Mare Nostrum Corsica 

Durcissement progressif des obligations environnementales :
quelles conséquences pour la desserte 
et les ferries des lignes de Corse ?

Comme les autres Mega Express de la Corsica Ferries, le Pascal Lota fait partie des ferries dont les émissions de dioxyde de carbone ont été le plus réduites de 2018 à 2023 : -35%, selon la base de données officielle de l'Agence européenne pour la sécurité maritime (AESM). Ici photographié dans le golfe d'Ajaccio, en juillet 2024 par Pascal Lenzi.

Le transport maritime est un grand émetteur de dioxyde de carbone (CO2) : selon les statistiques de la Commission européenne, il génère environ 3 % à 4 % des émissions totales de CO2 de l’UE (plus de 124 millions de tonnes de CO2 en 2021) si l’on prend en considération toutes les émissions provenant des voyages à destination et en provenance de pays membres de l’UE, et ses émissions ont augmenté au global de 20% en dix ans, du fait de la hausse du trafic. Depuis les précédents articles thématiques de Mare Nostrum Corsica sur la transition écologique du secteur maritime, qui présentaient déjà fin 2021 les principaux ressorts de ce grand défi mondial des armateurs et, en mars 2023, les nouveaux indices d'efficacité d'énergétique des navires, les choses se sont encore accélérées. En effet, tant l'Union européenne que l'OMI (Organisation maritime internationale) ont, depuis, continué de durcir leurs règles pour faire en sorte de tendre plus rapidement vers une réduction plus massive des émissions de gaz à effet de serre du transport maritime.


Un durcissement des normes environnementales applicables au maritime qui s'accélère au niveau mondial, à l'initiative de l'Union européenne et de l'OMI , mais qui ne va pas encore assez vite selon plusieurs ONG...

Le départ d'Ajaccio du A Galeotta de la Corsica Linea, en août 2024, premier navire de la compagnie propulsé pour partie au gaz naturel liquiéfié (GNL), carburant controversé dans le cadre de la transition écologique en raison des potentielles fuites de ce gaz à fort effet de serre, mais qui permet une réduction significative des émissions de CO2 et, surtout, d'oxydes d'azote et de soufre ; photo : Pascal Lenzi.


De manière très synthétique, les principaux changements récents intervenus portent sur les points suivants :

- la réévaluation des objectifs de l'OMI, qui vise désormais le "zéro émission nette" de gaz à effet de serre en 2050. La 80ème session du comité de protection de l'environnement marin (MEPC) a en effet entériné à l'unanimité, le 7 juillet 2023 à Londres, cet objectif plus ambitieux et établi le principe d'une tarification des émissions de carbone. Jusqu'alors, la stratégie de l'OMI, datant de 2018, visait une diminution de 40% des émissions de dioxyde de carbone en 2030 par rapport à 2008, et de 50% d'ici 2050 pour l'ensemble des gaz à effet de serre. Les nouveaux objectifs tablent désormais sur une réduction de 20 à 30% à l'horizon 2030, cette fois pour l'ensemble des gaz à effet de serre, de 70 à 80% à l'horizon 2040 et un zéro net carbone à terme en 2050, ces pourcentages de réduction étant toujours calculés par rapport à la même référence de 2008 ;

- ce même comité MEPC de l'OMI a adopté en même temps le principe de deux instruments, pour faciliter l'atteinte de ces ambitieux objectifs. Tout d'abord, un instrument technique, le GHG fuel standard (pour gaz à effet de serre) proposé par l'Union européenne et inspiré de son règlement FuelUE maritime. Celui-ci consiste à diminuer progressivement l'intensité carbone des combustibles marins, comme cela a déjà été effectué avec succès avec le soufre : l'objectif fixé consiste à atteindre au minimum 5 à 10% d'adoption de technologies, de combustibles et/ou de sources d'énergie à émissions de gaz à effet de serre nulles ou quasi, à l'horizon 2030. L'OMI a également prévu en complément d'instaurer un mécanisme économique, qui reste à préciser, et qui consisterait à taxer directement les émissions de gaz à effet de serre (carbon levy). Ce système pourrait mixer différentes approches (taxation directe, comme proposé par certaines iles du Pacifique, éventuellement avec des systèmes de remise comme envisagé par le Japon, ou encore système d'échange de quotas d'émissions de carbone, comme désormais en vigueur dans l'Union européenne). Il est prévu que la Cnuced, l'organisation des Nations unies pour le commerce et le développement, réalisé une étude d'impact de l'effet de ces deux nouveaux mécanismes, qui serait remis au MEPC de l'OMI fin 2024 en vue de leur adoption par les Etats membres de l'organisation courant 2025 et de leur mise en application en 2027 ;

