Suite à la définition et au vote par l'Assemblée de Corse des grands axes de la future délégation de service public (DSP) maritime pour la période 2014-2023, un
appel d'offres a été lancé en fin d'année 2012 afin de sélectionner la ou les compagnies qui
assureront le service. Rappelons que, bien les capacités
passagers prévues demeurent supérieures au trafic actuel
au départ de Marseille, le cahier des charges met
particulièrement l'accent sur le fret
et qu'il est également prévu que ne soient plus
subventionnés les ferries au départ de Marseille et que
soit supprimée l'aide sociale au départ de Toulon et de Nice. Le 24 janvier 2013, les élus territoriaux de la Commission d'appel d'offres
se sont réunis pour examiner les propositions remises par les
compagnies dix jours plus tôt. Si le contenu
détaillé des offres des compagnies n'a pas
été révélé à cette occasion,
les médias insulaires ont rapporté que les actuels
délégataires, à savoir la SNCM et La Méridionale,
avaient fait une offre conjointe mais non solidaire (et non une
offre solidaire, comme on lit parfois à tort, les deux
compagnies demeurant financièrement seules responsables de leurs
services respectifs) comme le règlement en prévoit la
possibilité et que la Corsica Ferries
avait elle aussi fait une offre indépendante. Cela est
confirmé par le rapport adopté à
l'unanimité par les élus Corses le 7 juin dernier, qui
entérine de ne pas attribuer pour le moment la DSP,
aucune des offres reçues n'étant acceptable, mais de
négocier directement avec les compagnies candidates.
En fait, la
négociation se serait uniquement effectuée avec le groupement SNCM-La Méridionale, d'après le président de l'Office des transports de la Corse,
Paul-Marie Bartoli, qui, afin de limiter tout recours juridique pour
inégalité de traitement entre compagnies candidates,
déclarait alors juste informer la Corsica Ferries par
courrier qu'il aurait fallu que la compagnie présente elle aussi
une
offre à 7 navires entre Marseille et la Corse pour qu'elle
puisse être
admise à la table des négociations... Un accord ayant
finalement été trouvé le 2 juillet 2013 entre le
groupement et SNCM-La Méridionale et l'Office des transports,
Paul-Marie Bartoli a donc soumis au vote de l'Assemblée
de Corse le 6 septembre 2013 le compromis trouvé qui consistait en une enveloppe annuelle de subvention de 96 millions
d'euros en moyenne sur l'ensemble de la période
2014-2023, ce montant
étant indexé mais ne pouvant dépasser en moyenne
104 millions d'euros par an. Le président du Conseil exécutif,
Paul Giacobbi avait toutefois rapidement précisé qu'il
restait encore des points à régler et que le rapport de l'Office des transports ne
serait pas soumis au vote dès la fin juillet
2013 comme initialement envisagé, d'où le report du vote
en septembre. Lors de la session extraordinaire consacrée
à la DSP du 6 septembre 2013, les
élus se sont donc prononcés en faveur
de l'attribution de la DSP au
groupement SNCM-CMN sur la base d'un rapport de l'OTC,
remis fin août... Si aucun élu n'a finalement voté
contre, au risque de provoquer un séisme social au sein des
compagnies délégataires sortantes, le rapport n'a pas
suscité une pleine adhésion puisqu'on dénombre
finalement 27 voix pour sur un total de 51 élus, de nombreux
élus s'étant finalement abstenus.
Il faut dire que le montant de subvention finalement attribué
apparaît au-dessus de ce qui avait été
envisagé courant juin 2013, même s'il demeure très
inférieur aux prétentions initiales du groupement SNCM-CMN (147
millions par an). Cette
décision, jugée juridiquement fragile par plusieurs
observateurs - au premier rang desquels, Paul Giacobbi, Président du Conseil exécutif de Corse - au vu des éléments figurant dans le rapport,
est d'ores et déjà contestée en justice par la Corsica Ferries, tandis que la CGPME
de Corse a également fait entendre ses réserves et que la
Commission européenne a, de son propre chef,
décidé d'enquêter sur les conditions de cette
attribution... En
effet, quelques mois plus tôt, l'Autorité de la concurrence
- dans un courrier daté du 4 juin 2013 mais dont le contenu n'a
été révélé que début juillet
- avait déjà attiré l'attention du Conseil exécutif sur le fait que, pour être valide, l'offre du groupement SNCM- La Méridionale
devait être rendue divisible et comparée ligne à ligne à celle de la Corsica Ferries, comme le prévoyait le
règlement de l'appel d'offres, ce qui n'aurait pas été le cas...
