Pour une laïcité en actes
Revue
Socialiste - 14 novembre 2003
Gambetta le disait avec ferveur
au début de la IIIème République : « ce qui constitue la vraie
démocratie, ce n’est pas de reconnaître des égaux, c’est d’en
faire ». La laïcité en actes, c’est cela : définir les
conditions d’un « vivre ensemble » où la communauté de destin
l’emporte sur les communautés d’origine, mettre en ouvre des
politiques publiques qui donnent à tous leur place dans la
République. L’égalité est la poursuite de la laïcité par
d’autres moyens. Quand on recule sur le premier front, on
renonce sur le second. Voilà pourquoi je suis à la fois
favorable à une loi sur la laïcité à l’école, à la pleine
reconnaissance de la diversité religieuse de la France et à la
mise en ouvre d’une ambitieuse politique éducative et sociale.
Dès le Congrès de Dijon du
Parti socialiste en mai dernier, et parce que je sentais la
nécessité pour les autorités publiques d’être claires sur ce
sujet majeur, j’ai pris position en faveur d’une réaffirmation
de la laïcité et d’une loi pour la laïcité en actes à l’école.
Je disais : « Marianne ne peut pas être voilée ». Six mois
après, alors que la commission Stasi vient de faire connaître
ses conclusions, il n’est pas inutile de confirmer et de
compléter ce propos.
Je veux rappeler d’abord un peu
d’histoire. Les Républicains que nous sommes sont les héritiers
d’un premier âge de la laïcité, qui a conduit à la séparation de
l’Eglise et de l’Etat. Sous l’Ancien Régime, la monarchie et l’Eglise
avaient noué une « sainte alliance ». Une fois la monarchie
disparue, la République serait laïque ou ne serait pas. Le
principe de séparation de l’Eglise et de l’Etat affirmé dès la
Constitution de l’an III ne s’est imposé qu’un siècle plus tard
dans le cadre de la loi de 1905. En veillant, comme le disait
Jules Ferry, à ce que « la République s’arrête au seuil des
consciences », cette grande loi a posé les fondements de notre
pacte laïc. Elle assure la liberté de chacun - liberté de
l’individu, liberté des consciences - dont l’Etat, parce qu’il
est laïc, est le garant. Elle donne sens à l’égalité de tous,
quelle que soit la religion ou l’absence de religion de chacun,
en ne reconnaissant ni ne salariant aucun culte en particulier,
donc en les autorisant et en les protégeant tous. Le bénéfice
remarquable de la loi de 1905 est d’avoir ouvert une période de
pacification en définissant un modus vivendi équitable et
durable entre la République et les Eglises.
On peut tirer de ce passé
plusieurs leçons pour le présent. D’abord celle-ci : vouloir
remettre en cause cette loi, dans un sens ou dans l’autre,
raviverait inutilement les tensions et tous ceux qui s’y sont
essayés ont échoué. Je le dis clairement : on ne doit pas
toucher à la loi de 1905. Autre enseignement : lorsque la loi a
été votée, le conflit était ouvert entre républicains et
représentants de l’Eglise catholique au point que le Vatican
excommunia les parlementaires qui l’avaient votée ; c’est
précisément la loi, dans son objectivité et dans sa solennité,
qui a permis de dénouer le conflit et de réconcilier la
communauté nationale. Il est des moments où les élus de la
Nation, dépositaires de la souveraineté démocratique, doivent
intervenir par la loi pour éviter ou dénouer des conflits avec
les Eglises. Je rappelle enfin que cette loi de 1905 a été
prise sur le rapport de Jean Jaurès : pour le socialisme
français, la laïcité est la première pierre de tout projet
fédérateur. Sans elle, rien n’est possible ; elle posée, il
reste à construire l’édifice.
