Mare Nostrum Corsica 

Accent mis sur le fret et réduction - en trompe l'oeil ? - des capacités passagers sur les lignes Marseille-Corse dans le cadre de la DSP 2014-2023
L'appareillage de Marseille du navire amiral de La Méridionale, le Piana, en mai 2012 ; photo : Jean-Pierre Fabre.
Le Piana de La Méridionale, symbole de la nouvelle génération de cargos mixtes dont l'Assemblée de Corse a fait le pilier de la desserte maritime Marseille-Corse pour la période 2014-2023.



Le 5 octobre 2012, l'Assemblée de Corse a confirmé d'importantes capacités fret pour le service public de l'axe Marseille-Corse 

Comme Mare Nostrum Corsica l'a déjà illustré dans un précédent article thématique, la définition des principaux axes de la nouvelle desserte de service public
maritime de la Corse a fait l'objet de nombreux revirements en amont du vote de l'Assemblée de Corse intervenu le 5 octobre 2012. Et ce, jusqu'à la dernière séance de débats, qui a finalement précisé suite à un amendement déposé par le Conseil exécutif de Corse que les capacités fret minimales annuelles de 1,6 million de mètres linéaires entre Marseille et la Corse précisées dans les documents techniques annexés au projet de la future convention devaient en fait s'entendre comme des capacités minimales à respecter dans chaque sens, les portant ainsi à 3,2 millions de mètres linéaires dans le cadre de la nouvelle délégation de service public (DSP) maritime en vigueur du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2023. Il est à noter que le niveau finalement adopté, quoique proche de celui en vigueur jusqu'alors dans le cadre de la DSP précédente (2007-2013), est très significativement supérieur à celui initialement préconisé par le rapport de la Mission d'assistance et de conseil sur la desserte maritime Corse-continent diligenté par la Collectivité territoriale de Corse et rendu public le 27 février 2012 qui précisait que "au regard de l'étude des besoins, les caractéristiques du futur périmètre du service de desserte maritime dont les modalités d'organisation relèvent de la CTC" étaient de 1,4 million de mètres linéaires annuels.

Le tableau suivant montre que les capacités fret par rotation sont strictement identiques à celles qui prévalaient dans le cadre de la précédente période pour les ports de Porto Vecchio, Propriano et Ile Rousse (le port de Calvi n'est mentionné ici que de manière purement indicative, car en pratique les rotations s'effectuent sur Ile Rousse, sauf imprévu). Elles sont en moyenne un peu supérieures à celles qui prévalaient jusqu'alors sur les ports de Bastia et d'Ajaccio et définies désormais de manière invariable quelle que soit la période de l'année considérée, alors qu'auparavant, les capacités étaient modulées à la hausse pendant la saison estivale (par exemple, sur Bastia, chaque navire doit transporter au moins 2000 mètres linéaires de fret toute l'année, tandis que dans la DSP 2007-2013, la capacité minimale exigée variait de 1800 mètres linéaires la majeure partie de l'année à 2400 mètres linéaires en saison). À noter qu'il est fait ici l'hypothèse que ce sont des navires mixtes qui assureraient la septième rotation hebdomadaire de service public entre Marseille, Bastia et Ajaccio prévue toute l'année par le volet passagers de la DSP, car en fait la DSP fret n'en prévoit que six par semaine sur ces deux ports. Faute de retenir cette hypothèse, le calcul ci-dessous ne permettrait pas d'atteindre le niveau minimal total de 3,2 millions de mètres linéaires sur la Corse dans le cas où les capacités des navires en service seraient justes calées sur les minima exigés.



Source : calculs Mare Nostrum Corsica sur la base du document voté le 5 octobre 2012.


Une rapide comparaison de la capacité annuelle exigée dans le cadre de la future DSP Marseille Corse 2014-2023 aux trafics effectivement constatés sur ces lignes en 2011 (dernière année complète connue au moment du vote des élus de l'Assemblée de Corse) montre que les capacités annuelles minimales votées demeurent, selon le port Corse considéré, de 1,8 à 2,5 fois supérieures au trafic annuel effectivement constaté en 2011. Ainsi, pour le port de Porto Vecchio, la capacité fret minimale qui est exigée atteint 312 000 mètres linéaires environ, contre un peu plus de 126 000 effectivement transportés en 2011.



