Louis Douldat, l'ingénieur en génie civil centenaireL'homme qui a dirigé la construction du port de Pointe-à-pitre de 1925 à 1939 nous fait part de son vécu de la première moitié du siècle. De ses études qui le menèrent au diplôme d'ingénieur à la création de son entreprise de construction, entrecoupées de participations actives aux deux guerres mondiales, sa vie a traversé les décennies. Saint-Claudien de naissance, Louis Douldat, ouvre les yeux pour la première fois, quatre ans avant le début du vingtième siècle, le 18 août 1896. Il grandit dans la région basse-terrienne y obtenant son certificat d'études à Saint-Claude et son brevet élémentaire dans la capitale administrative de la colonie. Le baccalauréat technique ne pouvait être passé en Guadeloupe. En 1912, Louis Douldat, âgé de seize ans, va bénéficier d'une bourse pour aller étudier à la Métropole. Pour cela il passe un examen ici, le réussit, mais doit ensuite suivre un apprentissage pendant six mois à Lorient pour démontrer son aptitude à suivre des études techniques car les autorités avaient trouvé que la pratique que j'avais acquise: auprès d'un maréchal-ferrant, après l'intervention du père de Lucette Michaux-Chevry, n'était pas d'une culture assez élevée pour être un jugement valable " déplore-til. Ensuite, son cursus l'amène à Brest où il intègre le bateau-école Guichen, < un croiseur de la Marine nationale, qui mouillait sur la Penfèle, une rivière qui traverse la ville " ajoute-il. DES ÉTUDES DE MATHÉMATIQUES SPÉCIALES Lorsque survient la " Grande Guerre " , les écoles militaires sont fermées, et les cinq meilleurs élèves de chaque spécialité - dont il fait partie - sont affectés aux sous-marins. Après la démobilisation et la signature de l'armistice, le 11 novembre 1918, le jeune Douldat reprend ses études de mathématiques spéciales pour obtenir le diplôme d'ingénieur à Paris au 145 avenue Wagram. Ensuite celui qui est devenu officier marinier entre aux Chemins de fer parce que " ça payait bien "glisse t-il aujourd'hui avec malice. Et cela payait tellement bien que Louis Douldat a vite fait de s'acheter trois maisons à Saint-Maurice (Val de Marne), à La Rochelle (Charente-Maritime) et à Paris. Mais Louis Douldat n'aura pas le loisir de poursuivre sa carrière lucrative puisque le Conseil général de l'époque qui lui avait alloué une bourse couvrant 50% des frais de ses études (bac puis école d'ingénieur) ne, lui donna pas le choix. Soit il rentrait en Guadeloupe soit il remboursait les sommes. Évidemment le jeune Louis décida de regagner son île natale, ce qui l'obligea à vendre ses trois habitations de Métropole. A son retour en 1925, l'ingénieur en génie civil se retrouve directeur des ateliers de construction, d'entretien et de réparation des bouées, situés à Fouillole Le champ d'activités s'étend de Mouchoir Carré non loin de l'Îlot à cochons -à la Rivière Salée. Ensuite, le jeune diplômé prend en charge la construction du port de Pointe à Pitre. Avant d'entamer le gros ouvre, il faut draguer la rade. A la fin des années 20, elle ne dispose que de trois mètres de fond.
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UN VIEUX BATEAU NOMME DOLPHIN La ville n'ayant pas les moyens de se payer un dragueur aux Ponts et Chaussées. il y avait un vieux bateau appelé " Dolphin " qui faisait du halage. Ce rafiot a été allongé de onze mètres pour draguer les fonds de mouchoir Carré à la rivière Salée. "Des fonds qui sont passés de trois à neuf mètres cinquante" se souvient l'ancien combattant. Il se rappelle également comment les gros navires pénétraient dans la rade avant les travaux qu'il a dirigé. Il y avait de petits bateaux qu'on appelait bonbotier, je ne sais pas d'ailleurs pourquoi. Les navires mouillaient, là ou les fonds le permettaient, non loin de Mouchoir Carré qui était l'entrée sud du port de Pointe à Pitre. Sur la gauche, il y avait un banc de sable que le ressac avait tassé et il était signalé sur la carte comme le banc" des couillons". L'origine de ce nom venait tout simplement des mésaventures des navires qui faisaient escale pour ravitailler la Guadeloupe. Au moment de la guerre, ils prenaient un pilote, connaissant les passes, pour entrer mais se sentaient fort pour sortir seuls et s'échouaient fréquemment sur le banc de sable. Ce qui les obligeaient à attendre le lendemain et la marée descendante de cinquante centimètres pour se dégager" raconte-t-il. " AVEC LEURS DIABLES SUR QUAIS… " Pour ce qui est de la construction du port, ce fut une entreprise de longue haleine. Louis Douldat se remémore " pour le chantier de la drague aux côtés du "Dolphin " il y avait un remorqueur à gauche et un autre à droite. On papillonnait cinquante mètres à droite puis cinquante à gauche. Les alluvions draguées ainsi étaient ensuite jetées à côtés des îlets. On s'est rendu compte que cela ne restait pas au fond mais allongeait les terres. Alors, on les a lâchés au large du Gosier. Il y avait un bordereau de crédit et les travaux ont été exécutés par les ingénieurs de la société Fougerolle sous ma direction. Au total l'oeuvre , les quais 1,2,3,4 et 5 ont coûté deux millions et demi de francs. Mais la construction ne s'est pas faite sans mal. Un incident de parcours lui revient à l'esprit. "La société Fougerolle battait des pieux de trente six degrés, en principe bien droit, mais à un endroit entre le quai 1 et 2, mes cheveux ont commencé à blanchir. Lorsque nous avons collé un pieu de dix huit mètres, il s'est enfoncé et a disparu. C'était moi le responsable en tant qu'ingénieur de génie maritime. Pour remédier au problème, j'ai fait une culée à gauche et une autre à droite puis j'ai établi un tablier comme pour un pont. Dessus j'ai exécuté ce qu'il y a maintenant aux quais 1et 2. En ces années là, l'activité du port était réduite. Tous les quinze jours, il y avait deux navires qui traversaient l'Atlantique, entre Bordeaux et Pointe à Pitre, puis continuaient dans le chapelet des Îles. Le port Pointois était l'escale principale car ces bateaux amenaient la Poste. Le déchargement des navires étaient assurés par des chalands en bois qui récupéraient les colis et les marchandises et les bonbotiers qui ramenaient les personnes et les valises. Sur les quais, il y avait des travailleurs qui transféraient les marchandises débarquées dans un hangar grâce à leurs diables. Dans les années trente rejoindre Basse-Terre par la route, n'est pas chose facile car elles ne sont guère carrossables. Cela n'empêche pas le Directeur des ateliers Fouillole d'effectuer le trajet chaque samedi pour visiter sa mère à Saint-Claude. Pendant les 2 heures de trajet, il était rare de croiser des voitures. Il n'y avait pas de bitume mais du macadam. C'était déjà un début. Plus tard, une société est venue réaliser le bitumage de Pointe à Pitre à Basse-Terre.
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