Mare Nostrum Corsica
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La SNCM en pleine tempête... -
Suite de l'article thématique dont la partie précédente est consultable ici :
- Acte III
: novembre 2014 - mars 2015, la SNCM en redressement judiciaire suite
à son dépôt de bilan et en quête de
repreneurs -
Alors que trois candidats sérieux ont été sélectionnés par le tribunal administratif de Marseille pour la reprise de la SNCM (MedPartners - pour Christian Garin, France Ferries - pour Daniel Berrebi et le projet de Patrick Rocca), les points cruciaux du dossier concernant la transmissibilité de la DSP Marseille-Corse, sa pérennité juridique - qui apparaissait fragile dès l'origine au vu des éléments factuels contenus dans le rapport de l'Office des transports de la Corse ayant présidé au choix de l'attribuer exclusivement au groupement SNCM-La Méridionale plutôt qu'à un trio associant aussi la Corsica Ferries - et l'extinction des demandes de remboursement d'aides à la SNCM jugées indues par la Commission européenne pour un montant de plusieurs centaines de millions d'euros.
Pour autant, cette position a fortement déplu à la
direction de la SNCM qui, dans un communiqué de presse daté du 20 mai 2015,
estimait qu'en prenant ainsi position, "le Président de La Méridionale,
filiale du groupe STEF-TFE, sort de son rôle et fait courir le risque d’un
échec du processus de reprise des activités de la SNCM. Or, le succès de ce
processus sera d’autant mieux assuré qu’il pourra être réalisé dans les
meilleurs délais pour préserver les intérêts de la Corse, du port de Marseille
et des salariés" et ajoutait même que "la Corse devra imposer à La
Méridionale
le choix du tribunal" de commerce de Marseille, qui était
annoncée pour le 10 juin, dans la foulée de
l'audience du 27 mai. Toujours selon la direction de la SNCM, une semaine juste avant cette audience du 27 mai "les trois candidats ont présenté leurs
nouvelles offres. Leur périmètre social est compris entre 780 et 900
collaborateurs" et "toutes les offres évoquent dans leur business
plan, de manière directe ou indirecte, une DSP transitoire sous forme de
sous-délégation telle que Bruxelles l’a évoquée devant les repreneurs". Et la direction de la SNCM, en la personne d'Olivier Diehl, d'ajouter dans une interview au journal Le Monde du
27 mai que "le temps de l'attente est terminé" et qu'il "ne
pense pas que de nouveaux
acteurs pourraient surgir d'ici cet automne" car la compagnie a
"déjà
fait le tour de toutes les compagnies maritimes de
Méditerranée" à la
recherche d'un repreneur. Selon lui, il fallait faire vite car "il y a
aujourd'hui de vraies chances de reprise et la perte de temps ne
nous favorise pas".
- celle de M.Garin aurait été décrédibilisée par son montage
financier : cette proposition supposait de vendre à moitié prix (25 millions
d'euros pièce) les Jean Nicoli et Pascal Paoli à l'armateur italien Grimaldi
Lines et de les lui relouer avec option d'achat pour assurer la desserte de la
Corse, ce qui au final aurait abouti à "un prix progressif très supérieur au
prix de vente initial" ! Dès lors, l'avis des administrateurs judiciaires
était "formellement défavorable" selon Le Monde à cette proposition,
qui n'avait pas non plus les faveurs du Président de l'exécutif de Corse,
toujours défenseur d'une SEM Corse et qui s'opposerait "à toute
candidature qui aurait pour conséquence le transfert de la propriété des
navires à un tiers, de surcroît à un prix notoirement inférieur à sa valeur
vénale", rapportait Le Figaro, citant une lettre de Paul Giacobbi du 21 mai
;
- celle de M.Rocca n'avait pas non plus totalement
convaincu, tout du moins dans l'hypothèse où le transporteur devrait se passer
de la DSP Marseille-Corse, comme il l'envisageait, "l'équilibre du projet ne
nous semble pas assuré" auraient écrit les administrateurs judiciaires,
rapportait Le Monde. Pour autant, selon Les Echos du
27 mai, le schéma qu'il proposait et qui consistait en la
reprise de 6 navires pour la desserte de Bastia et d'Ajaccio, plus une
rotation fret hebdomadaire sur la Tunisie, aurait eu la faveur du juge
commissaire ;
- celle de M.Berrebi, qui était en fait subdivisée en deux options (reprise de 800 ou de 537 salariés seulement selon qu'une sous-délégation de la convention de service public provisoire pourrait ou non être conclue avec La Méridionale ; dans l'hypothèse minimale, les dessertes d'Ile Rousse et de Porto Vecchio seraient abandonnées au profit de celles d'Ajaccio et de Bastia, comme dans celle de M.Rocca), ne présentait pas de faiblesse majeure et faisait donc figure de favorite. Pour autant, les relations, jusqu'ici semble-t-il tendues entre M.Berrebi et La Méridionale (le premier ayant publiquement accusé la seconde de "jouer la liquidation" de la SNCM), pourront-elles s'apaiser sous la pression générale ? M.Berrebi avait en effet tendu la main à La Méridionale rapporte Le Marin le 25 mai et, preuve d'ouverture, affirmé qu'il "ne fait pas du pavillon sur le Maghreb une condition suspensive" de son offre. Pour mémoire, il envisageait jusqu'ici un "pavillon européen" (non français et vraisemblablement maltais) pour les lignes internationales de la SNCM, seuls les officiers seraient français sur ces navires.
