Bull et le 20ème arrondissement.

Ce chapitre est issu d'une conférence prononcée en février 2003 à la mairie du XXème arrondissement sous l'égide de l' AHAV (Association d' histoire et d'Archéologie du XXème arrondissement) et fait l'objet du bulletin N° 32 de cette association.

Les origines

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F.R. Bull

Le vingtième a été pendant plus de soixante ans le théâtre d’une des aventures industrielles les plus exaltantes et des plus mouvementées du XXème siècle. De 1931 à 1993 en effet y a vécu, sous des formes et des noms variés, Bull, « la Bull »comme disent les anciens qui vivent encore nombreux dans le quartier qui abria de longues années leur carrière professionnelle.

 L’implantation de Bull dans le vingtième a été le résultat d’un concours de circonstances qui mérite d’être conté.

 Le nom de Bull est celui d’un jeune ingénieur norvégien, Fredrick Rosing Bull qui travaillait dans une société d’assurance incendie, la Storebrandt, installée à Khristiania, appelée aujourdh'ui Oslo.

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K.A.Knutsen

A l’époque les traitements statistiques étaient basés sur la mécanographie, ensemble de machines électromécaniques qui traitaient l’information mémorisée sur des cartes perforées. Cette technique était née aux États-Unis à la fin du siècle précédent et s’était particulièrement illustrée lors de recensement de 1890, réalisé avec les machines d’Hermann Hollerith, dont la compagnie , CTR (Computing Tabulating Recording) s’appellera par la suite IBM.. Une autre société, la Powers Accounting Company s’était également implantée aux États-Unis, mais il n’y avait aucune compagnie en Europe, ce qui fait que CTR et Powers y exerçaient un quasi monopole.
 Donc STOREBRANDT  a embauché en 1913 Fredrick Rosing BULL qui, après ses études d'ingénieur avait passé 3 ans au comité d'assurances de Christiania et avait fondé en 1910 un bureau de consultant technique. Ce jeune ingénieur à l'esprit inventif, né à Christiania le jour de Noël 1882, prend rapidement conscience de cette situation  et propose à son conseil d'administration de construire lui-même un équipement (23 juin  1919). Celui-ci débloque 20000 couronnes et en janvier 1921 Bull lui présente une machine enregistreuse trieuse additionneuse faite de ses mains.

Cet équipement donne toute satisfaction à Storebrandt qui en fait réaliser d’autres par le maître outilleur ORMESTAD. Un article dans une revue d'assurance danoise fait connaître cette réalisation qui intéresse en particulier Henrik Hartzner, chef des statistiques de  la compagnie danoise HAFNIA ; Hafnia renonce à son matériel Hollerith, et commande une machine à F.R.Bull qui sera livrée en 1922. C'est son premier client qui deviendra aussi un partenaire.

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Émile  Marchand

Pressentant l'importance de ce marché F.R. Bull protège ses inventions dans 15 pays et conclut en 1921 un accord financier avec la société de son camarade d'école Reidar Knutsen, A.S. OKA. , dont le frère Kurt Andréas sera l'héritier spirituel et technique de F.R. Bull.  

L'article a également été lu par Émile MARCHAND, Directeur du service des statistiques  de la société RENTENANSTALT (société d'assurance sur la vie de Zurich) Celui ci viendra en octobre 1923 à Copenhague visiter l'atelier de la Hafnia et à Christiania voir F.R Bull. Il passera une importante commande fin 1924, étant ainsi le sixième client de Bull. Cette société prendra par la suite le nom de Swiss life et sera toujours cliente de Bull.

 Fin 1924 F.R. Bull se sachant condamné par un cancer demande à K.A. Knutsen d'assurer sa succession et de le remplacer à OKA . Il mourra le 7 juin 1925. KAK assure cette mission avec enthousiasme, concevant, fabriquant, rédigeant la documentation et assurant lui-même la mise en route des nouvelles machines. Devant le succès de ses matériels H.W. Egli propose à K.A.Knutsen  le poste d'ingénieur en Chef à Zurich.Celui-ci suggère plutôt une implantation en France où les conditions économiques sont beaucoup plus favorables. C'est ainsi qu'est crée le 9 mars 1931 une société de droit français à capitaux suisse et belges. Le capital -3600 actions de 1000 francs - est en effet réparti entre H.W. Egli (2100 actions), Henri Vindevoghel qui apporte ATEMETA (1500 actions) et Bull A.G. (300 actions). Le siège social est au 92 bis avenue Gambetta, chez ATEMETA

MILLIOR2.jpg (8336 octets) Pour assurer le développement de son affaire, Reidar Knutsen crée avec quelques amis un consortium qui rachète les brevets de Bull pour l'Europe et les US, OKA gardant la Scandinavie. 

