Mare Nostrum
Corsica
Une profonde refonte du service public maritime de la Corse s'imposera-t-elle enfin ?
Le service public maritime de la Corse, fondé sur le groupement La Méridionale - Corsica Linea, semble à la dérive car il verrouille toute possibilité de concurrence, si bien que la Corsica Ferries a annoncé début 2020 qu'elle ne serait plus candidate dans ces conditions aux prochains appels d'offres. De gauche à droite
sur la photo, prise à Bastia en août 2019 par Romain Roussel, détail des Pascal Paoli (Corsica Linea) et Mega Smeralda (Corsica Ferries).
Un
projet de compagnie régionale maritime corse bel et bien
tombé à l'eau et un système de DSP maritime qui ne
permet pas d'assurer le service dans des conditions équitables
pour les compagnies et à un coût raisonnable pour la CdC...
Le Piana, navire amiral de La Méridionale,
spécialement conçu pour la ligne Marseille-Bastia mais
relégué sur les lignes secondaires de Corse depuis
octobre 2019 : une aberration économique qui coûte cher
tant à la compagnie, à ses salariés qu'à la
Corse. Photo prise à Marseille en avril 2018 par Jean-Pierre
Fabre.
Elle devait voir le jour
à l'été 2019, puis début 2021... mais il
n'en sera finalement rien ! Le projet de compagnie régionale maritime Corse, pourtant porté de très longue date par
les mouvements autonomistes de l'île aurait dû
en théorie se concrétiser depuis déjà plusieurs années
au vu des délibérations prises par l'Assemblée de Corse, comme précisé par Mare Nostrum Corsica dans de précédents articles thématiques (voir le projet initial de sociétés d'économie mixtes et les modifications apportées au dispositif, qui ont abouti à l'échec de sa mise en place au 1er janvier 2021).
Désormais, le
projet de création de la compagnie régionale corse ne
serait pas envisagé au mieux avant 2025, révélait Corse Matin dans
un article du 12 septembre 2020. En effet, selon cette même
source, l'échec de l'attribution des lignes selon le
schéma envisagé pour la période 2021-2027
signerait de fait la fin des intentions de l'Exécutif de Corse de
recourir à des sociétés d'économie mixte
pour le moment. Cette décision serait motivée en premier
lieu par des demandes de compensation financières bien trop
élevées de la part du groupement Corsica Linea - La Méridionale : la facture annuelle serait 36% plus élevée que les estimations de l'Office des transports
de la Corse sur la base de la reconduction du cahier des charges
de service public précédemment en vigueur (soit un
coût total de 776 millions d'euros pour la période
2021-2027, contre 570 millions d'euros estimés). Il se serait
agi - de loin - de la délégation de service public
maritime insulaire la plus coûteuse en Europe, l'Italie
n'acordant "que" 72 millions d'euros par an jusqu'alors à la Tirrenia
pour la desserte de la Sardaigne ! La crise sanitaire aurait
également conduit à revoir à la
baisse les estimations des besoins de service public maritime par
rapport au précédent cahier des charges, fondé sur
une évaluation antérieure à l'apparition du
coronavirus.