Ces trois offres de reprise revues ont, de nouveau, été écartées en bloc le 26 mai par le comité d'entreprise de la SNCM, dont l'avis n'est toutefois que consultatif. En parallèle, Paul Giacobbi a fait approuver par l'Assemblée de Corse le 28 mai 2015 le principe d'une subdélégation de service public de desserte maritime aujourd'hui assurée par la SNCM, afin de permettre de sauver le maximum d'emplois en faisant de la nouvelle SNCM un "sous-traitant" de La Méridionale en attendant la mise en place de la nouvelle DSP à l'automne 2016.Nouveau
coup de théâtre le 10 juin avec le rejet en bloc des 3
offres par le tribunal de Marseille suite à deux nouvelles
lettres d'intention - du groupe STEF,
déjà propriétaire de La Méridionale,
et d'entrepreneurs de Corse - sur
fond de tensions exacerbées
Le sort de la SNCM ne sera donc finalement pas tranché avant l'automne 2015 !
La tension est montée d'un cran le 28 mai 2015, Paul Giacobbi ayant aussi profité de cette séance exceptionnelle des élus corses pour fustiger de manière véhémente à la fois la direction (ancienne) de la SNCM sur les conditions de la vente du Napoléon Bonaparte et sur l'usage qui aurait été fait de cet argent (voir l'article thématique sur les suites de l'accident de ce navire, dont la remise en ligne sur les lignes italo-albanaises pour le compte de GNV-SNAV est annoncée pour fin juillet 2015) mais aussi et surtout l'Etat qui aurait selon lui "de manière constante et déterminée, soutenu, peut-être même organisé l'offre Dufour et Garin" qu'il dénonce ouvertement, considérant qu'elle "consiste à vendre des navires à un tiers, moyennant une caution, et après quelques mois d’activité à liquider et à ce moment là évidemment, avoir soustrait de l’actif des biens pour moins de la moitié de leurs valeurs". Ses griefs envers l'Etat ne s'arrêtent pas là puisqu'il affirme aussi :
- qu' "il nous a caché jusqu’au bout le procès en manquement devant le tribunal de l’Union européenne, c'est-à-dire que, parce que les sommes non pas été recouvrées ni par l’Etat, ni par nous assez vite, l’Union européenne accuse la France. … Nous risquons une amende de 200 millions d'euros parce que nous n’aurons pas recouvré assez vite, excusez du peu, et l’Etat nous a menti et nous a caché qu’il y avait ce procès. Nous l’avons découvert. Il nous a interdit de présenter notre défense. Tout ça est assez lamentable." ;
- et s'agissant des versements à la SNCM au titre de la DSP : "que l’Etat refuse toujours de nous dire que nous pouvons continuer à payer. L’UE nous dit que nous ne pouvons plus continuer à payer. Et nous avons un procès en cours. C’est la raison pour laquelle, le paiement du mois d’avril, qui devait intervenir fin mai, est retenu jusqu’à décision du tribunal". L'intégralité de ses déclarations publiques du 29 mai 2015 au sujet de la SNCM est consultable et peut être réécouté sur le site de France bleu.
