Avec les nouvelles règles édictées par l'Organisation maritime internationale
et le passage de la Méditerranée en zone à basses
émissions dès 2025, calculer et réduire
l'empreinte carbone des voyages en ferry devient une priorité
Le Mega Andrea de la Corsica Ferries à Bastia et le départ du Pascal Paoli de la Corsica Linea, en mai 2021 ; photo : Romain Roussel.
Le 78ème Comité de protection du milieu marin de
l’Organisation Maritime Internationale (OMI) a approuvé, le 10 juin 2022, la
création d’une zone de contrôle des émissions d’oxydes de soufre et de
particules (zone SECA)
qui s’étendra sur toute la Méditerranée
dès 2025. La
création de cette zone entraine l’obligation pour tous les
navires qui navigueront en Méditerranée d’utiliser
un combustible dont la teneur en soufre ne
dépasse pas les 0,1 % en masse, soit un fioul 5 fois moins
polluant que la norme
internationale jusqu'ici en vigueur en Méditerranée et,
plus généralement, dans les zones hors SECA. Elle entrera en vigueur juridiquement
en 2024 et sera effective en 2025, une fois achevé le délai légal incompressible prévu par la Convention
internationale pour la prévention de la pollution par les navires (MARPOL).
Parallèlement, l'Organisation maritime internationale (OMI, plus connue sous son acronyme anglais IMO) s'est donnée des objectifs très ambitieux, en tablant sur la réduction globale de l'intensité carbone des navires de 40 % en 2030 et pour parvenir au final à une réduction de 50% des émissions de la flotte mondiale à l'horizon 2050 (voir l'article thématique dédié à la décarbonation de la flotte mondiale). Dans le but de réduire l'intensité carbone de tous les navires d'au moins 40 % d'ici à 2030 par rapport aux niveaux de 2008, ceux-ci doivent, dès 2023, calculer deux notes : leur indice de rendement énergétique (EEXI, pour Energy Efficiency Design Index), pour déterminer leur efficacité énergétique, et leur indicateur d'intensité carbone opérationnel annuel (CII, pour Carbon Intensity Index) qui aboutit à une notation des navires. Selon le type de navires considérés, l'intensité carbone relie les émissions de gaz à effets de serre (GES) à la quantité de marchandises et/ou au nombre de passagers transportés ainsi qu'à la distance parcourue.
C'est la conjonction de ces deux durcissements de normes qui vont induire des changements majeurs dans la motorisation des ferries dans les prochaines années et qui entraîne déjà des changements dans la manière de les exploiter, en particulier sur les lignes de Corse.Comment atteindre ces objectifs ambitieux de réduction des émissions de gaz à effet de serre ?
A l’exception du navire A Galeotta armé par Corsica
Linea (propulsé pendant
un quart de la traversée au GNL près des côtes
corses et marseillaises et, pendant les trois quarts restants, au fioul
léger à 0,1%), l’ensemble des navires naviguant sur les lignes de Corse sont propulsés au fioul lourd (HFO pour Heavy
Fuel Oil). En fonction des choix des armateurs, du prix des combustibles et des
disponibilités au soutage, l’approvisionnement en HFO peut être selon les cas soit à faible teneur
de soufre (LS pour Low sulfure, soit LSHFO) soit à haute teneur de soufre (HS pour High
sulfure, soit HSHFO).
Pour respecter la limite maximale d'émissions de soufre (de 0,5% en Méditerranée jusqu'en 2024 puis de 0,1% à compter de 2025), les navires qui emploient du HSHFO doivent être équipés de scrubbers
(système de lavage des gaz
d’échappement). Le principe de fonctionnement des
scrubbers
peut être en boucle ouverte (rejet des résidus de lavage
à la mer, ce qui est très contesté par plusieurs
organisations écologistes, dont U Levante en Corse, car cela est susceptible d'avoir un
effet acidifiant nuisible à la faune et à la
flore marine) ou en boucle
fermée (ce qui contraint à un débarquement à terre des résidus de
lavage à la mer). Depuis le 1er
janvier 2022, les rejets dans le milieu marin d'effluents provenant des
systèmes de réduction des émissions fonctionnant en boucle ouverte sont
interdits à moins de 3 miles marins de la terre la plus proche dans les eaux
sous juridiction française. Toutefois, la Corsica Linea a obtenu un dérogation de plusieurs années (jusqu'au 1er janvier 2026 au plus tard) pour pouvoir continuer à utiliser ses scrubbers en
boucle ouverte au large des côtes corses et marseillaise dans
l'attente de la formation de ses personnels à ces technologies.