- sans attendre l'OMI, l'Union européenne vient d'instaurer sa propre taxation des émissions de gaz à effet de serre du transport maritime, en incluant désormais ce secteur dans son système général d'échange de quotas d'émission. En effet, le 29 novembre 2022, il a été décidé en trilogue au niveau européen d'inclure progressivement le shipping, entre 2024 et 2026, dans le champ du système d'échange de quotas d'émissions (SEQE en français, ETS en anglais) de carbone préexistant depuis 2005. Voir la page officielle de la Commision européenne présentant ce système et une vidéo didactique sur le principe de ces échanges entre compagnies dépassant ou sous-consommant leurs quotas d'émissions, ainsi que sur l'abaissement progressive du plafond global des émissions autorisées (de 4,3% par an au global sur la période 2024-2027, puis de 4,4% par an de 2028 à 2030, selon le bilan 2022 du système ETS publié fin 2023 par la Commision européenne). En outre, un cercle de 300 milles autour des frontières de l’Union européenne inclura les ports des pays tiers afin que le système ne puisse être détourné par des ports concurrents situés au voisinage de l’Union. Les revenus issus de ce système d’échange ne serviront pas à la décarbonation en général, comme dans le projet initial de la Commission, mais à alimenter un nouveau fonds d’innovation spécialisé dans la recherche et développement en matière de transport maritime. Selon les armateurs européens réunis au sein de l'ECSA, qui saluent cette initiative, cela pourrait générer des ressources de 1,5 milliard d'euros par an et permettre ainsi un soutien "essentiel pour combler l'écart de pris avec des carburants propres, améliorer l'efficacité énergétique des navires, favoriser l'innovation et construire l'infrastructure dans les ports". 

- par ailleurs, le Parlement européen a adopté le 11 juillet 2023 les règlements dits Afir-Infrastructure regulation [1], sur l’électrification à quai, et FuelEU maritime [2], sur les nouveaux carburants, qui s’appliqueront à compter du 1er janvier 2025, dans le cadre du plan Fit for 55, visant à réduire de 55% les émissions de gaz à effet de serre de l'Union européenne à l'horizon 2030. De ce fait, les navires dont la jauge brute dépasse 5 000 UMS (qui représentent à eux seuls plus de 90% des émissions) devront réduire leurs émission de GES par une baisse de l'énergie employée. Ce facteur exigé de diminution s'amplifiera progressivement de 2% en 2025 (par rapport au niveau de 2020) à 80% à l'horizon 2050. Entrent dans le champ de cette mesure la totalité de l'énergie consommée par les voyages de navires au sein de l'UE et la moitié de celle consacrée aux voyages entre un port de l'Union européenne et un port extérieur à cette zone (par exemple, avec l'Afrique du Nord, pour ce qui concerne la Méditerranée, les régions dites ultrapériphériques comme l'Outre mer étant aussi à moitié exemptées). Les navires seront en outre obligés d'utiliser l'alimentation électrique portuaire à quai, lorsqu'elle est disponible, lorsqu'ils stationneront plus de deux heures d'affilée dans un port de l'Union européenne, à compter de 2030 (aucune obligation n'était jusqu'ici prévue, les seuls navires exemptés de cette obligation seront ceux utilisant d'autres technologies à zéro émission, s'il en existe). Pourra aussi être prévue une obligation additionnelle d'utilisation de 2% de carburants renouvelables à compter de 2034 si la Commission européenne signale d'ici là qu'en 2031 les "carburants renouvelables d'origine non biologique") représentent à cette date en pratique moins de 1% des usages du secteur...

