Mare Nostrum Corsica 

Les lignes maritimes sardes entre K.O. et renouveau ?

 Genova, avril 2011 ; photo : Eustace Bagge (visible sur le site Wikipedia)
Construit en 1980 puis transformé pendant l'hiver 1987/88, l'Aurelia est, en juin 2013, le de derniers représentant en activité des ferries classiques de la classe Strade Romane (navires portant le nom de voies Romaines) et ainsi l'un des symboles de l'ancienne Tirrenia voués à disparaître à brève échéance.

Une île jusqu'ici principalement desservie par sa côte Nord Est, plus proche du continent Italien et qui concentre les principaux flux touristiques

Comme les années précédentes, les ports du Nord Sardaigne continuent de se tailler la part du lion du trafic continent-Sardaigne
Photomontage Romain Roussel d'après le drapeau sarde mis à disposition par Angelus sur Wikipedia et les statistiques portuaires
Si la crise n'a pas modifié sensiblement la hiérarchie des ports sardes les uns par rapport aux autres, la chute du trafic passagers maritime y est vertigineuse : elle représente en 3 ans davantage que le trafic annuel du port de Bastia, premier port français de Méditerranée !

Le trafic passagers entre l’Italie et la Sardaigne représentait jusque récemment un marché très conséquent de plus de 6,6 millions de passagers en 2009, répartis principalement sur quatre ports. À titre de comparaison, cette même année, le marché maritime continent-Corse représentait 4,3 millions de passagers, dont 3,0 millions depuis les ports français de Marseille, Toulon et Nice.

Les ports du Nord Sardaigne [1] concentrent une part très substantielle du trafic : plus de 90% du total des lignes continent-Sardaigne en 2012, comme illustré au graphique ci-dessus, porportion qui est restée quasiment stable malgré la crise. Par ordre décroissant du trafic passagers, on compte Olbia, Porto Torres et Golfo Aranci (qui n’est autre que l’avant-port d’Olbia, situé sur la côte Nord-Est de la Sardaigne, la fameuse Costa Smeralda). Cagliari, chef-lieu de la Sardaigne et principale agglomération de l’île, mais qui pâtit entre autres d’un plus grand éloignement du continent, ne vient que très loin derrière, avec environ 7% de parts de marché en 2012.

À l’instar des évolutions observées sur la Corse, l’opérateur historique sarde, la Tirrenia di Navigazione [2], qui opère pourtant le plus grand nombre de lignes entre l’Italie et la Sardaigne [3], a progressivement cédé du terrain face à ses concurrents privés. Au premier rang de ceux-ci, la Moby Lines, implantée sur les liaisons continent-Sardaigne depuis 1988 et devenue leader sur ces lignes dans le courant des années 2000 suite à la mise en service de navires de grande capacité de type Mega Express et à l’absorption à l'automne 2006 de la compagnie Lloyd Sardegna, principalement spécialisée dans le transport du fret. La Moby dessert la Sardaigne (surtout au départ d’Olbia) depuis les ports continentaux de Genova, Livorno, Piombino et Civitavecchia.

Mais la concurrence ne se limite pas à la Moby, puisque d’autres opérateurs sont également implantés sur les lignes sardes, citons :
- depuis 1981, la Sardinia Ferries, qui dépend du même groupe que la Corsica Ferries, et qui dessert la Sardaigne au départ de Golfo Aranci, principalement [4] vers Livorno ;
- dans les années 1990, Grandi Navi Veloci (GNV), qui a développé des lignes entre Genova, Olbia et Porto Torres - cette dernière ligne est désormais suspendue depuis la saison 2013 - tout d’abord à l’aide de « cruise ferries » de grande capacité et offrant un niveau élevé de confort pour les passagers puis, plus récemment, par des « ferry cruise », navires de taille plus réduite qui s’apparentent davantage à des cargos mixtes ;
- depuis 2010, Grimaldi Lines du groupe Aponte, qui a ajouté une escale à Porto Torres au trajet Civitavecchia-Barcelona effectué par ses deux cruise ferries géants, les Cruise Roma et Cruise Barcelona ;
- en 2011 et 2012 enfin, la Saremar, ancienne-filiale régionale de la Tirrenia, est venue aussi concurrencer son ex-maison-mère par ses liaisons saisonnières Civitavecchia-Olbia (ou Golfo Aranci pendant l’été 2011) et Savona-Porto Torres. À noter que cette dernière liaison était opérée depuis le terminal de la Corsica Ferries à Vado Ligure. Pour la saison 2013 toutefois, la Saremar ne reprend pas ses liaisons continent Sardaigne et c'est GoinSardinia, émulation des socioprofessionnels du tourisme de la côte gallurèse qui prend le relai avec des lignes entre Civitavecchia, Livorno et Olbia.

