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Entretiens
 
 

Entretien avec Yves Sayag, 1992
(Caravane, trapèze et littérature)

 Entretien avec Vincent Jourdan pour l'émission "Bande à part" (89.6 FM), 18 avril 2000
(Cinéma)




 

Entretien avec Yves Sayag, 1992



Pourquoi la caravane ? Goût du voyage ?

Oui, j'ai toujours rêvé de vivre en roulotte. J'espérais toujours me faire ramasser par des bohémiens, quand j'étais petite, pour faire du cirque.

Ca vous tente toujours, le cirque ?

C'est trop dur, je ne pourrais plus que faire "ouvreuse", en clopinant... Je rêvais d'être danseuse sur les éléphants, ou d'être dompteuse de lions, des choses comme ça, très prestigieuses... Ou trapéziste; en fait c'est le trapèze qui m'intéressait quand j'étais petite. C'est le goût de se balancer, car quand j'étais petite je me balançais dans les arbres, je grimpais aux cimes des arbres. Ca me donnait des vertiges, des sensations fortes qui me sont restées. C'est purement sensitif: être en l'air, être en haut...

La littérature, pour vous, se subsitue à ces expériences physique ?

Vomitoir.

Vomitoir ? C'est peut-être plus que ça ? La littérature fait-elle partie du voyage pour vous ?

Elle fait partie du dialogue. Les dialogues qu'on a avec les gens au bistrot. Quand on n'est pas au bistrot, on monologue comme les petites vieilles dans la rue, qui se parlent toutes seules.

En général, elles radotent, ce qui n'est pas votre cas...

Oh si ! Heureusement qu'on coupe la moitié...

Revenons au trapèze.

J'ai fait ça pour rire, je me suis forcée à le faire pour prouver que je pouvais m'accrocher au  bâton, c'est 1'expression technique, mais je n'ai jamais fait de ballant. Pour ça il faut faire des pompes... Déjà qu'on perd ses muscles à trente-cinq ans, on ne s'en fabrique pas tellement après. C'est très dur le trapèze, même pour des gens jeunes et entraînés. C'est peut-être une des disciplines les plus difficiles, parce qu'il faut allier à la fois, la souplesse et la force...

Vous en avez fait récemment ?

Oui, il y a cinq ans, j'ai essayé, j'en ai fait quelques mois, j'ai appris deux, trois figures, et comme une fille m'a immortalisée dans un court métrage, en train de faire du trapèze, je me suis dit "ça y est, cela suffit, j'ai prouvé, on passe à autre chose."

Alors qu'est-ce que vous allez faire maintenant, de 1'aéroplane ?

Ah, l'année passée, j'ai fait, comment on appele ça ?,  de la bicyclette dans les airs; c'est comme une petite moto, comme un solex. Ca fait moins peur puisque dans les airs il n'y a pas d'autres motos que vous risquez de rencontrer en face... Et, quand on est suspendu en l'air, on n'a pas la sensation de vitesse qu'on peut avoir sur le macadam. J'aurais aimé faire tout, j'aurai aimé tout apprendre. Le problème, c'est que toutes ces disciplines sont extrêmement chères et qu'il faut les pratiquer assidûment. Mais si j'avais eu de l'argent j'aurais essayé tout, y compris le cheval, y compris le chant. J'ai envie d'apprendre au moins une fois. Pas pour la compétition, parce que ça ne m'intéresse pas, mais pour connaître, pour savoir comment ça se passe. Pas pour devenir champion, comme par exemple les gens qui sont forcenés au tennis (ou dans n'importe quelle discipline) - ça, ce n'est pas mon truc. Ce qui est intéressant, c'est de savoir, de pouvoir comprendre pourquoi tel geste. Je veux bien tout apprendre, j'aurais bien voulu, juste pour savoir. Ce n'est pas une curiosité de passionnelle, je n'ai aucune passion. Même professionnellement, ça ne m'a jamais intéressée. A partir du moment où j'ai pratiqué un métier, ou une discipline, 1'idée d'être obligée de faire avec toutes les contraintes que ça implique, aussi bien dans la vie privée que dans les moyens matériels, m'arrête; ça suffit. Le plaisir, mais pas les contraintes.