On voit donc se dessiner progressivement un cadre totalement novateur pour le transport maritime mondial, qui continuera sans doute à se compléter et à se complexifier à l'initiative des uns ou des autres. Les organisations non gouvernementales aussi entendent jouer un rôle et peser dans ce débat. Ainsi, l'organisation Transport et environnement a-t-elle publié en mars 2024 une étude pointant les limites du système européen d'échanges de quotas de dioxyde de carbone montrant que les principaux armateurs du conteneur facturent à leurs clients des coûts supérieurs aux coûts réels du marché carbone. Cette même organisation pointe aussi, dans une nouvelle étude d'août 2024, les dérives du secteur de la croisière et les limites environnementales de la propulsion des navires au gaz naturel liquéfié  - qui représentent une part croissante des bateaux de croisière et ferries en commande - et propose l'instauration d'une taxe mondiale de 50 euros par billet de croisière pour financer la transition énergétique des navires, ce qui rapporterait 1,6 milliard d'euros par an selon leurs calculs. D'autres, enfin, critiquent la taxonomie retenue par la Commission européenne qui retient comme carburants possibles l'hydrogène et l'ammoniac dans son règlement délégué du 4 juin 2021 "définissant à quelles conditions une activité économique peut être considérée comme contribuant substantiellement à l'atténuation du changement climatique" mais pas la propulsion vélique, de ce fait exclue de la catégorie "zéro émissions" et des financements afférents...

En Corse aussi, certaines initiatives sont prises. Ainsi, plusieurs associations de défense de l'envrronnement et de la santé ont-elles de nouveau protesté à Ajaccio le 9 août 2024 à l'appel de la coordination Terra contre la pollution des navires dans le golfe et demandé une interdiction des navires de croisière fonctionnant au fioul lourd et de faire en sorte que les épurateurs de fumée équipant les navires soient à boucle fermée, afin d'éviter tout rejet en mer. Elles dénoncent en particulier la dérogation accordée à la Corsica Linea par les pouvoirs publics et réitérée en novembre 2023 qui permet aux bateaux rouges de déverser dans la bande des 3 miles nautiques ses eaux de lavage des fumées, ce qui porte préjudice à la faune et à la flore marines de Corse et de Provence.




Les différents piliers de la décarbonation jouent déjà sur l'organisation des dessertes maritimes de la Corse et sur son coût

Le Moby Ale Due de la Moby Lines, resté un mois à quai sous séquestre à Ajaccio de fin juin à fin juillet 2024, ce qui a suscité la colère de certains riverains en raison des émissions de polluants et du bruit engendré, faute de connexion électrique à quai ; photo : Pascal Lenzi.


L'application de ces nouvelles réglementations concerne aussi en particulier les lignes de Corse, même si certaines d'entre elles entreront en vigueur de manière progressive. Ainsi, s'agissant du système européen des quotas d'émissions, l'ETS, seule une partie des émissions de C02 sera incluse dans le dispositif dans un premier temps : 40% des émissions sont ainsi concernées en 2024, puis 70% en 2025 et, enfin, 100% à partir de 2026. Cela signifie que les éventuelles amendes à acquitter par les compagnies qui ne parviendraient pas à respecter leur plafond d'émissions ou qui n'auraient pas acheté suffisamment de quotas à leurs concurrentes plus vertueuses sur le plan environnemental seront abattues en grande part en 2024 et, plus marginalement, en 2025. Quoi qu'il en soit, l'inclusion par paliers du secteur maritime dans le système ETS aura un coût croissant sur la période 2024-2026, qui se répercutera immanquablement sur les clients finaux, qu'il s'agisse des passagers ou du fret des lignes de Corse.

Aux coûts de cette taxation des émissions de C02 s'ajoutera dès le 1er janvier 2025 celui du passage en zone
SECA de la Méditerranée, qui impose l'usage d'un carburant plus coûteux (à 0,1% de soufre, contre 0,5% en vigueur jusqu'à fin 2024) par les navires à propulsion classique (les navires propulsés au GNL ne sont pas concernés, la combustion du GNL n'émettant pas d'oxyde de soufre).

A moyen terme, d'ici 2030, l"obligation de connexion électrique des ferries aux ports dotés de tels dispositifs (dès à présent, Marseille, Toulon et Sète notamment, mais aucun port de Corse) imposera des adaptations des navires existants non déjà équipés (ceux de La Méridionale et de Corsica Linea utilsent depuis plusieurs années déjà la connexion à quai à Marseille et de premiers navires de la Corsica Ferries ont été équipés ou sont en voie de l'être pour en bénéficier aussi à Toulon) pour permettre ces connexions et ainsi limiter les nuisances à quai.
Sur le plan technique, un système de connexion à quai (OPS, pour Onshore Power Supply) est composé d’une sous-station qui reçoit l’électricité du réseau et la distribue, d’une installation de conversion de fréquence pour répondre à la fréquence requise (60 Hz pour la plupart des navires, contre 50 Hz pour les réseaux électriques à quai) et d’un système de gestion des câbles électriques pour assurer le lien entre le quai et le navire. Avec ce type d’installation, les réductions d’émissions associées seraient de l’ordre de 30 % pour le SOx (oxyde de soufre), 70 % pour le CO2 (voire jusqu'à 90 % en France, compte tenu du mix énergétique français largement décarboné) et de 95 % pour le NOx (oxyde d’azote).

