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Un non au nom de l'Europe

 

 Par Dominique ROUSSEAU (Libération, 17 mars 2005)

Evidemment que l'Europe a permis de construire la paix entre des Etats qui, longtemps, se sont fait la guerre. Evidemment que l'Europe a besoin d'une Constitution pour fonder, face au pouvoir économique et financier européen, la légitimité d'un pouvoir politique démocratique. Evidemment que l'Europe est, contre tous les populismes et souverainismes, la forme d'une nouvelle association de citoyens. Evidemment que, dans ce mouvement général de positivité, le penchant naturel serait de voter oui à la Constitution européenne. Et pourtant ! Tout bien réfléchi, c'est-à-dire, en ayant à l'esprit l'Europe démocratique pour exigence, il faut opposer un non tranquille au projet actuel de Constitution européenne. Pour deux raisons principales.

 

La première de ces raisons, la plus banale sans doute, est que le peuple a le droit de voter oui ou non à un référendum ! Et, puisque chacun veut s'accorder pour distinguer référendum et plébiscite, le choix dépend de l'appréciation portée sur le sujet précis soumis au vote. Or, ici, le sujet n'est pas Chirac, Hollande ou Fabius ; il n'est pas davantage la France ou l'Europe ; il est un texte qui, par ses 448 articles, dessine une figure constitutionnelle particulière pour l'Europe. Ou cette figure convient, et on vote oui ; ou elle ne convient pas, et on vote non. Ainsi, les électeurs qui ont voté contre la Constitution de 1958 étaient ni antifrançais ni contre une Constitution pour la France ; ils voulaient seulement une Constitution plus équilibrée... et l'expérience montre qu'ils n'avaient peut-être pas tort. De même, en 2005, s'opposer à la «Constitution Giscard» n'est pas dire non à l'Europe ni même à une Constitution européenne ; c'est manifester la volonté d'une autre Constitution pour l'Europe, moins idéologique et plus démocratique.

 

La seconde raison, encore plus simple, est que la Constitution proposée n'ouvre pas sur une Europe démocratique. L'Europe a été fondée par des traités, avec une finalité essentiellement économique : Marché commun puis marché unique, Banque centrale européenne, euro. Aujourd'hui, avec la Consti- tution, est en jeu la refondation de l'Europe. Moment historique puisqu'il appelle à faire le bilan des cinquante dernières années et à re-définir l'Europe en lui donnant une nouvelle base, la Constitution, et donc une nouvelle forme, la démocratie. Moment de liberté politique aussi puisqu'aucun principe juridique ne contraint les citoyens de 2005 à reprendre, valider ou consacrer les choix faits en 1957 ; sans que cela implique une condamnation des décisions prises par les pères fondateurs ­ qui pouvaient être justifiées dans le contexte de l'après-guerre ­ la génération d'aujourd'hui est libre de re-fonder l'Europe sur d'autres principes plus en phase avec les exigences et les attentes de l'époque. Ce à quoi invitait d'ailleurs la déclaration de Laeken en chargeant les conventionnels de «remixer» les textes pour rendre «l'Union européenne plus démocratique». D'où la seule question qui vaille : la Constitution proposée rend-elle l'Europe plus démocratique ? Et, malheureusement, la seule réponse qui s'impose : non !

 

Pas d'avancée démocratique au plan institutionnel. Le Parlement européen, pourtant seule institution élue au suffrage universel direct, reste un nain politique qui ne dispose toujours pas de l'initiative des lois ­ monopole sauvegardé de la Commission ­ et doit partager l'approbation des lois avec le Conseil des ministres. Le citoyen européen ne gagne aucun pouvoir supplémentaire. Et le droit de pétition ? Selon l'article I-47, une pétition n'est recevable que si elle est signée par un million au moins de citoyens de l'Union «ressortissants d'un nombre significatif d'Etats membres». Quel est ce nombre ? 5 ? 12 ? 21 ? Tant qu'il n'est pas fixé, le droit de pétition ne peut être utilisé ; et il faudra sans doute beaucoup de temps pour que les vingt-cinq Etats s'entendent sur un chiffre. Et, à supposer qu'ils s'entendent, cette pétition n'est qu'une «invitation» faite à la Commission européenne de proposer aux institutions européennes de se saisir de telle ou telle question. Invitation que la Commission peut, évidemment, décliner. Où est l'avancée ?

 

Pas d'avancée démocratique au plan des droits de l'homme. Si, en effet, la charte des droits fondamentaux, devenue la deuxième partie du projet de Constitution, reprend l'énoncé de droits existants déjà en France, elle se distingue surtout par sa faiblesse normative : le droit au travail et d'obtenir un emploi (préambule de 1946) devient «le droit de travailler et de chercher un emploi» ; le droit pour la femme de disposer librement de son corps n'est pas reconnu ; le droit au logement est transformé en «droit à une aide au logement» ... Et l'article II-112 précise que les droits sociaux inscrits dans la charte ne pourront pas être invoqués par les justiciables, car ils ne sont que des objectifs dépourvus d'obligation de faire pour les institutions européennes. Conscients peut-être de la faiblesse de la charte, les auteurs de la Constitution ont prévu que les actes de l'Union devraient aussi respecter la convention européenne des droits de l'homme. Mais, ce faisant, le système de protection des droits fondamentaux devient ingérable : trois textes de référence ­ la Constitution française, la Constitution européenne, la convention européenne ­ trois juges ­ le Conseil constitutionnel, la Cour de Luxembourg, la Cour de Strasbourg ­ et aucune modalité d'articulation entre les trois acteurs ! Où est la simplification ?

 

Pas d'avancée démocratique au plan politique. La qualité démocratique d'une Constitution se reconnaît au fait qu'elle laisse aux citoyens le pouvoir de choisir le contenu des politiques que leurs représentants mettront en oeuvre. Or, ici, la Constitution européenne ferme toute possibilité de choix politique. Par exemple, les Européens ne pourront pas choisir leur politique étrangère, puisque l'article I-41 prévoit que la politique de sécurité et de défense commune doit être «compatible avec celle arrêtée dans le cadre de l'Otan». De même, ils ne pourront pas décider du contenu des politiques publiques, puisque l'article III-177 impose qu'elles soient définies et conduites «dans le respect du principe d'une économie de marché ouverte où la concurrence est libre». Et, comme ce principe accède à la qualité de principe constitutionnel européen, la Cour de Luxembourg serait en droit de sanctionner toute décision d'un gouvernement national ou d'une institution européenne qui ne le respecterait pas. En d'autres termes, si la Constitution est adoptée, les citoyens européens ne pourront plus, au moment des élections législatives, choisir un programme politique ou imposer un changement de politique ; leur vote sera réduit à désigner ceux qui devront appliquer le programme inscrit dans la Constitution européenne ! Où est la liberté politique ?

Donc, non. Un non raisonné. Qui ne s'adresse ni à l'Europe ni même à l'idée d'une Constitution pour l'Europe. Seulement à cette Constitution-là.