Entre temps la RENTENANSTALT a reçu son matériel de OKA, et fort satisfait, Emile Marchand entrevoit la possibilité d'implanter une industrie mécanographique en Suisse. Il contacte Oscar Bannwart, directeur de la société Suisse H.W. Egli, qui a construit la fameuse Millionnaire et Émile GENON, homme d'affaire belge, agent général en Italie des machines à calculer ELLIOTT FISHER et SUNDSTRAND. Genon  dirige aussi à Turin un bureau d'organisation, la SISOC qui dispose de spécialistes de POWERS (entre autres GLAUZER). Il est également  vice-président de la société ATEIC qui représente en France les mêmes machines que lui en Italie et disposera à Paris d'un atelier de réparation, l'ATEMETA, situé 92bis Avenue Gambetta, crée en 1929 à partir du petit atelier de mécanique de Lucien Henriquel.

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En octobre 1927 tout ce beau monde va faire la tournée Hafnia  OKA et Genon achète aussitôt les droits commerciaux et industriels pour l'Europe hors Scandinavie. Il revend les droits industriels à H.W.EGLI qui livre sa première machine à Sandoz en 1929. Il crée également une société commerciale suisse, Bull A.G.

Devant le succès de ses matériels H.W. Egli propose à K.A.Knutsen  le poste d'ingénieur en Chef à Zurich.Celui-ci suggère plutôt une implantation en France où les conditions économiques sont beaucoup plus favorables.

C'est ainsi qu'est crée le 9 mars 1931 une société de droit français à capitaux suisse et belges. Le capital -3600 actions de 1000 francs - est en effet réparti entre H.W. Egli (2100 actions), Henri Vindevoghel qui apporte ATEMETA (1500 actions) et Bull A.G. (300 actions). Le siège social est au 92 bis avenue Gambetta, chez ATEMETA. Cette société prend le nom d'Egli Bull.

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La nouvelle société, bien que peu nombreuse - 50 personnes- ne manque pas d’atouts : Elle dispose de 3 lieux de production (Paris, Oslo,Zurich) Elle a 13 clients, sa gamme est compétitive, ses prix sont inférieurs à ceux du marché (à l'époque environ 1500 équipements en Europe, partagés entre IBM et Samas Powers - racheté par Remington Rand.en 1927).         Son catalogue comprend une poinçonneuse à main, une trieuse verticale, une trieuse horizontale, et une additionneuse T30 à 45 colonnes, non imprimante. Rapidement sera ajouté un dispositif d’impression original du à K.K. Knutsen qui tourne à 120 puis 150 lignes minutes et qui ne sera égalé par la concurrence qu’en 1950. La T 30 sera classée Monument Historique en 1998, 1er dispositif de traitement d'information admis à cette distinction.

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Mais elle manque de capitaux pour financer son expansion et surtout son  installation ne pouvait laisser indifférents les deux sociétés américaines qui tenaient le marché : Dès avril Mr RAND établit des contacts avec H.W. EGLI, et en juillet de hauts dirigeants de Remington Rand  visitent l'atelier de l' avenue Gambetta .Fin novembre ils font à H.W. Egli une proposition de prise de participation dans  H.W. Egli Bull. Ils reprennent le bateau pour les USA afin de faire avaliser leur proposition par leur conseil d’administration.Dans le même temps, deux français, polytechniciens tous deux, Georges Vieillard et Elie Doury, s’étaient montrés très soucieux de créer en France une industrie de machines à cartes perforées. Georges Bolle, également polytechnicien, chef de la comptabilité du PLM et pionnier de la mécanographie dans les chemins de fer, et ayant le même souci les met en contact avec Emile Genon . Dès juillet 1931 ils font tous trois le projet d’un « syndicat des utilisants ».

