s’agit de transports irréguliers, la Collectivité et l’OTC estiment que "les principaux opérateurs de fret auto-commerce pourraient aussi organiser leurs flux auto-commerce en dehors des flux maritimes réguliers, en les massifiant et en recourant ponctuellement à des navires dédiés. A défaut, ces transporteurs spécialisés pourraient utiliser les capacités résiduelles des compagnies maritimes sur les liaisons régulières qu’elles assurent au départ de Marseille". Aussi, la Collectivité a décidé de "laisser l’initiative privée répondre au besoin de service public de transport maritime de fret auto-commerce" et précise que "ce segment sera exclu du périmètre des futures DSP".

Par ces exclusions du champ de la DSP du transport des résidents corses (sauf sur la ligne de Propriano) et de l'auto-commerce, la Collectivité de Corse et l’OTC entendent démontrer "par cetet décision forte qu’ils minimisent l’intervention publique au strict nécessaire pour répondre au besoin de service public identifié, conformément aux obligations résultant du droit européen". La Collectivité précise que les critères de sélection des vainqueurs des différents lots sont la valeur technique de l'offre (qui pèse pour 60% dans le choix), le montant de la compensation financière et robustesse du plan d’affaires (qui intervient pour 30% dans le score final) et la responsabilité sociale de l’entreprise (pour 10%).

La démonstration en question n'apparaît toutefois pas pleinement convaincante aux yeux de nombreux observateurs et élus, qui notent que, d'une part, l'offre de passagers des compagnies délégataires du service public sur Marseille est de toute façon très largement supérieure aux besoins identifiés de service public et, d'autre part, la question de laisser le marché de l'auto-commerce à la libre concurrence est un leurre, car ce micro-marché sera de toute façon absorbé par ailleurs par les capacités des compagnies délégataires des lignes Marseille-Corse, comme le suggère le rapport lui-même. De fait, au final, aucun autre opérateur maritime (qu'il s'agisse de la Corsica Ferries ou d'autres compagnies importantes naviguant en Méditerranée occidentale, comme Moby Lines, Grimaldi Lines, GNV ou encore Baléaria) n'ont candidaté à cette DSP, ce qui témoigne de son insuffisant déverrouillage. 

Aussi et surtout a-t-on soigneusement évité d'aborder dans ce rapport les questions susceptibles de fâcher - mais de permettre à la Collectivité de réalisaer de réelles économies et aux ménages des gains de pouvoir d'achat - comme celles de la desserte des ports secondaires, de la possibilité d'effectuer des traversées avec escales (toutes interdites par principe dans la DSP nouvelle, sauf circonstances exceptionnelles), de l'instauration d'aides à certaines catégories de passagers pour les dessertes sous obligations de service public (entre la Corse, Nice et Toulon) ou encore de l'articulation de cette DSP avec celle de la desserte aérienne de bord à bord, pensée séparément... Autant de sujets déjà évoqués dans un précédent article thématique de Mare Nostrum Corsica.

Au final, ce travail d'objectivation de la DSP maritime corse semble davantage avoir servi à sédimenter le système dans sa forme préexistante, modulo de modestes évolutions de détail, et constitue une nouvelle occasion manquée d'un débat de fond sur ces questions. Corsica Linea et La Méridionale conservant au final leurs grands équilibres antérieurs sur les lignes de Corse, cela risque de ne pas suffire à assurer la pérennité de cette dernière, au vu du déséquilibre structurel en faveur de la Corsica Linea entériné par l'Assemblée de Corse depuis octobre 2019 (La Méridionale est en effet fortement déficitaire depuis son exclusion du port de Bastia, même si la chute des trafics qui a suivi l'épidémie de coronavirus a brouillé les cartes et fait passer cette analyse au second plan). 



 Plus de capacités fret avec un tarif revu à la hausse et pas moins de capacités passagers sur les lignes maritimes Marseille-CorseLes Mega Express Four de la Corsica Ferries et Piana de La Méridionale, à Bastia, en avril 2019 ; photo : Romain Roussel.
Les Mega Express Four de la Corsica Ferries et Piana de La Méridionale, à Bastia, en avril 2019 ; photo : Romain Roussel.

