Un peu d'histoire des liaisons maritimes entre Genova et Bastia...
Si des liaisons maritimes existaient de très longue date entre
Genova - Gênes, en Ligurie - et Bastia (la Corse ayant
été sous domination gênoise jusqu'au XVIIIème
siècle), le transport de passagers avec véhicules
accompagnés sur cette liaison n'a véritablement pris son
essor qu'à compter de la fin des années 1960. C'est en
effet à partir de 1968 que la Corsica Ferries,
alors nouvellement créée, a développé ses
premières liaisons entre le grand port Ligure et la Corse. Avec
le boom du tourisme Corse dans les années 1970, ces liens se
sont resserrés au fil des années jusqu'à ce que la
compagnie aux bateaux jaunes décide finalement de reporter en
1982 son trafic sur le port de Savona, distant d'à peine 35
kilomètres, pour cause de frais portuaires trop
élevés. Ce n'est qu'en décembre 1989, avec
l'inauguration de son nouveau navire amiral d'alors, le Corsica Regina (renommé Sardinia Regina depuis 1996) rejoint peu de temps après en 1990 par son jumeau, le Corsica Victoria, que les liens ont été renoués entre Genova et Bastia.
Profitant du nouveau ripage de port de sa rivale, la Moby Lines
s'est dans la foulée installée elle aussi sur la liaison
Genova-Bastia à partir de la saison 1990, qu'elle a alors
successivement desservi avec des navires de bonne taille, spécialement acquis
pour l'occasion, les Moby King et Moby Vincent. Dès lors, s'est étendue au grand port Ligure une concurrence effrénée entre Corsica Ferries et Moby Lines
(cette dernière lançant une promotion de 50% sur le
retour du véhicule qui allait lui apporter de nombreux clients)
qui avait déjà commencé dès 1983 sur
la ligne Livorno-Bastia et sur Livorno-Olbia, en Sardaigne, en 1988.
À compter de 1993, débute une crise du trafic entre
l'Italie et la Corse1 et c'est un ferry de plus petite taille, le Moby Fantasy - premier navire acquis par la compagnie depuis l'accident tragique du Moby Prince
en avril 1991 - qui prend le relai sur la ligne pour le compte de
la compagnie à la baleine bleue. La ligne Genova-Bastia voit encore son
trafic diminuer jusqu'en 1996 - année du creux de la vague, voir graphique
ci-dessous - et est ensuite
desservie selon les années par l'un ou l'autre des navires
de la flotte Moby et, notamment, par le Moby Lally,
acquis pour la saison 2000.
Avec le retrait des Moby Wonder et Moby Freedom,
le trafic passagers de l'axe Bastia-Genova a plongé en 2012 pour
retrouver pratiquement son niveau historiquement bas de 2001 !
Entre-temps, la Corsica Ferries
a de nouveau quitté Genova pour Savona en 1998 pour se consacrer
au développement du port de Vado Ligure dont elle est alors devenue concessionnaire pour une durée de 23 ans. Le Sardinia Regina ayant en 1996 rejoint les lignes sardes de la compagnie, le Corsica Victoria est désormais épaulé sur la ligne Savona-Bastia par un nouveau NGV de la compagnie, le Corsica Express Seconda,
qui réduit de moitié le temps de traversée (de 6
heures à 3 heures) et permet de multiplier les fréquences
! Dans ce contexte, la Corsica Ferries
parvient à regagner des parts de marché et à
capter l'essentiel des flux de passagers entre la Ligurie et Bastia
depuis le port de Savona alors que le trafic de la Moby
depuis le port de Genova avec Bastia tend plutôt à stagner
ou à se réduire, d'autant que c'est également la période
pendant laquelle la concurrence des NGV de la SNCM et de la Corsica Ferries
dévie une partie du trafic de Genova sur Nice, dont le port
connaît alors un véritable essor (voir page sur le développement des liaisons à grande vitesse).