Source : calculs Mare Nostrum Corsica sur la base du document voté le 5 octobre 2012 et données de trafic de l'Observatoire régional des transports de la Corse (ORTC).

Plusieurs facteurs tendent à justifier que soit retenu un écart significatif entre le trafic constaté et les capacités minimales exigées :
- le trafic fret ne se répartit pas nécessairement de manière parfaitement homogène sur l'année
0 ou d'un jour de la semaine à l'autre et il faut prévoir de la marge pour absorber les remorques en période de pointe ;
- il ne faut pas raisonner de manière "statique" sur la seule année 2011, les trafics fret de la Corse augmentent régulièrement et, au vu de la durée importante la convention qui va jusqu'en 2023 inclus, il est nécessaire d'anticiper cette croissance future des trafics ;
- enfin, il convient de garder en mémoire que la volonté affichée de l'Assemblée de Corse qui a présidé aux votes des 5 octobre et 9 novembre 2012 a été de promouvoir le transport du fret au départ de Marseille via un abaissement très significatif de ses tarifs de transport, désormais alignés sur ceux des lignes Toulon-Corse (75 euros le mètre linéaire pour un aller-retour). Il est aussi précisé en annexe du document voté que "ces tarifs pourront faire l’objet d’une réduction qui ne pourra pas excéder 10 %", ils ne pourront donc être inférieurs à 67,5 euros du mètre linéaire pour un aller-retour, ce qui aura des conséquences inflationnistes en dehors des lignes de Marseille puisque la Corsica Ferries pratique fin 2012 entre Toulon et la Corse un tarif promotionnel à 59,8 euros ! C'est pourquoi, la compagnie aux bateaux jaunes a annoncé à WK transport-logistique son intention de mener une action en justice afin de faire déclarer illégale cette disposition prévoyant des tarifs plancher, qu'elle juge protectionniste.

Il est à noter que si le trafic fret de la Corse ne se répartit pas uniformément selon le sens considéré en termes de tonnage (les "importations" de la Corse sont nettement plus importantes que ses "exportations" selon l'INSEE), ce raisonnement n'est plus valable en termes de nombre de mètres linéaires transportés, ce qui ne justifie pas de prévoir également une marge à ce titre pour absorber le trafic dans le sens de pointe.


Surtout, l'ampleur de l'écart entre la capacité fret exigée et celle effectivement transportée interroge : même si les lignes Marseille-Corse absorbaient dès 2014 l'intégralité du fret jusqu'ici transporté sur la Corse depuis Marseille, Toulon et Nice, il resterait encore une marge annuelle de plus de 1,2 million de mètres linéaires, soit presque autant que le 1,48 million de mètres linéaires transporté entre Marseille et la Corse en 2011 ! Exprimé autrement, le trafic fret entre Marseille et la Corse pourrait en théorie être multiplié par 2,2 sans que ne soit atteinte la capacité fret minimale requise, il faut donc souhaiter que l'abaissement des tarifs de transport des marchandises induise un fort développement du secteur, de peur que ne s'accroissent les surcapacités du secteur maritime en matière de fret.


Les capacités passagers minimales exigées sont sensiblement revues à la baisse mais demeurent bien supérieures au trafic maritime constaté jusqu'ici entre Marseille et la Corse

Les médias se sont largement fait l'écho du chiffre de 410 000 passagers annuels de capacité minimale entre Marseille et la Corse indiqué dans le document voté par l'Assemblée de Corse le 5 octobre 2012 pour la nouvelle délégation de service public (DSP) maritime en vigueur à compter de janvier 2014. Pour la même raison que celle évoquée précédemment pour le fret, il s'agit là encore finalement d'une capacité de transport exprimée dans chaque sens, ce qui devrait de facto porter au total la capacité minimale de transport annoncée sur Marseille-Corse à 820 000 passagers annuels. Pour autant, le projet de convention de service public mentionne en fait précisément des capacités passagers minimales à respecter, telles que rappelées au tableau suivant, qui portent en réalité la capacité minimale exigée dans le cadre de la DSP à 1,17 million de passagers annuels. Cette estimation résulte de la simple application de la capacité standard de 500 passagers exigée par rotation (sauf sur Marseille-Ile Rousse, où cette capacité n'est que de 275 passagers par rotation hors périodes de pointe) au nombre minimum de rotations exigé tout au long de l'année.