Suite à cette intervention, M.Dufour a annoncé dans un communiqué de presse qu'il poursuivrait en justice M.Giacobbi pour ses propos le concernant. À noter par ailleurs que la tension est également montée d'un cran en Corse suite à la grève d'un jour (le 4 juin) des navires de la SNCM et de La Méridionale, les socio-profesionnels de l'île craignant une réédition du mouvement d'ampleur qui avait paralysé les navires de la SNCM à l'orée de la saison touristique 2014 (le mouvement social avait duré du 24 juin au 10 juillet 2014) et s'étant réunis avec le préfet de Corse pour examiner les mesures de substitution éventuelles à mettre en place pour garantir la continuité du trafic maritime.
Enfin, deux rebondissements de taille sont intervenus quelques jours avant le rendu du verdict du tribunal de commerce de Marseille le 10 juin 2015 :
- premièrement, jusqu'ici en retrait du dossier, le groupe STEF-TFE propriétaire de La Méridionale aurait fait part de son inquiétude suite à l'audience du tribunal de commerce de Marseille au sujet de la SNCM, jugeant que les trois offres de reprise examinées ne présentent "pas les gages de pérennité sociale, industrielle et économique". Aussi, STEF-TFE a officiellement demandé au tribunal de commerce de Marseille de repousser à l'automne son jugement attendu le 10 juin, rapporte Le Figaro du 5 juin 2015. Selon le journal qui cite une source AFP, cette démarche, cohérente avec les récentes déclarations du président de La Méridionale évoquées ci-dessus, pourrait même conduire le groupe de transport frigorifique à formuler une nouvelle offre de reprise de la SNCM qui concernerait "les secteurs Corse et Maghreb" et se proposerait "de reprendre 600 navigants en CDI et 200 sédentaires. Le prix proposé sera entre 15 et 20 millions d'euros" est-il précisé. France 3 Corse cite d'autres extraits du courrier de STEF-TFE qui estimerait que sa compagnie maritime "se retrouve placée au centre de la problématique et devient un élément incontournable, et potentiellement le bouc-émissaire désigné à l'avance d'une éventuelle liquidation annoncée de son partenaire si aucun projet de devait aboutir". STEF-TFE estimerait toutefois au sujet de son offre potentielle que "la construction d'une solution de cette nature n'a de sens qu'à la condition que le tribunal de commerce accepte de considérer les offres actuelles comme infructueuses et de renvoyer à la deuxième quinzaine de septembre (c'est-à-dire après la saison d'été), sa décision".
Première indication donc, le nombre de personnes reprises dans cette proposition (800 au total, et non 650 comme précédemment indiqué par certaines sources), serait similaire à celui de la variante haute de l'offre de M.Berrebi, à ceci près que dans l'offre de STEF-TFE, la subdélégation d'une partie du service public par La Méridionale serait de facto acquise. La démarche entreprise peut laisser penser que le groupe STEF-TFE pourrait envisager une fusion de la SNCM avec La Méridionale, ce qui réduirait à deux le nombre d'opérateurs entre la Corse et le continent français, qui ne serait plus desservi que par ce nouveau groupe et la Corsica Ferries... à moins d'un retour de la Moby Lines sur ces liaisons, qui pourrait constituer une opportunité à terme pour la compagnie aux Looney Tunes, une fois celle-ci elle-même fusionnée avec la Tirrenia (d'ici septembre 2015, la Moby devrait avoir racheté la plupart des parts détenues par ses coactionnaires dans la Tirrenia, ce qui ouvrirait la voie à la fusion des deux sociétés dans la CIN - Compagnie italienne de navigation qu'appelle de ses voeux depuis plusieurs années Vincenzo Onorato, le PDG de la Moby...) ;
- deuxièmement, c'est cette fois un consortium constitué pour l'occasion de huit entreprises corses de différents secteurs (BTP, grande distribution, distribution de boissons et locations de véhicules) et revendiquant "un chiffre d'affaires consolidé de plus de 1 milliard d'euros" (contre 2,7 milliards pour le groupe STEF-TFE) qui aurait écrit le 5 juin 2015 une lettre d'intention au tribunal de commerce de Marseille en vue de reprendre la SNCM. Ainsi associées, ces entreprises (SCA Corse-Leclerc, Codim, Sedda Bastia, Europcar Corse, Big Mat Bastia, GBC Ajaccio-Bastia, Gedimat Ajaccio, et enfin le groupe Baticampo Ajaccio) représenteraient selon leurs déclarations "60% du trafic maritime corse" en termes de marchandises transportées. Elles s'appuieraient sur un opérateur maritime connu (qui n'a pas été nommé) et justifieraient leur candidature tardive par "la faiblesse chronique des offres" déposées jusqu'ici, qualifiant leur propre offre de "largement supérieure" sans plus de précisions à ce stade.