Pour autant, la question
religieuse se pose aujourd’hui en des termes quelque peu
différents d’il y a un siècle, ou même des années 1960. Il
s’agit de faire vivre ensemble, dans une même société, plusieurs
religions, et - on l’oublie parfois - de garantir le droit de ne
pas croire à ceux qui ne croient pas. Dans ce contexte, la
laïcité reste une idée neuve. Elle marque une stricte séparation
entre le temporel et le spirituel, entre la loi et la foi.
Sachant que la loi de la République - c’est sa raison d’être -
s’impose à tous. Parvenue à ce nouvel âge de la laïcité, notre
société est confrontée à de nouvelles tensions. Il y a un
siècle, l’Etat républicain devait se défendre contre les assauts
du cléricalisme. Aujourd’hui, il doit défendre les citoyens face
aux coups de boutoir des intégrismes. Dans leur immense
majorité, les croyants et leurs représentants respectent le
pacte laïc ; dans leur inspiration ouverte, les religions sont
porteuses de paix et de dialogue. Mais il existe aussi,
malheureusement, au sein des grands monothéismes, des courants
fondamentalistes. Pour minoritaires qu’ils soient, ils n’en sont
pas moins actifs. Les exemples sont connus, à l’école et
ailleurs. Certains, peu regardant sur ce qui se passe hors de
France, ont voulu minimiser l’ampleur de ce phénomène en France.
Ayant pris le temps d’écouter les acteurs de terrain -
enseignants, membres de la communauté éducative, femmes des
quartiers, etc. - avant d’arrêter ma position lors du Congrès de
Dijon, j’ai acquis une conviction, qui a été renforcée au cours
des derniers mois. Les auditions menées par la commission Stasi
ont permis d’établir un diagnostic. Plusieurs constats
commencent d’apparaître à une large opinion : à l’école et dans
les services publics, les atteintes à la laïcité ne sont pas
rares ou isolées ; les femmes, en particulier dans les quartiers
en difficulté, sont les premières victimes de ce
fondamentalisme ; le cadre juridique actuel ne permet pas de
régler ces problèmes dans la sérénité et l’égalité.
C’est pourquoi, avec le Parti
Socialiste et beaucoup d’autres, je considère que le moment est
venu pour les élus du peuple de prendre leurs responsabilités.
Répondre à l’intégrisme religieux, ce n’est nullement faire
preuve d’intégrisme laïc.
Ce n’est pas être un
contempteur de la République, mais un Républicain vigilant que
de délimiter la place du religieux et sa manifestation dans les
services publics et singulièrement à l’école. Il revient à
l’Etat d’agir, car, face aux fondamentalistes, lui seul peut
apporter à chaque citoyen la protection et la liberté auxquelles
il a droit. La laïcité est un de nos principes
constitutionnels : elle figure dans le préambule de la
Constitution de 1946 et à l’article 2 de la Constitution de
1958. La loi de 1905 en constitue le socle. Il faut l’enseigner
dans les IUFM. A l’école et dans les services publics, ses
tenants et ses aboutissants doivent être précisés. Et, parce
qu’il s’agit d’une question qui engage la conception même de
notre vivre ensemble, parce qu’il convient aussi de concilier
deux principes de niveau constitutionnel - la laïcité et la
liberté religieuse -, parce qu’enfin certaines interdictions
doivent être prononcées, c’est bien à la loi qu’il revient de
définir les règles.
On peut discuter pour savoir si
la loi devra comporter un ou plusieurs volets. A l’évidence, le
principal devra être consacré à l’école. L’école est le lieu où
s’élabore la citoyenneté ; c’est dans ses préaux et dans ses
salles de classe que des enfants de toutes origines apprennent à
vivre ensemble. Le plus souvent mineurs, ces enfants doivent
être protégés de telle ou telle pression communautaire. Quant
aux enseignants, leur mission pédagogique ne peut s’accomplir
que s’ils ont face à eux des élèves qui ne brandissent pas à
tout bout de champ leurs croyances religieuses, philosophiques
ou politiques. Depuis plusieurs années, le port apparent des
signes religieux met à l’épreuve la communauté éducative. L’avis
rendu par le Conseil d’Etat en 1989 n’a pas apporté de réponse
stable et uniforme aux difficultés. Parce que la règle posée
manque de clarté, les acteurs éprouvent le sentiment que le
politique abdique ses responsabilités. On en est venu à élaborer
une casuistique de plus en plus subtile, qui perd de vue
l’essentiel. L’essentiel, c’est de ne pas confondre la liberté
religieuse, qui doit être préservée, avec la manifestation d’une
conviction religieuse dans un espace spécifique qui est celui de
l’école.