Mais quelquefois, pour obtenir du plaisir, il faut passer par un apprentissage.

Mais je suis pour 1'apprentissage, parceque tant qu'on apprend on est motivé. C'est après, quand il faut payer. Un amateur de timbres qui va axer toute sa vie pour collectionner des timbres, qui va voyager uniquement pour collectionner des timbres, qui va gagner de 1'argent uniquement pour acheter des timbres, c'est une ambition de sauvage.

Oui, dans le fond, vous êtes une dilettante, une éclectique.

J'aurai aimé me trouver dans les siècles où l'on obligeait les jeunes filles à apprendre le piano, la danse, 1'équitation, le chant; avoir toutes les grâces, dans ce sens-là, pas plus.

C'était l'honnête femme du XVIIIème siècle.

Pas une honnête femme, moi j'appele cela la grâce.

Quand on parle de l'honnête homme, c'est un peu cet homme qui a été inventé par les Encyclopédistes qui connaissaient un peu tout, mais sans être spécialistes de quoi que ce soit, avec une culture très vaste, générale, qui pouvait aller des mathématiques à la philosophie, au chant, à la musique, à la danse, au théâtre et à l'agriculture. Et c'est un peu cela que vous êtes...

On est loin de la caravane là... Je préfère la caravane à un appartement qui ne serait pas à moi, et qui demanderait une énergie terrible. Soit parce que l'on est dépendant des gens, soit parce que cet appartement coûte une fortune. Gérer ce bien, je trouve que ce ne serait pas valable.

Donc là vous avez trouvé une espèce d'équilibre entre l'énergie que vous voulez consacrer et...

Exactement. C'est parfaitement équilibré. Il n'y a pas à travailler pour payer des sommes faramineuses pour avoir un studio-salle de bain.

C'est votre résidence secondaire.

II y a le grand air, des archers, les gens qui vont à la pêche. Ici, on est vraiment entre deux eaux. Il y a des fouilles, il y a la Seine. C'est une lande de terre qui est très étroite, il y a de l'eau partout, y compris les peupliers qui sont gorgés d'eau et qui pourissent. Il y a les éléments: la terre, l'eau, le vent. Il y a tout. Et le tonnerre.

Vous retrouvez vos vieilles habitudes de paysanne...

Non, parce que je ne touche pas à la terre. Je ne me suis même pas penchée pour ramasser un pissenlit, faire une salade alors qu'il y en a beaucoup autour. On utilise la terre à des fins pratiques, parce qu'on a faim, mais si on va chez le marchand du coin pour acheter ses tomates, je trouve totalement articiciel de faire semblant de planter des tomates qu'on ne mangera pas. Encore une énergie gratuite. Alors que moi, je m'économise.
 



Entretien avec Vincent Jourdan pour l'émission "Bande à part" (89.6 FM), 18 avril 2000



Vous avez débuté avec Renoir dans "French-Cancan".

Bien, il cherchait des danseuses, donc on a auditionné dans un studio à Pigalle, et il y avait des centaines et des centaines de danseuses dont notamment les fameuses danseuses de French-Cancan du Moulin Rouge qui étaient vraiment très acrobatiques. Nous on dansait du French-Cancan petite famille si je puis dire, au théâtre du Mogador, tout ça était convoqué, et Jean Renoir m'a regardée et il s'est aperçu que j'avais les yeux différents, pers. Et tout de suite il a dit "Vous me la mettez à droite"; toutes celles qui passaient à droite étaient tranquilles, il ne m'a même pas auditionnée, il ne m'a même pas demandé de lever la jambe, quoi!

Vous étiez danseuse quand même!