Genova, novembre 2005 ; photo : Cap. Eustachio Patalano (visible sur le site Wikipedia)
 Après avoir débuté sur la Sicile, Grandi Navi Veloci (à ne pas confondre avec le Grimaldi Lines homonyme du groupe Aponte) s'est installée sur les lignes sardes au départ de Genova dans les années 1990 avant de passer sous le contrôle du même groupe que la SNAV en 2010 ; ici, le Fantastic, mis en service en 1996.

Une année 2012 qui a amplifié la chute vertigineuse des trafics déjà enregistrée en 2011 pour le maritime, 2013 sera-t-elle l'année du sursaut ?

L’arrivée progressive de nouveaux opérateurs maritimes sur les lignes sardes depuis le début des années 1980 s’est accompagnée d’un développement très conséquent des trafics passagers jusqu’en 2009-2010. Depuis 2011 en revanche, la chute est vertigineuse : le graphique ci-après à droite illustre la baisse de fréquentation enregistrée mois auprès mois sur les ports du Nord Est de la Sardaigne ; celle-ci s’élève à 23,2% pour 2011 et atteint même 30,0% pour Olbia, le principal port de Sardaigne. Après cette année catastrophique, on aurait pu attendre des résultats plus honorables en 2012. Il n'en a rien été, l'année 2012 amplifiant même, mois après mois, la chute : les résultats ont été encore bien pires puisqu’une nouvelle réduction de 16,5% des trafics passagers maritimes d’Olbia, Golfo Aranci et Porto Torres a été enregistrée sur l'année entière ! Le trafic annuel des ports du Nord Sardaigne sur les lignes régulières (hors croisières) est ainsi passé en deux ans, de 2012 à 2012, de 5,74 à seulement 3,68 million ; à titre de comparaison, le trafic continent-Corse est passé sur la même période de 4,40 à 4,13 million : bien qu'également en légère diminution (-1,6% en 2012 après -4,7% en 2011), il a donc "doublé" le trafic sarde courant 2012 !


Plusieurs causes ont été avancées dès l’année 2011 pour expliquer une telle chute :

- le développement de l’offre aérienne low-cost à destination de la Sardaigne, qui concurrencerait durement le mode maritime. Alors que sur la Corse, le mode aérien est dominé par le maritime dont les prix avaient jusqu'ici été tirés vers le bas par l'aide sociale au passager aujourd'hui en instance de disparition (voir article dédié au sujet), sur la Sardaigne, l’aérien a progressivement grignoté des parts de marché : il est passé de 38% en 1987 à 49% en 2009 selon l’Autorità Portuale Nord Sardegna.
- le renchérissement des tarifs des compagnies de ferries sur la Sardaigne – bien réel mais moins spectaculaire que mis en avant par certaines associations si l'on raisonne sur des moyennes. Si les prix ont effectivement significativement augmenté, les taux de progression spectaculaires à trois chiffres mis en avant par une association de consommateurs italienne et fortement relayés par les médias sont aussi à rapprocher d’un phénomène de fin des promotions exceptionnelles – du type « voiture à 1 euro » - héritées du temps - encore proche - où le pétrole était relativement bon marché. Pour autant, l'autorité antitrust italienne, a finalement infligé des amendes à plusieurs opérateurs privés pour entente illicite visant à constituer un cartel pour faire augmenter les prix pendant la saison 2011. Ainsi, la Moby - qui a fait appel - a-t-elle été condamnée à l'amende la plus lourde (5,46 millions d'euros) devant GNV (2,37 millions), SNAV (0,23 million) et Marinvest, la holding chapeautant GNV-SNAV (43000 euros) ; en revanche la Corsica-Sardinia Ferries a été disculpée. Au-delà toutefois des pratiques peu concurrentielles de la Moby et de GNV-SNAV, demeure le diagnostic (qui aurait valu aux compagnies condamnées une certaine clémence au niveau des amendes, réduites de 30% par rapport aux montants initialement calculés, souligne l'autorité antitrust) : les grandes difficultés des compagnies maritimes qui opèrent sur la Sardaigne sont bien réelles, comme en attestent tristement :