Selon le rapport de l'Office des transports de la Corse (OTC) finalement adopté le 25 septembre 2020 par l'Assemblée de Corse,
le système des sociétés d'économie mixte
envisagé jusqu'ici pour la période 2021-2027
cèderait la place à deux délégations de service public plus classiques :
- en 2021, une simple prolongation de la délégation de service public (DSP) maritime en vigueur jusqu'ici. Cela signifierait une attribution des lignes Marseille-Bastia, Ajaccio et Ile Rousse à Corsica Linea et Marseille-Propriano et Porto Vecchio à La Méridionale, sans
remise en concurrence, et pour un montant annuel total de subventions
d'environ 85 M€ (voir graphiques ci-dessous pour la
répartition par ligne et par compagnie). Après le rapport
très critique
déjà publié cet été, la Commission européenne aurait de nouveau manifesté son inquiétude quant à la légalité de cette solution quelques jours avant la délibération de l'Assemblée de Corsedu
25 septembre 2020 et demanderait la mise en place de simples
obligations de service public, ce qui laisse entrevoir de probables
nouvelles
joutes dans les prochains mois à ce sujet. Cette décision
de la Collectivité de Corse (CdC), si elle se confirmait, pourrait avoir des conséquences graves pour La Méridionale,
exclue depuis octobre 2019 des ports principaux de l'île sur
lesquels se concentre la quasi-totalité du trafic fret, et dont
la présence sur la Corse s'est de fait réduite depuis
à deux navires (le Piana sur Porto Vecchio et le Kalliste sur Propriano). En effet, dans le partenariat en vigueur jusqu'à l'été 2019, La Méridionale desservait
un jour sur deux les deux principaux ports de l'île (Bastia et
Ajaccio) en sus de Propriano, ce qui lui permettait d'être
à l'équilibre économique. Depuis lors, il avait
été convenu entre les compagnies que La Méridionale
remettrait un navire en service sur Ajaccio en 2021 à la place
de Propriano si les SEMOP DSP 2021-27 leur étaient attribuées, ce
qui ne sera finalement pas le cas. Et entre-temps, la crise sanitaire a
fait chuter les trafics passagers et réduit ceux du fret, ce qui
fait que le retour à l'équilibre de La Méridionale
semble illusoire à court terme. La compagnie tente de ce fait une diversification
hors de Corse, avec l'ouverture avant la fin 2020 d'une ligne entre
Marseille et Tanger, au Maroc, mais ce pari semble risqué dans
le contexte économique et sanitaire actuel qui est un frein aux
échanges, et du fait qu'il s'agirait d'une ligne très
longue (36 heures de traversées) et exploitée cette fois
sans subventions... Pour Corsica Linea,
une reconduction de la DSP en vigueur en 2020 serait au contraire une
très bonne nouvelle de plus, la compagnie s'étant
déjà arrogée la part du lion du fret et des
subventions sur Marseille-Corse depuis l'automne 2019, par
décision de l'Assemblée de Corse et
bénéficiant semble-t-il de facilités pour faire
naviguer des navires autres que ceux prévus par le contrat de
DSP sur ses lignes (ainsi, le Paglia Orba, plus ancien, a pris en 2020 la place du Vizzavona, que la compagnie s'était pourtant engagée par contrat à faire naviguer sur Marseille-Bastia) ;
Source : rapport de l'Office des transports de la Corse
"Concession de service public de transport maritime Corse-continent
2021-2027", daté des 24 et 25 septembre 2020 ; section finale
consacrée aux conséquences pour 2021 de
l'infructuosité du projet de service public initialement
prévu pour 2021-2027.
- à partir de 2022 et jusqu'à fin 2024, une nouvelle DSP de 3 années serait lancée
pour, en théorie, désigner de nouveaux
délégataires. Toutefois, rien n'indique que les
délégataires seront effectivement différents, le
groupement Corsica Linea - La Méridionale
étant désormais le seul à répondre à
ces appels d'offres depuis que les barrières à
l'entrée sont trop nombreuses pour que des concurrents puissent
y participer. Rien n'indique non plus que l'équilibre initial entre La Méridionale et la Corsica Linea
sera restauré - cette dernière étant
désormais en position de force au sein du binôme pour
négocier du fait des concessions de lignes dont elle
bénéficie. Lors de l'appel à candidatures pour les
sociétés d'économie mixtes de la période
2021-2027, ces barrières étaient multiples et
particulièrement visibles : retour d'un appel d'offres global
(alors que le précédent s'était fait ligne
à ligne, ce qui laissait entrevoir une possibilité de
mise en concurrence, même si celle-ci a de fait été
rejetée par l'Assemblée de Corse, alors même que la proposition de la Corsica Ferries avait par exemple été reconnue comme la meilleure par l'OTC
pour la ligne Marseille-Propriano), durée d'engagement
très longue (7 années), laps de temps trop court entre le
choix des délégataires et l'entrée en vigueur du
service (ce qui favorise fortement les sortants), absence de
possibilité de proposer des traversées avec escales (qui
auraient pu permettre une desserte combinée des ports
principaux et secondaires de l'île), grande rigidité des
horaires de départs et d'arrivée des navires
imposés, absence de recours possible à des navires
dédiés exclusivement au fret ou à un port continental autre que Marseille... De fait, la Corsica Ferries,
dont les offres ont été systématiquement
repoussées depuis près de 20 ans pour des motifs plus ou
moins contestables selon les cas, a fait savoir en février 2020
qu'on ne l'y reprendrait plus et qu'elle ne participerait donc plus
à une compétition qu'elle estime faussée à
la base en sa défaveur. Et aucune autre compagnie maritime,
pourtant nombreuses en Méditerranée et dont les
appétits pourraient être aiguisés par les niveaux
de subventions élevés dispensés pour le
service public de la Corse,
surtout en période de crise, ne s'est de fait portée
candidate depuis que des appels offres ont été
lancés par la Collectivité de Corse (CdC)
au début des années 2000, ce qui est assez
révélateur du degré d'ouverture de la
compétition...