Oui! J'étais danseuse, je n'étais même que ça à l'époque! Un jour le régisseur qui nous faisait répéter (on a répété dans un grand studio pendant trois semaines) m'a dit:" Écoute, Renoir a retenu quelques danseuses pour faire trois ou quatre petits trucs, et toi, il demande si tu acceptes de te mettre nue dans un tub." Et je me suis dit, parce que j'avais eu vent qu'il y avait des danseuses qui n'avaient pas été retenues pour des petits rôles car le régisseur les avait remplacées, donc je me suis dit, si je le dit à lui, je saute, alors je n'ai rien dit, j'ai dit oui, oui. Et puis le jour où on a dû aller au studio Saint-Maurice pour faire des essais de costumes, à Renoir, directement j'ai dit:" Écoutez, ça me dérange, j'ai dix-sept-ans, je voudrais garder ma nudité pour mon premier amoureux!" Alors il a eu comme ça un petit haut le coeur, puis très galamment, il m'a dit "Tu es une romantique! Je comprends, tu resteras quand même dans le ballet!" Alors je suis restée dans le ballet, on a continué à répéter, mais il n'y avait plus de place pour moi. Le régisseur faisait répéter ses 24 danseuses, il me disait "Toi, tu restes derrière, et puis s'il manque une fille, tu la remplaceras!" Et arrive Renoir, un jour, avec tout son staff pour cadrer Françoise Amoul qui dansait au milieu et qui était très très vaillante, parce qu'elle n'avait jamais fait ça, et elle y allait, avec une énergie extraordinaire, elle est bien d'ailleurs dans le film, et le type, gêné de m'avoir fait remplacer me dit: "Tu danses derrière, tu danses derrière!" Moi, innocemment, je m'assois à côté de Renoir, sur le banc. Il me dit: "Mais qu'est-ce que tu fais là, tu ne danses pas?" Je lui dit non. "Mais pourquoi?"
- Oh! Je ne sais pas, il doit trouver que je lève pas...
- Mais écoute, regarde Françoise Amoul, elle n'est pas danseuse, elle lève quand même un peu la jambe!"
Renoir se lève et me montrant: "Tu peux pas juste comme ça, me faire un petit battement?
- Oui! Oui! Oui! Ça, je peux le faire, bien sûr!"
Mais le régisseur dit à Renoir "Elles sont déjà 24.
- Et bien faites faire un autre costume, elles seront 25!"
Donc on a été 25.

La vingt-cinquième danseuse! Vous disiez que Renoir était quelqu'un de très poli.
 

Ah! Oui! C'était fabuleux! Par exemple s'il était au fin fond de la cantine, et s'il y avait une dame qui arrivait, ce que l'on appelait à l'époque des acteurs de complément, il se levait et la saluait en ôtant son chapeau, il se levait de sa table. Et puis alors, mais ça, paraît-il, c'est Françoise Amoul qui l'a raconté, chaque fois qu'un acteur commençait une scène, il y avait le clap et il se levait et saluait l'acteur comme on salue l'artiste avant qu'il ne commence sa scène.

Ce film est l'un des derniers grands rôles de Jean Gabin fait par quelqu'un d'important, et vous avez eu l'occasion de rencontrer Gabin.

J'ai été à côté de lui, justement, nez à nez, une chance de plus, j'étais à côté de lui dans un plan. Renoir a réussi à lui faire faire 16 fois la prise, et à chaque fois, pour que Gabin ne s'énerve pas, il disait "Ah! Excusez-moi, c'était parfait Jean, c'était parfait, le problème c'est avec l'opérateur", puis la fois suivante, "Oh! Excusez-moi Jean, c'était parfait, mais le problème c'est avec le son!" Et il lui a fait faire 16 fois la prise sans que Gabin s'énerve. O il avait une réputation de grand gueule. C'est comme une initiation, c'est comme si on montait une petite marche, on voit quelqu'un qui est extraordinaire et on est nourri par ça! Moi, je rêvais de lui la nuit, mon rêve idéal c'est quand il me serrait la paluche, alors je me disais ça y est, je baignais dans le nirvana. Et si sa femme était là, parce que c'était une petite noiraude et on en avait la trouille, vous savez, elle était un petit peu sèche, mexicaine, brune, alors là, je passais une mauvaise nuit!

La seconde grande étape comme ça, ce serait donc "Cléo de cinq à sept" d'Agnès Varda.

Oui! J'ai commencé avec elle dans "Opéra-Mouff".

Ah! Oui! Il y a eu ce documentaire.