Contrairement à ce qui s'était passé lors du précédent appel d'offres en 2006, La Méridionale n'avait cette fois pas présenté d'offre commune avec la
Corsica Ferries mais avec la SNCM.
Aucune des offres initiales des compagnies maritimes pour la DSP 2014-2023 ne satisfesait l'Office des transports de la Corse, aucune des offres revues non plus à l'issue de 4 mois de négociations !
Une fois encore, le chantier d'attribution de la DSP maritime Marseille-Corse s'est prolongé et fortement complexifié au fil des mois ...
Le président de l'Office des transports, qui a reçu les soumissionnaires en
février 2013 pour examiner leurs offres, avait
indiqué que les discussions se poursuivaient avec l'ensemble des
compagnies, sans exclusive, mais que les propositions reçues
posaient toutes problème. En effet, si rien n'a filtré
sur le contenu détaillé des offres initiales, il a été dit que celles-ci ne
répondaient pas de manière satisfaisante aux souhaits de
la Collectivité territoriale de Corse :
- l'offre initiale commune SNCM / La Méridionale était satisfaisante d'un point de vue technique, mais irrecevable aux dires du président de l'Office des transports en raison de son prix, bien plus élevé que celui de la DSP en vigueur jusqu'ici. Rappelons que la Collectivité territoriale de Corse escomptait
faire d'importantes économies sur le budget de continuité
territoriale maritime en ne subventionnant plus ni les ferries du
service complémentaire en saison sur Marseille (environ 34
millions d'euros de subventions chaque année) ni l'aide sociale
sur Toulon et Nice (16 millions d'euros de dépenses par an). Si
elle ne pouvait espérer économiser l'ensemble de cette
somme de près de 50 millions (sur une enveloppe de plus de 130
millions d'euros consacrée au maritime en 2010 selon les derniers
chiffres publiés, voir graphique) en raison de la baisse des tarifs du fret exigée sur Marseille, la Collectivité territoriale de Corse
ne s'attendait sans doute pas à ce que les compagnies lui demandent de débourser
davantage pour un service public circonscrit à 7 navires mixtes
que pour le service public actuel qui subventionne directement 7
navires mixtes et 2 ferries au départ de Marseille ainsi,
qu'indirectement, 7 ferries classiques ou rapides au départ de
Toulon et de Nice via le dispositif d'aide sociale (soit, en tout, 16 navires) ! Or, le journal Les Echos du 8 février dernier rapportait que le tandem constitué de la SNCM et de La Méridionale
"aurait fait une offre deux fois supérieure (138 millions
d'euros de subventions) à celle du rival de toujours, la Corsica Ferries
(70 millions)". Ce montant s'il devait se confirmer, serait donc
supérieur de plusieurs millions à celui consacré
actuellement aux 16 navires subventionnés directement ou
indirectement au départ des ports insulaires vers les ports
continentaux français ! Depuis cette date, les discussions avec
les compagnies auraient permis certaines avancées mais
Paul-Marie Bartoli précisant même le 7 mars 2013 à Corse Matin que la SNCM et La Méridionale
auraient d'un point de vue technique "encore
amélioré leur offre, mais du point de vue financier n'ont
pas fait les efforts suffisants pour que leur proposition puisse
être retenue. Leurs propositions sont disproportionnées" ;
- l'offre initiale de la Corsica Ferries
était financièrement très compétitive (avec 70
millions d'euros de demandes de subventions pour l'ensemble de la
desserte, on se situerait à environ 10 millions par navire
et par an, soit peu ou prou l'équivalent des subventions
reçues par La Méridionale dans
le cadre de la DSP actuelle) mais, d'après Paul-Marie Bartoli