S'agissant du fret, le premier tableau qui suit synthétise les fréquences et les capacités de transport exigées dans le cadre de la DSP Marseille-Corse 2023-2029 et les compare à la DSP transitoire en vigueur jusqu'à fin décembre 2022, pour chacun des lots.


Source : calculs Mare Nostrum Corsica sur la base du rapport de l'OTC sur le service public maritime adopté le 28 avril 2022 par l'Assemblée de Corse et de la programmation des navires observée en 2022.
Nota : conformément à celles mentionnées dans le rapport, l
es capacités sont exprimées ici dans un seul sens (Corse-continent ou continent-Corse).

Même si les fréquences minimales exigées sont réduites en hiver (elles passent de 23 par semaine dans chaque sens de novembre à mars à 19, ce qui est plus en ligne avec la pratique), les capacités minimales de transport de fret exprimées en mètres linéaires sont accrues au global de 27% sur l'année. Cela résulte d'une plus grande souplesse permise par la nouvelle DSP, avec la prévision d'un plus grand nombre de rotations supplémentaires (à des dates ou périodes qui ne sont plus fixées à l'avance, mais qui pourront revues à la hausse le cas échéant en fonction de la demande), mais surtout de l'accroissement des capacités minimales de transport requises par voyage.

Ainsi, comme les montrent les trois dernières colonnes du tableau, les capacités unitaires minimales des navires passent de 1 518 mètres linéaires par voyage sur Bastia-Marseille à 1 860 mètres linéaires dnas le cadre de la nouvelle DSP, soit une hausse de 23% sur le principal axe de fret de la Corse. Plus qu'un accroissement, il s'agit plus là d'un retour à la normale, les capacités minimales exigibles ayant précédemment été réduites lors de la période de la COVID-19. De fait, tous les cargos mixtes en service sur Bastia dépassent largement ces niveaux, avec des capacités d'emport supérieures à 2 000 mètres linéaires pour les Vizzavona, Pascal Paoli ou encore A Nepita. Là encore, ces modifications ne devraient avoir en pratique aucun impact sur les navires en service, même s'ils devaient générer davantage de rotations supplémentaires sur Bastia et Ajaccio en périodes de pointe des trafics fret et, possiblement, une légère baisse de la fréquences des dessertes sur l'ensemble des ports de Corse hors saison. La Collectivité de Corse justifie ces légères évolutions dans son rapport par la volonté "d'optimiser les remplissages des navires par rotation et d’éviter toute rotation à vide, et d’ainsi limiter le coût environnemental des rotations".


À noter en outre que l'évolution globale de +27% des capacités fret masque des disparités importantes par port, avec par exemple un doublement des capacités requises sur Ile Rousse et Propriano, qui ne devraient là aussi ne pas avoir d'impact réel au vu des navires déjà employés sur ces destinations.

Les tarifs fret non plus ne devaient en théorie subir aycun changement au terme du cahier des charges qui prévoyait toujours une segmentation selon la grille tarifaire suivante :


Source rapport de l'OTC sur le service public maritime adopté le 28 avril 2022 par l'Assemblée de Corse

Toutefois, au final, contrairmeent au cahier des charges initial, le rapport adopté le 20 décembre 2022 table non plus sur un tarif de base du fret de 35 euros du mètre linéaire, mais de 40 euros, soit près de 15% de plus, ce qui a provoqué la colère des transporteurs maritimes et risque de provoquer un choc inflationniste sur les denrées de base importées en Corse.