En instrumentalisant les
élèves, transformés en porte drapeau d’une religion, le port
apparent des signes religieux communautarise en effet l’espace
laïc et risque de saper les fondements de la transmission
pédagogique. D’autant plus, lorsque ces signes comportent leur
lot de revendication théocratique et de soumission de la femme :
le voile islamique, que certains présentent aujourd’hui comme un
précepte de l’islam, est surtout réapparu de façon massive lors
de la révolution islamique en Iran. Les mouvements de défense
des femmes y dénoncent une atteinte à leur dignité, au moment
même où le statut des femmes dans les quartiers se dégrade. Je
pense en particulier à ces militantes de la liberté qui, de
l’autre côté de la Méditerranée, ont payé de leur vie leur refus
du voile. Pour toutes ces raisons, il est sage qu’une loi
interdise le port apparent des signes religieux à l’école. Elle
devra affirmer aussi qu’il n’y a pas de place dans l’enceinte
des établissements scolaires pour des signes apparents de nature
politique ou philosophique. L’école rencontre aujourd’hui des
défis urgents à relever, en particulier celui de l’égalité des
chances ; le travail des enseignants ne doit pas être entravé
par des offensives fondamentalistes ou partisanes.
J’entends, bien sûr, les
arguments de ceux qui répugnent à inscrire une telle règle dans
la loi. Ils craignent, disent-ils, que les exclusions ne
deviennent massives. Je crois plutôt qu’une fois la règle
clairement affirmée, l’écrasante majorité des jeunes filles et
leur famille accepteront de se conformer à la loi de la
République. Attention ! Il faudra pousser aussi loin que
possible la concertation sur le terrain : nous avons dans la
proposition de loi du PS prévu l’impossibilité d’exclure
quiconque sans une médiation préalable. D’autres personnes,
hostiles au voile islamique, redoutent néanmoins les effets de
son interdiction, qui pourrait renforcer les intégristes :
l’exemple de la loi de 1905 tend au contraire à montrer que,
lorsque l’Etat définit clairement un cadre, les religions s’y
conforment. Naturellement, la loi devra viser l’ensemble des
signes religieux, politiques ou philosophiques apparents, sans
référence à une religion en particulier. Elle devra être
accompagnée de mesures positives, de mesures de confiance - je
vais les évoquer à l’instant - en direction des musulmans de
France. D’autres enfin soulèvent des obstacles juridiques et
pratiques. Que fera-t-on dans les établissements scolaires sous
contrat ? Ces établissements étant majoritairement
confessionnels, il est normal que le législateur respecte leur
caractère propre : aux représentants des confessions de définir
les règles du vivre ensemble dans ces établissements pour
autant, évidemment, qu’aucune discrimination n’y soit autorisée,
que tous les élèves y aient un égal accès et que le contenu des
programmes soit respecté. La mission parlementaire conduite par
Jean-Louis Debré a adopté ce point de vue, il paraît
raisonnable.