"malheureusement, elle n'est pas en état d'assurer les cinq
lignes, elle n'a pas la flotte suffisante pour assumer les service". Le
président de l'Office des transports ajoutait toutefois d'après Corse Matin du 7 mars 2013 que "la Corsica Ferries
n'est pas écartée de la négociation. On continue
à consulter et à lui donner des éléments
d'information nécessaires pour améliorer son offre". En
raison de la confidentialité du processus d'appel d'offres, on
sait peu de choses de la proposition de la Corsica Ferries si ce n'est que son PDG, Pierre Mattei, a déclaré dans une interview à Corse Matin
du 18 janvier 2013 avoir "répondu sur chacune des lignes
définies par le cahier des charges". Le même navire
étant susceptible d'être proposé pour plusieurs
lignes, il s'agirait en fait d'une offre modulaire dans laquelle la Collectivité territoriale de Corse pourrait
"piocher" en fonction de ses besoins mais qui ne permettrait pas de
couvrir simultanément l'ensemble des lignes (la Corsica Ferries
n'étant actuellement pas délégataire sur
Marseille, il est structurellement plus compliqué pour elle de
couvrir ex nihilo l'ensemble
du périmètre requis au départ de ce port, de
surcroît au vu des fortes spécificités des navires
requises par le cahier des charges). Il semble que le
caractère "modulaire" de la proposition de la compagnie, bien
que s'inscrivant dans la logique d'un appel d'offres ouvert ligne par
ligne (logique qui avait pourtant été actée par l'Assemblée de Corse dans le cahier des charges de l'appel d'offres), ait été accueilli défavorablement par l'Office des transports, Paul-Marie Bartoli ayant publiquement évoqué pour justifier la préférence de l'Office au groupement SNCM / La Méridionale le
fait que la compagnie aux bateaux jaunes ne disposait pas de sept
navires à mettre à disposition sur les lignes de
Marseille...
Un rebondissement est intervenu le 14 mai 2013, Paul Giacobbi, président du Conseil exécutif de Corse, déclarant devant l'Assemblée nationale
que "la première phase de la procédure d'attribution de
la délégation de service public s'achève sans
qu'aucun candidat n'ait remis une offre légalement et
financièrement acceptable. Je vais donc proposer à
l'Assemblée de Corse de constater cette infructuosité et
de relancer les négociations avec l'ensemble des candidats". La nouvelle de l'échec de la DSP a été une surprise : d'après les informations recueillies par France 3 Corse le
15 mars 2013 auprès de Paul-Marie Bartoli, il avait pourtant
été annoncé qu'un compromis - dont la
teneur exacte n'était pas précisée - avait été trouvé entre
l'Office des transports et le groupement SNCM / La Méridionale
en vue des compensations financières à prévoir
dans le cadre de la future délégation (dans un contexte de pression très forte, la SNCM
ayant conditionné la construction de ses futurs navires - qui
pourrait de surcroît échoir aux chantiers français de
Saint Nazaire, actuellement en recherche active de nouvelles commandes
- à l'obtention de ladite DSP). En outre, les déclarations du directeur régional de la SNCM
courant mai 2013, qui avait précisé que les futurs navires de la
compagnie fonctionneraient au gaz et pourraient dès lors économiser 30%
des coûts du carburant auraient pu laisser penser que la compagnie
aurait pu baisser davantage ses prétentions financières pour que
l'offre du groupement puisse passer sous le plafond des 104 millions
fixés par la Collectivité territoriale de Corse...
L'Office des transports a rédigé un rapport allant dans le sens des déclarations de Paul Giacobbi, adopté par l'Assemblée de Corse
le 7 juin ; ce rapport donne quelques précisions sur les offres finales des différents candidats.
