Les premiers ferries de grande
taille propulsés au gaz naturel liquéfié (GNL) ont
été mis en service en mer Baltique courant 2013. Ce
nouveau mode de propulsion constitue l'une des réponses qui
semble à ce jour parmi les plus adaptées - tant sur les
plans économique qu'écologique - au durcissement des
législations en vigueur sur la composition des carburants
marins, qui devraient, dans un proche avenir, concerner un nombre de
plus en plus important de zones maritimes, dont la mer
Méditerranée.
La
réglementation européenne évolue, plus ou moins
vite selon les zones maritimes, que ce soit pour la teneur en soufre
des carburants ou pour les rejets d'oxydes d'azote ou de carbone
Partant du constat que
beaucoup a déjà été fait à terre pour
réduire les émissions d'oxydes de soufre (SOx) et d'oxydes d'azote (NOx), gaz à effet de serre et nocifs pour la santé, la Commission européenne
a durci la législation concernant les émissions maritimes
de ces gaz, jugée désormais comme une piste
économiquement plus prometteuse, qu'il s'agisse du
coût de cette réduction ou des bénéficies
à en attendre. En effet, d'après les études
menées sous l'égide de la Commission,
les émissions maritimes d'oxydes de soufre et d'azote devraient
dépasser celles d'origine terrestre d'ici 2020. Or, les
polluants émis par les navires se diffuseraient dans l'air bien
au-delà des zones côtières et auraient des effets
délétères (le dioxyde
de soufre se transforme en particules fines qui constistue le polluant
réputé affecter le plus la santé humaine). Les
retours à attendre d'une telle réduction seraient, en
théorie, massifs puisque les analyses menées par la Commission
concluent que l'amélioration de la qualité de l'air
permettrait des bénéfices pour la santé "allant de
15 à 34 milliards d'euros annuels à l'échelle de
l'UE 27" et que, selon les hypothèses retenues, les
bénéfices à attendre d'une telle réduction
seraient "3 à 25 fois" plus importants que ses coûts de
mise en oeuvre. En pratique, ces coûts se traduiraient
essentiellement par un renchérissement des carburants marins,
avec des impacts très différenciés selon les
secteurs d'activité. En effet, la Commission
remarque que puisque le coût du transport maritime
représente moins de 1% du prix de détail des produits de
consommation, l'impact sur le prix des produits serait
négligeable ; en revanche, l'impact serait nettement inflationniste pour le secteur des ferries.
La nouvelle directive européenne s'incrit dans le prolongement d'un mouvement amorcé par l'Organisation maritime internationale (OMI), dont
la version révisée de l'annexe VI à la convention dite MARPOL
(pour MARitime POLlution) est entrée en vigueur depuis le 1er janvier 2015 dans les zones les plus sensibles : les zones de contrôle des émissions de soufre (zones dites SECA ou ECA, acronyme anglais de Sulfur Emission Control Areas). Concrètement, cette récente règlementation communautaire prévoit :
- pour le SOx (voir
premier graphique) : un abaissement drastique dans ces zones SECA de la
teneur maximale des carburants en dioxyde de soufre, qui atteignait
encore 1,5% début 2010, à 0,1% depuis
début 2015. En
dehors des zones SECA,
l'abaissement serait plus progressif et moins
prononcé, puisque partant d'un niveau maximum autorisé de
5,0% début 2010 et atteignant encore 3,5 % en 2015,
l'abaissement n'irait à terme que jusqu'à 0,5%. Deux
horizons possibles étaient envisagés pour cet abaissement
dans l'annexe VI de Marpol : soit 2020, soit 2025. Tant l'Union européenne que plus récemment, début octobre 2016, l'Organisation maritime internationale (OMI) ont finalement tranché pour l'échéance la plus ambitieuse : le taux de SOx
abaissé à 0,5 % s'appliquera finalement dès le 1er
janvier 2020 ! Cette échéance étaient
contestée pour des raisons de faisabilité (quant à
la disponibilité des carburants notamment) mais cet argument a
semble-t-il pu être levé suite à des études de faisabilité, même s'il faut s'attendre
à un renchérissement substantiel du coût des
carburants ;
- pour le NOx (voir
deuxième graphique) : une révision à la baisse des
émissions maximales d'oxydes d'azote des moteurs marins,
différenciée en fonction de la date de construction des
navires. Ainsi, pour les navires construits avant 2011 (et semble-t-il,
par extension, ceux construits avant 2000), c'est la norme dite TIER I
qui s'applique, à savoir une émission maximale de 9,8 g /
kwH, tandis que pour ceux construits à partir de 2011 (TIER II),
la norme est plus stricte : 7,7 g
/ kwH. Enfin, pour les navires construits depuis 2016 - dans les zones Amérique du Nord et Caraïbe - et
naviguant en zones à émission contrôlées
(TIER III), les normes seraient encore bien plus sévères
puisque les émissions maximales autorisées d'oxydes
d'azote ne dépassent pas 2,0 g
/ kwH. Ces nouvelles normes pourraient entrer également en
vigueur en Europe pour les navires construits à partir de 2021
si la décision est entérinée par l'OMI à l'automne 2017.
