une constitution
pour l'Eglise
Trente
cinq ans après le Concile, la réforme constitutionnelle de
l'Eglise catholique reste à faire. Le concile Vatican II (1962-65)
a défini l'Eglise comme communion d'églises locales, rappelait
dernièrement le cardinal Franz König, ancien archevêque
de Vienne. En 1978, le cardinal François Marty, archevêque
de Paris, appelait les jeunes à "construire l'Eglise comme une communion
de multiples communautés". Cette vision enracinée dans une
tradition chrétienne qui remonte aux origines et rencontre la culture
démocratique de notre temps, le Concile ne l'a pas traduite en termes
constitutionnels. Bien plus, il a laissé en place la constitution
hiérarchique de l'Eglise. La Loi fondamentale (Lex
Ecclesiae Fundamentalis, LEF) mise en chantier par Paul VI ne pouvait
la mettre en cause. A la veille du synode des évêques de 1971,
le cardinal Suenens, archevêque de Bruxelles Malines[1]
jugeait le projet « en nette régression par rapport à
l'orientation du Concile »
La
plupart des règles constitutionnelles de l’Eglise catholique sont
contenues dans le Titre II«
Constitution hiérarchique de l'Eglise » (CC.
330-472)
du code de droit canonique (CIC). La constitution de l’Eglise ne fait pas
l’objet d’un texte spécifique. Le droit canonique fonde la prééminence
des principes constitutionnels fondamentaux sur le caractère de
"droit divin" ou d' "institution divine.
A
ceux qui veulent changer la constitution de l'Eglise, que dit Jean-Paul
II?
L'Eglise
nous est donnée. Elle est, jusque dans ses institutions, qu'avec
Christian Duquoc on croirait provisoires- mystère et en tout cas
pas une démocratie. Ecoutez l'Esprit, ne refaites pas l'Eglise à
votre goût ou à votre idéologie, comme une entreprise
quelconque. Le Christ en est le chef et le pape, par délégation,
le souverain. Il lui a donné sa constitution fondamentale[2].
Comment dès lors oser toucher à l'ordre ecclésial
établi? Mais pour Herbert Haag, comme pour de nombreux théologiens
contemporains, "Jésus n'a pas pensé à une constitution
déterminée pour l'Eglise, qu'il n'a pas fondée"[3].
Que
vienne à des catholiques l'idée de se saisir de la question
constitutionnelle dans leur Eglise et, en citoyens, de rédiger une
constitution, montre avec quelle force le souffle conciliaire a oxygéné
le peuple de l'Eglise. En 1990, aux Etats-Unis, l'Association for the
rights of Catholics in the Church se mettait au travail. Quelques années
plus tard, les organisations catholiques réformatrices européennes
d'une douzaine de pays, rassemblées dans le réseau
européen Eglise de liberté (en France, Droits
et libertés dans les Eglises).
C'est
au terme de dix années de réflexion, de discussions et de
consultations qu'est rendue publique, en 1999 une Proposition
de constitution de l'Eglise catholique ("PC").
Cette
initiative constitutionnelle sans précédent s'inscrit dans
processus conciliaire de tout le peuple chrétien, auquel appelle
depuis des années Konrad Raiser, secrétaire général
du Conseil oecuménique des Eglises et à ses
côtés le Mouvement international Nous sommes Eglise
(IMWAC/MINSE), issu du référendum d'initiative populaire
pour les réformes dans l'Eglise catholique parti d'Autriche en 1995.
Au synode des évêques européens d'octobre 1999,
le cardinal Carlo-Maria Martini, archevêque de Milan et "papable",
se prononce pour un concile réformateur. C'est aussi ce que demandent
les groupes européens d'Eglise de liberté et le
MINSEà
l'issue d'un Forum tenu à Rome pendant le synode.
Sans
être une constitution détaillée, la PC revêt
la forme d'un instrument juridique prêt à l'emploi. Elle donne
une expression juridique à des aspirations fondamentales du peuple
catholique d'aujourd'hui, par-delà la diversité des cultures
et conditions socioéconomiques et que beaucoup de hauts représentants
de la hiérarchie réduisent en slogans irrecevables pour des
croyants devenus majeurs dans la foi et citoyens dans la société.
Conçue pour l'Eglise catholique romaine tout entière, elle
l'est aussi à l'usage des Eglises particulières, sans leur
imposer d'uniformité. Elle "définit le cadre dans lequel
l'Eglise catholique se gouverne": elle organise ce que le droit canonique
appelle le pouvoir de gouvernement. Le terme de Constitution a été
préféré à celui de Loi fondamentale
car "la mission de l'Eglise [est] fondée dans l'Evangile". L'Eglise,
disait le cardinal Suenens commentant la LEF, est "fondée
non sur la loi mais sur la parole de Dieu".