Les délégations de service public (DSP) maritimes de la Corse depuis 2002 et leur vicissitudes
Sources officielles (rapports successifs de l'Observatoire régional des transports de la Corse votés par la CdC de 2001 à 2020), mises en infographie par Mare
Nostrum Corsica ; sigles : SNCM (Société Nationale
maritime Corse Méditerranée) ; CMN (Compagnie
Méridionale de Navigation, dite La Méridionale) ; CL
(Corsica Linea), CF (Corsica Ferries).
On le voit donc, la création de la compagnie régionale
maritime Corse, sans doute trop risquée économiquement
pour la Collectivité de Corse, est
désormais repoussée aux calendes grecques et le
système de DSP en vigueur pose peut-être plus de
problèmes qu'il n'apporte de réelles solutions... De
surcroît, les DSP Corses attribuées à Corsica Linea
sont désormais dans le collimateur des autorités
européennes, qui soupçonnent qu'il pourrait de fait
s'agir d'aides d'Etat (interdites par le traité fondateur de l'Union européenne)
et l'ont publiquement signalé dans un document publié le
7 août 2020, sans même attendre les
résultats définitifs de leur enquête en cours,
preuve de leur peu de doutes ! Cela interroge dès lors sur la
capacité des autorités corses à recourir encore
dans la durée à de telles délégations, tout
du moins aux conditions actuelles. Et ce, quand bien même elle
affiche dans le projet de prorogation de cette DSP un besoin de
passagers (autre que les convoyeurs) nul sur les lignes entre
Marseille, Bastia, Ajaccio et Ile Rousse et ce, alors même que
les navires de Corsica Linea
en transportent sur ces liaisons et continueront d'en transporter au vu
des caractéristiques de leurs navires mixtes ! L'ombre de
contentieux antérieurs plane sur ce dossier, puisqu'après
d'interminables rebondissements judiciaires, le système de DSP
accordé à feu la SNCM par la France de 2007 à 2013 avait finalement été condamné par la Commission européenne,
qui avait exigé le remboursement de 220 millions d'euros d'aides
(qui n'ont finalement pu être recouvrées, la SNCM
ayant disparu et la plupart de ses navires ayant été
repris par la Corsica Linea, sans ses dettes et pour un coût modique au vu de leur
valeur réelle).
Dès lors, pour l'ensemble des raisons invoquées, une
refonte en profondeur du système de continuité
territoriale maritime de la Corse semble devoir s'imposer. Cette
refonte suppose toutefois des discussions et études de fond sur
des sujets techniques qui n'ont jusqu'ici pas été
traités en profondeur ou ont été
écartés par les autorités corses successives, peut-être
aussi pour des considérations d'ordre politique.
Les pistes pour une nouveau service public maritime de la Corse sont nombreuses et, pour la plupart, déjà connues
Le
port de Bastia fait partie des plus touchés sur l'île par
la crise de 2020, pour ce qui est du trafic passagers (-48% de
passagers et -7% de fret depuis le début de l'année
à fin août, selon la CCI 2B). Ici sur la photo, de gauche à droite, le Corsica Victoria (Corsica Ferries), le Vizzavona (Corsica Linea) et le Moby Zazà (Moby Lines) à quai, en juillet 2019 (photo : Romain Roussel).