S'agissant des offres revues des compagnies à l'issue du premier round de négociations qui aura duré plus de 4 mois, le rapport de l'Assemblée de Corse du mois de juin ne donne pas de détail sur celle de la Corsica Ferries
si ce n'est qu'elle a bien présenté une offre
séparée pour chacun des ports Corses concernés par
la continuité territoriale sur Marseille mais aussi, comme en 2007,
une offre groupée sur les trois ports du Sud (Ajaccio,
Propriano, Porto Vecchio), preuve que la compagnie aux bateaux jaunes
avait bien l'intention de desservir aussi les ports Corses sur lesquels elle n'est pas actuellement présente.
Si le rapport reconnait que le fait de déposer une offre ligne
à ligne est licite, il écarte pourtant l'offre de la Corsica Ferries (dont
il ne précise, chose surprenante, pas le montant,
peut-être pour ne pas en souligner l'écart important
avec l'offre du groupement SNCM-La Méridionale ?) "au
regard des incertitudes et des risques que présente
l'attribution d'une convention de délégation de service
public portant sur une seule partie des lignes maritimes desservant les
ports de la Corse au départ ou à destination de
Marseille". Cet argument a d'ailleurs été interprété
par les autorités en charge de la concurrence comme une
barrière à l'entrée au sein du marché
maritime Marseille-Corse. Et ce d'autant plus que ni dans le cadre des DSP passées, ni dans le cadre des DSP actuelles, La Méridionale et la SNCM ne desservent pas non plus chacune isolément la totalité des lignes... (par exemple, la SNCM est l'unique compagnie à desservir Marseille-Porto Vecchio et seule La Méridionale fait naviguer des navires mixtes toute l'année sur Marseille-Propriano).
Certains observateurs remarquent donc que le rapport de juin 2013 de l'Assemblée de Corse
aurait très bien pu en théorie étudier des
solutions mixant les offres des trois compagnies en
présence. Toutefois l'offre de la SNCM et de La Méridionaleserait
d'après le rapport "globale et indissociable" ce qui
empêcherait de fait toute autre compagnie concurrente de se voir
attribuer une partie des lignes de la DSP... En juin 2013, cette offre
globale
avait toutefois été rejetée car trop
élevée : le rapport précisant que le plafond
acceptable avait été
"fixé à 104 millions d'euros pendant toute la
durée de la convention, ce montant pouvant être
révisé en cas d'augmentation de la dotation de
continuité territoriale." Or, "au global, sur l’ensemble
du périmètre de la DSP, l’offre de SNCM-CMN
s’établit à 107 millions d'euros par an en moyenne
annuelle sur la durée de la DSP, en euros 2013. En outre, le
Groupement a supprimé la référence au plafonnement
de la contribution pendant toute la durée de la convention
à 104 millions d'euros tout en maintenant l'indexation, ce qui
aboutira sur 10 ans à des montants nettement plus
conséquents." Dès lors, l'offre de la SNCM et de La Méridionale remise en juin 2013 n'était pas non plus acceptable, le plafond ne pouvant être revu à la hausse !
C'est pourquoi, le rapport adopté en juin 2013 par l'Assemblée de Corse a conclu logiquement que "par
conséquent, à ce stade, la convention de
délégation de service public ne peut être
attribuée à aucun des candidats."
Une négociation qui s'est inscrite dans un contexte difficile, à la fois pour les compagnies et pour l'Office des transports de la Corse
Les enjeux du choix effectué par l'Assemblée de Corse
sont cruciaux pour l'ensemble des compagnies maritimes desservant la
Corse au départ des ports de Marseille, Toulon et Nice.