Un documentaire sur la rue Mouffetard, et elle avait pris un couple d'amoureux. Le film a été beaucoup vu dans les cinémathèques, mais à cette époque il n'était pas commercialisé parce qu'on voyait les amoureux avec le système pileux, allant l'un vers l'autre, alors qu'on ne pouvait pas montrer cela à l'époque. Par contre il y avait des tas de plans où l'on ne savait plus si c'était le genou, si c'était l'épaule, ou des entremêlements; d'ailleurs, j'ai eu le sentiment quand j'ai vu "Hiroshima", notamment la scène d'amour "Tu me fais du mal, tu me fais du bien!", que Resnais avait repris cette idée de corps entremêlés sans qu'on puisse distinguer si c'est une cuisse...

Ou une patte?

Oui! Voilà! J'ai eu ce sentiment-là, mais c'est très beau d'ailleurs!

Cléo donc.

"Cléo" est venu après "Lola" en fait. Après "l'Opéra Mouff" j'ai rencontré Varda dans la rue, elle était avec Jacques Demy et elle m'a dit "Est-ce que tu veux jouer une petite danseuse dans Lola?" Je dis bien! Pas de problème. Elle était photographe de plateau sur "Lola". Alors je m'étais acheté ma guêpière parce que je ne voulais pas des affutiaux des studios, j'ai mis toute ma paye dedans, je n'ai rien touché comme cachet, par contre j'ai eu des photos, des photos de presse parce que tout le monde voulait cette guêpière. Les journaux ont beaucoup passé cette guêpière, cela m'a rapporté de la presse.

Vous faisiez beaucoup de photos de presse parallèlement.

Non, c'était des reportages comme ça, non, c'était un peu plus compliqué, car parallèlement il y a eu des reportages qui ont été faits sur le fait que j'étais une des premières greffées des oreilles, et c'était récent, donc il avait des reportages style "le miracle de Lourdes"; certains journalistes ont un peu exagéré en disant que j'étais sourde et muette, alors que je n'étais pas complètement sourde, puis bavarde. Effectivement je n'avais pas une bonne voix, un peu une voix blanche, ce qui m'a interdit de faire du théâtre.

Revenons à Cléo.

Dans "Opéra-Moutf" Varda avait pris un modèle de peintre, elle avait demandé à des peintes, c'est comme ça que je l'ai connue,  s'il y avait "un nu froid" dans Paris; alors ils ont dit "Il n'y en a qu'un seul, c'est Dorothée!" Elle ne voulait pas un nu érotique, elle ne voulait pas en faire une strip-teaseuse; donc elle a repris ce thème-là dans "Cléo" qu'elle a écrit pendant "Lola," et elle a repris Corinne Marchand et moi, donc elle a fait Cléo" six mois après.

"Cléo" quand on le voit, c'est un film très libre, très nouvelle vague, et ça devait être une équipe beaucoup plus légère, avec beaucoup plus de liberté que sur le tournage de Jean Renoir.

C'est-à-dire que Renoir, c'était le grand bastringue. C'était quand même avec Maria Felix qui était une grande Diva comme on ne peut pas le faire en France. Françoise Amoul a eu un petit geste maladroit, et tout de suite Felix est montée sur ses grands chevaux, elle l'a giflée, oui, oui, la grande Diva . Il faut dire qu'elle était superbe, et Françoise Amoul toute mignonne lui a offert un bouquet de fleurs pour s'excuser de sa maladresse, l'autre vraiment l'a pris de très haut! Donc c'est encore là le style star-system avec les acteurs américains... Mais Renoir avait le don extraordinaire d'aimer le petit peuple; tous les petits rôles, Dora Doll, Philippe Clay, etc, prennent beaucoup d'importance sur le plan humain dans le film. Il a été présenté par la Cinémathèque de la danse il y a une dizaine d'années sur le grand écran de l'Opéra, et alors du coup, tous ces petits rôles-là prenaient une mesure extraordinaire parce qu'on sentait l'âme de Renoir là-dedans. Je me souviens avoir fait de la figuration dans "Elena et les hommes" aussi.

Je ne savais pas ça.

Oui, il nous avait pris, il avait pris quelques danseuses pour un bal populaire, genre 14 Juillet, on dansait musette, mais il y avait un plateau d'une centaine de figurants, et il y avait ses trois acteurs, Mel Ferrer, Ingrid Bergman et puis je ne me souviens plus...

Le troisième était Jean Marais.