1998 est également une année charnière car c'est
à l'automne de cette année-là que la compagnie aux
bateaux jaunes commande la construction de ses deux premiers navires de
type Mega Express aux chantiers Orlando de Livorno (Italie), les futurs Mega Express et Mega Express Two, qui seront livrés à temps pour la saison 2001. Au moment de la commande, la Corsica Ferries déclare qu'elle envisage de placer ces deux navires sur des liaisons mixant lignes corses et sardes (Savona-Bastia et Civitavecchia-Golfo Aranci
en traversées de jour, Savona-Golfo Aranci de nuit). La desserte
Savona-Golfo Aranci ne sera en fait jamais activée, la compagnie
préférant finalement développer de nouvelles
liaisons entre Toulon et la Corse - ce qui s'est finalement
avéré un grand succès. Pour autant, cette annonce
a sans doute incité la Moby Lines a commander à peine six mois plus tard deux navires du même type aux chantiers coréens Daewoo, les futurs Moby Wonder et Moby Freedom. Ceux-ci seront
placés sur des liaisons similaires (Genova-Bastia et
Civitavecchia-Olbia de jour, Genova-Olbia de nuit) à celles
initialement envisagées par la Corsica Ferries et inaugurées, avec un peu de retard, à l'été 2001. Les jumeaux Moby
n'ayant pu être livrés avant la fin juillet et les tarifs
ayant nettement remonté du fait notamment de l'application d'une
supplément "vitesse" (la durée de la traversée
passe de 6h à 4h45 avec les nouveaux navires), le trafic de la Moby
chute cette année-là sur Genova-Bastia à un niveau
très bas. En attendant la livraison des nouveaux navires jumeaux, le Moby Lally assure transitoirement l'interim avant d'être transféré sur les liaisons entre Piombino et l'île
d'Elbe.
Avec
le retrait des Moby Wonder et Moby Freedom des lignes de Corse, c'est
une desserte combinée de la Corse et de la Sardaigne qui prend
fin
Les Moby Wonder et Moby Freedom
ont donc été mis en service en plein coeur de la saison
2001 et avaient depuis, chaque été, assuré "en
paire" un jour sur deux une desserte combinée des ports Corses
et Sardes, au départ de Genova pour Bastia et de Genova et
Civitavecchia pour Olbia. En saison, les deux jumeaux Moby
étaient donc chacun affectés au deux-tiers sur la
Sardaigne et à un tiers aux lignes Corses selon un schéma
horaire rappelé ci-dessous, reconduit chaque
été quasiment à l'identique.
Nota Bene : le schéma représente le circuit qu'effectuaient en alternance les Moby Wonder et Moby Freedom
en 48 heures pendant les étés 2001 à 2011 ; les
flèches courtes figurent les traversées de jour, les
longues, celles de nuit. Les
vitesses indiquées à côté des flèches
sont des moyennes obtenues par simple division de la distance à
parcourir par la durée programmée de la traversée,
ce sont donc des minorants de la vitesse réelle des navires en
service sur ces trajets, car elles ne tiennent pas compte des
manoeuvres portuaires et des éventuelles limitations de vitesse
(comme c'est le cas par exemple au voisinage du port de Bastia). En pratique, les Moby Wonder et Moby Freedom naviguaient donc sans doute à une vitesse plus proche de 25-26 noeuds entre Genova et Bastia.
À noter que les deux premiers Mega Express de la Corsica Ferries
opéraient eux aussi une desserte combinée de la Corse et
de la Sardaigne durant les étés 2001 à 2003 mais
que l'aternance entre les deux îles s'effectuait non pas un jour
sur deux mais une semaine sur deux. Ces années-là, ces
navires avaient également pris le relai du Corsica Victoria
sur la ligne Savona-Bastia quatre fois par semaine, en
complément du NGV, mais à des horaires
complémentaires de ceux de la Moby
puisque le départ de Bastia s'effectuait le matin et le retour
de Savona en milieu de journée (les traversées de nuit
étant exclusivement alors réservées à la
ligne de Toulon). Si les deux Mega
de la Corsica Ferries ont ensuite navigué successivement
plusieurs lignes (notamment les traversées Bastia-Nice-Bastia de
jour à compter de 2004 pour ce qui est de la Corse et les
liaisons entre Civitavecchia, Golfo Aranci et Livorno en ce qui
concerne la Sardaigne), le Mega Express Two
est finalement réaffecté à la liaison
Savona-Bastia, cette fois à plein temps, durant la
saison 2012.