Une
nouvelle fois, la négociation intervenue entre début juin et début juillet 2013 s'est inscrite dans un
contexte tendu, que ce soit sur le plan social ou sur le plan
financier. S'agissant des compagnies tout d'abord, les
délégataires actuels du service public maritime (la SNCM et La Méridionale)
auraient vu leur activité réduite par rapport à la
situation actuelle si jamais elles n'avaient finalement pas été en position d'être
reconduites sur l'ensemble du périmètre de la desserte. La SNCM
avait toutefois donné des gages de sa solidité en indiquant
d'ores et déjà publiquement par la voie de sa direction que les
ferries au départ de Marseille (le Danielle Casanova et le Napoléon Bonaparte
ou son remplaçant, ce navire étant indisponible suite à son accident)
continueraient à naviguer
au-delà de 2014, même sans subvention (propos finalement partiellement contredits par le plan industriel
de la compagnie adopté fin juin 2013, qui a entériné une
réduction de la flotte de 9 à 8 navires dès 2014).
On ignore toutefois
si ces engagements étaient à rapprocher du fait que la
compagnie
aurait, dans le cadre de sa proposition initiale, demandé pour
la future DSP un montant plus
élevé de subventions que celui actuellement dévolu
aux seuls cargos mixtes. Par ailleurs, les
incertitudes sur son futur actionnariat
étaient facteur d'inquiétudes pour les syndicats, mais
également pour les élus locaux et notamment ceux de la Collectivité territoriale de Corse
qui doivent engager un contrat de service public de dix ans avec un
partenaire qu'ils espèrent fiable et durable. Dans ce contexte tendu, les syndicats de la SNCM et de La Méridionale
avaient appellé à une grève reconductible à compter du
27 juin 2013 afin de réclamer la tenue d'un véritable
plan industriel pour la SNCM (soit deux jours avant le début du Tour de France cycliste qui débutait en Corse cette année mais dont la Corsica Ferries était seule transporteur officiel)
et pour empêcher que l'actionnariat de la compagnie soit
modifié avant l'attribution de la DSP. Les syndicats ayant eu
gain de cause et reçu des assurances du Ministre des transports
sur l'avenir de la flotte (annonce de 2 commandes de navires neufs et de 2 autres en
2016), la grève n'a finalement pas eu lieu. À noter que,
contrairement à la SNCM, La Méridionale
n'envisagerait quant à elle pas de renouveler sa flotte avant la fin de la nouvelle convention, en 2023 : Mer et Marine rapporte ainsi que les projets de renouvellement du Kalliste
auraient été différés de 2020 à 2023
par la compagnie, comme le lui permet le règlement de la
nouvelle DSP qui autorise les bateaux à naviguer jusqu'à
un âge de 30 ans dans le cadre de la délégation de
service public, contre 20 ans auparavant.
S'agissant de la Corsica Ferries, la décision de la Collectivité territoriale de Corse, même en sa défaveur, lui donne désormais plus
de visibilité afin de bâtir une
nouvelle stratégie de redéploiement de sa flotte, dans un contexte de disparition de l'aide sociale,
synonyme d'une disparition totale de financement publics pour la
compagnie aux bateaux jaunes dès 2014. Pierre Mattei, le PDG de la Corsica Ferries
a néanmoins
indiqué en novembre 2013 qu'il avait porté en justice la
question de l'attribution de la DSP entre Marseille et la
Corse, les compensations financières convenues entre ses
concurrents
et l'Office des transports
ayant atteint des niveaux qu'il juge excessifs au regard des
spécifications du cahier des charges (soit "plus de 75 millions
d'euros" par an précisait-il) et sa compagnie ayant été écartée pour de mauvais motifs...
Pour cette attribution, les élus Corses ayant déclaré infructeuse
la première phase de l'appel d'offres en juin 2013 et décidé de suivre les propositions du
rapport, un
nouveau mode de négociation avec les compagnies a
été mis en place : une négociation de
gré à gré avec deux des compagnies ayant
répondu à l'appel d'offres, à savoir la SNCM et La Méridionale.
Un élargissement du champ des
opérateurs de service public à la Corsica Ferries a été écarté, de même que la solution repoussoir plus radicale de
suppression totale de la DSP au profit d'obligations de service public
généralisées à l'ensemble des ports
continentaux français participant à la desserte de la
Corse : Nice, Toulon et Marseille.