* La responsabilité
partagée
dans une Eglise communion
de communautés
La
PC s'efforce d'exprimer en forme constitutionnelle la vision d'une
Eglise communion: "L'Eglise est par nature communauté.. la communauté
locale.. est l'unité fondamentale de l'Eglise (III B 2.).. [l'Eglise
est] communion de communautés.. les communautés locales sont
unies dans des communions intermédiaires, le plus souvent.. le diocèse,
unies elles-mêmes dans des communions nationales unies à leur
tour dans la communion mondiale de l'Eglise catholique.. D'autres communions,
régionales ou multinationales, peuvent se constituer.." (III B 1.).
La
décision appartient à la communauté locale pour autant
que le bien de la communauté plus large n'exige pas qu'elle appartienne
à la communauté plus large
(B III a): la subsidiarité, principe fondamental de la doctrine
sociale de l'Eglise catholique, vecteur de justice et démocratie,
reconnu applicable au gouvernement de l'Eglise par Pie XII [4]
et auquel Vatican II a attaché une grande importance, devient une
règle constitutionnelle de base. On ne devra plus voir le Saint
Siège, gouvernement central de l'église, se substituer aux
autorités des églises particulières en vertu du "la
primauté du pouvoir ordinaire" du pontife romain sur celles-ci (c.
333 §1). Chaque église locale, diocésaine, nationale,
multinationale établit ses règles de gouvernement (B 3 c),
dans le respect des règles établies par les Eglises plus
larges dont elle fait partie. Les Eglises des diverses parties du monde
jouissent d'une grande liberté pour vivre leur diversité
culturelle.
Le
pape n'est plus le souverain ni le sommet d'une hiérarchie. Il devient
le ministre suprême de l'unité. La reconnaissance du ministère
d'unité "qui a été historiquement exercé par
l'évêque de Rome" (préambule, §2) est érigée
en critère de l'appartenance à l'Eglise catholique romaine.
En tournant la page du centralisme, on ouvre toute grande la voie à
la réconciliation des Eglises.
La
séparation des pouvoirs législatif,
exécutif et judiciaire est affirmée et organisée.
Elle se concrétise en particulier dans une organisation synodale
et par un système de tribunaux indépendants qui statuent
en cas d'échec de la médiation. Un système de contrôles
et de contrepoids est institué.
Les
responsables sont élus,
conformément à une très ancienne tradition chrétienne,
selon des procédures donnant voix à toutes les personnes
concernées; ils exercent leur charge pour une durée limitée
et déterminée, ils rendent compte aux instances qui
les ont choisis; toutes les composantes du peuple de l'Eglise, notamment
les femmes et les minorités, sont équitablement représentées
dans toutes les instances de direction et de décision.
* La constitution reconnaît
et garantit
les droits fondamentaux
Une
Déclaration des droits et responsabilités,
qui fait partie intégrante de la constitution, énonce l'ensemble
des droits fondamentaux en jeu dans la vie de l'Eglise. La reconnaissance
et la garantie à tous les membres de l'Eglise de ces droits, pour
la plupart inconnus ou non garantis en droit canonique, fait de l'Eglise
un peuple de croyants libres et égaux en dignité et en droits,
non plus une société à deux classes, où l'une
a le commandement et l'autre l'obéissance. Du même coup, on
tourne la page de la "patriarchie", ce que met dans une lumière
que d'aucuns trouveront crue le language inclusif utilisé: pasteur-e,
évêque, pape-sse.
Les
droits fondés dans la dignité de la personne humaine
sont énoncés dans des termes inspirés de la Déclaration
universelle des droits de l'Homme des Nations-Unies de 1948. Ce sont
entre autres le droit de suivre sa conscience informée et d'exprimer
son désaccord, la liberté d'expression et d'opinion, la liberté
académique pour les théologiens, la liberté d'association
(déjà largement reconnue), le droit de choisir son état
de vie, de mettre fin à un mariage irrémédiablement
brisé et, pour les personnes divorcées qui sont en conscience
réconciliées avec l'Eglise, de se remarier, le droit de déterminer
en conscience la taille de sa famille et de choisir les méthodes
de régulation des naissances, le droit à un procès
équitable, le droit à ce que les responsables rendent compte,
le droit de participer au gouvernement et -principe ecclésial millénaire-
de faire entendre sa voix dans les décisions par lesquelles on est
concerné.