À ce jour, les zones ECA
à émission contrôlées ne sont pas les
mêmes selon le type de polluant considéré. Ainsi,
l'OMI précise-t-elle que se situent en zone ECA :
- La mer Baltique (pour le SOx, depuis 2005)
- La Manche / mer du Nord (pour le SOx, depuis 2005/2006)
- La zone ECA d'Amérique du Nord, qui inclut la plupart des
côtes des États-Unis et du Canada (pour le NOx, le SOx et les particules, depuis
2010/2012).
- La zone ECA des Caraïbes, qui inclut Porto Rico et les
îles Vierges des États-Unis (pour le NOx et le SOx et les particules, depuis
2011/2014).
Lors du 70ème comité de protection de l'environnement maritime (dont l'acronyme usuel en anglais, MEPC, signifie Marine Environment Protection Committee) de l'Organisation maritime internationale (OMI)
qui s'est réuni à Londres du 24 au 28 octobre 2016,
l'Organisation a décidé d'engager la procédure de
classement des zones Manche /mer du Nord et Baltique en zone de
contrôle renforcé des émissions de NOX, à
l'image de ce qui se pratique déjà dans les zones
Amérique du Nord et Caraïbe. La décision devrait
être prise lors du 71ème comité du MEPC, en octobre 2017 pour une entrée en vigueur envisagée au 1er janvier 2021 pour les navires construits à partir de cette date. Outre l'entérinement de la date du 1er janvier 2020 pour la réduction des émissions de SOx en zone non ECA, le 70ème
comité du MEPC a aussi contribué à l'avancée de
plusieurs autres dossiers environnementaux, en vue notamment de
l'entrée en vigueur le 8 septembre 2017 de la convention
internationale sur la gestion des eaux de ballast. L'OMI y a
également définitivement adopté le système
international de collecte de données de consommation de
carburant qui permettra une connaissance précise des
émissions du secteur maritime et constituera la base de la
mise en place de futures mesures de régulation. Sont
désormais fixés des calendriers resserrés pour les
étapes de collecte des données (à partir de
janvier 2019) puis d'analyse des données (à partir de
l'automne 2020) qui devraient permettre d'ajuster la stratégie
de réduction des émissions et les instruments de
régulation au plus tard au printemps 2023.
La liste des zones
protégées et des normes en vigueur est donc évolutive et a progressivement
vocation à s'étendre. On note en particulier, qu'à
ce stade, la mer Méditerranée ne fait pas partie des zones
ECA, même si la Commission européenne
aurait en projet d'y appliquer aussi des normes plus strictes que
celles standard, s'agissant du dioxyde de soufre. Concernant ce choix qui
peut étonner, la Méditerranée pouvant être
considérée comme un écosystème fragile, la
Commission européenne fait remarquer que, si des zones comme la
mer Baltique ou la mer du Nord font l'objet d'un classement en zone ECA
(à l'inverse de la Méditerranée, la mer Noire ou la
zone côtière Est Atlantique), cela serait dû
"à des sensibilités différentes de ces mers
à la pollution". En particulier, les zones maritimes d'Europe du
Nord seraient plus sensibles au phénomène d'acidification
causé par les pluies acides dues au dioxyde de soufre. Surtout,
la Commission reconnaît
que les états côtier du Nord de l'Europe, plus sensibles
aux questions écologiques que leurs homologues du Sud, se sont
mobilisés pour obtenir de l'Union européenne leur classement en zone à émissions contrôlées...