- les suppressions de lignes (par exemple, la SNAV, présente jusqu'en 2010 sur Civitavecchia-Olbia et qui ne dessert plus du tout la Sardaigne, ou encore la Sardinia Ferries - qui a également réduit drastiquement  à 1 seul navire sa desserte courant 2012 alors qu'elle en a compté jusqu'à 4 sur la Sardaigne par le passé) et les faillites en série (après Di Maio Lines et Strade Blu, c'est au tour de Armamento Sardo, spécialisée dans le transport du fret entre Olbia et Marina di Carrara, de mettre la clef sous la porte fin 2012) ;

- le creusement des pertes des opéreteurs en présence, malgré la forte hausse des tarifs observée : ainsi, l’exemple de GNV qui a perdu 19 millions d’euros en 2009, puis 38 millions en 2010 et, enfin, 54 millions en 2011 (certes sur un périmètre d’activité plus large intégrant également la compagnie SNAV [5]) est-il assez éloquent. Aux dires même des dirigeants de la compagnie, la Sardaigne n’est désormais plus au cœur de la stratégie du groupe qui juge plus porteur de développer ses activités sur les lignes avec la Sicile et ses autoroutes de la mer entre l’Italie continentale, l’Espagne et les pays du Maghreb  : fin mai 2012, la compagnie a d'ailleurs pris le relai de la COMANAV-COMARIT, en cessation d’activité, sur les lignes entre Sète, Nador et Tanger, au Maroc ; début 2013, elle a annoncé qu'elle ne desservirait plus la Sardaigne que sur l'axe Genova-Porto Torres, les liaisons entre Genova et Olbia étant, à leur tour, suspendues sine die faute de réservations suffisantes ! En outre la compagnie, qui prévoit des réductions d'effectifs, tente de se séparer de plusieurs navires ou de les affréter à d'autres opérateurs disposant de moyens publics conséquents leur permettant de faire face à la crise, comme en témoigne la location jusqu'à l'automne 2014 de l'Excelsior à la SNCM.

Plus encore que ces phénomènes liés à l’offre aérienne et aux tarifs du maritime déjà mis en avant depuis 2011, c’est sans doute plus généralement la récession économique qui touche un nombre croissant de pays européens depuis la crise Grecque de 2008 qui pèse fortement sur le tourisme et explique cette nouvelle chute. Une enquête de la fédération hôtelière italienne montrait ainsi qu’en 2012, six Italiens sur dix ne devraient pas partir en vacances. Ainsi, ils seraient 6,2 millions de moins à être partis en congés cette année-là (27 millions en 2012 contre 33,2 millions l’année précédente selon cette même source), ce qui constitue une baisse historique.

L'accostage du Moby Otta à Livorno, en juillet 2008, en provenance d'Olbia ; photo : Romain Roussel
Pour la saison 2013, le Moby Otta, est avec son jumeau le Moby Drea, affecté à la desserte de la ligne Genova-Olbia sur laquelle n'opère désormais plus par ailleurs que la Tirrenia qui dépend elle aussi du même groupe...

Sans doute le mode maritime est-il aussi plus particulièrement touché car la hausse du prix des carburants incite les vacanciers à un usage plus modéré de leur véhicule et donc à moins recourir aux services des compagnies de ferries. En 2012, s’y ajoutent les effets induits par la forte réduction des capacités et des fréquences de desserte de la part des compagnies maritimes (moins d’offre tendant à déprimer la demande), nouvelle preuve des réelles difficultés rencontrées par les opérateurs de ferries, contraintes de réduire drastiquement leurs services. Ainsi, la Moby, pourtant leader du transport passagers sur les lignes sardes, avait-elle fortement revu à la baisse sa programmation en 2012 par rapport à celle proposée les années précédentes. Cela passe à la fois par un raccourcissement des périodes de desserte (la ligne au départ de Genova vers Olbia qui était desservie à l'année est désormais suspendue en basse saison depuis l'hiver 2011-2012) et par une réduction du nombre de traversées opérées en saison. Par exemple, sur la ligne Livorno-Olbia, la Moby est passée en 2012 de 3 à 2 départs par jour en pleine saison et ce, alors même que la Sardinia Ferries a également retiré un navire sur la ligne Livorno-Golfo Aranci en concurrence directe avec cette dernière ! Des réductions de capacité très significatives, passant par le retrait de plusieurs navires, ont aussi été observées sur les axes Genova-Porto Torres et Civitavecchia-Olbia pendant la saison 2012.

