La
Balagne, micro-région de Corse, compte deux ports de commerce
: Calvi, un des ports historiques de l'île, et, depuis le
développement d'infrastructures à compter du début
des années 1970, l'Ile Rousse. Si, en comparaison des ports de
Bastia ou d'Ajaccio, les ports balanins ne traitent qu'un trafic
passagers et fret assez modeste, celui-ci a connu un réel essor
depuis le milieu des années 1990. En effet, cette période
a coïncidé avec la mise en service en 1996 des premiers
navires à grande vitesse (NGV), qui a permis une
véritable renaissance du port de Calvi, alors quasiment
déserté par les ferries, et a accompagné le
développement de celui de l'Ile Rousse. Suite au retrait
progressif de ces NGV, frappés de plein fouet par la hausse
vertigineuse des carburants depuis le milieu des années 2000, la
fréquence des rotations assurées de et vers ces ports a
connu un net infléchissement. Plus récemment, avec la
poursuite de la croissance des flux touristiques de l'île, on a
assisté à un retour de car-ferries et notamment au
développement de rotations des Mega Express de la Corsica Ferries
avec Toulon, qui ont permis de diversifier un trafic passagers
saisonnier, traditionnellement très concentré sur Nice
et, secondairement, sur Savona, en Ligurie (Italie).
Avec environ 550 000 passagers en 2012, le trafic des ports de Balagne
dépasse ainsi le cap des 500 000 passagers annuels depuis trois
ans, ce qui rapporté aux quelques 4,1 millions recensés pour l'ensemble
des ports de Corse avec le continent selon l'Observatoire régional des transports de la Corse (ORTC),
représente un peu moins de 14% du total. Le trafic fret,
désormais exclusivement assurés au départ de l'Ile
Rousse, sauf phénomène exceptionnel, demeure selon cette
même source le plus faible des ports de Corse : avec à
peine plus de 83 000 mètres linéaires par an
(sur plus de 2 millions de mètres linéaires de et
vers le seul continent Français) il atteint à peine 4% du
trafic marchandises total de la continuité territoriale.
À noter toutefois que le port de commerce de l'Ile Rousse
présente la particularité d'être le seul de Corse
à admettre le trafic de marchandises dangereuses de classe 1
dite "matières et objets explosibles".
Un phénomène de transfert des flux de passagers
et fret de Calvi vers l'Ile Rousse qui va s'amplifiant : vers la
disparition prochaine des ferries à Calvi ?
Le port de commerce l'Ile
Rousse, qui avait vu son trafic baisser à seulement 100 000
passagers par
an au milieu des années 1990, a fortement rebondi depuis,
puisqu'il dépasse désormais les 400 000 passagers
annuels et concentrera bientôt la quasi-totalité du
trafic maritime de la Balagne.
Si le trafic passagers tend à progresser de nouveau depuis quelques années, on note une érosion certaine des
parts de marché du port de Calvi au profit de celui de l'Ile
Rousse. De fait, non seulement la continuité territoriale n'est
quasiment plus assurée entre Marseille et la Balagne que depuis
l'Ile Rousse (le port de Calvi ne permettant pas un déchargement
des camions dans de bonnes conditions, en raison notamment d'une rampe
d'accès peu accessible par temps humide), mais l'accueil
des ferries et d'un nombre important de véhicules posent
également problème. En effet, le port de Calvi,
situé sur un site classé, se prête peu à des
aménagements portuaires lourds qui permettraient de construire
des parkings de grande taille et d'accueillir des navires dont la
longueur va croissant. Dès lors, les navires de plus de 170
mètres n'y accostent que de moins en moins souvent en saison,
car les ferries stationnent trop près de la sortie du port de
plaisance ; par ailleurs, bien qu'en projet il y a quelques
années, la gare maritime de Calvi n'a finalement jamais
été construite, ce qui rend assez spartiates les
conditions d'accueil des passagers ! À l'inverse, le port de
l'Ile Rousse a vu ses aménagements progressivement se
développer et dispose désormais d'une gare maritime
moderne et de deux postes à quai. Au final, alors qu'en 2002,
près de 56% des passagers maritimes de Balagne
débarquaient ou embarquaient à Calvi selon les
données de l'ORTC, en 2012, cette part ne dépassait plus 30% !
Comme annoncé dès la fin 2012 par Mare Nostrum Corsica au vu de la programmation des compagnies en
présence, ce phénomène s'est encore sensiblement s'amplifié
en 2013. Quoique la Corsica Ferries et SNCM
aient reprogrammé à Calvi certaines traversées de plus qu'en
2012 respectivement vers Savona et vers Nice, le ripage de la
programmation niçoise de la Corsica Ferries
de
Calvi vers l'Ile Rousse a, comme attendu, fortement joué en 2013
en faveur de ce
dernier port, pour ce qui est du trafic passagers : sur les neuf
premiers mois de l'année, Calvi chute de plus de 55% avec
seulement 73 000 passagers, tandis qu'Ile Rousse progresse de
près de
17%, avec environ 433 000 passagers, de source ORTC. En effet, la Corsica Ferries a remplacé sur ses liaisons Nice-Balagne le Sardinia Regina par le Mega Express Two,
plus rapide et de plus grande capacité, mettant ainsi la Balagne
à moins de 4h du continent français (ce qui a
constitué la
liaison maritime la plus courte sur la Corse en 2013) et pour les
raisons évoquées plus haut, l'accostage régulier
des navires de cette taille n'est qu'épisodique à Calvi
en
saison. Le trafic passagers 2013 du port de Calvi a ainsi
été ramené à ses plus bas niveaux du milieu
des années 1990
et il certain que la baisse se poursuivra et s'amplifiera encore en
2014 avec la fin de l'aide sociale aux passagers transportés sur
la ligne de Nice (qui constitue la première destination au
départ de la Balagne) et la nouvelle programmation prévue par les compagnies. Ainsi, la Corsica Ferries
a prévu de ramener de trois à un seul départ par
semaine sa programmation calvaise en saison de et vers Savona tandis
que la SNCM a tout simplement
supprimé l'ensemble de ses escales sur ce port (en 2013, le
Corse assurait en saison une rotation hebdomadaire de Calvi vers Nice)
! Le trafic 2014 du port de Calvi devrait donc être symbolique et
il est désormais envisageable que 2014 soit la dernière
année de Calvi en tant que port de commerce...