Sans prétendre avoir réponse à l'ensemble de ces problématiques, Mare Nostrum Corsica souligne
l'importance que soient réellement examinées au fond
et mises en débat la liste - non limitative - des questions
suivantes en matière d'organisation du service public des
transports maritimes de la Corse, dans l'intérêt de sa
desserte, mais aussi plus généralement de celui du
développement économique et social de l'île et du
respect de son environnement :
- Quelle parts des
financements publics entre subventions accordées au secteur
maritime et à l'aérien et quelle articulation entre les
DSP de ces deux secteurs si elles devaient perdurer ? Jusqu'ici, les DSP maritime et aérienne sont discutées de manière assez disjointe par l'Assemblée de Corse,
et sont attribuées à des dates et pour des durées différentes. S'il y
a effectivement lieu de lancer des procédures disjointes pour
ces deux modes de transport, compte tenu notamment de la
spécificité des problématiques et des
opérateurs en jeu dans chacun des cas, il pourrait être
proposé de mener une réflexion plus poussée et
plus coordonnée entre les travaux sur le maritime et sur
l'aérien, afin d'aboutir à une plus grande
cohérence et à une meilleure maîtrise des
transports de l'île. En particulier, ces dernières
années, les votes des élus de l'Assemblée de Corse
ont conduit à ce qu'une part notable des subventions de service
public de la Corse a basculé du secteur maritime au secteur
aérien, sans que cela ait fait l'objet d'une grande
explicitation des objectifs sous-jacents. De surcroît, une part
notable de ces subventions nouvelles est allée aux dessertes de
bord à bord aérien (lignes reliant la Corse à Nice
et Marseille) alors que ces destinations sont aussi celles pouvant
être aisément desservies par voie maritime, alors qu'il aurait pu
être fait le choix d'orienter davantage les subventions de
l'aérien vers des destinations plus lointaines, pour faire
venir une nouvelle clientèle touristique et permettre aux
résidents corses de se déplacer de manière plus
complémentaire entre bateau et avion. Par ailleurs, les
études de l'Inseemontrent
que les séjours sur l'île
générés par le transport aérien sont
sensiblement plus courts que ceux induits par le maritime ; aussi
favoriser le premier mode de transport au détriment du second
peut induire une perte économique pour l'économie de la
Corse qu'il conviendrait d'évaluer. Enfin, il faut s'interroger
sur le sens que peut avoir
le fait de favoriser les subventions au secteur aérien au
détriment du maritime dans un contexte de lutte contre le
réchauffement climatique, lorsqu'il est établi qu'un
navire plein émet bien moins de gaz à effets de serre
qu'un avion, à distance équivalente, sans parler des
nuisances sonores induites par les avions...
- Quel choix
opérer entre délégation de service public (DSP) et
obligations de service public (OSP) sur les lignes de Corse ? Les "tests de marché" réalisés jusqu'ici à la demande de la Collectivité de Corse ayant été très critiqués tant par la Commission européenne
que par les économistes observateurs du dossier, il conviendrait
de se repencher sur la question, sur la base d'une méthodologie
à approfondir de manière plus transparente et
partagée avec les opérateurs et autorités
compétentes. De surcroît, il conviendrait d'évaluer les conséquences que la crise du
coronavirus aura sur les transports de l'île - tant
maritimes qu'aériens, pour les passagers mais aussi pour le fret
- et ce, que ce soit à court ou à moyen terme. Cela rend
d'autant plus indispensable de telles études
de marché approfondies préalablement au fait de
statuer sur tel ou tel système de desserte. Le choix effectué depuis
toujours sur Marseille-Corse d'une DSP plutôt que d'OSP est loin
d'être neutre, puisqu'il a de fait toujours exclu toute
concurrence avec les opérateurs retenus sur les lignes de
Marseille. Le rapport de l'OTC
voté le 15 avril 2016 prévoyait pourtant
d'expérimenter les OSP pendant deux années sur ces lignes
Marseille-Corse à compter du 1er octobre 2017, mais n'a jamais
été suivi d'effets, ces lignes étant toujours
demeurées sous DSP... Pourtant, des expérimentations d'OSP
pourraient être menées, par exemple sur certaines lignes
et pour une durée prédéfinie, afin de mesurer les
avantages et éventuels inconvénients de ce système,
qui permet une plus grande souplesse de desserte et une plus grande
concurrence. L'expérimentation, assortie d'un niveau et d'un
mode de subventionnement à calibrer (voir point suivant)
pourrait par exemple se dérouler sur la principale ligne de fret
de l'île, Marseille-Bastia. En effet, le choix de
Marseille-Bastia semble adéquat, puisqu'il s'agit de la ligne la plus
rentable pour les opérateurs (les coefficients de remplissage
fret y sont très élevés toute l'année, ce
qui justifie a priori moins une délégation de service public) et sur laquelle la Corsica Linea avait affirmé à sa création qu'elle pourrait naviguer sur cette ligne sans subventions - avant qu'elle ne se substitue à Patrick Rocca en tant que repreneur de l'ex-SNCM et change alors de point de vue...
