DOSSIER
:
La situation constitutionnelle actuelle de
l'Eglise catholique
(selon le code de droit
canonique, les citations du code sont en italiques)
Un rappel des bases du mode de
gouvernement actuel fait apparaître la profondeur de la réforme du droit
canonique qu'implique une prise au sérieux de l'ecclésiologie de communion de
Vatican II. La constitution actuelle de
l'Eglise catholique peut s'analyser comme une combinaison de principes qui y
tournent le dos et que le discours incantatoire sur l'Eglise communion réussit
à faire oublier ou regarder comme non essentiels.
Les fidèles ont des devoirs d'abord,
des droits ensuite
Les droits sont ordonnés au bien de
l'Eglise. Leur exercice est régulé par "l'autorité" -sans autre
précision- (C.223). Parmi les devoirs, celui de promouvoir la justice sociale
(C 222 § 2). Parmi les droits, celui d'association et celui de faire connaître
à ces pasteurs sacrés leurs vues sur ce qui concerne le bien de l'Eglise (C.
212 § 3). Ce droit est précédé de l'obligation d'obéissance à ces pasteurs, en
tant que représentants du Christ et "maîtres de la foi et chefs de
l'Eglise" (C. 212 § 1).
L'Eglise est une théocratie
La constitution hiérarchique de
l'Eglise est d' "institution divine" ou de "droit divin" et
en particulier le pouvoir du pape et des évêques. Comme l'écrit Werner
Böckenförde[1], "Le droit canon se
fonde sur le pouvoir de gouvernement que le christ a confié à la hiérarchie..
Cela se traduit par l'attribution de la souveraineté à ceux qui ont reçu le
sacrement de l'ordre". Laissons la parole au CIC.
C.129: "Sont aptes au
pouvoir de gouvernement, qui est dans l'Eglise d'institution divine (..) ceux
qui sont revêtus de l'ordre sacré".
C. 336: -"en vertu de
"la consécration sacramentelle et de la communion hiérarchique avec le
souverain pontife, son chef.., le
collège des évêques jouit de la pleine et suprême pouvoir sur l'Eglise".
-"par la consécration
épiscopale, les évêques reçoivent la charge de sanctification et aussi les
charges d'enseigner et de gouverner" (§2).
C.391: "Il appartient à
l'évêque diocésain de gouverner l'église particulière qui lui est confiée, avec
les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire".
L'Eglise est une monarchie absolue
Le principe monarchique est
l'élément central de la constitution de l'Eglise, plus que le principe
théocratique qui sert surtout à assurer la pérennité du pouvoir établi.
"C'est aujourd'hui un lieu commun de dire qu'elle est de structure
monarchique" dit de l'Eglise l'historien René Rémond[2]
C.331: "L'évêque de l'église
de Rome, en qui demeure la charge conférée par le Seigneur, particulièrement à
Pierre, premier des apôtres et qui doit être transmise à ses sucesseurs, est
chef du collège des évêques, vicaire du Christ et pasteur ici sur terre de
l'Eglise universelle; en conséquence en vertu de sa charge, il jouit de la
puissance ordinaire suprême, pleine, immédiate et universelle sur
l'Eglise, puissance qu'il peut toujours exercer librement".
C. 333 §1 "Le pontife romain
en vertu de sa charge, jouit de la puissance non seulement sur l'Eglise
universelle mais obtient aussi la primauté de la puissance ordinaire sur toutes
les églises particulières et leurs regroupements.
C. 333 § 3: "il n'y a pas
d'appel ni recours contre la sentence ou le décret du pontife romain".
C. 360-361: "La curie
romaine au moyen de laquelle le souverain pontife traite les problèmes de
l'Eglise universelle et qui exerce en son nom et avec son autorité sa fonction
pour le bien et au service de l'église, se compose de..". Le pontife romain et la
curie romaine forment le Saint siège. La curie a une existence
constitutionnelle.
C. 375 § 1: "Les évêques
qui, d'institution divine, sont les successeurs des apôtres et par l'Esprit
saint qui leur a été donné, sont constitués pasteurs de l'Eglise
pour être maîtres de la doctrine, prêtres du culte sacré et ministres du
gouvernement".
Le concile universel n'est que le
lieu où le collège des évêques exerce solennellement son pouvoir dans la
"communion hiérarchique" avec le pape son chef (C. 337 §1). Les synodes
d'évêques ne sont que consultatifs. A tous les étages, le pouvoir personnel est
la règle. Le synode diocésain n'est que consultatif. Convenons avec Gaston
Piétri (La Croix, 5.99) que le consultatif et le délibérant ne doivent
pas être opposés comme blanc et noir, mais l'Eglise est une société de droit,
selon l'expression de Paul Valadier et un organe consultatif n'est pas un lieu
de décision. Tout dans l'Eglise catholique est soumis au droit: la foi
elle-même. Et le droit est soumis au souverain pontife: hypertrophie du
juridique, qui ne fait pas de l'Eglise une société de droit digne de ce nom.
Il faut lire les CC.749-754 relatifs
à l'infaillibilité et à "l'assentiment religieux de l'intelligence et de
la volonté" aux doctrines énoncée par le pape même non proclamées
définitives.