Le fait que seul un faible nombre de ports soit équipé à ce jour de la connexion électrique à quai est également pénalisant pour les armateurs pour atteindre les objectifs de plus en plus contraignants mesurés depuis 2023 par l'indicateur d'intensité carbone (
CII), qui aboutit à une notation des navires de A à E (A étant la meilleure note) en vue de la réduction progressive de leurs émissions de GES. En effet, faute de connexion électrique à quai, les navires continuent d'émettre du CO2 une fois à quai, ce qui pénalise les armateurs en termes de CII. Comme déjà explicité dans l'article thématique dédié, l’indicateur CII est calculé tous les ans sur la base des consommations et distances parcourues effectivement par le navire et il est exprimé en CO2 émis par mile nautique, rapporté à la taille du navire (au numérateur figurent la consommation annuelle de carburant multipliée par un facteur rendant compte des émissions de CO2 relatives au type de carburant utilisé ; au dénominateur, la distance parcourue en une année multipliée par un facteur de charge du navire). Les valeurs limites du CII pour atteindre une note donnée deviendront de plus en plus contraignantes au cours du temps, suivant un rythme déjà connu. Ainsi, la diminution annuelle de la valeur des émissions requises, par rapport à sa valeur de 2019, pour atteindre l’indice C qui joue un rôle clef dans le plan de gestion de l'efficacité énergétique a déjà atteint 5% en 2023 et devrait être de 7% supplémentaires en 2024, 9% en 2025, 11% en 2026 et ces valeurs continueront d'être abaissées les années suivantes...

En sus de ces nouvelles obligations, certains ports vont, de leur propre initiative, plus loin ou plus vite en matière environnementale. C'est en particulier le cas du port de Toulon, la Chambre de commerce et d'industrie du Var (CCIV) ayant annoncé, le 23 mai 2024, le lancement d'une nouvelle norme environnementale, nommée Green Bay, applicable aux terminaux à passagers. Présentée dans cette vidéo, elle vise à la fois à lutter contre la pollution de l'air, préserver la qualité des eaux et de la biodiversité et à réduire les nuisances sonores des navires. Financée en grande partie (80%) par le Fonds européen de développement régional du programme européen Interreg Marittimo, elle bénéficie d'un budget de 1 million d'euros et ne se limite pas au seul port de Toulon. En effet, si au terme des trois années de test, la nouvelle norme est validée par l'AFNOR (l'Agence française de normalisation), celle-ci a vocation à être adoptée par d'autres ports Méditerranéens, en premier lieu, ceux partenaires du projet, à savoir Bastia, mais aussi les ports italiens de La Spezia et de Livorno.

Au total, et comme l'a notamment déclaré Pierre Mattei, le PDG de la Corsica Ferries dans une interview en italien lors de la conférence du 24 mai 2024 organisée par le média spécialisé Shipping Italy, ces quatre adaptations nécessaires (la soumission du secteur maritime à l'ETS, l'instauration de la zone SECA en Méditerranée, la généralisation de la connexion électrique à quai et l'abaissement des valeurs limite de l'indicateur CII) risquent de mener à une discordance entre le prix que les passagers sont prêts à payer pour effectuer leur traversée maritime et celui envisagé par les armateurs pour absorber ces nouveaux coûts qui se chiffreraient en millions d'euros pour chaque compagnie. Aussi, selon ses propos, la transition écologique se traduira inévitablement par une augmentation des tarifs des passages maritimes de l'ordre de 30% à 40%. Cet impact inflationniste sur les tarifs a été confirmé lors de cette même conférence par le PDG de la compagnie italienne concurrente GNV, Matteo Catani, selon lequel il sera impossible à long terme pour les armateurs d'absorber seuls ces surcoûts.