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Élie Doury

Georges Vieillard

 Apprenant la proposition des américains, ils les prirent de vitesse durant la traversée de retour de ceux-ci. Le 3 décembre, Georges Vieillard propose par téléphone à .H.W. EGLI de leur racheter la moitié de leurs parts dans H.W.EGLI BULL et leur promet pour le soir même 50000 francs d’acompte.   A 9 heures, il est chez le notaire, à 11 heures le « syndicat des utilisants » et créé et tient à 11H30 sa première assemblée générale, et les 50000 francs  sont envoyés. Le 11 décembre, Remington Rand câble son accord. Il est trop tard.

La nouvelle compagnie est bien reçue par le marché et va croître rapidement.On peut en juger par l’évolution des effectifs :

1931 50 1937 256
1932 129 1938 278
1933 154 1939 248
1934 168 1952 2200
1935 149 1964 15600
1936 213

Le chiffre d’affaire et les livraisons augmentent  dans les mêmes proportions. Au 1er octobre 1934, 66 tabulatrices et 48 trieuses ont été livrées, dont 22 et 15 depuis le début 1934

  A quoi cette croissance est elle due ?

. A l’attente du marché, rassuré de voir un fournisseur local. 

 A une gamme de produits mécanographiques complète et de qualité, dont les performances sont souvent supérieures à celle du marché. Le meilleur exemple est le fameux dispositif d’impression AN7 de Knutsen. Cette gamme  de produits sera enrichie en 1953 par le calculateur Gamma 3 qui sera la concrétisation du virage de Bull à l’électronique et qui aura un grand succès (1200 exemplaires vendus,c'est-à-dire beaucoup plus que le 650 qu’IBM sortira en hâte pour le contrer). Le gamma 3 sera équipé 3 ans plus tard d’un tambour comprenant programme et données, faisant ainsi du Gamma ET le premier ordinateur de Bull.

 A des prix  très compétitifs.

 

Calliejn.jpg (9237 octets) Enfin à un excellent service après vente animé d’un esprit de service remarquable, souvent opposé par les clients à « l’arrogance»   d’IBM.

 Il n’en reste pas moins qu’elle aura du mal à financer son expansion, et devra recourir à plusieurs augmentations de capital qui augmenteront progressivement la part des capitaux français. La première en avril 1932 où la part prépondérante est celle du syndicat des utilisants voit apparaître  la famille Callies qui aura un rôle déterminant dans l’histoire de Bull. Le premier représentant sera Jacques, envoyé par les papeteries Aussedat qui fourniront les cartes et les papiers et dont Bull sera un débouché important. Premier patron charismatique de Bull il conduira son développement et sa croissance avec son Directeur général Georges Vieillard. Il mourra malheureusement le 6 novembre 1948, à 53 ans. Son jeune frère Joseph lui succède.

                                   Jacques et Joseph Callies

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A l’issue de cette augmentation les capitaux français représentent 35% du capital. Une nouvelle augmentation porte à 75% la part française et amène la compagnie à prendre le 31 mars 1933  le nom de :

 

 « Compagnie des machines Bull »

.

Entre la création et fin 1939 le capital passe de 3600 actions de 1000 francs à 100000 de 250 francs (il y a eu 2 réductions de capital, ramenant la valeur nominale à 500 puis 250 francs).                                         

  Il est bien évident que cette expansion nécessitera des locaux supplémentaires qui se trouveront d’une part dans une extension sur le site lui-même et dans ses environs immédiats et d’autre part dans d’autres locaux de la région parisienne ou de province. Parlons donc un peu de l’implantation dans le XXème.

En mai 1939 le bail des locaux du 92 bis est renouvelé pour 9 ans et est assorti d’une promesse de vente pour un certain nombre de terrains alentour. En 1940, un étage est ajouté sur une partie de l’usine et la décision est prise d’acheter les locaux. En 1943 sont achetés des locaux en face, un terrain au 157 (590 m2 pour 472000 francs), et au 159 un terrain de 1000 m2 avec un pavillon à usage de bureaux et des ateliers. Dans ces locaux du coté gauche de l’avenue se trouveront en particulier la cantine et des locaux de maintenance. La maintenance aura aussi des locaux rue Henri Poincaré. Tous ces locaux de la « rive gauche »seront abandonnés lord de l’extension des locaux en face. En 1944, sont achetés un terrain et diverses constructions aux 25 et 27 rue du Surmelin, payés par une rente viagère à la propriétaire, madame Munie. En 1959 de nouveaux bâtiments sont acquis rue Haxo (6000m2) et rue Ernest Lefèvre (12000m2) 

