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maman Jojo la rebelle " A l'origine de toutes les crèches "

A 78 ans, George Tarer pourrait profiter d'une retraite bien méritée. Mais sa force de caractère peu commune fait qu'elle continue de porter un regard très critique sur ce qui l'entoure et de s'investir dans divers domaines. Pour nous, elle a accepté d'évoquer sa vie de sage-femme et de militante.

Dans votre profession de sage-femme, vous avez, semble-t-il, vécu une période charnière. Parlez-nous de ce que vous appelez la saga des matrones.

"J'ai effectivement pu voir l'évolution dit travail des sages-femmes de la période des matrones que je situerai de l'esclavage aux années quarante - jusqu'à aujourd'hui. Ce siècle qui finit a été particulièrement bénéfique pour cette profession. Jusque dans les années trente, il y avait de rares sages-femmes diplômées, quatre ou cinq qui revenaient de la métropole, mais c'était surtout les matrones qui accouchaient les femmes. Elles avaient des méthodes bien à elles et, pour unique matériel, disposaient d'une bobine de fer pour attacher le cordon ombilical, d'un jus de citron pour mettre dans les yeux de l'enfant, d'huile de ricin pour frotter le ventre et de ciseaux. A Cette époque, un accouchement était une aventure périlleuse. Or: disait d'une femme enceinte qu'elle était entre la vie et la mort. Si ça se passait bien, c'était un accouchement naturel et c'était let matrone qui lui avait donné de la force avec ses tisanes. Sinon, c'était toujours des problèmes de sortilèges. Après son accouchement, une femme restait 40 jours clouée au lit. Quand elle se levait, elle était habillée de blanc en signe de purification. Quant aux nouveaux nés, selon des traditions qui nous viennent sans doute de nos ancêtres esclaves, ils devaient sortir dans les tous premiers jours de la naissance habillés très légèrement d'un petit gilet à 6 heures du matin. C'est le papa ou la grand-mère qui allait promener l'enfant pour qu'il s'aguerrisse. C'était une sorte de sélection naturelle. Vous imaginez toutes ces grippes, toutes ces broncho-pneumonie. Si l'enfant n'en réchappait, c'est que le bon Dieu l'avait voulu. En 1942, on a créé une école de sage-femme. Je suis de cette première vague de jeunes femmes qui ont appris avec des médecins, qui ont reçu des bases élémentaires de médecine et d'obstétrique ".

Vous avez certainement eu du mal à vous imposer, à faire reconnaître vos compétences ?

"Tout à fait. J'avais 21 ans. Je ne faisais pas 60 kg. Or par définition une matrone est une femme imposante, considérée par la famille comme le bon Dieu parce qu'elle a accouché la maman, la grand--maman. Elle peut être vieille, trembler mais elle a autorité, elle est considérée comme une parente. J'étais nommée à Grand Bourg de Marie Galante, Je suis restée un mois sans voir un chat. Les femmes de Marie Galante ont fait la grève parce qu'elles n'acceptaient pas qu'une enfant les accouche. Alors j'ai dit que j'allais porter plainte et le commissaire central, qui était titi ami de mon père, m'en a dissuadée. Et puis deux enseignantes sont rentrées l'une après l'autre, des femmes instruites qui croyaient au savoir: J'ai accouché ces deux femmes. C'était fini, on me faisait désormais confiance. Quand j'ai quitté Marie Galante après une année, c'était avec le regret de la population. On m'appelait Maman Jojo. De retour à Pointe-à-pitre, j'ai toujours travaillé à l'hôpital. Là encore, j'y ai trouvé des pratiques moyenâgeuses. Une sage femme assurait une garde de 24 heures, seule. Elle effectuait 10/12 accouchements par jour, travaillait à mains nues après les avoir trempé dans des bains d'alcool iodé. On courait les plus graves dangers, s'il y avait eu le sida à cette époque, nous serions toute morte aujourd'hui. Les sages femmes qui étaient là étaient sous domination d'un médecin très fort, qui était le maître suprême car seul accoucheur reconnu de la Guadeloupe. Il avait un mépris important pour la femme. Il avait formé des matrones. Lorsque nous sommes arrivés, il l'a pris de haut. Plus tard, je suis devenu patronne du service, surveillante, puis surveillante chef. Et lorsque j'ai pris ma retraite en 1981, j'avais mis en place la nouvelle maternité. J'ai eu la joie d'installer les appareils modernes, de voir les sages femmes enfin maîtresses de leur service ".

Parallèlement, vous vous êtes engagée pour la défense des femmes.

"Cet engagement découle de ma profession. A l'époque i! n'y avait pas de clinique, on nous appelait pour accoucher les femmes à domicile. Lorsque vous êtes au chevet d'une malade, elle vous raconte des choses qu'elle raconterait à son confesseur. C'est là que j'ai appris la très grande misère des femmes. Vous vous trouvez dans des situations tellement pénibles avec des femmes qui n'ont pas mangé pendant toute leur grossesse, dont l'homme est parti… c'est pourquoi j'ai milité politiquement pour que ça change et pour la défense des droits de la femme en particulier à partir de 1946, un combat héroïque. C'était une belle période car c'était celle de la départementalisation et l'année où les femmes ont obtenu le droit de vote. Moi j'étais un peu atypique car je faisais déjà de la politique avec ma mère dans les années trente. J'avais 16 ans quand j'ai commencé a faire des conférences publiques. Les gens venaient voir la fille qui cause. Plus tard, il y a eu Gerty Archimède qui est devenue l'une des premières femmes députés, puis la première femme avocate en 1939. Cette femme avait créé l'Union des femmes guadeloupéennes et c'est ainsi que j'y suis rentrée et que j'ai milité ardemment, d'autant plus que j'y croyais. Du jour où on m'a fait comprendre que nous devions être des sectaires, que nous devrions appartenir à un parti politique, j'ai démissionné. C'était en l985, moi je croyais que l'Union des femmes guadeloupéennes, c'était l'union de toutes les femmes, y compris les femmes étrangères qui vivaient sur notre territoire ".