- Quel type de compensations financières accorder ou non en contrepartie aux opérateurs ? Actuellement, seuls les délégataires des lignes Marseille-Corse (Corsica Linea et La Méridionale)
perçoivent des subventions dans le cadre de la DSP, tandis que
les compagnies présentes sur les lignes Toulon et Nice-Corse (Corsica Ferries, seule sur ces liaisons depuis le retrait de Nice de la Moby
début 2019) ne perçoivent plus rien depuis début
2014 dans le cadre des OSP. Qu'il s'agisse de DSP et d'OSP, les deux
font néanmoins partie du service public maritime de
continuité territoriale et sont assortis d'obligations de
fréquences et de dessertes minimales (celles-ci étant
plus contraignantes en DSP qu'en régime d'OSP) ainsi que de tarifs maximaux pour les résidents corses. La question du
financement de telle ou telle ligne mériterait d'être
réexaminée au vu de l'évolution des flux de
transports constatée ces dernières années, le
système n'ayant pas été requestionné au
fond depuis 2014 alors que les conditions de marché ont beaucoup
évolué depuis, que ce soit avant la crise du coronavirus
(amélioration sensible des taux de fret sur les lignes de
Marseille, baisse du transport de marchandises sur Toulon et
effondrement du trafic passagers du port de Nice,
si bien que la
pérennité de cette desserte maritime avec la Corse se
pose) ou après (chute des trafics passagers sur la plupart
des lignes de Corse, poursuite de la dégringolade du fait de la fermeture du port de Nice, et
amoindrissement des flux de marchandises en raison d'une plus faible saison touristique). Il conviendrait aussi de
réexaminer dans ce cadre les avantages et inconvénients
respectifs des différents modes de financement des transports
maritimes, et notamment, dans un contexte d'objectif de relance
économique, de prendre en considération le fait qu'une
aide à l'unité transportée (par exemple, une
subvention forfaitaire accordée au transporteur routier
plutôt qu'à la compagnie maritime pour chaque
remorque embarquée, ou versée au passager pour chaque voyage) peut
constituer un puissant effet de levier à moindre coût pour
relancer les trafics en berne et avoir des retombées
économiques et sociales sur l'île plus importantes -
là aussi, à chiffrer plus précisément sur
la base d'études à diligenter - qu'une subvention
accordée globalement par compagnie maritime.
- Quelles
caractéristiques de la DSP (durée,
périmètre, prescription du type de navire, des
horaires de desserte...) retenir si celle-ci devait perdurer ?
Les dernières années ont vu se succéder sur la
Corse des DSP de plus en plus courtes repartant peu ou prou de
cahiers des charges décrivant des besoins de service directement inspirés les unes
des autres, sans remise en cause en profondeur, alors que les
conditions de marché avaient changé. Le choix de leur
durée apparaît aussi assez chaotique (de 6,5 années
en moyenne au début des années 2000, on est passé
par des projets d'une durée de 10 années pour revenir
à des durées plus courtes de 1 à 2 années)
et peu objectivable sur le fond et celles-ci ont trop souvent
été attribuées au dernier moment (parfois la
veille, comme à l'automne 2016 !), ce qui ne permet pas une
compétition sérieuse entre opérateurs. Il
apparaît donc nécessaire de donner plus de
lisibilité aux opérateurs et à leurs
salariés sur ces points et de réexpertiser au fond les
véritables besoins de service public, sans exclure a priori du débat telle ou telle solution. Ainsi, le 7 août 2020, la Commission européenne s'interrogeait
publiquement sur plusieurs caractéristiques de la DSP et
invitait les parties intéressées à lui faire part
de leurs observations, qu'il serait sans doute très utile de
porter également à la connaissance des élus de l'Assemblée de Corse.