C’est ainsi qu’on est passé en deux ans à peine d’une situation où les différentes compagnies luttaient pour disposer de postes à quai supplémentaires dans les ports d’Olbia et Golfo Aranci – dans ces deux ports, les espaces disponibles aux heures de pointe étaient insuffisants pour répondre à la demande des opérateurs de ferries – à une situation de surabondance d’offre, et de réduction drastique des fréquences et de la taille des flottes des compagnies. La Moby a ainsi créé la surprise en se séparant dès l’hiver 2011-2012 de l’un de ses fleurons, le Moby Freedom, ce qui n’est pas non plus sans conséquence sur les lignes de Corse (ses capacités sur la ligne Genova-Bastia s’en trouvant fortement réduites, voir article spécifique). Pour la saison 2013, les compagnies rescapées de la vague de faillite ont toutefois mis sur un programme plus volontariste : la Moby est ainsi remontée de 2 à 3 départs par jour sur Livorno-Olbia, suite à l'affrètement d'un cargo mixte supplémentaire, tandis que la Sardinia Ferries a également programmé en dernière minute le Sardinia Vera, essentiellement pour le transport du fret là aussi, en renfort du Mega Express Three sur Livorno-Golfo Aranci. Cela suffira-t-il à endiguer la baisse globale des trafics maritimes ? Rien n'est encore sûr...  

 

La Moby rafle la mise à l’issue du processus de privatisation de la Tirrenia qui s’est achevé à l’été 2012 mais la marque à la baleine bleue tendrait à s'effacer devant l'ex-compagnie publique en vue d'une possible fusion évoquée pour 2014

Olbia, février 2007 ; photo : Cap. Eustachio Patalano (visible sur le site Wikipedia)
Le Sharden, filant 29 noeuds, est l'un des cinq navires de type Mega Express propriété de la Tirrenia. Inauguré en 2005, sa capacité record de 1085 voitures et 3000 passagers
en fait, avec son jumeau le Nuraghes, l'un des plus gros navires de ce type au monde (avec le Tanit de Tunisia Ferries).

La réorganisation de la flotte de la Moby ne devrait pas s’arrêter à la vente du Moby Freedom et de certaines de ses unités fdédiées au fret, de nouvelles rationalisations étant à l'étude maintenant que la Tirrenia a rejoint l’orbite du groupe. En effet, au terme d’un processus de privatisation qui a pris quatre ans et subi de nombreux rebondissements, l’acte de cession de la compagnie publique à la Compagnia italiana di navigazione (CIN) a été signé le 19 juillet 2012. Cette « compagnie italienne de navigation », conduite par un administrateur délégué, Ettore Morace, est en fait largement dominée par la Moby Lines, qui en détient 40% des parts, le reste étant morcelé entre divers fonds d’investissement (Clessidra 35%, Gip 15% et Shipping Investments 10%).

Comme pour la privatisation de la SNCM il y a quelques années, la cession de la Tirrenia s’accompagne de conditions que plusieurs observateurs s’accordent à trouver très avantageuses. Si la compagnie est tenue de reprendre les 1600 salariés du groupe – couverts par une « clause sociale » garantissant leur emploi pour deux ans – elle n’hérite par exemple pas des navires de type NGV, qui ont été liquidés préalablement après plusieurs années d’inactivité. Elle reprend ainsi une flotte de près d'une vingtaine de navires – dont 5 Mega Express modernes de grande capacité en propre (voir photo du Sharden ci-dessus qui compte un jumeau, le Nuraghes) et 2 affrétés – des participations dans diverses sociétés du secteur maritime et se voit garantir des subventions annuelles de 72,6 millions d’euros par an jusqu’en 2020 (soit 576 millions d’euros au total) en contrepartie notamment du maintien de la continuité territoriale vers la Sardaigne et la Sicile (au minimum 55 rotations hebdomadaires). Quant au coût d’acquisition de la société, qui atteint 380 millions d’euros au total, son paiement est divisé en plusieurs tranches, pour faciliter l’opération : 200 millions dès la reprise de la compagnie (dont 190 millions seraient financé par le consortium bancaire Unicredit – Intesa Sanpaolo) et 180 millions payé ultérieurement en plusieurs vagues successives.