Vous meniez pourtant une carrière politique?

" J étais maire- adjoint de la ville de Pointe à Pitre et militante communiste. Il y avait un quartier derrière le cimetière de Pointe à Pitre : de l'eau, de la boue, un quartier malfamé. Moi j'entrais là pour accoucher les femmes. Lorsque je voyais les conditions dans lesquelles elles vivaient croyez moi je refusais de prendre l'argent. Lorsque Henri Bangou est arrivé, il voulait créer Lauriscisque. Il est venu me chercher pour rentrer là avec lui. Les types avaient des rasoirs, sans moi, ils l'auraient viré. C'est donc mon métier qui m'a amené à la politique. J'ai passé toute la campagne en promettant aux femmes des centres d'accueil pour leurs enfants. Une fois élue, après bien des discussions avec mes collègues hommes, on m'a tendu un piège : on a fait prendre une délibération me confiant la création d'une crèche. Je suis partie en France pour visiter des structures et j'ai monté ma première crèche. Je suis à l'origine de toutes les crèches de Pointe-à-pitre, sauf les dernières. Je suis d'ailleurs encore présidente de la première crèche de type nouveau, la crèche Alice Pétrine. Je rue suis également occupée d'écoles, de Solitude, bibliothèque d'un type nouveau. Je suis allée représentée la ville de Pointe-à-pitre en Afrique, dans plusieurs congrès à travers le inonde. Jamais le maire rte m'a fait accompagner ni m'a donné un papier. Je suis tombée sur quelqu'un qui avait entièrement confiance en moi et qui m'a vraiment laissé la bride sur le cou, ce qui n'arrive pas souvent quand on travaille avec des hommes. C'est ainsi qu'il m'a confiée, tout espèce de poster, à l'époque c'était vraiment une gageure. J'ai fuis toutes les commissions où les hommes se trouvaient. J'ai appris contrite eux et j'ai été tout de suite maire-adjoint. Je donne aujourd'hui des conseils aux femmes conseillères municipales gui n'arrivent pas à s'imposer. Si j'étais sur la liste de Henri Bangou, c'était parce que le parti politique m'avait désignée. Aussi, lorsque j'ai démissionné de l'union des femmes et du parti communiste, j'ai décidé également de remettre mon mandat et j'ai quitté mort poste d'adjoint alors que je n'avais aucun problème avec la municipalité. C'était une question d'éthique. On m'a reproché au parti communiste cette lucidité et mes prises de positions. Plus tard, il y a eu la chute du mur de Berlin, la scission, mais moi j'étais déjà loin. Je suis partie bien avant tout le monde. Cela ne répondait plus à mes convictions. Aujourd'hui, je pense vraiment décrocher. Il faut quand même que le troisième millénaire me trouve un peu cher moi ".

"" Les progrès technologiques ont libéré la femme "

qu'est qui vous a le plus marqué dans ce siècle ?

" Ce sont d'abord les avancées technologiques. Je pense à ma mère qui avait un fer à repasser sur du charbon de bois. Ma mère, c'est pas si loin, ce sont les années trente. Elle était obligée de se mettre le fer non loin du visage pour voir s'il n'était pas trop chaud. Actuellement, vous tournez les boutons de votre fer à repasser: soie, coton... C'est le paradis. Je pense au lave linge, à la Cocotte-Minute, au micro-onde, au réfrigérateur. Les jeunes d'aujourd'hui ne se rendent plus compte puisqu'ils sont nés là-dedans. Selon la qualité du charbon, vous pouviez rester deux ou trois heures à faire un repas s'il tournait en cendre. Moi, j'ai connu cette époque. En 1939, je préparais le brevet élémentaire, il n'y avait pas d'électricité. Je travaillais la nuit avec des grosses bougies parce que mes parents me disaient : " la lampe à pétrole va t'user les yeux ". Je pense encore à la pointe Bic. Quand je suis arrivée au lycée, on écrivait à la plume... les pleins, les déliés. Lorsque la pointe Bic est arrivée, j'ai définitivement perdu le sens de l'écriture. Tous les progrès technologiques ont libéré la femme de sa condition d'esclave, cela lui a permis de s'instruire. L'évolution de la condition féminine m'a également beaucoup impressionné avec le vote de lois pour défendre les droits de la femme, comme la loi pour l'avortement par exemple. Seulement, aujourd'hui, il y a un bémol à mettre. Je constate qu'elles commencent à trop user de leurs droits et à délaisser un petit peu les devoirs. A trop vouloir être l'égal de l'homme, elles en oublient le partage ".

 

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