N’y a-t-il pas risque
d’inconstitutionnalité ? Je suis convaincu qu’une rédaction
suffisamment précise et motivée du texte permettrait au juge
constitutionnel, s’il était saisi, d’établir une distinction
entre la nécessaire protection de la liberté de conscience et de
culte dans l’espace privé comme dans l’espace public et la non
moins nécessaire sauvegarde du principe de laïcité et d’égalité
entre les élèves au sein de l’espace scolaire. Quant à
l’éventuelle singularité de la France vis-à-vis de ses
principaux partenaires européens, non seulement elle se justifie
au regard même de notre conception du vivre ensemble et des
relations entre l’Etat et les religions, mais notre pays peut
montrer un chemin susceptible ensuite d’être imité par d’autres.
Les débats récents en Italie à propos de la présence de crucifix
dans les écoles et dans les Länder allemands au sujet de
fonctionnaires voilées vont en ce sens.
Au-delà même de l’école, la
question a été posée de l’opportunité d’une loi sur la laïcité
dans les services publics. Si le droit est aujourd’hui
suffisamment précis pour les agents des trois fonctions
publiques, qui doivent respecter une stricte neutralité
religieuse, il l’est moins pour les usagers des services publics
ou pour l’usage que l’on peut faire de ces différents services.
Au nom de leur religion, certains refusent la mixité à
l’hôpital, d’autres réclament des horaires séparés dans les
piscines. Ces pratiques ne doivent absolument pas être
multipliées. Après avoir dressé l’état du droit en la
matière, il conviendra d’opter sur ce point entre la loi ou la
rédaction d’une charte rappelant les principes laïcs dans les
services publics, comme l’a proposé François Hollande devant la
commission Stasi.
Dans le même temps, la
réaffirmation de la laïcité impose de mieux reconnaître la
diversité religieuse de la France. Aux côtés du catholicisme, le
protestantisme et le judaïsme se sont affirmés de longue date
dans notre pays. Au moment où de graves agressions à l’encontre
de biens cultuels et de personnes de confession juive sont
perpétrées dans notre pays, je redis avec force que
l’antisémitisme n’a pas et ne devra jamais avoir le droit de
cité dans notre République.
Il faut rassurer les Juifs de
France, c’est-à-dire à la fois les protéger quand c’est
nécessaire et leur manifester la solidarité sans faille de la
Nation. Réaffirmer l’identité laïque de la France, ciment de
notre destin collectif, participe de ce combat. Parce qu’il
est d’implantation plus récente sur notre territoire, du chemin
reste à faire en direction de l’Islam. Aujourd’hui, ses
fidèles manquent souvent de lieux de culte dignes de ce nom.
Qu’une ville comme Marseille, par exemple, n’ait toujours pas de
grande mosquée, paraît peu compréhensible ! La deuxième religion
de notre pays doit pouvoir être pratiquée au grand jour. Les
maires ne doivent pas craindre d’autoriser si nécessaire la
construction de mosquées ou de salles de prières. Sans remettre
en cause la loi de 1905, il est possible de favoriser le
financement national de ces édifices en ayant recours à des
associations cultuelles et à des baux emphytéotiques.
Des initiatives devront aussi
être prises pour permettre l’instauration de carrés musulmans
dans les cimetières. En 1975, une circulaire du Ministère de
l’intérieur y a ouvert la voie mais sa légalité est douteuse et
elle n’a pas de caractère obligatoire. Si bien que les
situations sont très différentes selon les communes et que de
nombreux musulmans, attachés à leurs traditions, sont obligés
d’organiser le rapatriement du corps du défunt dans son pays
d’origine. C’est à la fois contraire à l’intégration, absurde
pour les générations nées en France et socialement injuste. Le
rapport à la mort relève des croyances les plus intimes. Tout en
restant globalement neutres, nos cimetières doivent pouvoir être
à l’image de la France : multi-confessionnels. Pour des raisons
d’égalité de traitement et de sécurité juridique, il faudra sans
doute une évolution de la législation sur ce point.