À noter que le schéma précédent de reprise de la Tirrenia avait été retoqué par les autorités garantes de la concurrence car il associait, en sus de la Moby, deux autres opérateurs majeurs des lignes sardes, à savoir les groupes Aponte (GNV-SNAV) et Grimaldi Holding (Grimaldi Lines) et risquait donc d’aboutir à un quasi-monopole privé sur les lignes sardes (seule la Corsica – Sardinia Ferries demeurant en dehors de l’opération ainsi que, fait notable, la région Sardaigne). Le schéma actuel a été approuvé par la Commission européenne, moyennant quelques ajustements qui visent à éviter la constitution d'un monopole sur certaines routes. Ainsi, sur la ligne Genova-Porto Torres sur laquelle opère déjà la Tirrenia, la Moby a-t-elle dû renoncer à son accord de "partage de codes" qui prévoyait une commercialisation commune de ses traversées avec celles de GNV-SNAV et a dû se désengager totalement de cette liaison qu'elle ne dessert plus pour la saison 2013. Toutefois, la Moby peut compter sur le report des passagers de GNV qui a fermé sa ligne Genova-Olbia tandis qu'elle même prévoit opportunément de doubler le nombre de rotations les jours de pointe en saison, opérées par les Moby Otta et Moby Drea (voir photo ci-dessus). À l'inverse, suite au retrait imposé de la Moby et à la disparition de la Saremar de la ligne Savona-Porto Torres, GNV a vu deux de ses concurrents disparaître de l'axe Genova-Porto Torres sur laquelle elle n'est plus en concurrence qu'avec la Tirrenia en 2013 ! De même, en 2013, suite au retrait successif de tous ses concurrents, la Moby n'est plus en compétition qu'avec la Tirrenia-CIN, qui dépend du même groupe, sur l'axe Civitavecchia-Olbia qui est pourtant un axe majeur de la desserte maritime sarde en termes de nombre de passagers transportés ! Aussi, s'il n'y a plus d'accord de "partage de codes" entre les compagnies Moby, GNV-SNAV et Tirrenia-CIN, certains observateurs du dossier font remarquer qu'il semble y avoir de fait une certaine répartition des lignes entre ces opérateurs. La Commission européenne aurait d'ailleurs ouvert une enquête sur les conditions de privatisation de la Tirrenia, pour vérifier si elles sont bien conformes aux règles communautaires de la concurrence...

Parmi les symboles fort de la nouvelle Tirrenia - annoncé par Vincenzo Onorato, PDG de la Moby Lines, en personne – figure en tête de liste la relance des lignes sardes au départ du port de Cagliari, dont on a vu qu’il n’occupait plus qu’une place très secondaire sur l’île. Aussi, la compagnie a-t-elle affrété dès la fin juillet 2012 deux navires rapides modernes et de de grande capacité, les Europa Palace et Olympia Palace à la compagnie grecque Minoan Lines [6], renommés pour l’occasion Amsicora et Bonaria. Ces navires, dont les noms ont été choisis en hommage à la Sardaigne, assurent désormais la desserte nocturne Civitavecchia-Cagliari à la place de navires plus anciens de type Strade Romane comme le Nomentana qui ont quitté depuis peu la flotte de la Tirrenia.

L'Amsicora en mer, en août 2006, lorsqu'il s'appelait encore Europa Palace et naviguait sous les couleurs de Minoan Lines ; photo : Bogdan Giuşcă (visible sur Wikipedia)
La relance de la CIN passe aussi par celle du port de Cagliari dont la desserte s'est très vite vue dotée de deux navires performants et de grande capacité ; ici, l'Amsicora avant qu'il n'arbore le logo et la marque Tirrenia.