Du fait de l'utilisation de ces scrubbers, les navires de la Corsica Linea qui en sont équipés (à ce jour les A Nepita, Jean Nicoli et Vizzavona, et d'ici fin 2025, également les Pascal Paoli et Paglia Orba selon les projets de la compagnies communiqués à la Collectivité de Corse)
peuvent continuer à utiliser un fioul nettement plus
chargé en soufre (jusqu'à 3,5%) tout en respectant les
normes d'émissions de GES dans l'air. Aussi, la plupart des
organisations écologiques préconisent soit
d'utiliser directement des fiouls plus légers (comme le fait par
exemple la Corsica Ferries),
soit la mise en oeuvre de technologies plus respectueuses de
l'environnement, comme les systèmes d'épuration des
fumées testés avec succès sur le Piana de La Méridionale depuis 2019 et validés en septembre 2022, qui permettent d'éliminer la quasi-totalité des oxydes de soufre, mais aussi la plupart des particules fines produites par ses moteurs.
Concernant les limites d'émission des oxydes d'azote (NOx),
les prescriptions relatives au contrôle des
émissions de NOx s'appliquent à l'ensemble des ferries,
puisqu'ils concernent les moteurs diesel marins installés d'une
puissance de sortie supérieure à 130 kW (hormis ceux
utilisés uniquement en cas
d'urgence, quel que soit le tonnage du navire), dans les mêmes
zones que les zones SECA.
Toutefois, la valeur maximale d'émission en NOx d'un moteur diesel marin dépend de la date de première mise en service du navire, avec trois niveaux d'application notés de I à III, du moins contraignant au plus exigeant. Comme rappelé dans les annexes du rapport de l'Office des transports de la Corse de décembre 2022 : "La plupart des moteurs du niveau I ont été certifiés conformes à la version antérieure de 1997 du Code technique sur les NOx et les certificats délivrés demeurent encore valables pendant la durée de vie desdits moteurs. Le niveau II s’applique à partir du 1er janvier 2011 et le niveau III s’applique à partir du 1er janvier 2016. Jusqu’au niveau II, un réglage des moteurs installés au neuvage permet d’atteindre les niveaux requis. À partir du niveau III, l’installation du système de traitement des gaz d’échappement SCR (Selective Catalyctic Reduction) s’impose."
Sur les lignes
de Corse, l’ensemble des navires proposés ayant
été mis en service avant 2016 (à l’exception
du A
Galeotta), l’installation d'un SCR n’est pas
nécessaire, sauf en cas de remotorisation ou d’une démarche volontaire de
l’armateur. Cela a été le cas par exemple pour le Vizzavona de la Corsica Linea,
exploité préalablement
en mer Baltique où les armateurs ont engagé de
manière volontariste, très largement en amont des
échéances
réglementaires, des travaux d’amélioration des
performances environnementales
de leurs navires.
Le même type de problématique se retrouve concernant les filtres à particules. La résolution MEPC.340 (77) du 26 novembre 2021 de l'OMI a introduit de nouvelles recommandations pour les systèmes d'épuration des gaz d'échappement. Quoique cette résolution ne soit pas encore contraignante à ce jour, certains armateurs ont néanmoins déjà engagé des travaux pour installer des filtres à particules, en particulier sur les navires non équipés de scrubbers (ce dispositif faisant déjà partiellement office de filtre). Ainsi, dès son rachat par la Corsica Ferries en 2021, le Mega Regina (ex-Mariella de la compagnie finlandaise Viking Line) était équipé d'un tel filtre à particules, revendiquant un abaissement de 60% des émissions de NOx du navire.
Soulignons enfin qu'il n’existe à ce jour aucune contrainte
réglementaire imposant aux navires de disposer d’un branchement électrique à quai.
Cela s'explique sans doute par le fait que la plupart des ports de
commerces ne sont pas encore équipés de ces dispositifs
(en particulier, aucun des ports de Corse ne l'est) ou ne
seraient pas en mesure de délivrer les puissances
électriques nécessaires pour que les navires de commerce puissent
réaliser leurs opérations
commerciales. Néanmoins, le port de Marseille a
été pionnier en la matière il y a plusieurs
années déjà, ce qui a permis dès 2017 aux navires de La Méridionale, tout d'abord, puis de la Corsica Linea en 2019 de s'équiper de tels dispositifs. Désormais, le port de Toulon et les navires de la Corsica Ferries
finalisent aussi ces équipements qui devraient entrer en service
dans les prochains mois pour les premiers navires adaptés. Le port de Nice devrait suivre d'ici quelques
années, en attendant les ports Corses, pour lesquels ces travaux
ne sont pas encore engagés et qui pourraient aussi
nécessiter par ailleurs une adaptation des moyens de production
électrique de l'île...