Peut-être! Et Renoir, l'opérateur, dit "Moi je ne peux pas cadrer, c'est impossible, ils viennent tous dans le champ, je ne vois plus tes acteurs, qu'est-ce que je fais?" Et Jean Renoir qui est un grand démagogue, on peut dire ça, a eu un truc génial, il a pris son porte-voix et puis il a dit "Écoutez, vous n'êtes pas des figurants, vous êtes tous des artistes. On vous a initialement demandé de faire des diagonales, par exemple étant en A d'aller en B, et vice et versa, mais moi, je m'en fous, si vous voulez c'est la fête, si vous rencontrez des gens que vous connaissez, si vous voulez partir avec eux bras dessus-bras dessous, vous faites comme vous le sentez!" Et alors, la technique à cette époque-là des figurants pour avoir un deuxième cachet, c'était de ne pas être à l'écran du tout, comme ça ils pouvaient servir dans une autre foule, ou alors être en amorce près de la vedette quand ils referaient des gros plans le lendemain. Donc c'était deux techniques que tout le monde a oubliées. On a tellement motivé les gens en leur disant: "Vous êtes des artistes!" qu'ils se sont baladés, qu'on a vu comme ça une foule qui s'embrassait, ça bougeait, effectivement. Tout le monde était touché comme nous, d'avoir été traité d'artiste par Renoir. Et il a gagné son coup, c'est-à-dire que personne n'est venu encombrer le champ où il y avait ses trois vedettes. Je l'ai vu traverser le plateau de Saint-Maurice, je ne sais pas combien de mètres ça fait, le matin, pour aller serrer la paluche à un machiniste. Parce que les acteurs qui le connaissaient, proches de lui sur le plan hiérarchique, venaient lui dire bonjour, mais il savait que les petites gens, comme les petites danseuses, on n'y allait pas! Donc, comme on avait toutes les mêmes costumes, on était 25, il ne savait pas, il nous retournait toute la journée "Je t'ai dit bonjour, à toi?" Il passait sa journée comme ça, il nous retournait et puis alors "Et toi, je t'ai dit bonjour?" Vous vous rendez compte! On ne peut qu'être fasciné par quelqu'un comme ça!

On va en venir à Jacques Demy; vous avez fait quatre de ses films.

Mais Demy, Truffaut, Godard, à l'époque de cette nouvelle vague, ils étaient tous copains, un peu comme vous, j'imagine, et ils faisaient tous références les uns aux autres. C'est-à-dire qu'ils s'aidaient, comme par exemple, Léaud. Je n'ai jamais su s'il était la voix de Godard ou la voix de Truffaut! Il y avait une espèce de mimétisme. Et les deux le prenaient. Je me disais "Mais il fait du Godard en ce moment ou il fait du Truffaut?" Et Demy, il faisait ça aussi comme tout le monde, et en plus lui, il avait la fidélité de ses petits personnages, si bien que chacun de ses petits personnage se retrouvait dans le film suivant.

Vous m'avez dit que vous étiez sa mascotte.

Non! Il a dit ça comme ça, c'était une boutade. Un jour je suis descendue juste pour une journée à Rochefort pour "Les demoiselles de Rochefort", j'avais juste un plan, et Varda, qui était là: "Tu viens faire quoi?"
- Je viens juste dire une phrase!
- Mais quoi?
- "Vous avez de la chance!"
- Alors ça c'est joli, c'est bien, tu as eu raison de descendre!"
Et alors quelqu'un a demandé à Demy: "Mais qu'est-ce qu'elle fout là? Parce que faire venir quelqu'un juste pour une phrase alors qu'il y avait une flopée de filles là-bas...
- Oh ben! C'est ma mascotte!"
Une façon de se défendre, mais en fait ce qu'il défendait, c'était toujours de garder une pérennité dans le temps et dans le fil de ses films, comm par exemple la ressemblance. Ses actrices se ressemblent, que ce soit Presles, que ce soit Labourdette, c'est le même personnage, et Dameux, elles ont presque le même parcours. C'est presque toutes des femmes qui ont perdu un grand amour, qui vivent seules avec une petite fille qu'elles éduquent assez sévèrement, il y a une continuité dans l'histoire. Elles se ressemblent et il les met à peu près dans la même situation. Les villes sont différentes, mais on parle toujours de Lola qui a émigré et s'est retrouvée à Caracas.