Pourtant, toutes les nouveautés voulues par le PDG de la Moby n'ont pu voir le jour, ce qui serait, selon certains observatuers, la preuve de dissensions entre les nouveaux actionnaires de la CIN. Ainsi, Vincenzo Onorato avait-il annoncé pour octobre 2012 le passage du Moby Tommy de la flotte Moby à la flotte CIN – navire rapide gros consommateur de carburant dont la Moby essayait de se séparer depuis plusieurs mois déjà - pour assurer la desserte entre Napoli et Cagliari. Le navire avait même été repeint à cet effet dans une livrée inédite superposant les couleurs "Moby-Tirrenia" pendant l'hiver 2012-2013 mais n'a pourtant jamais navigué pour le compte de l'ex-compagnie publique ! Il a finalement retrouvé ses couleurs Moby et navigue entre Civitavecchia et Olbia pendant la saison 2013. N'a pas non plus été encore donné de date pour l'ouverture de la ligne Genova-Livorno-Cagliari, également annoncée à terme comme un projet de relance du port de Cagliari... Relance qui apparaît comme de plus en plus incertaine, la région sarde souhaitant récupérer le pouvoir d'allocation de l'enveloppe de continuité territoriale actuellement dévolue à la Tirrenia-CIN, ce que la compagnie ne serait semble-t-il prête à accepter qu'en échange d'une révision à la baisse de ses obligations de service public (et, corrélativement, de ses effectifs).

Par le rachat de la Tirrenia-CIN, il semble que le PDG de la Moby Lines ait avant tout visé une optique de concentration du secteur italien des ferries : rappelons qu'en parallèle, la même Moby Lines s'est portée acquéreuse de son prioncipal concurrent, la Toremar, sur les lignes Italie-Ile d'Elbe sur lesquelles les deux compagnies sont désormais de fait en quasi-monopole (plus précisément, en monopole d'octobre à avril et en position fortement dominante en saison, voir l'article thématique). Si la compagnie à la baleine bleue a réduit un peu sa présence sous ses propres couleurs, elle viserait en fait une fusion avec la Tirrenia en théorie "d'ici avril 2014", comme l'a laissé entendre à plusieurs reprises aux médias italiens Vincenzo Onorato. Selon lui, ce serait le seul moyen réaliste d'abaisser les coûts et même la condition sine qua non du financement par les banques du rachat de la Tirrenia par le groupe Moby ! De nouvelles réductions d'effectifs et du nombre de navires en circulation dans les eaux italiennes sont donc à craindre à assez brève échéance...


GoinSardinia, nouvel opérateur des lignes continent-Sardaigne, au cœur de la guerre des prix et de la desserte que se livrent les compagnies

Le Kriti II, navire jumeau du Kriti I qui desservira les lignes sardes pendant l'été 2013, au port du Pirée en février 2011 ; photo : Romain Roussel.
Le
Kriti I, ancien ferry japonais propriété d'Anek Lines, va desservir la Sardaigne sous pavillon grec pendant l'été 2013 sous les couleurs de la flotte gallurèse de GoinSardinia qui a pris le relai de la Saremar entre l'île et le continent.

Dans ce contexte fortement chamboulé des lignes sardes, l’arrivée de la Saremar sur les lignes continent-Sardaigne à l’été 2011 sous l’impulsion de cette région insulaire a joué les trouble-fête. La région entendait ainsi répondre à l’inflation des tarifs des ferries et limiter la baisse – déjà annoncée alors – des flux touristiques de l’île. Si l’effet modérateur sur les tarifs a visiblement plutôt porté ses fruits, l’arrivée de la Saremar sur ces lignes « longues » [7] n'a, semble-t-il, pas eu l’effet de relance escompté sur le trafic passagers de l’île au vu des trafics passagers observés. Peut-être a-t-elle-même accéléré le retrait de navires de la part des opérateurs privés sur la liaison Civitavecchia-Sardaigne ; son effet global sur l’offre de transport maritime apparaît donc ambigu. À noter que la Moby Lines a intenté une action en justice visant à bloquer à quai la flotte sarde (qui était composée pour la saison 2012 de trois navires mixtes affrétés, les Dimonios, Scintu et Coraggio) qu’elle accusait de « concurrence déloyale » en raison d’une suspicion de soutien financier de la région sarde à la compagnie qui portait ses couleurs... De fait, la saremar n'a pu reprendre la mer en 2013 et que ses navires ont justement été affrétés par certains de ses concurrents privés depuis l'hiver 2012-2013 : ainsi, le Dimonios a depuis successivement navigué aux couleurs de GNV puis de la Tirrenia tandis que la Scintu opère désormais pour le compte de la Moby Lines entre Livorno et Olbia... Certains observateurs font remarquer que ces affrètements apparaissent fort opportuns de la part de compagnies par ailleurs réputées en surcapacité sur les lignes italiennes et qui louent elles-mêmes plusieurs de leurs bateaux à d'autres compagnies étrangères (par exemple, le Maria Grazia On. de la Moby, quasi-jumeau du Scintu, est affrété par la compagnie espagnole Acciona Trasmediterranea sous le nom d'Albayzin ou encore l'Excelsior, affrété par la SNCM à GNV).