Des empreintes environnentales des ferries qui commencent à baisser sur les lignes de Corse du fait des premières adaptations, en particulier pour les Mega Express de la Corsica Ferries

Le Mega Regina de la Corsica Ferries, dans le golfe d'Ajaccio, en juillet 2024 ; photo : Pascal Lenzi. Au total, les émissions de dioxyde de carbone des navires de la Corsica Ferries ont diminué de plus de 20% en 5 ans, du fait des différentes mesures prises par la compagnie aux bateaux jaunes.


Si le chemin de la décarbonation des transports maritimes de la Corse est encore bien long, les données publiques des émissions des navires recensées au sein de la base THETHIS-MRV sur le site officiel de l'Agence européenne pour la sécurité maritime (AESM) à compter de 2018 montrent que ce chemin est bel est bien engagé. Si elles ne rendent pas publiques les indices CII des navires, ni leur classement de A à E, ces données présentent toutefois l'avantage de communiquer de manière simple deux indicateurs clef des émissions des navires :

1/ les émissions annuelle totales de dioxyde de carbone (CO2) de chaque navire, exprimées en millions de tonnes. Il s'agit des données figurées en gris et en traits pleins dans les graphiques ci-après de Mare Nostrum Corsica (la légende se lit sur l'échelle à gauche du graphique, en gris également). Cet indicateur résume à lui seul l'ensemble des émissions du navire au cours de l'année écoulée, compte tenu de la distance qu'il a parcouru et du temps passé en escales à quai. Son évolution dans la durée rend compte à la fois des conditions d'exploitation du navire (plus il parcourt de distance, plus il émet à vitesse donnée ; plus il navigue vite, plus il émet à distance parcourue donnée - la puissance nécessaire des machines d'un navire étant proportionnelle au cube de sa vitesse, même de faibles variations de sa vitesse ont des impacts notables sur ses émissions de dioxyde de carbone ; plus il est branché longtemps électriquement à quai, moins il émet etc.) et de ses caractéristiques techniques en matière d'efficacité énergétique (plus le navire est performant de ce point de vue, moins il émet).

2/ les émissions moyennes de dioxyde de carbone de chaque navire, exprimées en kilogramme de CO2 émis par mile nautique parcouru (le mile nautique étant l'unité de distance usuelle en mer, équivalente à 1,852 kilomètre). Ces valeurs sont représentées dans les graphiques ci-après par un trait blanc pointillé (la légende se lit sur l'échelle à droite du graphique, en blanc également). Par rapport au précédent, cet indicateur se concentre sur l'efficacité énergétique du navire (sa performance technique au regard des émissions de CO2, à vitesse donnée) et rend compte également de ses conditions d'exploitation en termes de vitesse (là encore, plus un navire navigue vite, plus il émet, à système de propulsion donné...). À la différence du précédent, il est indépendant de la distance parcourue au cours de l'année, puisque rapporté au nombre de miles navigués. Son évolution renseigne à la fois sur les améliorations techniques apportées au navire et sur ses conditions d'exploitation au cours de l'année considérée en termes de vitesse effective de navigation.

Sont présentés ci-après, à titre d'exemples, les émissions de quatre navires desservant régulièrement la Corse : deux ferries rapides, les Moby Wonder (Moby Lines) et le Mega Express (Corsica Ferries) et deux cargos mixtes, le Piana (La Méridionale) et le Pascal Paoli (Corsica Linea). 

Leur analyse montre plusieurs faits marquants (l'année 2020, atypique à cause des réductions d'activité dues au COVID, devant être neutralisée de l'analyse) : 

- sur la période d'observation 2018-2023, on observe une réduction, plus ou moins marquée, ou a minima une relative stabilité des émissions de dioxyde de carbone des différents navires comparés ici, mais jamais d'augmentation durable (hormis les contre-coups liés à la reprise post-COVID) ;