Comme expliqué en détail sur le site de l'OMI, les modifications apportées à l'annexe VI de la Convention
internationale pour la prévention de la pollution par les navires (MARPOL)
sont entrées en vigueur le 1er
novembre 2022. Élaborées dans le cadre de la
stratégie initiale de l'OMI concernant la réduction des
émissions de gaz à
effet de serre (GES) provenant des navires, adoptée en 2018, ces
modifications
techniques et opérationnelles exigent que les navires
améliorent leur rendement
énergétique à court terme et réduisent
ainsi leurs émissions de gaz à effet de
serre. Aussi, depuis le 1er
janvier 2023, il est fait l'obligation à tout armateur de
calculer l'indice de rendement énergétique de tous leurs
navires
existants (EEXI) afin de mesurer leur rendement énergétique et de
commencer la collecte de données pour la déclaration de leur indicateur
d'intensité carbone (CII),
qui servira d'indicateur opérationnel annuel afin d'aboutir
à une notation des navires en vue de la réduction
progressive de leurs émissions de GES.
L'indice EEXI traduit l'efficacité énergétique des navires déjà existants
Miroir de l'indice EEDI dont il reprend à l'identique les bases de calcul techniques, l’indice EEXI s’applique quant à lui aux navires déjà existants d’une jauge supérieure à 400, à compter du 1er janvier 2023. Il s'applique dès lors rétrospectivement à l'ensemble des navires, dont les ferries, y compris ceux qui n'avaient pas été construits initialement dans une optique d'efficacité énergétique. La valeur d’EEXI atteinte par le navire doit être inférieure à une valeur de référence, sur le même principe que l’EEDI. Pour chaque catégorie de navires, la valeur de référence de l’EEXI est calculée à partir de la valeur de référence de l’EEDI. Contrairement à l’EEDI, il n’est en revanche pas prévu de durcissement des contraintes pour l’EEXI en 2025.
L'indice CII, calculé chaque année, traduit l'importance des émissions de GES de chaque navire au regard de sa charge et de la distance qu'il a effectivement parcourue dans l'annéeLes valeurs limites du CII pour atteindre une note donnée deviendront de plus en plus contraignantes au cours du temps, suivant un rythme déjà connu, ce qui mettra la pression sur les armateurs pour qu'ils adaptent leur navires tout en leur donnant de la visibilité sur les niveaux d'exigence requis. Ainsi, la diminution annuelle de la valeur des émissions requises, par rapport à sa valeur de 2019, pour atteindre l’indice C qui joue un rôle clef dans le plan de gestion de l'efficacité énergétique, est de 5% en 2023, 7% en 2024, 9% en 2025, 11% en 2026 et ces valeurs continueront d'être abaissées les années suivantes selon un rythme qui reste à fixer.
Sur les lignes de Corse, le rapport de l'OTC adopté les 20 et 21 décembre 2022 prévoit bien un suivi de cet indice pour les compagnies délégataires de service public (Corsica Linea et La Méridionale) pendant la période 20213-2029, selon des modalités qui restent toutefois à préciser (il est seulement précisé "il importera de contrôler l’évolution de l’indice en cours d’exécution de la DSP"). À noter également que les annexes de ce rapport indiquent les valeurs des indices EEDI (à l'exception de celui du A Galeotta, manquant) et CII des seuls navires de la Corsica Linea, mesurés à une date qui n'est pas spécifiée.
- les indices EEDI les plus bas (donc les meilleurs) seraient ceux des A Nepita (25,4), Pascal Paoli (25,6) et Vizzavona (28), qui devancent le Jean Nicoli (29,8) et surtout les Danielle Casanova (31,8), Paglia Orba et Méditerranée (32,5) et Monte d'Oro (36,7) ;
- les indices CII les plus bas (donc les meilleurs également) seraient ceux du A Galeotta (11, lorsque propulsé au GNL), Pascal Paoli (14,9), Paglia Orba (16) et Danielle Casanova (16,9), devant les Vizzavona (17,4), Monte d'Oro (18,4), A Nepita (19,2), Jean Nicoli (19,6) et Méditerranée (21,1).
Il n'est toutefois pas précisé à quelle note, de A
à E, ces différentes valeurs d'émissions
correspondraient.
Le Comité de la protection du milieu marin (MEPC) de l'OMI doit examiner l'efficacité de la mise en œuvre des prescriptions relatives au CII et à l'EEXI au plus tard le 1er janvier 2026 et élaborer et adopter d'autres modifications si nécessaire. Des adaptations du dispositif des CII et de la notation des navires sont donc prévisibles à moyen terme.
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