Pour palier l'absence de la Saremar sur les lignes Sardaigne-continent, les socioprofessionnels de la côte gallurèse ont choisi d'affréter eux-mêmes un navire à la compagnie grecque Anek Lines, elle aussi en difficulté financière (pour mémoire, il s'agit de la même compagnie qui a loué le El Venizelos à la SNCM). Le navire choisi, le Kriti I, va naviguer en alternance sur les lignes Livorno et Civitavecchia-Olbia jusqu'à la fin septembre 2013 ; le nom commercial de la compagnie atteste quant à lui de la volonté de relancer la destination (les deux tiers des places sont réservées aux personnes qui choisissent une formule incluant l'hébergement sur l'île) : elle a été baptisée
GoinSardinia ! Les rotations du navire auraient dû commencer début juin, elles n'ont finalement pu débuter que le 15 juin (les passagers de la première traversée du 13 juin qui n'avait pas été décommandée à l'avance ont été reroutés sur la Moby). 

Quels enseignements de l’expérience sarde pour les lignes de Corse ?

Le Mega Expres Three en partance pour Golfo Aranci, à Livorno en août 2012 ; photo : Romain Roussel
Capable de filer à 30 noeuds et plus gros navire de la compagnie, le Mega Express Three est, depuis sa mise en service en 2004, le fer de lance de la Corsica-Sardinia Ferries sur ses lignes sardes, au départ de Livorno. La compagnie aux bateaux jaunes est le seul opérateur privé sur ces lignes à ne pas avoir été reconnu coupable d'entente pour faire augmenter les prix.


Trois enseignements principaux pour les lignes de Corse peuvent être tirés de l’expérience sarde, dont on a vu que la desserte maritime était plus fragile qu’on ne pouvait l’anticiper il y a peu :

- Dans un contexte marqué par un cours des combustibles durablement élevé, une attention particulière doit être portée par les décideurs politiques aux choix qui pourraient avoir des conséquences inflationnistes sur le prix du transport maritime. La suppression annoncée de l’aide sociale au passager sur les lignes de Toulon et de Nice, qui permettait aux voyageurs de bénéficier de prix plus bas que par le passé, et l'instauration annoncée de prix planchers pour le transport du fret sur l'axe Toulon-Corse risquent ainsi de jouer de manière contre-productive sur l’économie Corse et sur le secteur touristique en particulier.

-  Par ailleurs, il convient de veiller à ce que la structuration des lignes de Corse dans le cadre de la prochaine organisation du service public n’aboutisse pas au final à une trop grande concentration de lignes au profit d’un même opérateur privé (pour mémoire, tous les opérateurs reliant la Corse au continent sont désormais détenus en majorité par des intérêts privés, y compris la SNCM depuis fin 2005). 

- Le risque « systémique » en cas de remise à plat du système à très courte échéance ne doit pas être sous-estimé. Celui-ci apparaît élevé sur les lignes de Corse dans leur ensemble, que ce soit pour la SNCM ou pour les compagnies reliant la Corse à l’Italie, qui ne sont actuellement pas subventionnées. En effet, les compagnies opérant à la fois sur les lignes sardes et corses (Corsica Ferries et Moby Lines) font déjà face depuis deux ans à un violent retournement du marché sur les lignes au départ d’Italie vers ces deux îles ; un redéploiement éventuel de leurs flottes respectives sur ces lignes n’apparaît donc pas économiquement réaliste à ce stade. Il convient donc de laisser le temps aux compagnies - qu'elles soient délégataires de service public ou non - de s'adapter à la nouvelle donne, les choix de desserte gagneraient donc à être définitivement validés sans tarder, la nouvelle concession devant commencer début 2014...

