Après le pillage
des matières premières, celui des matières grises accentue un
peu plus les disparités Nord-Sud et condamne le codéveloppement.
Immigration,
quotas: danger
Par Noria CHAIB et Fayçal DOUHANE et Ali
KISMOUNE et Chafia MENTALECHETA et Farid BOUNOUAR
Noria Chaib, Fayçal Douhane, Ali Kismoune
membres du conseil national du Parti socialiste, Chafia
Mentalecheta déléguée nationale du PS chargée de la lutte contre
les discriminations,
Farid Bounouar et Gaspard-Hubert Lonsi koko
secrétaires de section.
Aujourd'hui encore, on continue de ne voir
dans l'immigration qu'une simple importation massive de bras ;
comme si les têtes et les coeurs étaient restés au pays, en
attendant le retour et la fortune. Aujourd'hui, enfin, pour
mieux cacher les manquements au respect des valeurs partagées de
solidarité et de justice, on recycle des méthodes présentées
comme originales pour utiliser à bas prix non seulement les bras
mais surtout les cerveaux. Bref, on invente une terminologie
nouvelle pour mieux expliquer aux pays du tiers-monde, débordant
de main-d'oeuvre et de misère, que les pays développés sont
convaincus qu'il est dans leur intérêt de recourir, pour le bien
de tous, à l'importation sélective, ciblée et régulée d'une
main-d'oeuvre programmée et expédiée à la demande.
Le Medef, en toute logique, ne laisse aucun
doute sur la finalité de la manoeuvre. Le patronat français,
devant répondre à la demande des entreprises en matière de
main-d'oeuvre qualifiée, suggère pour ce faire d'instaurer un
quota d'importation quantitatif et qualitatif, se fichant comme
d'une guigne des jeunes Français qui ne demandent qu'à être
formés et employés, en oubliant ostensiblement les milliers
d'enfants issus de l'immigration, victimes de discrimination à
l'embauche. La droite ne lui a pas tout à fait emboîté le pas et
c'est plutôt à gauche, curieusement, qu'il s'est trouvé, dans
les rangs des progressistes, des voix pour relayer un véritable
appel à la trahison et à l'abandon des valeurs de justice et de
solidarité qui fondent la gauche, précisément.
Que nous propose-t-on aujourd'hui ? Tout
simplement le recours à un tri sélectif qui se traduira par une
immigration choisie. Autrement dit, on acceptera l'immigration
d'étrangers encadrés et possédant les qualifications nécessaires
et attractives. Le personnel importé présentera, en plus,
l'avantage d'une grande souplesse d'utilisation, dont l'intérêt
le plus notoire est son possible renvoi dans le pays d'origine
aux premiers signes de difficultés ou de récession. En d'autres
termes, c'est le patronat qui va se substituer au gouvernement
pour mettre en place la politique publique d'immigration et
créer, par voie de conséquence, l'inévitable tension sur les
salaires.
Des catégories entières d'emplois seront
pourvues par des hommes et des femmes formés dans leur pays
d'origine et choisis parmi l'élite, séduits par une meilleure
rémunération et de meilleures conditions de vie.
Après le pillage des matières premières, on
poursuivra ouvertement celui des matières grises, feignant
d'ignorer les effets désastreux à retardement autant pour les
pays «exportateurs» que pour les pays «importateurs». Pour les
premiers, le ralentissement de l'investissement dans la
formation creusera encore plus le déficit dans certaines
catégories professionnelles et accentuera la dépendance de
l'étranger ; pour les seconds, c'en sera fini des objectifs de
développement durable et de lutte contre la pauvreté et la
misère, et c'est aussi la voie royale pour la dépendance ad
aeternam.
Le codéveloppement, salué par tous les
observateurs avisés comme une démarche intelligente et juste, se
trouvera, pour le coup, remisé aux oubliettes et rejoindra
d'autres mistigris comme les luttes contre les discriminations
ou la réinsertion sociale.
Les prévisions qualitatives et quantitatives
en matière d'emploi, qui sont le résultat des projections
élaborées par les organismes spécialisés et synthétisées par le
Commissariat d'Etat au Plan, sont tragiquement absentes. Cela
explique en grande partie le déphasage criant entre la masse de
jeunes en échec scolaire ou les personnes possédant des
qualifications sans rapport avec la demande, et l'offre de
milliers d'emplois qui ne trouvent pas preneurs.
Cette situation accentue encore plus la
tension qui persiste dans les banlieues, caractérisées par un
faible taux d'employabilité des jeunes et par l'existence
flagrante d'une discrimination à l'emploi aussi bien en termes
d'embauche qu'en termes de promotion dans l'entreprise.
On réussira, enfin, le tour de force de
dresser encore un gigantesque écran de fumée pour cacher les
véritables problèmes. On parlera discrimination positive et
quotas ; on fera venir des observateurs et des spécialistes, on
se fera représenter par des individus formatés pour l'usage et
on jouera les prolongations tout le temps qu'il faudra. La
méthode a bien fait ses preuves quand il fallait occulter la
question de la représentativité des personnes issues de
l'immigration et de leur promotion dans la sphère publique, par
l'instrumentalisation du vote des immigrés, de la question de la
double peine et de la situation des sans-papiers utilisés comme
leurres pour une pêche insignifiante.
On peut, à bon droit, se demander si ces
manoeuvres répondent aux injonctions soit du patronat, soit de
groupes de pression non identifiés et hostiles à tout ce qui
participerait, de près ou de loin, au rapprochement des
communautés nationales et à l'émergence de personnalités issues
de l'immigration ?
Refuser les changements ne signifie pas
nécessairement se contenter du statut quo, mais accepter le
changement pour le changement relève de la même utopie.
L'innovation en la matière n'a de sens que pour autant qu'elle
réponde à une véritable volonté de changement, dans le sens de
l'intérêt compris de toutes les parties.
Quelles que soient les dispositions mises en
place, le flux de l'immigration clandestine ne cessera pas, tant
que les nations riches et les sociétés avancées n'auront pas
décidé de rechercher avec l'ensemble des pays pauvres, et de
manière sérieuse et déterminée, les meilleurs moyens de rompre
le déséquilibre de plus en plus grand entre les peuples. La
gauche, dont les valeurs cardinales sont précisément celles de
justice, de solidarité et de progrès, devrait faire de ce combat
pour l'égalité l'une de ses principales préoccupations pour les
générations à venir et lui réserver la place qui lui revient
dans son projet en cours d'élaboration. |