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Carnaval, Toussaint et Noël : des traditions toujours vives

Depuis les temps les plus reculés, la Martinique, quelles que soient les circonstances a maintenu ces trois manifestations qui, au fil du temps, ont subi quelques modifications. En d'autres termes, le carnaval, la Toussaint et la naissance du Christ participent à la cohésion sociale, malgré les évolutions que ces rendez-vous ont subies au XX` siècle. Témoignages.

" La fête de Toussaint ancrée dans le temps"

Pierre Aliker, 92 ans, médecin-chirurgien a toujours suivi de près la Toussaint. Se déclarant athée depuis sa tendre enfance, il jette un regard sur cette cérémonie qui représente pour lui "la continuité de la famille"

. "La Martinique, à l'instar des autres sociétés du Nouveau monde a bâti de nouvelles croyances, des rites et des fêtes. Également, ces pratiques sont fortement teintées des héritages venant des trois continents d'où sont originaires les hommes qui peuplent la Martinique. Autrement dit, derrière la ferveur populaire, le recueillement et la communion accompagnant les grandes fêtes qui ponctuent la vie des personnes, se cache un syncrétisme dans les temps forts qui marquent la célébration des faits religieux. Depuis ma petite enfance, j'ai remarqué la rigueur et la ferveur qui accompagnent la Toussaint. Je trouve que c'est au travers de cette manifestation destinée à commémorer les morts que nous témoignons le plus du devoir de mémoire à l'égard de nos chers disparus. C'est bien dans cet esprit qu'il faut comprendre la célébration de nos morts dans une société où nous sommes tous des immigrés. Le culte et le suivi des morts réconfortent et donnent l'assurance que nous appartenons à une lignée. La Toussaint représente en même temps une fête chez nous, même si elle n'atteint pas l'ampleur que les Mexicains lui donnent. Nous affirmons notre identité au travers des cérémonies qui entourent la mort. Le culte des morts n'est pas un phénomène particulier à la Martinique, car dans la Caraïbe, cette cérémonie donne l'idée de la continuité, la sensation que l'on ne disparaît pas complètement de la terre. Quant à moi, depuis une soixantaine d'années, je visite les miens qui reposent dans trois cimetières : la Levée à Fort-de-France, au Lamentin et à Saint-Esprit. La création dans un an d'un incinérateur à Fort-de-France, n'entamera pas l'importance que la population attache à la Toussaint car, à la place du cercueil, elle ira se recueillir sur les cendres. Nous assistons ainsi à une mutation dans la relation aux morts. Moi, je suis athée, même lorsque j'étais enfant de chœur, je manifestais ma différence. Je crois fortement que le temps marque par son empreinte et on n'échappe difficilement aux injonctions du temps. C'est en cela que je crois que la Toussaint est un suivi, une continuité et un ancrage dans le temps

. " Le carnaval au service de la culture "

Âgée de 78 ans, Solange Fitte-Duval a consacré sa vie à l'enseignement. Précurseur de l'Union des Femmes, elle a œuvré pour la promotion culturelle à travers le carnaval et la poésie.

"Je suis née dans la rue Victoire Sévère à Fort-de-France en 1921, d'un père cordonnier qui avait participé à la Première guerre mondiale et d'une mère employée de commerce. Le fait d'avoir vu le jour en plein centre ville avait été déterminant dans ma relation avec le carnaval. Avant la seconde ,guerre mondiale, notre mère nous emmenait voir les défilés pendant les jours gras. Elle adorait les diablesses et les diablotins avec leur longue queue. Ma maîtresse qui s'appelait Germaine Joza confectionnait également des costumes pour les diables rouges. A l'époque, les "mas lamô" [masques de la mort NDLR) sillonnaient les rues durant la période du carnaval. Je n'ai jamais analysé leur rôle dans la société, mais ces personnages effrayaient les enfants par les hurlements qu'ils produisaient. Après la guerre, j'étais un peu plus grande, donc je pouvais aller voir le carnaval, car mes parents qui étaient très rigoureux sur les principes moraux ne me laissaient pas partir toute seule au défilé durant les jours gras." Quelques années après, je me suis engagée dans l'organisation du carnaval en créant ma propre association en 1952. Je l'ai appelée "La culture". parallèlement aux manifestations culturelles, je menais, avec d'autres des activités sportives en direction des jeunes. Durant le carnaval, j'organisais des bals qui réunissaient des enfants de la campagne, car entre temps, ma famille avait déménagé à Saint-Esprit où mon frère avait été élu maire. Nous faisions nous-mêmes nos bwa bwa et les costumes de carnaval. Par choix politique ou social, on habillait les enfants avec moins de faste par opposition aux familles aisées.