Dans la lignée toujours de mesures portées par l'OMI qui, en mai 2013, a étendu entre autres aux ferries l'indice d'efficacité énergétique des navires (EEDI, acronyme anglais signifiant Energy Efficiency Design Index) pour les constructions neuves et le plan de management de l'efficacité énergétique des navires (Ship Energy Efficiency Management Plan ou SEEMP) pour les autres navires, la Commission européenne a dévoilé le 28
juin 2013 sa proposition de règlement sur la réduction des émissions de dioxyde de
carbone (CO2) des navires. Présenté comme une "première
étape dans la réduction des émissions de gaz
à effet de serre du secteur des transports maritimes", il devrait être applicable à compter du 1er janvier 2018. Sont concernés les navires d'une jauge brute
supérieure à 5 000, qui font escale dans les ports de
l'Union européenne, indépendamment de leur registre d'immatriculation et de leur zone de navigation. Les armateurs devront surveiller
et déclarer leurs émissions annuelles de CO2. Un
document de conformité délivré par un
vérificateur indépendant devra être conservé
à bord des navires qui pourront être
contrôlés sur ce point par des inspecteurs des
États membres. L'impact sur le secteur des ferries serait
toutefois moindre que celui lié à la réduction des
oxydes de soufre : selon l'analyse d'impact de la Commission européenne, le
système proposé devrait permettre de réduire de
2% les
émissions de CO2 par rapport à une situation inchangée et devrait également entraîner une
réduction des coûts nets des armateurs de près de
1,2 milliard d'euros à l'horizon 2030.
Un impact majeur sur le secteur des ferries partout en Europe qui contraint les compagnies à s'adapter, à grands frais et dans l'urgence, en Europe du Nord et, à un horizon désormais proche, en Méditerranée
Les moteurs des plus gros ro-pax du monde, les Stena Britannica et Stena
Hollandica
(240 mètres de long pour 32 de large, pouvant emporter 1200
passagers et 5500 mètres linéaires de fret à une
vitesse de 22 noeuds), en service depuis 2010 sur la ligne Hoek Van
Holland -
Harwich, sont équipés d'un système catalytique. D'après les responsables de Stena, cela permet de
réduire de 95% les émissions d'oxyde d'azote (NOx), limitées à 0,5 g / kwH, soit quatre fois moins que le seuil qui
sera imposé aux navires neufs à partir de 2016 au titre
du règlement TIER III.
La Commission européenne
se défend de vouloir favoriser un report modal du fret entre
voie maritime et voie terrestre, précisant que selon ses
études, seuls 1% à 7% du fret actuellement
transporté par mer passerait du premier mode de transport
au second suite à l'entrée en vigueur de ces mesures.