- hormis sur la période la plus récente (2022-2023), dont les résultats restent à confirmer, les baisses observées apparaissent plus prononcées au total (courbes en gris) que s'agissant de la seule efficacité énergétique et de la vitesse d'exploitation des navires (courbes en blanc), ce qui est logique, ces deux derniers facteurs n'étant pas les seuls responsables de la réduction des émissions de CO2. En particulier, la réduction particulièrement forte des émissions du Mega Express de la Corsica Ferries peut s'interpréter de la manière suivante : la forte réduction de la vitesse moyenne d'exploitation du navire observée depuis la saison 2023 se traduit par un allongement des temps de traversées et une chute des émissions de 2022 à 2023, très visible à la fois sur les courbes en blanc et en gris, mais le mouvement plus général de réduction des émissions enclenché dès 2019 tient aussi à d'autres facteurs privilégiés par la compagnie aux bateaux jaunes : rationalisation du nombre de traversées, choix de privilégier des dessertes plus courtes (Nice-Ile Rousse plutôt que Nice-Bastia ou NIce-Ajaccio en saison par exemple) ;

- en 2018, les émissions totales de CO2 des navires rapides étudiés étaient bien supérieures à celles des cargos mixtes : elles s'établissaient à plus de 80 000 tonnes annuelles de CO2 pour les premiers, contre environ 50 000 tonnes pour les seconds. En 2023, les émissions de l'ensemble des navires considérés sont plus basses qu'en 2018 et les écarts se sont nettement resserrés, tout du moins entre les navires mixtes Piana et Pascal Paoli et le Mega Express de la Corsica Ferries. leurs émissions étant désormais toutes comprises entre 40 000 et 50 000 tonnes de CO2 annuelles, tandis que celles du Moby Wonder demeurent nettement supérieures  (un peu plus de 70 000 tonnes). Pourtant, le Moby Wonder n'est pas le navire qui effectue le plus de rotations : 466 escales de ports recensées en 2023, selon Vesselfinder, soit un niveau comparable au Piana (490), sensiblement supérieur au Pascal Paoli (365), mais bien inférieur au Mega Express de la Corsica Ferries (545) ;

- aussi, rapporté au nombre de traversées effectuées, les niveaux d'émissions annuelles du Piana de La Méridionale et du Mega Express de la Corsica Ferries sont, en 2023, très nettement inférieures à celles du Pascal Paoli et, plus encore, du Moby Wonder.  Il n'est toutefois pas possible de pousser plus loin l'analyse par unité transportée, de manière incontestable, certains navires étant plus orientés passagers (certains Mega Express et le Moby Wonder en emportant jusqu'à plus de 2 000 par voyage, contre environ 600 à 800 pour les cargos mixtes) et d'autres plus sur le fret (les Pascal Paoli et Piana disposent de capacités de roulage pour remorques de plus de 2 300 mètres linéaires, tandis que les espaces dédiés au fret des ferries rapides sont plus réduites pour laisser la place aux véhicules particuliers).

Évolutions 2018-2023 des émissions de dioxyde de carbone de deux ferries rapides : le Moby Wonder (Moby Lines) et le Mega Express (Corsica Ferries)
    


Évolutions 2018-2023 des émissions de dioxyde de carbone de deux cargos mixtes : le Piana (La Méridionale) et le Pascal Paoli (Corsica Linea)
     

D'une manière générale et au-delà des navires considérés ici, les émissions annuelles de dioxyde de carbone de plusieurs autres Mega Express de la Corsica Ferries ont été réduites très significativement, de 35% à 45% environ, entre 2018 et 2023 (c'est le cas en particulier des Mega Express Two, Mega Express Three, Mega Express Five et du Pascal Lota ; source : THETIS-MRV). Compte tenu des abaissements, moins spectaculaires, aussi observés sur les autres navires classiques de la compagnie, au total, la Corsica Ferries a ainsi réduit de plus de 20% ses émissions en 5 ans, a précisé Pierre Mattei le 9 mars 2024 dans une interview au média Gomet, ce qui constitue un bon début. Les branchements à quai à venir des navires à Toulon et dans les autres ports en voie d'équipement permettront notamment à la compagnie aux bateaux jaunes d'aller plus loin en ce sens.

Sur son site internet, la Corsica Linea affirme quant à elle avoir réduit de 8% ses émissions de CO2 de 2022 à 2023 "rapportées aux miles nautiques parcourus" (il ne s'agit donc pas des émissions totales telles que fugurées sur les courbes en gris, dont la réduction est moindre, du fait de l'extension des dessertes de la compagnie aux bateaux rouges, mais de celles figurées sur les courbes en blanc) et de 4% des émissions totales (celles figurées sur les courbes en gris) "malgré un navire supplémentaire", le A Galeotta. À noter qu'en termes d'émissions de dioxyde de carbone, A Galeotta se situe, pour sa première année d'exploitation en 2023, à un niveau de 29% inférieur à celui du Pascal Paoli, pour un niveau d'activité certes un peu inférieur (330 escales de ports en 2023 pour A Galeotta selon Vesselfinder, contre 365). Ce pourcentage de réduction serait sans doute encore supérieur si la compagnie faisait naviguer ce cargo mixte au GNL sur l'ensemble de la distance de ses trajets Marseille-Corse et non sur un tiers de ceux-ci, pour des raisons économiques. 