Dans ses conclusions d'étapes, la Commission européenne s'interroge aussi sur la compatibilité de la DSP attribuée en 2019 à la Corsica Linea
- celle-là même qui devrait finalement être
prolongée jusqu'à fin 2020 - avec les règles du
marché unique intérieur de l'Union (en cas de
surcompensation par rapport au service public opéré, ces
aides pourraient alors constituer un avantage indu pour la Corsica Linea par rapport à ses concurrentes). La Commission s'étonne enfin de l'option retenue par la Collectivité de Corse
de ne retenir pour cette desserte Marseille-Corse que des navires de
type "ro-pax" (c'est-à-dire embarquant des passagers en sus du
fret). La Commission se
demande notamment s'il ne pourrait être envisagé de
recourir à des fréteurs purs, ce qui pourrait
potentiellement contribuer à faire baisser le coût de la
desserte maritime, sous réserve d'expertises ultérieures qu'il
conviendrait que la Collectivité
mène... La question de la rigidité des horaires de
départ et d'arrivée des navires dans le cadre de la DSP
(qui a notamment conduit à exclure la proposition de la Corsica Ferries
pour la ligne Marseille-Porto Vecchio début 2020) mérite
aussi d'être reposée au regard des économies
substantielles pour la Collectivité qu'un assouplissement raisonnable de ces horaires pourrait générer.
- Quel type de
desserte retenir pour les ports de l'île, notamment pour ceux
parfois dits secondaires (Ile Rousse, Propriano, Porto Vecchio) ?
Il s'agit là aussi d'une question centrale du débat et
pourtant presque toujours occultée, ce qui peut mener à
des décisions brutales (la fermeture définitive du port
de Calvi aux ferries en pleine saison touristique le 12 août 2016
avec un préavis de moins de 15 jours pour des questions
liées à la sécurité et à la
circulation des véhicules en est un bon exemple). Ces
dernières années, les subventions de service public
maritime de la Corse sont concentrées à environ 40% sur
les ports de Propriano, Porto Vecchio et Ile Rousse, pour un trafic fret
parfois très faible. Pourtant, les partenaires sociaux ont
régulièrement attiré
l'attention des élus sur cette question, indissociable en
particulier du coût
du transport du fret maritime entre la Corse et le continent et, plus
généralement, du niveau des prix dans l'île.
Déjà le 27 septembre 2012, Philippe Pasqualini,
alors vice-président de la CGPME de Corse, avait déclaré en marge des débats préparatoires à la définition de la DSP
2014-2023 dans une interview à France Bleu Corse que la question des besoins et
du coût du fret n'avait pas suffisamment été analysée et que des scénarios
alternatifs de desserte auraient gagné à être étudiés afin de dégager un
gisement important d'économies. Il affirmait ainsi partager les préoccupations
formulées par Jean-Claude Graziani (alors représentant de la CGT au sein du Conseil
économique, social et culturel de Corse) selon lesquelles "nous nous
posons des questions quand nous voyons un cargo arriver dans un port secondaire
avec une remorque à bord" et ajoutait alors "quel est le prix de
revient de la remorque ?" et qu'il fallait que les élus puissent expliquer
que "le schéma qu'on a choisi coûte peut-être 30%, 40%, 50% plus cher
qu'un autre schéma qui aurait privilégié l'efficacité économique de façon à
abaisser significativement le coût des transports, de façon aussi à servir de
régulation au prix des transports sur la Corse car plus on aura un prix de DSP
bas, plus ça va réguler les tarifs vers le bas".
Près de dix années, plus tard, le débat sur cette
question n'a toujours pas eu lieu... Sans aller jusqu'à
l'extrême d'une remise en cause de la desserte de service public
des ports dits secondaires, une solution raisonnable pourrait consister
à les faire desservir avec escale à l'aide des
mêmes navires que ceux employés sur les ports principaux.