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A la suite de ces extensions Bull couvre une grande partie  du quadrilatère formé par l’avenue Gambetta et les rues Ernest Lefèvre, du Surmelin et du Groupe Manouchian et forme un labyrinthe d’escaliers, de couloirs, d’ateliers, de bureaux construits sans plan d’ensemble au fur et à mesure des besoins, qu’une expérience de plusieurs années était parfois insuffisante à maîtriser. Cette impression est bien résumée dans le récit que fait un de nos anciens de son premier contact avec Bull, dans un essai autobiographique paru il y a quelques années :« Ils s’engagèrent dans un premier couloir qui débouchait sur une cour intérieure au milieu de laquelle se trouvait un bâtiment tout à fait inattendu dans cet environnement; il s’agissait d’une petite maison que Jacques entendit plus tard désigner comme “le pavillon Louis XIII”, sans qu’il sût jamais la raison de cette appellation. Après avoir emprunté plusieurs autres couloirs et tourné tantôt à droite, tantôt à gauche, ils débouchèrent soudain dans un grand hall recouvert d’une verrière : ils étaient dans l’usine et Jacques était émerveillé à la vue des nombreuses machines, tours, fraiseuses, décolleteuses et autres dont, jusqu’ici, il ignorait même l’existence. Ils traversèrent ce hall de part en part, poursuivis par cette odeur de brûlé si particulière, qu’exhale le métal travaillé par des machines­ outils. Ils ressortirent de ce hall par une petite porte, juste assez large pour le passage d’un homme et là, Jacques se crût arrivé dans les coursives d’un bateau. Un étroit escalier métallique s’élevait devant eux, dans lequel son guide s’engagea. Parvenus en haut, après avoir franchi une nouvelle porte étroite, ils se trouvèrent dans un couloir, bordé sur l’un de ses côtés par une cloison dont la partie haute située à environ un mètre du sol était constituée de vitrages plus ou moins dépolis. Derrière ce vitrage, des cloisons perpendiculaires au couloir découpaient l’espace en une série de petits bureaux. » Planr2.jpg (21454 octets)
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Le quartier à la fin des année 1950

Travaux en 1949

On a vu que Bull avait aussi acquis des bâtiments  de l’autre coté de l’avenue où fut installée entre antres la cantine. Écoutons à nouveau notre mémorialiste :

  « Lorsqu’arriva midi, Jacques qui se dirigeait alors vers la cantine avec deux collègues, souriait intérieurement. Il songeait à la fine plaisanterie faite par l’un d’eux pour conclure le cours: maintenant, lançons le cycle d’alimentation. La cantine était située de l’autre côté de l’avenue Gambetta, abritée sous un grand hall qui avait dû auparavant être un bâtiment d’usine. Il s’agissait de la cantine du personnel non cadre, car les cadres disposaient d’une cantine réservée à leur propre usage. La cantine était occupée en majorité par les ouvriers de l’usine, et les employés, qui étaient minoritaires se regroupaient autour de quelques tables, toujours les mêmes.

Les tables étaient immenses, toutes en longueur, permettant d’accueillir chacune sur des bancs  en bois une bonne  vingtaine de personnes. Bien qu’il eût passé auparavant sept années en internat,  Jacques se sentit toujours mal à l’aise en pénétrant dans cette cantine. La première raison en était que chacun devait apporter son couvert complet, assiette, verre, couteau et fourchette, et déposer le tout dans une case, après avoir fait sa propre vaisselle dans une salle contiguë où se trouvaient d’immenses éviers collectifs. Il se trouve que les stagiaires techniques étaient habillés de manière identique à celle de leurs aînés qui opéraient chez les clients, car l’usage le voulait ainsi.