L’actuel ministre de
l’intérieur, ministre des cultes, a pris des initiatives
relatives à l’organisation de l’islam en France. A partir d’une
démarche souhaitable, on peut toutefois craindre que, telles
qu’elles ont été conclues, ces initiatives comportent finalement
plusieurs aspects contestables. D’une part parce qu’elles ne
s’accompagnent pas jusqu’ici d’une position claire sur le port
du voile dans les écoles de la République. D ’autre part, parce
que le choix semble avoir été fait de s’appuyer sur une certaine
fraction de l’islam qui conteste les principes laïcs de notre
République. Désormais en position de force, cette tendance
pourrait faire peser une pression permanente sur les autres
représentants du culte musulman, notamment les dirigeants des
grandes mosquées. Discours laïc d’un côté et pratiques
communautaristes de l’autre : ce jeu serait dangereux,
consistant non pas à mener un vrai dialogue mais à légitimer des
personnes qui se réclament d’une interprétation maximaliste de
la religion.
On peut même poser la
question : la tentation n’existe-t-elle pas au sein d’une partie
de la droite française d’adopter un modèle de société qui
emprunte plus à la tradition américaine qu’à celle de notre
République, c’est-à-dire le marché pour l’argent, l’Etat pour la
sécurité, et les communautés religieuses pour la fraternité,
voire la solidarité ?
Dans le même temps où certains
ministres écrivent de façon répétée que le « matérialisme » a
échoué et que seules les religions peuvent répondre au besoin
d’espérance des individus, dans le même temps où ils multiplient
les prises de parole politiques depuis des lieux de culte, ce
gouvernement ampute les crédits des associations - laïques - qui
se mobilisent chaque jour dans les quartiers et il organise ou
accepte le recul de l’Etat solidaire. Même si les discours
changent aux gré des circonstances, ne peut-on redouter une
sorte de pacte au moins implicite entre une partie de la droite
et certaines mouvances religieuses : « vous nous soutenez
politiquement, nous vous légitimons symboliquement » ? Or la
liberté n’est pas le libéralisme économique ; la fraternité
n’est pas la charité ; la laïcité n’est pas le communautarisme.
La République, ce ne peut pas être cela !
C’est aussi pour combattre ces
dérives qu’il est nécessaire de lier l’affirmation de la laïcité
avec le souci de l’égalité en actes. J’emploie à dessein cette
expression plutôt que le terme « intégration », qui convient à
la situation des immigrants récents mais est inapproprié pour
évoquer le destin de citoyens nés sur notre territoire et qui
n’ont jamais eu d’autre pays que la France. Les millions de
Français dont les parents ou grands parents sont originaires de
nos anciennes possessions coloniales sont en demande légitime de
reconnaissance. Cette reconnaissance passe par celle de leur
religion, quand ils y sont attachés, elle passe aussi par une
meilleure prise en compte du passé colonial de la France. Nous
n’avons pas terminé notre travail de mémoire sur la
colonisation. Les manuels scolaires, les commémorations
nationales ne doivent pas être timorés. Et, par-dessus tout, je
crois fondamentaux deux terrains d’action : celui de la
représentation politique et celui de l’égalité sociale.
Des mesures volontaristes
doivent être prises pour que les Français issus de l’immigration
accèdent à des postes de responsabilité, notamment politique.
Leur exemple aura
force de modèle. Il valorisera l’image de ces Français auprès de
l’ensemble de nos compatriotes. Ces parcours exerceront des
effets d’entraînement dans d’autres lieux décisifs, par exemple
les médias et les entreprises. C’est moins affaire de quotas que
de comportement et de choix. L’occasion nous est prochainement
donnée d’avancer dans ce sens - élections cantonales, régionales
et européennes de 2004. Je souhaite qu’elle soit saisie. Sur un
autre plan, pour les parents et les grands parents qui n’ont pas
acquis la nationalité française mais dont le lien avec la France
est ancien et stable, la revendication d’accorder le droit de
vote aux élections locales est légitime : ce droit existe déjà
pour les résidents de l’Union européenne ; sur ce terrain aussi,
c’est au politique de prendre ses responsabilités.