Tout juste reconnaît-elle un impact potentiellement
différencié d'une zone maritime à l'autre, en
fonction de différents facteurs tels que les types de navires et
de marchandises considérés, la longueur du trajet
maritime ou encore le degré variable de répercussion des
coûts d'application des nouvelles normes sur les tarifs des opérateurs d'une ligne à l'autre... Toujours
est-il que les nouvelles normes, en particulier celles portant sur les
oxydes de soufre (SOx) ont un impact majeur à très
court terme (depuis le début 2015 dans les zones
protégées, d'ici 2020 dans les autres zones) sur
l'économie du secteur des ferries. En effet, il n'existerait pas
de variante du fioul lourd suffisamment désulfurée pour
répondre aux critères imposés à ces
horizons, ce qui signifie que, pour continuer à faire naviguer
leurs navires, les armateurs doivent ou devront recourir à l'une ou l'autre1 des solutions suivantes :
- abandonner le fioul lourd pour du fioul léger, ce qui semble économiquement irréaliste, ce dernier étant sensiblement plus cher (dans une proportion de l'ordre de 60%) et
non tenable pour les armateurs en dehors des routes maritimes
très courtes, comme l'a montré l'exemple des navires
à grande vitesse (NGV) qui utilisent déjà pour la plupart ce type de
carburant. Ainsi, sur les seules lignes de Corse, les NGV ont-ils
désormais tous disparus pour laisser la place à des
ferries propulsés au fioul lourd, à l'exception du Corsica Express Three de la Corsica Ferries, qui
continue d'être exploité en haute saison
entre l'ïle d'Elbe, Piombino et Bastia. Un rapport du consultant AMEC
pour l'Organisation des armateurs britanniques (UK Chamber of Shipping)
évaluerait à 2000 le nombre d'emplois menacés par
mesure OMI
(qui se traduirait par une hausse des tarifs passagers des ferries de
20% et de 29%
pour le fret pour supporter le coût de la hausse des
combustibles : 300 dollars de plus par tonne pour des combustibles
à faible teneur en soufre). Quoique techniquement simple,
cette piste de généralisation du fioul léger
semble donc devoir être écartée ;
- continuer d'utiliser du fioul lourd, mais en filtrant les émissions des navires afin de respecter les nouvelles normes.
Des systèmes existent à la fois pour le filtrage du NOx
et pour celui du SOx, mais ils sont très coûteux et
techniquement complexes à installer, ne conviennent pas à
tous les types de navires et poseraient problème sur de nombreux
ferries car leur encombrement limiterait la capacité d'emport
des navires. Aussi, leur utilisation ne pourra-t-elle se faire qu'au
cas par cas, après examen par les armateurs de la
faisabilité de telles installations sur les navires
déjà existants et de leur coût d'installation au
regard de la valeur comptable des navires. Cela laisse présager
des sorties de flotte des navires les plus anciens lors de
l'entrée en vigueur des nouvelles normes... Pour autant,
certains armateurs ont déjà franchi le pas, devant
l'imminence de l'entrée en vigueur des nouvelles normes,
à l'image du géant Danois du ferry DFDS qui
a dépensé 300
millions de couronnes danoises pour l'installation de "scrubbers" sur
huit premiers navires en 2014, soit l'équivalent de 40 millions
d'euros. Certains
gouvernements ont aidé
financièrement les armateurs à franchir ce saut
technologique, comme la Finlande - pays très
réputé pour la qualité de ses ferries - qui a
accepté de dépenser environ 40 millions d'euros pour
subventionner les "scrubbers" des navires de ses armateurs, pour atteindre cet
objectif considéré comme un "effort vital" d'adaptation ;
- abandonner le fioul lourd pour le gaz naturel liquéfié (GNL).
Sur le papier, les avantages d'une propulsion au GNL sont
énormes, puisque ce carburant présente de nombreux
avantages, à la fois sur les plans écologique et
économqiue. En effet, une propulsion au GNL permet de
répondre aux nouvelles normes environnementales (ses
émissions de SOx et de particules fines seraient quasi-nulles et
les rejets de NOx seraient drastiquement réduits, dans une
proportion allant de 80% à 90%, sans qu'il soit
nécessaire d'installer des filtres) tout en réduisant la
facture énergétique. Alors que le fioul léger est
nettement plus coûteux que le fioul lourd, le GNL permettrait
à l'inverse - aux conditions actuelles du marché -
d'économiser environ 20% des coûts de combustible des
ferries, qui se sont littéralement "envolés" ces
dernières années. Pour autant, il s'agit là d'une
technologie pionnière qui pose encore
souvent des difficultés techniques, que ce soit en matière de
stockage des cuves de gaz liquéfié, d'avitaillement des
navires dans les ports (dans l'attente de la création de
véritables filières d'alimentation en GNL, la
Norvège a mis plusieurs mois à autoriser
l'avitaillement du ferry au gaz Stavangerfjord dans ses ports) et qui ne pourrait a priori
s'appliquer qu'à des navires neufs et non à ceux qui
naviguent déjà... Par ailleurs, le développement
massif de la filière gaz que cela pourrait générer
risque de provoquer, à terme, un afflux de demande susceptible de
réduire - dans des proportions difficiles à
apprécier à ce jour - l'avantage économique de ce
mode de propulsion. Pour autant, des armateurs, aux premiers rangs
desquels Viking Line et Fjord Line en
mer Baltique se sont déjà lancés avec succès dans cette
aventure et sont désormais imités par d'autres (Mols Linien, Stena Line, Tallink...) et ce en dépit de coûts de construction qui
apparaissent encore parfois élevés par rapport aux navires
traditionnels (230 millions d'euros pour le ferry de grande taille Megastar de Tallink, mis en service fin janvier 2017 entre Finlande et Estonie).