Cela permettrait à la fois de réaliser des
économies très importantes, de limiter la pollution dans
l'île (puisque les cargos mixtes de Corsica Linea
passent actuellement toute la journée à quai dans les
ports de Bastia et d'Ajaccio, sans possibilité de raccordement
électrique faute d'équipement plus écologique pérenne des ports
insulaires à ce stade) et de garantir peut-être même
une desserte plus régulière qu'actuellement de ces ports secondaires (ils sont desservis 3 fois par semaine contre 7
fois par semaine pour les ports principaux de Bastia et
d'Ajaccio). Cela suppose toutefois là aussi un
assouplissement des règles de desserte (qui interdisent
à ce stade explicitement les escales intermédiaires pour
les liaisons Marseille-Corse et sont, on l'a vu, très
rigides en termes d'horaires de départ et
d'arrivée des navires) ainsi que de repenser l'activité
des compagnies et de leur salariés. Ainsi, les compagnies
desservant actuellement les ports secondaires pourraient par exemple
utilement être réemployés pendant les phases
d'arrêts techniques des autres navires, ou bien pour
renforcer la desserte des ports principaux - comme cela a
été le cas pendant l'été 2020 par le A Nepita de Corsica Linea,
qui a navigué sans subvention sur Bastia et Ajaccio en sus du
programme prévu par la DSP, ou encore pour développer de
nouvelles lignes en Méditerranée, comme par exemple
les liaisons avec le Maroc qu'expérimente La Méridionale...
- Quel efforts
à fournir par la Collectivité de Corse pour permettre une
compétition plus ouverte entre opérateurs potentiels au
bénéfice de la collectivité ? On le
comprend bien à la lecture des points précédents,
une vraie remise en question des méthodes et un
approfondissement des besoins réels à inscrire dans les
cahiers des charges semble indispensable, de même que la garantie
d'une procédure garantissant une meilleure équité
entre les concurrents potentiels, ce qui permettra à la fois
d'éviter de nouveaux échecs (comme ceux de la
désignation des opérateurs des sociétés
d'économie mixte pour la période 2021-2027 qui la
contraint à déclarer l'appel d'offres infructueux) et de
générer des marges de manoeuvre financières. Cela
suppose de donner plus de visibilité à l'avance aux
opérateurs potentiellement concernés et, si le choix
d'une DSP devait être confirmé, d'ouvrir
le marché ligne à ligne et non pas de manière
globale - conformément aux recommandations formulées par
l'Autorité de la concurrence et la Commission européenne
depuis plus de 10 ans. Cette préconisation avait d'ailleurs été retenu
dans le cadre de la DSP 2019-2020, mais inexplicablement remise en cause
depuis en vue de l'attribution, finalement infructeuse, des SEMOP 2021-2027...
- Quel redéploiement des moyens financiers qui pourraient ainsi être économisés par la CdC ?
Si les décisions prises permettent de dégager
effectivement des économies, la réponse relève
bien évidemment de la responsabilité des seuls
élus de l'Assemblée de Corse,
mais pourrait être posée concomitamment aux débats, tant sur le maritime que sur l'aérien.
Dans un contexte de crise économique, nul doute que les
suggestions et les besoins seront nombreux. Rien qu'en matière
de transports maritimes et de tourisme, la question d'une relance du secteur pourrait
passer là aussi par une aide au passager (et au
transporteur, s'agissant du fret), ce qui permettrait de relancer le
mode maritime, et par là-même de
générer d'importantes retombées pour toute la
filière touristique, durement mise à l'épreuve en
2020. Un tel système avait déjà fait ses preuves dans les années 2000, il s'agissait du système d'aide
sociale aux passagers qui avait permis une croissance rapide des flux, pour un coût très
mesuré pour la collectivité (inférieur à 20 millions d'euros par an).
Espérons que les futurs débats de
l'Assemblée de Corse
permettront effectivement de mettre au moins certaines de ces questions
à l'ordre du jour et d'induire une amélioration de la
future desserte
maritime de service public de la Corse. Nul doute en tout cas que les mois à
venir seront encore animés
et porteurs de nouveaux rebondissements...
Réinstaurer
un système d'aide sociale versé aux passagers
permettrait notamment de relancer la filière touristique corse et le trafic maritime Nice-Corse, qui a
perdu en 10 ans les trois quarts de son trafic passagers et la
plupart de ses rotations hors saison et ce, alors même que le
bateau est bien moins polluant que l'avion sur le bord à bord !
Ici, le Pascal Lota à Nice, en octobre 2019 (photo : Romain Roussel).
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