En effet, le trafic de la Corsica Ferriesentre
Savona et Bastia a très bien résisté à la
crise en 2011 puisqu'on a dénombré 4,4% de
voyageurs de plus entre ces deux ports cette année-là
(307 000 passagers selon
l'Observatoire régional des transports de la Corse). Ces bons résultats ont incité la compagnie aux
bateaux jaunes à assurer désormais un lien hivernal entre
Savona et Bastia (à raison de quatre rotations par semaine,
effectuées sans subventions publiques) et, à partir du
printemps, à affecter à cette desserte le Mega Express Two, de plus grande taille et qui offre des performances en termes de vitesse supérieures à celles du Corsica Victoria. Pour l'été 2013 toutefois, la Corsica Ferries
change quelque peu son fusil d'épaule, puisque ce n'est qu'en
juin que la desserte Savona-Bastia demeure assurée à
titre principal par le Mega Express Two. Au plus fort de la saison, en juillet-août, on assiste en 2013 au retour de la paire Corsica Victoria / Sardinia Regina
sur les lignes entre Savona et la Corse (Bastia, mais aussi Calvi) mais
à raison de 3 trois traversées quotidiennes au maximum,
contre 2 autrefois. En effet, sur cette liaison, les
résultats commerciaux atteints en 2012 semblent montrer que
la fréquence des traversées prime sur la capacité
et la vitesse du navire.
Le Mega Express Two,
qui avait déjà par le passé effectué
quelques rotations entre Bastia et Savona, a réalisé à
l'été 2012 jusqu'à 4 traversées en 24
heures (de jour comme de nuit) entre ces deux ports les reliant, le
plus souvent, à grande vitesse (4h30 à 5h de
traversée de jour et entre 6h05 et 10h30 de nuit).
Rappelons que la liaison Genova-Bastia n'a pas été la
seule touchée par la crise en 2011-2012. La crise
économique et la flambée
des cours du carburant ont rendu
inévitable une réduction des capacités de nombre
de
compagnies, en particulier sur les lignes sardes, qui très
fortement chuté depuis 2011 (voir article thématique sur le sujet).
Pour
résister à ce recul sans précédent des
trafics, tous les opérateurs en présence ont fortement
réduit leurs capacités : par exemple, pour la seule
liaison
Livorno-Sardaigne (vers Olbia ou Golfo Aranci, selon la compagnie), on
ne comptait plus en saison en 2012 que 14 traversées par semaine
pour la Moby (contre 21 en 2011) et 9 par semaine pour la Sardinia Ferries (contre 14 auparavant), soit au total un tiers de rotations en moins sur cet axe ! Le PDG de la Moby Lines,
Vincenzo Onorato, rappelait courant 2011 à la presse italienne
que les prix du carburant atteignaient désormais des niveaux
insoutenables pour les compagnies et que la Moby,
dont les pertes annuelles "avoisineraient 20 millions d'euros"
en 2010 se voyait contrainte de relever ses tarifs et de supprimer les
traversées les moins rentables. À titre d'illustration,
il rappelait aussi que, le carburant ayant plus que doublé en
deux ans, un aller-retour sur l'une de ses lignes majeures,
Genova-Olbia (desservie jusqu'alors par les Moby Wonder et Moby Freedom),
dont la longueur est comparable à un Bastia-Marseille, lui
revenait à 70 000 euros par voyage rien qu'en frais de
combustibles ! Avec la baisse de fréquentation également
enregistrée sur Genova-Bastia (-24,1% en 2011, selon l'Observatoire régional des transports de la Corse, avec seulement 186 000 passagers), c'est sans doute l'une des raisons qui a poussé la Moby a réduire la voilure et à se séparer début 2012 du Moby Freedom, vendu pour 75 millions d'euros à un opérateur Finlandais (Eckerö Line) et à ne plus opérer non plus cette ligne avec un navire de la capacité du Moby Wonder, désormais positionné entre Livorno, Piombino et Olbia. On a donc assisté en 2012 au retour du Moby Fantasy sur cet axe, sur lequel il avait commencé ses rotations pour le compte de la Moby au
début de la précédente crise, en 1993 ! Suite
à l'effondrement du trafic qui s'en est suivi en 2012 (la ligne
Bastia-Genova a chuté de 64,9%, avec à peine plus de 65
000 passagers), la Moby a elle aussi procédé à un
changement de navire puisque c'est le Moby Corse qui assure la desserte pour la saison 2013. Reprenant à peu de changements près les horaires du Moby Fantasy
de 2012, l'effet attendu en termes de trafic passagers demeure à
ce stade très incertain dans un contexte économique
toujours très difficile.