Outre son avantage sur le plan écologique, le GNL constitue
également un atout commercial pour les compagnies maritimes.
Ainsi, "au 1er trimestre 2013, le Viking Grace
a attiré 60% des passagers supplémentaires et permis
à la compagnie de reprendre la tête du marché
sur les liaisons Suède-Finlande entre Stockholm et Turku"
précisait Mikael Backman, directeur de Viking Line, au journal Le Marin daté du 5 juillet 2013. Le Viking Grace,
dont les cuves à gaz naturel se situent sur les ponts
extérieurs à l'arrière du navire, est l'exemple
type du ferry de grande capacité propulsé au GNL. Ses
caractéristiques prouvent qu'il est possible de faire naviguer
au gaz naturel des navires dont la taille se situe dans la fourchette haute des
ferries de croisière : le navire mesure 218 mètres de
long pour 31,8 mètres de large et peut héberger 2800
passagers, répartis dans 880 cabines, et loger 1275 mètres
linéaires de fret, plus une centaine de voitures. D'un tonnage
brut de 57 000 tonnes (contre 41 400 au Danielle Casanova, plus gros ferry en service sur les lignes de Corse), il peut naviguer à 21,8 noeuds à 85% de la puissance maximale de ses moteurs.
Premier navire de grande taille fonctionnant au GNL, le Viking Grace
a été mis en service entre Finlande et Suède (ligne Turku -
Mariehamn - Stockholm) le 15 janvier 2013 pour le compte de Viking Line.
Dans le cas français, peu après l'achat d'occasion du Cap Finistère en 2011, Jean-Marc Roué, président de Brittany Ferries, déclarait au journal en ligne MeretMarine
du 24 mars 2011 : "tant que nous ne pouvons pas faire de choix
stratégique sur la propulsion, nous ne commanderons pas de
nouveau navire". Devant l'immensité de l'incertitude quant au
coût des nouveaux navires plus écologiques et à
l'évolution du cours des différents types de combustibles3, il avait, jusqu'à la lettre d'intention en vue de la commande du navire de type Pegasis, tenu parole... Devant l'imminence de l'évolution de la réglementation en zone Manche, la Brittany Ferries s'était associée au chantier STX France2
de Saint Nazaire pour concevoir un ferry de très grande taille (210
mètres de long pour 2474 passagers, 800 voitures et 675 cabines, jaugeant 53 000 tonneaux)
développant une puissance totale de 45 MW et propulsé par
un moteur dual fioul diesel électrique alimenté par GNL,
gage d'un bon indice d'efficacité énergétique.