Une autre possibilité, qui aurait consisté à
relancer un nouvel appel d'offres, a également été
écartée. Si cela avait été le cas, il
aurait fallu sans doute prolonger la délégation de
service
public 2007-2013 jusque courant 2014 - et vraisemblablement aussi l'aide sociale sur
Toulon et Nice - au-delà du 1er janvier 2014, ce qui aurait
posé
de manière plus aiguë la question de la
prorogation du service complémentaire sur Marseille-Corse,
désormais
déclaré contraire au principe de libre concurrence par la
Commission de Bruxelles et que les élus corses s'étaient engagés à supprimer...
En tout état de cause, Paul Giacobbi a attiré l'attention de l'Etat sur la situation de la SNCM, ajoutant que "s'agissant de la SNCM,
une offre légale et raisonnable n'est possible que dans le cadre
d'une restructuration de l'entreprise sur la base d'un projet
industriel sérieux qui permettra d'affecter quatre navires
mixtes au service public de la Corse et de trouver une autre vocation
au reste de la flotte" et que "notre Collectivité n'exclut pas
d'intervenir dans le renouvellement de la flotte par le biais d'une
société d'économie mixte". Certains observateurs y
voient les prémices d'une future compagnie
régionale...
Pour sécuriser le processus d'attribution de la
délégation de service public et éviter un trop
grand retard dans son attribution, deux amendements au rapport ont
été adopté le 7 juin :
- le premier prévoyait que le Conseil exécutif de Corse rende compte à l'Assemblée de Corse
"du déroulement et du contenu de la négociation "avant le
27 juillet au plus tôt et si possible délibérera
à cette date ou au plus tard fin septembre", ce qui
permettra aux compagnies d'ouvrir normalement les réservations pour la saison estivale 2014 à l'automne 2013 ;
- le second entendait "plafonner la contribution financière
forfaitaire à un montant accceptable économiquement
justifié et conformes aux intérêts de la Corse", si
aucun chiffre n'était alors précisé, des élus de
l'opposition de droite ont alors mentionné une somme annuelle plus proche de 90
millions d'euros que des 104 millions inscrits dans le rapport initial.
Cet ordre de grandeur de 90 millions, qui permettrait de
sécuriser les financements de l'Office des transports compte
tenu des sommes consacrées par ailleurs à
l'aérien et de celles qui pourraient être
attribuées au ferroviaire, apparaissait plus en ligne avec la
réduction du périmètre de la DSP à 7
navires mixtes prévue par le cahier des charges. Il a toutefois
été finalement dépassé, l'accord final
portant sur 96 millions en moyenne annuelle (voir article
spécifique sur le rapport de l'OTC) !
En 2010, les subventions de la SNCM ont progressé alors que ses obligations de service public avaient déjà été réduites.
Dans le nouveau schéma de DSP à 7 navires
mixtes, cette compagnie, la plus dispendieuse, a dû
faire
un effort d'ajustement important sur le montant de la subvention,
dans un contexte budgétaire tendu pour la Collectivité de Corse.
Si le montant final de la compensation financière avait dû
s'établir dans une fourchette allant de 90 à 104 millions
d'euros, une répartition proportionnelle entre les deux
compagnies délégataires au prorata du nombre de navires (4 pour l'une, sans doute la SNCM, 3 pour l'autre, vraisemblablement la CMN)
aurait aboutit à une fourchette de subventions annuelles de 51
à 60 millions de subventions annuelles pour la compagnie
à 4 navires et de 38 à 45 millions d'euros annuels pour
la compagnie à 3 navires. C'est sans doute pourquoi dans les
débats de juin 2013, la SNCM (86
millions de subventions annuelles en 2010, certes pour 4 navires mixtes
mais aussi 2 ferries en période de pointe) apparaissait comme
nettement plus dispendieuse que la CMN,
qui a consommé un peu moins de 29 millions d'euros de
subventions en 2010 pour 3 navires mixtes, ce qui laissait à
cette dernière une marge de négociation bien plus
importante par rapport au plafond supposé...