"Les Parapluies" et les "Demoiselles de Rochefort" sont intégralement chantés, donc vous avez chanté.

Oui, on recevait une petite cassette où il y avait juste notre partie, moi une phrase, que je répétais pendant toute la soirée à l'hôtel, puis le lendemain; c'était en play-back, enregistré par une chanteuse professionnelle, mais ce n'est pas facile le play-back, même une phrase. Non ce n'est pas facile de tomber sur le tempo. Je ne sais pas comment font les gens qui font tout un film en play-back.

Comme Deneuve, car elle devait tout chanter.

Oui, mais elle a répété pendant des mois, je suis sûre!

Et elle, vous l'avez rencontrée plusieurs fois.

Oui, mais on ne s'est jamais parlé.

Par contre, elle, a été marquée par vous parce que dans une interview des Inrockuptibles...

Non, non, non, c'est une interview sur Catherine Deneuve. C'est Modiano qui a parlé de moi. Pourquoi, j'en sais rien! Justement, dans le Godard c'est aussi une chose étrange, j'ai été invitée à la production pour auditionner, Godard m'avait vue dans "L'Opéra Mouff" où j'étais nue, et il me dit "Bon! Je vous ai vue dans un film mais j'aimerais bien voir un peu de visu!" Alors je lui réponds "Pas de problème!" Et je commence à me déshabiller, et il quitte la salle de production, va trouver son habilleuse et puis il lui dit "Bon. Demande-lui d'enlever son soutien-gorge." Alors j'enlève mon soutien-gorge, et quand Godard arrive, je mets les bras, vous savez comme on fait naturellement, sur les seins, et ce qui m'intimidait, c'est que je le sentais timide, alors du coup je n'ouvrais pas les bras; ce qui est drôle, c'est qu'il est parti parce qu'il était intimidé aussi. Il est ressorti, puis il a demandé à son habilleuse "Va voir comment elle est!" Alors l'habilleuse m'a dit "Tu ouvres les bras!" Et elle lui a dit "Ca ira!"

C'est dans "Une femme est une femme".

Oui, c'était pour "Une femme est une femme". Finalement, il voulait me faire faire un pastiche de strip-tease avec le chapeau melon, le duffle-coat de Belmondo dans "A bout de souffle", pour finir en collant. Je suis restée trois jours sur le plateau, c'était une boîte de nuit classique à Pigalle. Il a fait tourner Karina qui était en ravissant petit marin, et il m'a dit "Écoute, je n'ai pas le temps, on n'a plus le temps!". Je me suis dit zut! J'ai eu un contrat, j'ai été payée, c'est un peu vexant de ne pas tourner, j'ai donc fait de la figuration dans le bar, c'est tout. Finalement, quand le film a été terminé, à la projection, qu'est-ce que je vois, il avait pris ou demandé le plan de "l'Opéra mouff" à Varda.

Et vous passez dans un scopitone.

Voilà, exactement, donc ce n'était pas négatif. Je ne sais pas pourquoi cela a frappé Modiano, parce que c'est une seconde.

Quand vous tourniez avec des gens comme Demy, Varda, Godard, vous aviez l'impression de tourner avec des gens qui étaient déjà importants, qui allaient marquer à ce point le cinéma ?

Non, parce que de toute façon c'était très relaxé, ça ne se passait pas dans les maisons de production, je n'avais pas d'agent, ça se passait de gré a gré, on se rencontrait dans la rue "Tiens, toi, tu es là, qu'est-ce que tu fais, est-ce que tu veux tourner avec moi demain?" Je disais oui! Je ne discutais même pas le contrat, je prenais ce qu'on me donnait. Il n'y avait pas cette rigueur administrative qu'il y a peut-être maintenant. Mais cela dit, comme il n'y avait pas les Assédics, on ne se disait pas "Il faut faire tant d'heures pour toucher le chômage". Donc c'était une autre époque à ce niveau-là aussi.

Vous n'aviez pas encore le sentiment que vous faisiez partie de cette famille, de la Nouvelle Vague?

Non, pas du tout, je peux dire que c'était léger dans ce sens-là. On n'avait pas l'impression ni qu'on allait faire carrière, ni que rien, c'était l'impromptu, les choses qui arrivent comme ça, comme les rencontres de bistrots en fait, pareil, pas plus. Quand c'est fini, c'est fini.