 

[1] Les ports du Nord Sardaigne sont regroupés au sein d’une entité, l'Autorità portuale Nord Sardegna, contrôlée depuis plusieurs années déjà par la Moby Linesqui est devenu depuis le milieu des années 2000 le premier opérateur de ferries sur les lignes sardes en nombre de passagers transportés. Pour cette analyse des trafics 2012, on néglige les trafics du port d'Arbatax, habituellement peu élevés (à peine 50 000 passagers en 2009, avant la crise) et non encore publiés à la date d'actualisation de cet article.

[2] La compagnie, fondée fin 1936, a son siège à Napoli (Naples, en Campanie). C’était jusqu’à sa privatisation récente l’opérateur public des lignes sardes (l’équivalent italien de la SNCM donc, qui a également été privatisée fin 2005), dépendant du groupe Fintecna.

[3] La Tirrenia relie le plus grand nombre de ports sardes (Olbia, Porto Torres, mais aussi Arbatax et Cagliari) à divers ports continentaux (Genova, mais aussi Civitavecchia et Napoli). À noter que, fret mis à part, l’ex-compagnie publique ne dessert plus de longue date le port de Livorno – sur lequel la Corsica – Sardinia Ferries et la Moby sont solidement implantées - , qu’elle reliait encore à Olbia (ainsi qu’à Bastia) jusqu’au milieu des années 1970. Par ailleurs, la Tirrenia relie également la Sicile au continent italien depuis les ports de Palermo, Trapani ainsi que Catania pour le fret.

[4] La liaison Civitavecchia-Golfo Aranci a été suspendue en 2012 pour une durée indéterminée en raison de la crise du secteur. À sa création, la Sardinia Ferries a pris le relai de la Trans Tirreno Express sur la ligne Livorno-Olbia, dont elle a repris un navire qu’elle a exploité jusqu’à sa vente en 2006, le Sardinia Nova. Le port de Golfo Aranci a été substitué par la compagnie aux bateaux jaunes à celui d’Olbia en 1990 en raison de sa plus grande proximité du continent et de ses coûts d’escale plus réduits.

[5] Du fait de cette intégration des deux compagnies passées en 2011 sous le contrôle du même groupe (Marinvest, lui-même dépendant du groupe Aponte qui contrôle aussi les croisières MSC), le chiffre d’affaires de GNV est passé de 282 millions en 2010 à 365 millions en 2011. À noter que ce rapprochement de GNV et SNAV s’est traduit par une stricte rationalisation des lignes, la SNAV s’étant retirée en 2011 de la desserte entre Civitavecchia et Olbia sur laquelle elle était entrée en 2008 avec deux ferries de grande capacité (les SNAV Lazio et SNAV Toscana), désormais affectés aux lignes siciliennes de la compagnie. La liaison Civitavecchia-Olbia du groupe a été effectuée en 2012 par le SNAV Toscana (qui assurait en 2010 des escales estivales hebdomadaires avec Porto Vecchio) sous la marque commerciale GNV-SNAV avant de totalement disparaître en 2013, laissant la Moby et la Tirrenia-CIN, qui dépendant du même groupe, seules en lice !

[6] Construits aux chantiers italiens Fincantieri de Sestri Ponente en 2001, ces deux navires de 214 mètres de long capables de filer à plus de 29 nœuds disposent de 190 cabines et 108 fauteuils et peuvent embarquer soit 730 voitures, soit 110 voitures et 123 semi-remorques de fret ; leur vitesse commerciale sur Civitavecchia-Cagliari est toutefois moindre (22 à 23 noeuds). À noter que la compagnie Minoan Lines utilisait jusqu’à présent ces navires sur la ligne italo-grecque Venise-Patras, désormais fermée en raison de la crise, et que cette compagnie est contrôlée par le groupe Grimaldi Holding, qui n’aura donc finalement pas tout perdu lors de l’opération de privatisation de la Tirrenia.

[7] La Saremar, dont les cheminées des navires étaient ornées du drapeau à quatre maures de la région Sarde (voir représentation en haut de page), n’opérait jusqu’en 2010 que sur des lignes courtes, en particulier dans l’archipel de la Maddalena au Nord-Est de l’île et sur la liaison internationale Santa Teresa di Gallura-Bonifacio qu’elle est la seule à assurer toute l’année (la présence de la Moby sur cet axe n’étant que saisonnière).


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