Finalement, le montant de subvention voté par l'Assemblée de Corse en septembre 2013 se répartit en 57,5 millions pour la SNCM en 2014 et 38,5 millions pour La Méridionale.
Si, par rapport à la situation actuelle, la subvention de la
première compagnie baisse tandis que celle de la seconde
augmente, la répartition n'est semble-t-il pas strictement
effectuée au prorata du nombre de navires employés dans le cadre de la DSP et ce, à l'avantage de la SNCM. En effet, une répartition aux 4/7èmes pour la SNCM et aux 3/7èmes pour La Méridionale aurait conduit, pour l'année 2014, à des subventions respectives d'un peu moins de 55 millions pour la SNCM et d'un peu plus de 41 millions pour La Méridionale. Ce montant
serait ensuite indexé sur le "coût de la vie" jusqu'au terme de la
convention en 2023 et susceptible de révision à la hausse
ou à la baisse en cas de variation des cours des combustibles
sans que cette somme puisse toutefois excéder 104 millions
d'euros par an en moyenne sur l'ensemble de la période
2014-2023. À titre d'illustration, si l'indice d'indexation
retenu devait être de 1,75% par an (soit un niveau proche de
l'indice général des prix en France), le montant annuel
de subvention atteindrait 112 millions en 2023 et le montant annuel
moyen frôlerait précisément les 104 millions sur la
période 2014-2023.
Rappelons par ailleurs qu'au-delà de la polémique sur la
demande de remboursement de 220 millions d'euros de subventions
jugées indues par la Commission européenne au titre du
service complémentaire des ferries lors des périodes de
pointe sur la période 2007-2013, le dénouement en cours de
plusieurs autres contentieux devrait permettre
de donner aux compagnies et à leurs usagers une plus grande
visibilité sur les futurs tarifs des transports maritimes et sur
l'organisation future de la deserte maritime de la Corse :
- un différend judiciaire oppose toujours la SNCM et La Méridionale d'une part et l'Office des transports
d'autre part au sujet des compensations à accorder aux
compagnies suite à la hausse du cours des combustibles.
Lors de la privatisation de la SNCM aurait
été négociée une clause très
favorable à la compagnie prévoyant que 90% du
surcoût éventuel en cas de hausse du cours du
pétrole serait supporté par la Collectivité terroriale de Corse via
une hausse des subventions accordées aux
délégataires de service public. Cette clause,
renégociée lors de la revoyure intervenue fin 2009, fait
l'objet d'un contentieux, les délégataires SNCM et La Méridionale réclamant 40 millions d'euros à l'Office des transports de la Corse à ce titre pour les années 2011 et 2012 selon France 3 Corse. Or, l'Office des transports, qui serait déjà en déficit de 20 millions fin 2012 indépendamment de cela et qui aurait, selon son président,
présenté au Gouvernement une demande de rallonge
financière pour boucler son budget, s'y oppose1. À noter
que l'attente par la SNCM
d'une compensation financière au titre de la hausse de ces
coûts du combustible a permis à la compagnie de mener une
politique commerciale très agressive depuis 2011 et de
reconquérir des parts de marché tandis que, dans le
même temps, les autres compagnies de ferries naviguant en
Méditerranée n'avaient d'autre choix que de relever
significativement leurs tarifs pour faire face à ce
surcoût. À l'avenir, il est normalement prévu dans le
cadre de la convention 2014-2023 - si elle est finalement mise en oeuvre - que les futures hausses
éventuelles du coût des soutes seront assumées par
le ou les délégataires, via un ajustement automatique à la hausse des tarifs.
