Togo : le risque de guerre civile, la France
ambiguë
Depuis la mort de M. Eyadéma, le président du
Togo depuis trente-huit ans - un président contesté et détesté
des Togolais -, la France n’a pas su ou pas voulu parler
clairement aux putschistes, ni prononcer les paroles que
pouvaient attendre les Togolais d’une grande puissance écoutée
en Afrique et dont le peuple est aimé des Africains.
Au contraire, en qualifiant le dictateur
défunt "d’ami personnel et ami de la France", le président de la
République a pris le risque de se faire traiter de "complice"
d’un homme abhorré par son peuple et de son régime, mille fois
dénoncé pour ses crimes par les plus grandes organisations des
droits de l’homme. Les Togolais se sont sentis "insultés" par la
France. Dès lors, comment s’étonner de les voir vouloir s’en
prendre aux intérêts de la France et de ses 2 500 ressortissants
installés au Togo ?
Quels intérêts si puissants la France se
sent-elle obligée de protéger, au point d’ouvrir un deuxième
"front" en Afrique après celui déjà si peu compréhensible ouvert
en Côte d’Ivoire ? Quelles complicités dans les actions et les
méthodes du sergent autocrate avions-nous à couvrir ? Même les
Etats-Unis avaient exigé "la démission immédiate" de - son fils
et successeur - Faure Eyadéma. Quant aux membres de la
Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao)
et de l’Union africaine (UA), ils ont demandé des sanctions
contre le Togo : interdiction aux tenants d’un régime illégal de
voyager dans leur périmètre, embargo sur les ventes d’armes...
Notons avec satisfaction qu’un communiqué du
Quai d’Orsay (20 février) indiquait que notre pays a décidé de
soutenir les décisions de la Cedeao. Mais pour qu’une telle
position, même très tardive, soit crédible, les Togolais
attendent de la France qu’elle aille jusqu’au bout, c’est-à-dire
qu’elle ferme ses frontières aux putschistes, qu’elle instaure
un embargo sur les ventes d’armes françaises ou devant transiter
par le territoire national. Et ce, aussi longtemps qu’il sera
nécessaire pour faire plier le pouvoir illégitime installé par
la force des armes à Lomé.
Désormais, la démission de M. Faure Yadéma
est acquise, mais cette condition ne suffira pas à ramener la
paix sociale. Le 1er mars, quatre corps ont encore été retrouvés
dans la lagune de Bé. Des milices armées continuent de
terroriser la population et préparent la guerre civile.
Un retour au calme implique :
- la dévolution du pouvoir intérimaire à un
administrateur extérieur aux querelles intra-togolaises, nommé,
comme au Kosovo ou en Irak, par la Communauté internationale :
Cedeao, UA, Union européenne, ONU ;
- le déploiement d’une force de sécurité
durant la période d’intérim, comme la Minurca en Centrafrique ;
- enfin une période d’intérim aussi longue
que nécessaire pour :
- établir les listes et les cartes
électorales ;
- organiser des élections présidentielle et
législatives transparentes, démocratiques, dans le cadre de la
Constitution d’octobre 1992, votée et reconnue par tous les
Togolais.
C’est devant cet administrateur neutre que
les candidats à la présidentielle devront prendre l’engagement
de proclamer, après l’investiture, une amnistie générale pour
tous les protagonistes du coup d’Etat du 6 février, militaires
et civils.
C’est la seule façon de ramener la paix
sociale et la sérénité dans la vie politique du Togo, et il est
du devoir de la France d’y contribuer.
Kofi Yamgnane, ancien ministre, est
vice-président (PS) du conseil général du Finistère.
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