Pro-israëlien et pro-palestinien
Le Nouvel Observateur - 25 février 2005
L’Europe devrait offrir une
véritable garantie pour les futures frontières
israélo-palestiniennes
Qui aurait pu sérieusement
prévoir, il y a trois mois seulement, la poignée de main entre
Ariel Sharon et Mahmoud Abbas et leur détermination commune à
passer désormais des proclamations d’intention aux actes ?
Bien sûr, des rechutes sont
possibles et beaucoup, hélas, s’y emploient ; l’attentat
monstrueux contre Rafic Hariri est tout proche. Mais l’espoir de
la paix existe enfin. Des hommes courageux ont pris tous les
risques pour mettre un terme à une si longue époque de violences
et de drames.
Ce qui se produit sous nos yeux
indique que nous avons probablement sous-estimé la pertinence de
la ligne incarnée par un Mahmoud Abbas qui a refusé la violence
depuis le premier jour.
Ce qui vaut pour notre regard
sur les Palestiniens vaut aussi pour notre relation avec Israël.
Cette relation ancienne et profonde est d’abord faite, pour les
socialistes, de proximité. Sur le plan des valeurs, dans quelle
autre société démocratique le projet socialiste a-t-il laissé
une empreinte aussi accomplie ? Même proximité des modes de vie,
de culture et de centres d’intérêt. Pourtant, que
d’incompréhension aussi ! Si la politique signifie partager des
émotions autant que des idées, c’est peu dire que les
socialistes européens ont eu du mal à se reconnaître dans les
orientations de nos amis travaillistes, dans leur participation
à la « politique de Sharon », dans leur soutien au principe
d’une séparation physique. La compassion et la solidarité se
sont portées majoritairement vers les Palestiniens. Comme si la
souffrance, le désespoir - et les responsabilités - n’étaient
pas également répartis. Publicité
A cela je vois plusieurs
raisons : la tentation de simplifier le conflit, de voir les
choses en noir et blanc, alors que, comme le souligne Amos Oz,
ce n’est pas un conflit entre le bien et le mal, mais entre « le
bien et le bien et le mal et le mal ». L’hypermédiatisation des
événements n’a pas non plus contribué à leur compréhension ; le
poids de notre propre histoire a également pesé : beaucoup
d’entre nous sont venus au socialisme par les luttes
anticoloniales, et ce sont les réminiscences de notre passé qui
aujourd’hui se reflètent dans un conflit qui n’est pourtant ni
la guerre d’Algérie ni l’Angola. Si aujourd’hui un certain
nombre de socialistes ne comprennent pas vraiment Israël, c’est
d’abord qu’ils connaissent mal les Israéliens, à la fois
écorchés, pragmatiques et qui entretiennent avec le présent une
relation si particulière.
Alors, que faire d’utile, comme
socialistes, comme Français et Européens ? La route de la paix
est désormais ouverte, mais elle est minée. Le Hezbollah, que le
gouvernement français se refuse toujours à considérer comme
terroriste, a juré la mort de Mahmoud Abbas, alors que des
groupes extrémistes juifs promettent à Sharon le même sort que
Rabin. Nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour
déminer la route de la paix. C’est notre intérêt et notre
responsabilité. Concrètement, nous devons agir dans trois
directions.
Nous devons soutenir le peuple
israélien que de profondes déchirures menacent. La paix n’a rien
à gagner de l’isolement d’Israël. Elle passe, certes, par le
démantèlement des implantations juives, mais nous devons être
conscients que le terme de « colonies » recouvre des réalités
différentes et que cet arrachement constituera un traumatisme
individuel et collectif d’une grande ampleur pour une population
déjà éprouvée.
Nous devons conforter par tous
les moyens les Palestiniens modérés, les légitimer par notre
reconnaissance et leur permettre d’apporter des améliorations
concrètes à la vie quotidienne des habitants. C’est d’ailleurs
une demande prioritaire des socialistes israéliens. Le moment
est venu de lancer un véritable plan Marshall européen dans les
territoires palestiniens en veillant à ce que notre aide
parvienne vraiment aux populations. J’insiste sur l’enjeu
essentiel de l’éducation : l’éducation aujourd’hui, c’est la
violence ou la paix demain.
Rien de durable ne se
construira si la sécurité d’Israël n’est pas garantie autrement
que par des mots. Là encore, l’Europe devrait agir afin de
consolider les bases de la paix. Les offres de force
d’interposition ont jusqu’ici été rejetées parce que irréalistes
et souvent perçues comme partiales. Avec les autres puissances
qui interviennent dans la région, l’Europe devrait offrir une
véritable garantie pour les futures frontières
israélo-palestiniennes, c’est-à-dire la sécurité existentielle
d’Israël autant que les bonnes conditions d’insertion et de
développement d’un Etat palestinien.
Les hommes et les femmes de
paix, qu’ils soient palestiniens ou israéliens, n’attendent pas
de nous des engagements unilatéraux et simplistes. Ils
n’attendent pas que nous transposions chez eux nos schémas
anciens qui ne collent pas à leur réalité ou notre mauvaise
conscience post-coloniale. Ils veulent que nous les
accompagnions sur le chemin de la paix, avec toute la
compréhension et tout l’équilibre - avec toute l’humilité, aussi
- dont nous pouvons être capables, comme des points de repère et
d’appui lorsque, inévitablement, la bonne volonté hésitera
devant les obstacles.
Face à une situation qui
demeure fragile, face aux espoirs qui désormais se lèvent dans
cette région cœur du monde, quand on est socialiste et européen,
on doit être à la fois pro-israélien et propalestinien.
Laurent
FABIUS |