 

LE PLASTICIEN KHÔKHÔ

   Ainsi, à l'arrivée de la télévision en 1961, nous avions tenu à marquer cet événement. J'ai préféré favoriser le développement intellectuel des filles. En 1963, le plasticien Khôkhô a rejoint la municipalité de Saint-Esprit. C'est l'année où le cyclone "Édith" s'abattit sur la Martinique. L'année sui vante, nous avions monté un char autour de cette catastrophe. La chance nous a souri car notre char a été récompensé au cours du concours qui accueillait des groupes à Fort-de-France. Nos reines obtenaient également des victoires. J'ai dû abandonner les activités sur le carnaval quand mon frère a été battu aux municipales de 1983. Mais avant cela, dès 1973, j'avais pris la décision de ne pas présenter les adolescentes au concours de reine du carnaval. J'ai pris cette décision car je trouvais que l'on manquait de respect pour les jeunes filles et la femme en général. Je pensais qu'il était plus enrichissant de favoriser le développement intellectuel et moral des enfants, plutôt que de les présenter à un concours de beauté. L'idée qui m'animait en organisant le carnaval était que cette manifestation telle qu'elle se déroulait à Saint-Pierre, favorisait la critique sociale et le défoulement. Je suis satisfaite du renouveau du carnaval car cette manifestation témoignait de l'esprit de créativité. Mais les thèmes de chanson continuent à véhiculer une image négative de la femme."

 

 

«Noël, c'était le partage»

Pour Renée Soïme, 82 ans ancienne enseignante, " la vie a pris une autre tournure". Où sont donc passées les traditions de notre Noël d'antan, les étrennes du nouvel an?

nous habitions la commune du Marin avant la seconde Guerre mondiale. Il y a beaucoup de choses qui ont changé, même si on continue à perpétuer l'esprit de fête qui marque la naissance du Christ. A Noël, entre les deux guerres, on n'offrait pas de cadeaux aux enfants. Ce n'est que quelques jours plus tard, c'est à dire au nouvel an que l'on donnait des étrennes aux enfants. C'est après la seconde guerre mondiale que les cadeaux de Noël ont été institués. Certes Noël marquait le jour de la naissance du Christ, mais pour nous c'était le temps du partage. Nous envoyions du boudin aux voisins, aux connaissances et aux proches. La liqueur a toujours accompagné la fête. On commençait à la préparer dès la Toussaint. Ah ce bon sirop à base de groseille! On élevait le cochon longtemps avant Noël avec l'idée qu'il est destiné à être sacrifié. Pourquoi, le cochon est le seul animal qui ne s'est pas rendu à la crèche lors de la naissance du Christ.

De tous les boudins que l'on mangeait, celui que produisait M. Norlet Pérou de Rivière-Pilote était le meilleur. On allait le chercher à cheval dans le quartier Saint-Vincent où il habitait. À l'époque, le biscuit américain entrait dans la fabrication du boudin créole. On ne manquait pas non plus d'huîtres. C'était une période faste. On avait tout pour fabriquer les menus de Noël. Le chanté Noël commençait dès la fin de la Toussaint. On débutait par les cantiques qui parlaient de la période d'avant la naissance du Christ. Tout cela se passait autour de la table sur laquelle on déposait des châtaignes des bouteilles pour les enfants. On passait d'une maison à l'autre, d'un quartier à un autre. La messe de minuit marquait l'apothéose. Et puis la deuxième guerre mondiale est arrivée et a tout bouleversé.

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