Du
fait de leur baptême, les membres de l'Eglise se voient reconnaître
et garantir un ensemble de droits spécifiques.
La liste en est courte mais cruciale. On y relèvera le droit d'
"exercer selon les besoins et avec l'accord ou selon un mandat de la
communauté tous les services d'Eglise auxquels ils ont été
adéquatement préparés" et le droit pour les femmes
d' "exercer tous les pouvoirs dans l'Eglise".
Et
les devoirs?
Dans le CIC, nombre de droits sont en même temps des devoirs. La
Déclaration prévoit le devoir d'exercer de façon responsable
les droits reconnus. Certains souhaiteraient une Déclaration symétrique
des devoirs. Ne méconnaissent-ils pas que, dans le cadre d'un ordre
juridique d'ensemble et des décisions des tribunaux, les droits
d'un individu valent devoir pour autrui, que les droits se disciplinent
et se limitent les uns les autres? Ne méconnaissent-ils pas aussi
combien de devoirs généraux sont inscrits en creux dans les
droits, par exemple dans le droit au respect de la vie privée et
de la réputation ou dans le droit à ce que les responsables
rendent compte? Enfin les devoirs abondent dans la loi et dans la morale.
La Déclaration énonce un devoir: celui, nullement nouveau
mais trop méconnu, de contribuer à la vie matérielle
de l'Eglise.
* Une approche pastorale
de la question constitutionnelle
L'approche
pastorale qui inspire la PC ne fait que reprendre le principe suprême
du droit canonique: "le salut des âmes est la loi suprême dans
l'Eglise" (C. 1752). Elle s'exprime dès le préambule, qui
porte des affirmations fondamentales sur l'être humain, image de
Dieu, et sur ce que croient les chrétiens quant à la nature
et à la mission de l'Eglise et à l'engagement pris au baptême
d'annoncer la Bonne nouvelle. Cette approche est aussi celle du Livre blanc
pour un statut associatif de l'Eglise catholique en France[5]
publié en 1999 par Droits et libertés dans les Eglises.
Les
ministres sont des responsables
Ils
jouissent du pouvoir de décision correspondant à leur charge.
La nouveauté, c'est que les ministres ordonnés ne sont plus
les chefs de la communauté investis de la totalité du pouvoir
de gouvernement, qui ne procède plus du sacrement de l'ordre. L'ordination
sort du champ strictement constitutionnel. La PC n'en parle donc
pas mais rien dans ses dispositions ne la met en cause. Elle ne s'occupe
pas non plus du pouvoir de sanctification et de celui d'enseignement,
que le CIC réunit avec le pouvoir de gouvernement dans les
mains des ministres ordonnés.
Les
ministres, ordonnés ou pas, ont une représentation d'au moins
30 % dans les conciles. Evêque et pasteur-e sont membres de droit
des conciles diocésain et paroissial respectivement.
Les
ministres sont choisis selon des procédures donnant voix à
tous les membres de l'Eglise sur qui s'exercera leur autorité et
tenant compte des exigences de la communion universelle. L'évêque
est choisi-e par le concile diocésain confomément à
la constitution diocésaine, dans le repect des règles de
l'Eglise nationale et internationale et le-la pape-ss-e par une assemblée
de délégués des conciles nationaux multinationaux
(III, d). Emprunt démocratique mais d'abord règle profondément
pastorale qui renoue avec une tradition chrétienne des plus anciennes:
la communauté appelle. La porte est ouverte à un nouveau
rapport de la communauté et du ministre, à de nouveau profils
de ministres et à la possibilité pour les communautés
de se donner les ministères répondant aux besoins de leur
vie.
Les
ministères sont recentrés sur le service pastoral
Le
rôle pastoral n'est plus façonné par le gouvernemental
et cela correspond aux mentalités d'aujourd'hui. Les ministres portent
la responsabilité de la liturgie, de la formation spirituelle et
morale et du service pastoral en général; ils l'exercent
dans le cadre des politiques définies par les conciles. Evêque
et pasteur/e -le mot curé n'était pas féminisable-
conduisent l'équipe pastorale de leur Eglise. Le pape met en oeuvre
dans les domaines pastoral et doctrinal les règles et politiques
décidées par le concile universel. Sa primauté s'inscrit
dans le service pastoral.
* Un système synodal
La
synodalité traduit de façon particulièrement littérale
dans les institutions la vision d'une Eglise comprise comme peuple assemblé
à l'appel de Dieu.