Quand on lit votre livre et quand vous racontez les histoires de cette époque, on a un peu l'impression que vous avez vécu la vie de ces héroïnes, cette liberté, le bar, le Paris des années 60.

Vous savez, on m'appelait "La reine de la moleskine".

J'ignorais ça, vous avez vécu en fait la vie d'une héroïne de la Nouvelle Vague. Vous êtes d'accord avec ça?

Je n'ai rencontré que des gens qui faisaient des films d'auteurs. Si je me présentais dans une production normale avec mon petit book, comme c'est arrivé quand même quelques fois, ils disaient "Ah! Ben non! Nous, on attendait une vamp, vous n'êtes pas une vamp", ou: "Ah! Ben non, nous on attendait une ingénue, et vous n'êtes pas une ingénue!" Donc je n'étais pas du tout dans le système, les archétypes, et pour eux, ce n'était pas un problème, c'était du cinéma d'auteur. Je crois que cela vient de là.

Vous avez failli tourner dans "Ne tirez pas sur le pianiste" de Truffaut.

Oui, j'avais auditionné pour ça.

Lequel a fait tourner Boby Lapointe, et j'ai lu dans votre livre que vous avez été la voisine de Boby Lapointe.

Oui, rue de la Montagne Ste Geneviève, il habitait le 42, et moi le 40. Et comme c'était quelqu'un de très convivial, la rue était toute petite, je le rencontrais absolument tous les jours parce qu'il mettait deux heures à monter la rue: tous les bistrotiers du coin lui disaient "Eh! Boby! Tu vas goutter cette bouteille." Le temps de faire mes courses, j'étais sûre de le retrouver sur le trottoir. Le grand plaisir que j'ai eu c'est qu'un jour j'ai invité à déjeuner André Delvaux et Denise, sa femme; ils étaient à Paris, et je n'ai rien dit, je suis allée voir Boby: "Tu viens déjeuner chez moi?" Il dit: "Pas de problème!" Et je les ai présentés. Delvaux est tombé amoureux de Boby Lapointe et il lui a écrit un passage dans lequel un aubergiste raconte comment on fait "l'anguille au vert". Et c'est le dernier rôle de Boby, il est mort après. C'était dans "Rendez-vous à Braye". C'est une scène qui a été écrite pour Boby à la suite de cette rencontre, ce dont j'étais très fière.

J'aimerais, parce qu'il ne nous reste malheureusement plus beaucoup de temps, que l'on finisse par votre histoire avec Joseph von Sternberg, celui qui a créé Dietich, qui est un talent mythifié.

En 1969 il a été invité par la cinémathèque Belge, c'est-à-dire Jacques Ledoux et Denise Delvaux, qui était productrice à la cinémathèque de la RTB. Il n'a pas eu le temps de choisir son modèle, il devait tourner le lendemain. Denise Delvaux a dit: "Ah, bien, voilà, on en a un". Il n'était pas très ehureux parce qu'il n'avait pas le choix, aloir voilà, j'ai tourné avec lui comme ça. Il m'avait demandé de rester totalement immobile, il m'a appris un truc: "Je te mets des masques, comme tu parles beaucoup avec tes mains, tu touches les masques, mais tu ne joues pas avec les masques, c'est-à-dire tu ne joues pas l'anecdote. Tu restes dans ce que tu veux. Pense à une scène que tu as vécue, triste ou gaie, mais tu restes dedans toute la journée. Et tu ne t'occupes de rien d'autre. Si je te dis de regarder à droite ou à gauche, en l'air, en bas, tu m'obéis, mais tu restes dans ton truc. Je ne veux pas savoir à quoi tu penses mais tu y penses, c'est tout!  Après le tournage je suis allée donner une petite fleur pour m'excuser auprès de von Stemberg parce qu'il ne m'avait pas choisie, je suis allée à son hôtel pour lui dire au revoir avec cette petite rose. Je me suis dit "Il va me tapoter la joue en me disant Oh! bien, vous n'avez pas été si moche que ça", quelque chose de ce genre. Il m'a regardée très froidement, et il m'a dit "Don't forget me!" Il est mort six mois après.



 

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