-
un autre différend a opposé quant à lui la CGPME de Corse et la Corsica Ferries d'une part à la Collectivité territoriale de Corse, les plaignants reprochant à la Collectivité d'avoir
prévu l'instauration de tarifs plancher pour le transport du
fret au départ de Toulon qui se seraient tarduits par une
hausse importante des tarifs du transport de marchandises depuis le
port varois à compter de 2014 (le plancher envisagé était en effet
fixé à 75 euros du mètre linéaire, soit un
niveau significativement supérieur au prix d'appel de 2013 qui
avoisinait 60 euros). Les plaignants considéraient en effet qu'il
s'agissait là d'une mesure protectionniste visant à
protéger les délégataires du service
maritime au départ de Marseille (SNCM et La Méridionale) au détriment de l'intérêt commun. La justice leur a finalement donné raison et de nouvelles obligations de service public, plus cohérentes, ont finalement été votées par l'Assemblée de Corse fin décembre 2013 ;
- enfin, rappelons qu'une enquête approfondie menée par la Commission de Bruxelles a conclu que les aides reçues par la SNCM (en sus de la subvention de continuité territoriale) dans le cadre de son processus de privatisation à compter de fin 2005
pour un montant total qui serait supérieur à 200 millions
d'euros constitueraient des aides d'Etat, illicites au regard du
droit européen. La SNCM a toutefois fait appel de cette décision qui sera jugée par la Cour de Justice de Luxembourg. Parallèlement à cette démarche, Paul
Giacobbi a dirigé, de début juin à décembre 2013, une Commission
d'enquête parlementaire pour clarifier les conditions de la
privatisation de la SNCM (rappelons que le fonds d'investissement Butler Capital Partners avait revendu au groupe Veolia
ses parts de la SNCM
pour 73 millions d'euros en 2008 alors qu'elle les
avait acquises trois ans plus tôt pour seulement 13 millions).
Cette Commission d'enquête a conclu que l'opération de
privatisation avait été une gabegie financière
(plus de 400 millions d'euros d'argent public dépensé
pour revenir au final à une situation critique de la compagnie
quelques année plus tard).
Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, de nouveaux
rebondissements sont encore possibles dans les prochaines
semaines ou les prochains mois... Enfin, il faut noter que cette grande
agitation sur les lignes de Corse coïncide avec une certaine
agitation également sur les lignes maritimes sardes, la
privatisation de l'ex-compagnie publique (la Tirrenia, devenue CIN - Compagnia Italiana di Navigazione) intervenue à l'été 2012 au bénéfice de la Moby Lines
créant également des remous : après avoir
assuré des rotations pendant deux saisons (2011 et 2012),
la compagnie régionale SaReMarportée
par la région Sarde pour concurrencer les
armateurs privés a été contrainte de cesser ses
activités puis de rembourser 10 millions d'euros d'aides
publiques. Le flambeau a touetfois été repris dès
l'été 2013 par une compagnie montée à
l'initiative des socio-professionnels locaux du tourisme. La nouvelle
compagnie, baptisée GoinSardinia,
exploite depuis en saison, de juin à fin septembre, un
ferry affrété à une compagnie grecque - le Kriti I, pendant l'été 2013 puis le El Venizelos, jusqu'alors loué par la SNCM, pendant l'été 2014 - en alternance sur les lignes Livorno et Civitavecchia-Olbia et Arbatax.
La question du nouveau service public maritime de la Corse a
été indissociable de celle de la
nouvelle organisation
de la SNCM
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Note :
[1]
Dans sa réponse du 14 mars 2013 à la question orale de M.
Antoine Orsini, Paul-Marie Bartoli précise que les
difficultés financières de l'Office des transports de la Corse
proviennent du gel depuis 2009 de la dotation de continuité
territoriale versée par l'Etat et indique que, de ce fait,
l'équilibre est impossible. S'agissant du différend avec
les compagnies délégataires, il indique que "nous sommes
engagés dans un contentieux auprès du tribunal
administratif de Bastia à l'initiative de la SNCM qui considère que l'Office
doit payer le surcoût combustible pour l'année 2011. Cette
position néglige le contenu de l'article 7.3 de l'actuelle
convention de DSP qui prévoit des mesures alternatives pour
financer le surcoût combustibles telles que la hausse des tarifs.
La participation de l'OTC n'a aucune automaticité contractuelle
et c'est le sens de notre défense auprès du tribunal
administratif de Bastia".