Ultime - et première -
priorité, sur laquelle la Gauche insiste avec raison : l’égalité
sociale. Ces Français appelés « musulmans » et qui suscitent
parfois certaines inquiétudes présentent en réalité souvent
trois caractéristiques : dans leur majorité, ils sont jeunes ;
ils habitent des quartiers en difficulté ; ils sont confrontés à
des situations d’échec ou d’exclusion, à l’école, dans l’emploi,
pour le logement et les loisirs. Voilà où il faut agir avec
une détermination sans faille ! Malheureusement, je constate
qu’après quelques effets d’annonce le gouvernement fait plutôt
l’inverse : fin des emplois jeunes, suppression des aides
éducateurs dans les ZEP, budgets réduits en matière de logement
social et de transports collectifs, remise en cause de la
priorité accordée à l’éducation. En termes d’emploi et de
pouvoir d’achat la situation des quartiers sensibles s’est
dégradée. Que fera-t-on si on en arrive ici, comme aux
Etats-Unis, à une superposition sur plusieurs générations entre
l’origine ethnique ou religieuse et le destin social ? Ne
nous payons pas de mots : le plan Marshall pour les quartiers
dont beaucoup parlent suppose une action nettement plus forte
contre les discriminations, une présence accrue des services
publics dans les quartiers, une ambition puissante de reconquête
urbaine et des efforts renouvelés pour l’égalité des chances à
l’école. Je ne vois pas cette volonté concrète à l’ouvre.
Pour parvenir à des résultats
durables et conformes à notre conception de la citoyenneté,
faut-il mettre en place des méthodes de discriminations
positives à raison de l’appartenance religieuse ou de l’origine
ethnique ? Je n’en suis pas partisan
, ces politiques d’inspiration
anglo-saxonne pouvant être lourdes d’effets pervers, mais il
faut renforcer le « ciblage » territorial et social des
politiques publiques : l’Etat, les collectivités locales et
leurs partenaires doivent se montrer sensiblement plus efficaces
qu’aujourd’hui pour les populations qui ont le plus besoin de
leur présence et de leur action. Dans le cadre de la nouvelle
loi d’orientation pour l’école, on pourrait par exemple fixer
pour objectif de doubler le taux de réussite des enfants issus
des milieux modestes aux différents diplômes de l’enseignement
secondaire et supérieur et s’en donner les moyens. Il faudrait
consacrer des moyens massifs au soutien scolaire et à
l’encadrement péri-scolaire des enfants des couches populaires.
Les politiques de logement, elles aussi, devraient être conçues
comme un véritable investissement au service de la réussite des
enfants ; on sait qu’il existe une corrélation entre le nombre
de pièces du logement des parents et les résultats scolaires des
enfants, domaine négligé alors qu’il est décisif. En tant
qu’employeur, l’Etat devra veiller également à promouvoir à des
postes de responsabilité des cadres dirigeants à l’image de la
diversité de notre pays. Bref, il faut remettre en route
l’ascenseur social. Ces nouvelles méthodes et ces nouvelles
priorités de l’action publique seront un des éléments forts du
futur contrat de législature que nous devrons proposer le moment
venu.
Gambetta le disait avec ferveur
au début de la IIIème République : « ce qui constitue la vraie
démocratie, ce n’est pas de reconnaître des égaux, c’est d’en
faire ». La laïcité en actes, c’est cela : définir les
conditions d’un « vivre ensemble » où la communauté de destin
l’emporte sur les communautés d’origine, mettre en ouvre des
politiques publiques qui donnent à tous leur place dans la
République. L ’égalité est la poursuite de la laïcité par
d’autres moyens. Quand on recule sur le premier front, on
renonce sur le second. Voilà pourquoi je suis à la fois
favorable à une loi sur la laïcité à l’école, à la pleine
reconnaissance de la diversité religieuse de la France et à la
mise en ouvre d’une ambitieuse politique éducative et sociale.
Laurent FABIUS |