La distinction des pouvoirs
législatif, exécutif et judiciaire est posée mais la règle est celle de leur
cumul et elle ne s'applique pas au pouvoir papal. Quant à l'évêque diocésain,
on lit au C 391:
- §1: « Il [lui] appartient
(..) de gouverner l'Eglise particulière qui lui est confiée, avec les pouvoirs
législatif, exécutif et judiciaire, selon le droit »
-§2: il « exerce le pouvoir
législatif personnellement, le pouvoir exécutif soit personnellement, soit par
le canal des vicaires généraux ou épiscopaux (..) et le pouvoir judiciaire soit
personnellement, soit par le canal du vicaire judiciaire et des juges. »
L'Eglise est une oligarchie
Ceux qui ont reçu le sacrement de
l'ordre le confèrent à leur tour: les clercs se cooptent. Au sommet, le pape
nomme les membres du collège des cardinaux qui élisent son successeur.
L'Eglise est une patriarchie
Le titre de patriarche est absent du
code mais le pouvoir est masculin: "Seul le baptisé de sexe masculin reçoit validement
l'ordination sacrée", clé du pouvoir (C. 1024). Le mot pape en particulier est
patriarcal.
L'Eglise est une société de classes
L'égale dignité de tous les baptisés
reconnue, on débouche sur une Eglise à deux classes: le clergé détenteur du
pouvoir et laïcat, le peuple, tenu à l'obéissance (C. 212 §1), en droit strict
du moins.
L'Eglise est une hiérarchie
Sa constitution se dit expressément
hiérarchique. La répartition du pouvoir découle directement de la structure
hiérarchique du clergé, qui en a l'exclusivité. Le pouvoir de l'évêque commence
où veut bien s'arrêter celui du pape. Et quand il ne s'arrête pas.. Chef
du collège épiscopal, il nomme librement les évêques ou confirme ceux qui sont
légitimement élus. L'évêque ne peut exercer ses charges que "dans la communion
hiérarchique avec le chef et les membre du collège [des évêques]" (C. 375).
L'évêque est le supérieur du curé et des prêtres.
L'Eglise est féodale
La dimension féodale est au coeur de
la relation hiérarchique.."l'allégeance personnelle, l'investiture à vie,
qui se raréfient dans notre société restent dans l'Eglise un phénomène
dominant", écrit Jacques Maître. La dimension féodale se manifeste dans le
rapport de l'évêque au chef du collège épiscopal, par l'obligation pour
l'évêque diocésain "avant de prendre possession canonique" de son
siège "d'émettre une profession de foi et de prêter serment de fidélité au
siège apostolique, à l'Eglise catholique, à l'évêque de Rome" (W.
Böckenförde[3]). Un document revêtu de la
plus haute autorité, la Lettre apostolique motu proprio Ad tuendam
fidem, étend cette obligation aux enseignants et chercheurs en
théologie.
L'Eglise est centraliste
La préface du code de 1983 proclame
la subsidiarité comme principe fondamental, non sans évoquer le risque de
division en églises nationales. Mais le centralisme reste au coeur du CIC et la
souveraineté papale engendre une unité-uniformité. Fondement théologique sinon
historique: selon le cardinal Josef Ratzinger, préfet de la Congrégation pour
la doctrine de la foi, l'Eglise universelle précède l'Eglise locale en vertu du
caratère universel du mandat confié par Jésus à ses apôtres. Il en résulte par
exemple qu' "Il
appartient à la seule autorité suprême d'ériger des églises particulières" (C. 373), diocèses essentiellement.
En outre, la foi et la communion étant un bien commun de d'Eglise (Lettre
apostolique motu proprio Apostolos suos du 23 juillet 1997), le droit
ecclésial universel ne saurait laisser grand' chose à la décision des Eglises
particulières. Dans l'exercice de son pouvoir de nommer
"librement" les évêques, le pape peut se permettre d'ignorer les
candidats proposés par les Eglises concernées ainsi que leurs procédures
traditionnelles. Jean-Paul II s'en est rarement privé. A force de centralisme,
le pouvoir central romain cesse d'être le centre de la communion ecclésiale. Il
en vient à s'isoler du peuple qui est l'Eglise, dont une fraction grandissante
a intériorisé la vision de Vatican II, vécue dans nombre de communautés locales
mais non encore concrétisée au plan des institutions de
l'Eglise tout entière.
Le droit canonique ne suffit pas à rendre compte du mode de gouvernement
Assise sur un droit canonique qu'elle établit, la monarchie romaine a
secrété un appareil de type étatique d'une opacité de plus en plus montrée du
doigt: la curie (curia regis, cour du roi). Son contrôle est pour le moins
problématique. Le secret qui y règne favorise la conjonction du pouvoir avec
des forces -anticonciliaires de préférence. Au grand jour, des organisations
en odeur de secte se voient accorder des statuts pontificaux qui les
soustraient au contrôle de l'autorité de l'église diocésaine: ainsi, l'Opus dei
(prélature personnelle non territoriale) -dont des membres conquièrent des
sièges épiscopaux ou des postes-clé au sein de la curie romaine et aussi les
"nouveaux mouvements religieux" et "nouvelles communautés"
que Jean-Paul II a reconnus à la Pentecôte 1998 comme des acteurs privilégiés
de la "nouvelle évangélisation". Certaines d'entre elles génèrent un
clergé de tendance fondamentaliste recruté et formé dans leur sein. Les unes et
les autres se développent à la faveur de la liberté religieuse garantie par les
Etats.