À l'horizon 2030, la compagnie aux bateaux rouges indique viser une réduction de 40% de ses émissions de gaz à effet de serre par rapport à 2022 (la compagnie avait alors émis 330 000 tonnes de  CO2). Pour ce faire, elle ne s'interdirait pas d'envisager une éventuelle réduction de flotte d'une unité (de 9 à 8) ou de "faire des arbitrages ligne par ligne en fonction du nombre de tonnes de CO2 émises et du maintien du niveau de rentabilité", rapportait son directeur général, Pierre-Antoine Villanova, au journal Le Marin le 17 novembre 2023. Cela pourrait-il laisser sous-entendre que la Corsica Linea réfléchirait à se désengager de certains ports secondaires de Corse qu'elle dessert actuellement (Ile Rousse, Propriano) à l'issue de l'actuelle délégation de service public qui s'achève fin 2029 ? L'avenir le dira... Toujours est-il que les navires de la Corsica Linea et de La Méridionale dédiés à la continuité territoriale sur Marseille-Corse sont d'autant plus émissifs en gaz à effet de serre que l'organisation actuelle de la desserte les y contraint indirectement, à plusieurs égards. En effet, du fait du cahier des charges retenu, les rotations doivent nécessairemen être effectuées de nuit et depuis le port de Marseille, port continental le plus éloigné de la Corse (Sète excepté), pour satisfaire les transporteurs. Cela les contraint à des traversées plus longues, donc plus émissives, et aussi à stationner la journée entière dans les ports de Corse, non équipés de l'électricité à quai où ils ne peuvent donc couper leurs moteurs et cesser d'émettre des polluants...

Pour ce qui est des perspectives, La Méridionale rappelle quant à elle que les deux navires de haute technologie qu'elle a actuellement en construction en Chine pour les lignes de Corse et qui seront mis en service en 2027 (soit une année après le futur navire de la Corsica Linea, également en construction en Chine et qui sera aussi propulsé au GNL) devraient permettre, au niveau de leur conception, de réduire de 50% environ les émissions de CO2. Reste toutefois à savoir si ces navires viendront se substituer aux navires déjà en service ou s'y ajouter, comme l'a laissé entendre la compagnie marseillaise filiale du groupe CMA-CGM qui étend son rayon d'action en Méditerranée, ce qui changerait significativement le bilan carbone global...

Quoi qu'il en soit, les innovations technologiques et autres évolutions de flotte des compagnies maritimes continueront, dans les années à venir, à être de plus en plus largement guidées par cet objectif de long terme de neutralité carbone, qui induira des changements majeurs dans la manière de desservir les îles et les lignes de Corse en particulier.

Notes -----------------------------------------------------------

[1] Règlement AFIR-Infrastructure Regulation (Art. 9 Targets for shore-side electricity supply in maritime ports): « Les États membres doivent veiller à ce que l'OPS soit installé pour couvrir au moins 90 % de la demande des navires de croisière, porte-conteneurs et Ro-Pax au-dessus de 5 000 Gross Tonnage (jauge brute) d'ici 2030 pour tous les ports du RTE-T au-delà de respectivement 25, 50 et 40 escales par an en moyenne sur les 3 dernières années. » ; OPS : Onshore Power Supply, c'est-à-dire la connexion électrique des navires à quai. 

[2] Fuel EU Maritime et Alternative Fuel (art 5) : « À partir du 1er janvier 2030, un navire à quai dans un port d'escale relevant de la juridiction d'un État membre doit se connecter à l'alimentation électrique à terre et l'utiliser pour tous ses besoins énergétiques lorsqu'il est à quai. Lorsqu'il est démontré que l'utilisation d'une technologie alternative est équivalente à l'utilisation de l'OPS, un navire devra être exempté de son obligation d’utilisation de l'OPS. » ; OPS : Onshore Power Supply, c'est-à-dire la connexion électrique des navires à quai.


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