Le sort du port de commerce de Calvi, pourtant le plus proche du
continent français mais qui ne dispose que d'un seul poste
à quai de longueur modeste, serait-il déjà
scellé ?
Faute de perspective réaliste de retour des navires à grande vitesse de petite taille à moyen terme (voir page sur les liaisons à grande vitesse)
et en l'absence de réelle mobilisation en faveur de son port de
commerce, il est vraisemblable que, sous peu, Calvi sera
spécialisé dans la seule plaisance et ne disposera plus de lignes de
ferries régulières ni même saisonnières. En outre, les infrastructures
du port de Calvi le rendent a priori
peu adapté à l'accueil de navires de croisière, bien plus
longs encore que les ferries, pour ce qui est de la plupart des unités
récentes. À noter que ces orientations
de fond, ni même plus généralement la question de la desserte des ports
Corses dits secondaires, n'a curieusement fait l'objet d'aucune
discussion à l'Assemblée de Corse lors des débats structurants de l'automne 2012 sur la politique régionale des transports maritimes.
La perspective d'une
disparition du port de commerce de Calvi à moyen terme au profit
de la seule plate-forme portuaire de l'Ile Rousse semble d'autant plus
réaliste que, dans le même temps, ce dernier port projette
de se doter d'infrastructures plus performantes. Selon l'objectif affiché par la CCI de la Haute-Corse, celles-ci visent
à lui permettre "de faire face dans des conditions
garanties de sécurité et de qualité du service,
aux enjeux de son développement".
Le projet de développement du port de l'Ile Rousse devrait lui conférer un rôle accru
Source : Dossier de concertation publique - plan de développement du port de Commerce de l'Ile Rousse, juin 2012.
Un plan de développement du port de commerce de l'Ile Rousse a
ainsi été soumis à la concertation publique durant
l'été 2012. Celui-ci comporte "un volet de travaux
terrestres et un volet de travaux maritimes, destinés à
conforter, moderniser et élever le potentiel de
l'infrastructure" dont le coût prévisionnel s'élève respectivement à 2,35 millions et 7,50 millions d'euros.
Cinq points principaux devraient contribuer à y
améliorer sensiblement l'accueil des navires, encore parfois jugé
difficile par mauvais temps, et de leurs véhicules. Selon le
document rendu public, les principaux aménagements
envisagés sont ceux figurés au schéma
précédent :
- Une extension du terre-plein Nord-Est :
gagnée sur la mer et protégée par une digue de 120
mètres constituée d'acropodes et d'enrochements pour
résister à la houle, celle-ci vise à compenser le
déficit de la surface de stockage des véhicules en cas
d'escale simultanée de deux navires et à améliorer
la fluidité du trafic en dissociant les flux entrants des flux
sortants ; son délai de réalisation est estimé
à 12 mois ;
- Le prolongement du "quai des Américains" :
ce quai, qui longe la gare maritime, serait allongé de
63 mètres et deux ducs d'Albe seraient créés ; le
quai pourra ainsi accueillir des navires de 185 mètres tout
en améliorant leur tenue à quai ; le délai de
réalisation de ce projet est estimé à 8 mois ;
- La protection de la digue et du musoir de la jetée
vise à conforter la stabilité de l'ouvrage, pour un
délai de réalisation estimé à 8 mois ;
- L'extension des tenons
devrait porter leur largeur utile à 30 mètres et
permettre ainsi l'accosatge simultané de deux navires et leur
traitement commercial concomitant (auparavant deux navires ne pouvaient
charger et décharger en même temps) ; la
réalisation de cette phase est prévue pour durer 6 mois ;
- Le dragage et le déroctage du fond
vise à éliminer les hauts fonds constitués par des
barres rocheuses et à garantir ainsi une profondeur conforme (-7,5 mètres)
aux tirants d'eau des navires les plus grands et à optimiser le
cercle d'évitage du port ; la durée de réalisation
de ces travaux est estimée à 6 mois.
La concertation publique s'est achevée en juillet 2012. Suite à cette phase, la Chambre de commerce et d'industrie de la Haute-Corse a
dressé
un bilan de cette concertation qui a abouti à confirmer la
nécessité de moderniser le port d'Ile Rousse, comme
projeté. Les travaux devraient s'étaler sur .trois
années et être financés à 70% par le plan
exceptionnel d'investissement (PEI) de la Corse.
Une fois
réalisés les travaux prévus dans le plan de
développement, le port de commerce de l'Ile Rousse devrait
accueillir dans de meilleures conditions les ferries de grande capacité, comme ici le Mega Express de la Corsica Ferries, par gros temps.