Ce navire, dont la commande n'a finalement jamais été confirmée, était issu du projet nommé Pegasis (pour Power Efficient GAS Innovative Ship) qui
avait aboutit à un prototype naviguant
à 25 noeuds et autonome sur une distance de 1000 milles
nautiques. Son coût de construction,
très élevé
(270 millions d'euros) en raison des nombreuses innovations
technologiques du projet, est sans doute à l'origine de
l'absence commande et ce, bien que le projet ait pu en théorie
être éligible aux
subventions
d'Etat aux projets innovants
(dans le cadre des investissements d'avenir prévus par le Grand
Emprunt), pour environ 30 millions d'euros. La compagnie
bretonne prévoyait alors de panacher les solutions
techniques
s'agissant de ses autres unités : pour un coût additionel
de plus de 130 millions d'euros, la Brittany Ferries, elle envisageait de remotoriser trois de ses navires actuels parmi les plus récents (les Pont Aven, Armorique et Mont Saint Michel) pour les propulser aussi au GNL et d'équiper trois autres de ses navires (les Barfleur, Normandie, Cap Finistère)
de filtres à particules afin de respecter la nouvelle
réglementation. Toutefois, suite à l'absence de
dérogation temporaire aux nouvelles normes le temps d'adapter
ses nouveaux navires (la remotorisation au GNL, solution la plus
vertueuse sur le plan éconolique, pouvant prendre jusqu'à
6 mois par navire), la Brittany Ferries
a dû renoncer à son ambitieux projet de navires
au gaz et dû finalement équiper l'ensemble de ses navires de scrubbers !
En Méditerranée, le portage du projet des quatre navires propulsés au GNL que la SNCM devait commander en 2013 à ces mêmes chantiers navals STX France,
a aussi achoppé en dépit des aides
publiques annoncées, en raison du coût annoncé (130
à 170 millions d'euros par navire) et, surtout, des fortes difficultés
rencontrées par la compagnie maritime qui ont finalement
conduit à sa disparition. Pour autant, tout projet de ferry plus
écologique n'est pas abandonné sur les lignes de Corse.
Si l'atout du délai supplémentaire d'adaptation s'est
envolé avec la confirmation de l'échéance du 1er
janvier 2020 pour l'application des nouvelles normes d'émission
d'oxydes de soufre, celui des financements mobilisables demeure. En
effet, s'agissant de la future compagnie maritime régionale
Corse qui devrait être créée à l'horizon de
l'automne 2017, celle-ci devrait bénéficier d'une partie
de la dotation de continuité territoriale pour investir dans le
renouvellement de la flotte. Celui-ci n'est envisagé qu'à
l'horizon 2022 - en vue du remplacement du Monte d'Oro
- pour un premier navire mixte et aux horizons 2028 et 2033 pour les
deux suivants. Toutefois, il pourrait s'agir là des premiers
navires propulés au GNL sur les lignes de Corse, la Collectivité territoriale de Corse (CTC)
s'intéressant particulièrement à des projets moins
coûteux que ceux autrefois envisagés naguère
par la SNCM et plus compatibles avec son budget. Ainsi, une délégation de l'Office des transports de la Corse a visité les chantiers finlandais de Rauma - constructeurs entre autres du Kalliste de La Méridionale
en 1993 - début octobre 2016. Ceux-ci ont en construction
jusqu'à l'automne 2018 un navire mixte de dimension moyenne
pour l'armateur danois Mols Linien qui pourrait convenir à la CTC,
tant par ses caractéristiques techniques (158 mètres de
long, pour 1500 mètres linéaires de fret et 600
passagers) que par son coût (68 millions d'euros). Le choix n'est
toutefois pas encore arrêté, l'OTC devant visiter d'autres chantiers potentiels dans les mois à venir.
Au vu de l'importance de l'investissement dans un flotte entière de navires neufs
au GNL, concernant les lignes de Corse, l'incertitude est plus grande
encore
quant aux possibilités de renouvellement des navires des
concurrents de la future compagnie régionale Corse, qui
ne devraient pas bénéficier des mêmes financements publics
durant les années à venir : même La Méridionale et Corsica Linea, pourtant co-délégataires du service public, ne prévoient a priori
pas de nouvelle mise en service de navire de ce type à ce stade
mais pourraient s'orienter vers la pose de scrubbers. La Corsica Ferries et la Moby Lines,
qui ne bénéficient pour leur part plus d'aucune aide sur les lignes de Corse
depuis la suppression de l'aide sociale sur les lignes entre Toulon,
Nice et la Corse le 1er janvier 2014, n'ont semble-t-il pas
encore arrêté leur stratégie, à l'image de
la plupart des armateurs méditerranéens non aidés par les
pouvoirs publics...
|
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Si la commande de la Brittany Ferries,
qui devait
être le premier navire propulsé au GNL construit et
naviguant en France, a finalement été annulée faute de financements suffisants, de nouvelles pistes se profilent à l'horizon. Ainsi, la Collectivité territoriale de Corse s'intéresse-t-elle à des navires mixtes au GNL du type de celui en construction pour Mols Linien en vue de renouveler les navires mixtes de la future flotte régionale corse à partir de 2022...