En ce qui concerne la question cruciale d'un possible impact inflationniste de la hausse du coût des combustibles, le rapport précise qu'un mécanisme préventif, dont la faisabilité et l'efficacité sur le long terme restent toutefois à apprécier, est normalement prévu pour le juguler : "les charges de combustibles nécessaires à l’exécution du service feront l’objet d’un mécanisme de couverture carburant pour une durée proposée par le futur délégataire, qui pourra, le cas échéant, être discutée en phase de négociation au regard du caractère actuel particulièrement volatil du coût du carburant. A l’échéance de ce contrat, la Collectivité pourra décider de mettre en place, sans que le futur délégataire ne puisse s’y opposer, un mécanisme permettant la mutualisation des coûts. A défaut, le futur délégataire aura la charge de négocier un nouveau contrat de couverture pouvant aller jusqu’à l’échéance de la convention soit le 31 décembre 2029".


S'agissant des passagers
, le tableau qui suit résume les principales évolutions - assez minimes - par rapport à la DSP précédente :



Source : calculs Mare Nostrum Corsica sur la base du rapport de l'OTC sur le service public maritime adopté le 28 avril 2022 par l'Assemblée de Corse et de la programmation des navires observée en 2022.
Nota : conformément à celles mentionnées dans le rapport, l
es capacités sont exprimées ici dans un seul sens (Corse-continent ou continent-Corse).


Les capacités de transports de passagers exigées depuis Marseille dans le cadre de la DSP sont donc désormais quasiment toutes concentrées sur le port de Propriano, sur laquelle l'offre passagers à offrir depuis Marseille est relevée de 23%, à un peu plus de 25 700 places. Cela pourrait expliquer que c'est désormais la Corsica Linea qui a été préférée à La Méridionale pour la desserte Propriano-Marseille, le Kalliste de La Méridionale ne disposant que d'une capacité passagers moindre que certains navires mixtes de la compagnie aux bateaux rouges. 

Sur les autres ports de Corse, les capacités passagers exigées de et vers Marseille subissent des variations importantes en termes relatifs (de -91% pour Porto Vecchio à +50% pour l'Ile Rousse), mais là aussi, ces changements n'auront en réalité strictement aucun impact en pratique, les capacités déployées sur ces axes étant déjà totalement déconnectées des besoins de service public. Ainsi, en 2021, la Corsica Linea a transporté à elle seule plus de 10 fois les capacités requises sur Marseille-Corse (respectivement 500 000 passagers transportés pour un peu moins de 50 000 places requises) et ce rapport entre passagers transportés et capacités théoriques approche de 13 si l'on y intègre les 136 000 passagers de La Méridionale sur Marseille-Corse... Cette situation n'évoluera pas sur la période 2023-2029 et plusieurs observateurs notent que cette surcapacité de l'offre de transport de passagers pour la desserte des ports Corse depuis Marseille contribuerait à expliquer le coût élevé de la DSP maritime Marseille-Corse, plus coûteuse que n'importe quel autre service de ferry subventionné en Europe (et probablement dans le Monde) !

Il convient toutefois de noter - et c'était là peut-être un autre gage discret donné à la Commission européenne - que le nombre minimal de passagers à transporter par rotation avait pourtant été abaissé en dessous de 12 sur la ligne Porto Vecchio-Marseille (il était déjà inférieur à ce seuil sur Ile Rousse-Marseille). Cela signifie dès lors que les compagnies délégataires auraient été en droit de proposer des rotations
en fréteurs purs (la limite d'accueil étant précisément fixée à 12 passagers par voyage pour ce type de navires) sur ces axes, moins coûteuses en subventions, mais cela na manifestement pas été leur choix...En effet, les compagnies délégataires ont toujours jusqu'ici privilégié à l'inverse les navires mixtes, et cela non plus ne changera pas non plus au plus tôt avant 2030 !

À noter enfin qu'au terme de la durée de la convention, la Collectivité de Corse pourra proposer au futur délégataire "d’acquérir le ou les navires utilisés dans le cadre de l’exploitation du service et qui sont la propriété du futur délégataire, ou de reprendre le contrat d’affrètement lié à ces navires", mais il ne s'agit là aussi que d'une simple possibilité et nul doute que la Corsica Linea et La Méridionale seront au contraire demandeuses de conserver la propriété et le plein contrôle de leur outil naval...


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