Source : calculs Mare Nostrum Corsica sur la base du document voté le 5 octobre 2012. * On ne considère ici que le trafic passagers régulier des navires mixtes, mais pour la période 2007-2013, un important supplément de capacités en ferries était exigé sur les lignes Marseille-Bastia, Marseille-Ajaccio et Marseille-Propriano en périodes de pointe.

Rappelons que parallèlement à la fin du dispositif d'aide sociale au départ de Toulon et de Nice, l'Assemblée de Corse a décidé le 5 octobre 2012 la fin du subventionnement du service complémentaire par car-ferry entre Marseille et la Corse à compter de 2014. Celui-ci bénéficiait jusqu'ici à la seule SNCM et était assuré par les cruise-ferries 
Danielle Casanova et Napoléon Bonaparte. On ignore à ce stade si, pour absorber les flux touristiques en périodes de pointe, la compagnie maintiendra à l'avenir sans subvention une desserte estivale en ferry sur Marseille en sus des navires mixtes, comme elle le fait déjà en 2013 avec les navires Méditerranée et Corse sur les lignes entre Toulon, Nice et la Corse (jusqu'en 2012, le Méditerranée effectuait aussi une traversée Marseille-Porto Vecchio hebdomadaire en été en sus du cahier des charges de service public).

Dans l'incertitude, si l'on se place ici dans l'hypothèse minimaliste selon laquelle seuls les sept cargos mixtes qui assurent jusqu'en 2013 la continuité territoriale continueraient de naviguer entre Marseille et la Corse, on aboutit approximativement à une capacité de transport annuelle de l'ordre 1,69 million de passagers
1. Même dans cette hypothèse basse, cette capacité de transport demeure bien supérieure à celle exigée par la convention, qui est en fait de 1,17 million, comme illustré plus haut, et plus encore aux besoins de service public tels qu'ils avaient été estimés dans le rapport du 27 février 2012 de la Mission d'assistance et de conseil sur la desserte maritime Corse-continent diligenté par la Collectivité territoriale de Corse, qui les évaluait à seulement 410 000 passagers annuels. Le tableau suivant montre que pour chacune des lignes, à l'exception notable des deux plus fréquentées (Marseille-Ajaccio et Marseille-Bastia), les capacités exigées demeurent significativement supérieures à la fréquentation observée sur ces axes en 2011.


Source : statistiques de trafic passagers de l'Observatoire régional des transports de la Corse (ORTC) pour l'année 2011 et estimations conventionnelles de Mare Nostrum Corsica sur la base du document voté le 5 octobre 2012 et des capacités théoriques des navires déclarées par les compagnies. Comme indiqué en note de bas de page 1, ces estimations sont à considérer avec prudence.


Dans les faits, la capacité offerte par les compagnies au départ de Marseille pourrait être significativement supérieure, même en l'absence de ferries. À titre d'illustration, à flotte de La Méridionale supposée inchangée et en tablant sur une flotte de quatre navires mixtes SNCM entièrement renouvelée ayant chacun une capacité passagers de 1 200 personnes2, la capacité de transport théorique serait portée à terme à près de 2,3 millions de passagers annuels sur Marseille-Corse, soit un niveau proche de celui observé dans le cadre de la DSP 2007-2013.

À noter que l'ensemble des capacités annuelles indiquées supposent que les navires mixtes ne navigueraient que de nuit, selon les fréquences minimales prescrites par la DSP. Or, compte tenu de la vitesse de service de la nouvelle génération de navires mixtes (environ 23 noeuds, voire davantage pour les plus rapides), il est tout à fait envisageable qu'en saison, ces navires effectuent en plus une rotation de jour pour absorber les flux touristiques, a fortiori dans l'hypothèse où tout ou partie des ferries serait retiré de ces lignes. En effet, les plages horaires de départ des navires telles que prescrites par la convention (par exemple, le départ doit avoir lieu entre 18h30 et 20h sur Marseille-Bastia et l'arrivée entre 6h30 et 7h dans le cas général) sont tout à fait compatibles avec le fait d'effectuer deux rotations entre Marseille et la Corse par période de 24h, comme c'est le cas en été des ferries de la SNCM. En revanche, ces plages horaires imposées par la convention sont trop restrictives pour effectuer trois rotations entre Marseille, Nice et la Corse par période de 24h, à l'image de celles opérées par la Corsica Ferries entre Toulon, Nice et la Corse depuis la mise en service des Mega Express en 2001. Simple coïncidence ou non, cet encadrement très strict des plages horaires de départ défavorable aux compagnies qui auraient pu envisager d'effectuer jusqu'à trois rotations par période de 24 heures n'a été introduit que dans l'ultime mouture de l'annexe définissant la nouvelle convention de service public (à titre d'exemple, dans le projet initial, il était seulement indiqué que le départ de Marseille pour Bastia devait se faire "à partir de 18h30", seule la plage horaire de l'arrivée était strictement encadrée).