Ces nouvelles offres seraient assez diversement accueillies ; le transporteur insulaire Maurizi interviewé le 8 juin par Corse Matin voulant "deux compagnies concurrentes impérativement au départ de Marseille" et ne se "réjouit pas" des deux dernières offres qui viseraient selon lui à "essayer de reporter une fois de plus les échéances, ce qui ne convient pas du tout". Dans ces conditions, le 10 juin, il n'a pas été possible au tribunal de commerce de Marseille de se prononcer en faveur de l'une des trois offres déposées dans les délais. Ce tribunal a été soumis à des pressions contraires, entre ceux qui le pressaient de statuer (la direction sortante de la SNCM menée par Transdev, les 3 candidats officiellement déclarés jusqu'ici et la Commission européenne, qui l'avait enjoint à deux reprises - dont la dernière fois, la veille de l'audience censée être décisive - de statuer avant l'été) et ceux qui le poussaient à différer son choix (a minima, les deux nouveaux candidats potentiels et plusieurs syndicats de la compagnie), le tout sur fond de tension sociale croissante. Deux préavis de grève (de la CGT marins et de la CGT des personnels sédentaires de la SNCM) avaient ainsi été envisagés à compter du 11 juin 2015 et ce, pour une durée de 24 heures reconductible, rapportait Corse Matin !
Jugeant "irrecevables" les trois offres de reprise déposées jusqu'ici, les syndicats exigeaient "un nouvel appel d'offres, lancé sans délai" afin qu'un "plan de continuation avec un périmètre plus large socialement et industriellement" puisse être bâti pour la SNCM. Ils ont finalement été entendus, et ce en dépit des injonctions de la Commission européenne (qui pourrait inflinger des amendes à la France suite à la non obtempération à ses injonctions sur ce dossier).
La procédure de reprise de la SNCM repart donc dès lors à zéro, avec le lancement d'un nouvel appel d'offres et une prochaine audience du tribunal de commerce de Marseille annoncée pour le 25 septembre 2015 pour annoncer les nouvelles propositions. Selon des observateurs du dossier, cela permettra de vérifier si les deux nouvelles lettres d'intention étaient ou non sincères et non pas seulement destinées à gagner du temps pour éviter un nouveau conflit social bloquant les lignes Marseille-Corse en pleine saison estivale, comme en 2014. Reste à espérer que, dans la négative, les plus solides des offres officiellement déposées à fin mai 2015 puisent a minima être maintenues, faute de quoi le spectre de la liquidation judiciaire se rapprocherait de la SNCM. La déclaration de Transdev formulée le 10 juin 2015 dans la foulée de la décision du tribunal pointe en effet ce risque : celle-ci "malheureusement repousse une nouvelle fois les échéances auxquelles la SNCM devra inévitablement faire face". Et Transdev d'ajouter que le contexte pourrait être encore moins favorable en septembre 2015 car "il apparait qu'une partie au moins de ces conditions pourraient ne plus être réunies à l'automne, ce qui empêcherait alors toute reprise et provoquerait une liquidation totale de la compagnie". Quoi qu'il en soit, le groupe propriétaire de la SNCM n'entend pas aller plus loin dans son soutien à la compagnie, puisqu'il affirme que : "quelle que soit la solution in fine retenue, et conformément à ce qu'il a déjà indiqué à de multiples reprises, il n'apportera aucune contribution supplémentaire au financement de la SNCM et n'ira pas au-delà des engagements pris à ce jour quant à l'abandon de ses créances et au financement de la restructuration sociale".
- Acte V : juin-décembre 2015,STEF-TFE déjà propriétaire de La Méridionale, entre en lice associé à Baja Ferries, mais finit par se retirer !
La SNCM est finalement attribuée à Patrick Rocca le 20 novembre et pourrait devenir la MCM !