Crédits photos : STX France pour l'ex-projet de ferry de Brittany Ferries ; copyright RMC1 Deltamarin pour le navire mixte en construction à Rauma pour Mols Linien.
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Note :
[1]
Cette liste, établie par Mare Nostrum Corsica
sur la base de la littérature existante, est
mentionnée ici à titre indicatif. D'autres solutions
techniques peuvent sans doute être envisagées, qui
permettraient de répondre - partiellement ou totalement -
à certaines des nouvelles normes. Parmi les initiatives
originales des compagnies, citons l'exemple de la compagnie
suédoise Stena Line qui a installé des éoliennes
sur son navire Jutlandica 3
- affecté à la ligne entre
Göteborg (Suède) et Frederikshavn (Danemark) - afin de
produire de l’énergie
à bord. Cette première technologique permet à
l’armateur
scandinave d’utiliser le vent (réel et/ou
créé par le mouvement du navire) pour alimenter le ferry en
électricité. Ces
éoliennes permettraient d’économiser
près de 90 tonnes de fuel par an (et
donc de réduire le volume de polluants émis) en limitant la
résistance
à l’air du navire d’à peu près 10% et
fourniraient également 23 000 KWh par an, qui
alimenteraient les ponts garage. Le bilan, bien
que limité (réduction des émissions de
CO2
de 269 tonnes/an et réduction des émissions soufre de
1,7 tonne/an), pourrait devenir plus significatif si un plus grand
nombre de navires utilisaient le même système. Dans un
ordre d'idée assez voisin, La Méridionale
avait déclaré il y a quelques années étudier la
pose de voiles sur ses navires pour en limiter la consommation, mais n'a pas franchi le pas à ce
jour.
[2] Les chantiers STX France
de Saint Nazaire espèrent, par le développement de
technologies innovantes en matière de propulsion des navires,
faire leur retour sur le marché de la construction de ferries.
Le dernier car-ferry construit par ces chantiers, le Berlioz de l'ex-compagnie SeaFrance, devenue depuis MyFerryLink,
remonte déjà à 2005. Outre l'effet crise et la
concurrence des chantiers italiens, allemands et sud-coréens,
cette raréfaction des commandes est à rapprocher du
climat d'incertitude ambiant quant à l'évolution des
technologies et à l'importance des aides publiques qu'elles sont
susceptibles de recevoir pour leur développement.
[3]
Rien ne garantit en particulier que le développement attendu du
marché du GNL de détail ne bouleversera pas les cours des
soutes tels qu'ils peuvent être connus à ce jour. En
effet, le développement de l'utilisation du gaz naturel devrait nettement s'accélérer,
surtout à compter de 2020, si l'on en croit les experts de Gaz de France cités par le journal MeretMarine du 1er
juillet 2013, ce qui nécessitera de lourds investissements dans
les infrastructures pour répondre à la demande. Selon ces
experts : "le GNL servant de carburant aux navires devrait
représenter un marché de 20 à 30 millions de
tonnes entre 2025 et 2030, en plus du marché traditionnel du
GNL, parti pour atteindre 370 millions de tonnes en 2020 et plus de 500
millions de tonnes en 2025 (contre 239 millions de tonnes en 2012)" et,
dès lors, "le secteur maritime devrait, ainsi, devenir le
premier client de GNL de détail. Il devancerait les camions et
trains fonctionnant au gaz, dont la consommation à l'horizon
2020/2030 est estimée par GDF Suez à quelques 10 millions de tonnes en Europe et autant en Amérique du Nord".