Dans le scénario, évoqué publiquement par le président du directoire de la SNCM, où deux traversées entre Marseille et la Corse pourraient à terme être effectuées par navire en 24h, la capacité de transport de passagers sur cet axe pourrait dès lors être significativement supérieure aux 2,3 millions calculés ici. Là encore, il convient néanmoins d'être prudents quant à l'interprétation de ces résultats, fondés sur des capacités théoriques annoncées de futurs navires et non sur leur capacité réelle, au sens de la convention, qui n'est pas encore connue à ce jour.


Les 7 navires mixtes de la continuité territoriale de la DSP 2007-2013 ; montage à partir de photos de Jean-Pierre Fabre, Nicolas Giovanetti et Romain Roussel.
Source : calculs Mare Nostrum Corsica sur la base de données ORTC et issues du cahier des charges de la DSP Marseille Corse 2014-2023 voté par l'Assemblée de Corse le 5 octobre 2012.


 
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Notes :

[0] D'après les statistiques de transport de marchandises de l'Observatoire régional des transports de la Corse, le nombre de mètres linéaires transportés entre la Corse et Marseille sur la dernière année mobile connue au moment du vote de l'Assemblée de Corse varie de 111 309 mètres linéaires en décembre 2011 à 157 635 mètres linéaires en juillet 2012, soit un écart entre mois extrêmes de plus de 40%. Par ailleurs, l'activité de transport de marchandises est généralement plus intense en milieu de semaine que le week-end.

[1] On considère ici les capacités théoriques de transport de passagers telles que mentionnées par les compagnies dans leurs brochures respectives, à savoir, pour la SNCM : 600 passagers par rotation pour le Pascal Paoli sur Marseille-Bastia, 500 passagers pour le Paglia Orba sur Marseille-Ajaccio, 1 500 passagers pour le Jean Nicoli sur Marseille-Porto Vecchio et 500 passagers pour le Monte d'Oro sur Marseille-Ile Rousse ; pour La Méridionale : 750 passagers pour le Piana sur Marseille-Bastia, 650 passagers pour le Girolata sur Marseille-Ajaccio et 500 passagers pour le Kalliste sur sur Marseille-Propriano. Il s'agit là d'une approximation à plusieurs titres : d'une part, on ne tient pas compte des rotations supplémentaires effectuées de jour en été (par exemple, par le Jean Nicoli sur Marseille-Ajaccio les dimanches en saison) qui viendraient majorer ces chiffres, d'autre part, on ne prend pas non plus en considération les périodes d'arrêt technique des navires, qui viendraient à l'inverse les minorer. Cette méthode conduit en particulier à surestimer l'offre de transport sur Marseille-Porto Vecchio où le Jean Nicoli cède la place en basse saison à un cargo de moindre capacité. Il faut également noter qu'en pratique, ce ne sont pas les capacités théoriques des navires mais les capacités dites réelles qui sont prises en compte par la Collectivité territoriale de Corse pour apprécier les capacités sous-jacentes aux offres formulées par les compagnies en réponse aux appels d'offre. Toutefois la méthode de calcul retenue par cette instance n'est pas explicitée dans les documents publics : il y est précisé qu'il revient aux candidats d'expliciter "la méthode utilisée pour le calcul des capacités réelles à partir des capacités théoriques des navires". Le choix de retenir en pratique une capacité réelle plutôt qu'une capacité théorique des navires est justifié par "la structure du trafic et, en particulier, l’exclusivité à réserver pour une bonne partie des cabines".

[2] On rappelle que la SNCM a annoncé en 2012 son intention de renouveler sa flotte de cargos mixtes et de positionner progressivement sur les lignes de Corse à compter de 2015 des navires d'une capacité unitaire comprise entre 1000 et 1500 passagers, selon les sources. Voir l'article thématique sur le sujet. 


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