Des
conciles représentatifs comme instances suprêmes
"Dans
chaque cercle de la communion ecclésiale -local, diocésain,
national, multinational, universel-.. il est institué des conciles
représentatifs formant l'instance principale de décision"
(III C1). C'est pour marquer leur pouvoir décisionnel que le texte
français les appelle "conciles"[6],
même pour la communauté locale -en général la
paroisse ou ses regroupements. L'instance suprême de l'Eglise catholique
romaine est un concile que le pape copréside avec une personne non
ordonnée élue.
Nous
sommes dans une coresponsabilité conçue non comme partage
du pouvoir entre clercs et laïcs mais comme la responsabilité
commune des baptisé-e-s.
Les
conciles sont élus de la manière la plus représentative
possible. Ils comptent des représentants des organisations d'Eglise.
Les conciles nationaux, multinationaux et universel sont composés
d'au moins 30% de ministres et d'au moins 30% d'autres fidèles.
Les
conciles mettent en place des organes exécutifs placés sous
leur contrôle et peuvent donner délégation à
des commissions spécialisées. Les pouvoirs décisionnels
des ministres participent de la fonction exécutive.
La
communion n'a pas paru impliquer la règle du consensus,
qui dans une constitution veut dire l'unanimité, dont on connaît
les faux-semblants et les effets paralysants. C'est la règle du
dialogue, chemin de consensus, qui a été posée:
"les délibérations [des conciles] obéissent aux principes
de subsidiarité et de dialogue" (III C1). La règle majoritaire
ne figure pas parmi les principes généraux de la constitution
qui laisse aux Eglises particulières la responsabilité de
fixer leurs procédures de décision. Avec les majorités
qualifiées (2/3 ou 3/4) requises pour l'adoption des textes constitutionnels
à partir du niveau national, on approche du consensus. Cela dit,
la règle majoritaire n'est pas neuve dans l'Eglise. En particulier
dans l'histoire des conciles. On a largement parlé de majorité
et de minorité à Vatican II. Ne peut-il sortir une vérité
d'une majorité, si l'on croit que l'Esprit est sur l'Assemblée,
comme le dit Pierre Toulat, à propos de l'élection des ministres,
à la lumière de l'expérience d'élections dans
des paroisses ou mouvements catholiques[7]?
*Ouvrons des chantiers constitutionnels
dans
nos paroisses et dans nos diocèses
La
PC est conçue comme instrument d'une prise de conscience,
document de discussion destiné aux catholiques et d'abord à
ceux qui veulent construire une Eglise fraternelle au service de l'humanité
et apte à entendre les appels du 3ème millénaire.
Elle leur présente un conception constitutionnelle d'ensemble, une
alternative claire débarrassée des ambiguïtés
de Vatican II.
Les
auteurs et promoteurs de ce texte n'ignorent pas qu'une réforme
des structures de l'Eglise demandera des étapes et qu'il faut préparer
les pas immédiatement faisables. La réforme de la primauté
papale est dans l'air. On en attend qu'elle ouvre la voie à un gouvernement
collégial de l'Eglise et à une vraie responsabilité
des Eglises locales, notamment dans le choix de leurs évêques.
En
France, Droits et libertés dans les Eglises et Nous sommes
aussi l'Eglise transmettent aux catholiques et en particulier aux groupes
réunis sur les Parvis, l'appel de l'avant-propos de la PC
au débat et à des travaux pratiques: ouvrir des ateliers
élaborant des projets de constitutions paroissiales ou diocésaines.
De telles initiatives jaillissant des paroisses, des diocèses et
se se nourrissant les unes les autres grâce à Internet seraient
constructrices d'une Eglise d'Eglises. La PC est à utiliser
en combinaison avec un autre instrument de travail: le Livre blanc pour
un statut associatif de l'Eglise catholique en France, pour une nouvelle
insertion dans l'ordre juridique national et dans la société
civile.
Hubert Tournès
décembre
1999
Proposition
de constitution de l'Eglise catholique
Association
for the rights of Catholics in the Church
Réseau
européen Eglise de liberté
version française
disponible
au secrétariat
de Droits et libertés dans les Eglises
68 rue de
Babylone, F-75007 Paris
10 F/1,5 €,
port compris
sur internet:
we-are-church.org et arcc-catholics-rights.org/
La
situation constitutionnelle actuelle de l'Eglise catholique
Editions Droits et libertés
dans les Eglises
68 rue de Babylone
F-75007 Paris
Prix, port compris: 10 F
Pr.
Dr. HerbertHaag, Universität
Tübingen, Adr. privée: Haldenstrasse 28, CH-6006 Luzern