Jacques se trouvait donc, pour la première fois de sa vie d’ailleurs, habillé en “tenue de ville”, avec veste et cravate. Il faut reconnaître que ce n’était pas la tenue idéale pour faire la vaisselle dans un environnement où les risques d’être éclaboussé par les voisins étaient considérables. L’autre raison provenait du fait que les ouvriers de l’usine ne changeaient pas de vêtement pour aller à la cantine, probablement parce qu’ils n’en avaient pas le temps. En conséquence, ils s’installaient à table avec des bleus de travail parfois maculés de taches de graisse ou de poussières métalliques. Jacques rejoignait le plus souvent l’une des tables d’employés, mais parfois, soit qu’il n’y ait plus de place disponible à ces tables, soit parce que, par une sorte d’idéalisme, il ne voulait pas snober les tables d’ouvriers, il s’asseyait à l’une de leur tables. Bien qu’il y reçut toujours un accueil chaleureux, probablement grâce à son jeune âge, il était, pour la raison que l’on vient d’évoquer, mal à l’aise pendant tout le repas. »

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L'entrée principale

L'avenue Gambetta en 1985

L'intérieur

Rue Haxo

Juste avant les décisions de s’installer à Angers et à Belfort, Bull compte environ 8000 personnes dont 5250 à Paris, le reste tant réparti entre St Ouen, Amsterdam, Lyon, St Quentin, Vendôme, Mouy, Les Andelys, sans compter bien sûr les locaux commerciaux en province et à l’étranger.

 Sur ces 5250 personnes installées à Paris, la très grande majorité bien sur travaille dans le 20éme, le quadrilatère cité précédemment s’étant agrandi par une implantation rue Haxo, tout près de la place St Fargeau. Bull avait également un  établissement important installé  au début des années 60, rue d’Avron où fut regroupée la direction commerciale France (environ 1000 personnes). Il y eut aussi des locaux Villa des Pyrénées, au bas de la rue du même nom.  

Qualifié par le maire de l’époque de « plus beau fleuron du 20ème  », Bull est évidemment de loin le plus gros employeur de l’arrondissement.

 On imagine l’animation et l’apport économique d’une telle situation. Pour ne citer que quelques cafés, évoquons ceux de l’avenue Gambetta, fréquentés par les commerciaux et les personnels de maintenance, le Moderne, l’Avenir, noms prédestinés pour une industrie de pointe, le Petit Dôme et le St Fargeau. .N’oublions pas le Glou glou, de la rue du Surmelin, fief des développeurs Une autre caractéristique de Bull est sa politique sociale qu’on peut qualifier en même temps de paternaliste et d’avancée. Par une politique de formation complète et efficace, Bull a été un ascenseur social pour des générations de travailleurs qui ont fait leur carrière chez Bull où à l’extérieur. Les anciens apprentis Bull en parlent encore avec émotion. De nombreuses activités culturelles et sportives étaient proposées à l’ensemble du personnel . Le président Joseph Callies participait régulièrement au tournoi annuel de tennis. Il arriva souvent en finale, mais ne la gagna pas toujours.

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 De nombreux autres s’initièrent à la musique où profitèrent de la très riche bibliothèque mis à la disposition du personnel.  

La famille Callies, traditionaliste, catholique, rigoureuse, totalement honnête, avait une très haute idée de son rôle social, qu’elle mettait en œuvre avec les moyens nécessaires.  N’oublions pas que 3 frères et sœur Callies  (sur 9) avaient épousé des Michelin.

 Je cite à nouveau Philippe Hurtaut qui reprend un texte du Courier Bull de 1948 qui dépeint à merveille cet état d’esprit : " Cette conception moderne des Services Sociaux est donc bien éloignée du paternalisme patronal aujourd’hui refusé par la classe ouvrière, de l’acte philanthropique ou charitable, auquel l’ouvrier  ne pardonne pas d’être arbitraire et unilatéral, et que Proudhon a si durement stigmatisé dans son Idée Générale de la Révolution". 

Et puis plus loin:“Les dispositifs législatifs étant forcément rigides  un objet essentiel des Services Sociaux de l’Entreprise est de pallier ce qui manque â la réglementation officielle.”

 Et encore : “Ainsi se résume le rôle du patron social et de son état-major: "éducation sociale, soutien moral, appui financier. La condition du succès du fonctionnement des Services Sociaux est de créer un climat moral favorable au développement du bonheur.”

Et pour terminer: “Être social, c’est savoir créer une atmosphère de confiance, de compréhension, de sympathie, qui fait naître l’esprit d’équipe, assure la collaboration de tous, et fait travailler avec entrain à l’œuvre”

Les péripéties de Bull.

Nous entrons dans une période de turbulences qui ne va pratiquement pas cesser et conduira à l'abandon par Bull de ses implantations dans le XXème.

 A la fin des années 50 Bull se porte bien, sa croissance est forte, mais il faut la financer et la concurrence est rude, surtout depuis que l’électronique est entrée dans la danse. C’est alors que, sous l’impulsion de ses ingénieurs et de ses grands clients, Bull lance l’ambitieux projet du Gamma 60, ordinateur géant pour l’époque. La conception en est totalement originale, elle met en œuvre des concepts qui inspireront les architectes pendant de longues années et utilise pour sa réalisation toutes les technologies alors émergentes, entre autres les transistors, les tores, les bandes magnétiques). De plus son encombrement physique est impressionnant et demande des installations annexes (Installation électrique, climatisation) fort coûteuses.

 L’inévitable se produit, coûts - de développement et de production - et délais sont enfoncés ; il faut terminer la mise au point chez les clients, et son développement a mobilisé toutes les ressources de Bull au détriment de machines plus modestes qui auraient mieux correspondu aux besoins du marché, comme la 1401 qu’IBM sortit à cette époque.   

 Sans entrer dans des détails déjà fort connus rappelons que Bull connaît une grave crise financière que l’attitude  des pouvoirs publics, appelés à la rescousse et le rôle des grands groupes industriels (CGE et CSF) n’aideront pas à résoudre.

Finalement GE prend le contrôle dans de mauvaises conditions, ce qui amène une grande effervescence chez Bull :

Manifestations dans l’avenue Gambetta, assemblée générale houleuse, et de graves conséquences telles que les premiers licenciements, l’abandon de produits Bull (40, 140), des départs massifs, en particulier vers la CII.

Notons cependant à cette occasion le rôle formateur de Bull qui a irrigué toute l’informatique française.

 Bull se reconstruit avec , mais une concurrence stérile s’établit avec la CII.

  Les deux compagnies fusionnent en 1975 après l’échec d’UNIDATA . Cette fusion est la cause d’une fuite vers l’ouest qui annonce le déclin progressif des implantations de l’est parisien.La nationalisation marque le début d’un déplacement du centre de gravité vers l’ouest : Le siège est transféré avenue  Malakoff, le commercial s’installe dans une majestueuse et coûteuse tour à la Défense ; l’absorption de SEMS, et de  TRANSAC confirment ce mouvement.  

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Travaux en 1988

Le rectorat de Paris

Revenons en à l’évolution des locaux et de leur occupation. On assiste donc à un transfert progressif vers l’ouest  où l’on dispose de locaux vastes et plus modernes. Les locaux de Gambetta vieillissent et sont de plus en plus inadaptés aux développements techniques modernes.

 En 1987 il est décidé que les locaux qui comprennent encore 2000 personnes seront modernisés  et adaptés à des développements logiciels. L’ensemble est vendu aux AGF qui réhabilitent l’ensemble du site. Seule la partie du 94 Avenue Gambetta, entièrement reconstruite sera louée à Bull qui y implantera ses équipes de développement logiciel ( 650 personnes). Les bâtiments sont ultramodernes, totalement sécurisés, disposent de groupes leur permettant de fonctionner complètement en cas de coupure de courant, disposent de nombreux terminaux permettant de travailler en direct avec les USA etc…

Malheureusement les affaires sont difficiles, le taux de croissance diminue, la concurrence est de plus en plus dure et les constructeurs traditionnels souffrent. Il faut faire des économies. Malakoff est fermé, la fière tour Bull de la défense également. Les locaux précaires mais économiques de Louveciennes sont remplis et l’inévitable se produit, la décision de fermer Gambetta est prise fin 1993. Malgré un baroud d’honneur des syndicats elle sera mise à exécution en 1994. Le rectorat de l’académie de Paris s’installe avenue Gambetta, Avron est fermé à a la même époque. Bull n’est plus dans le vingtième arrondissement de Paris

Épilogue

L’aventure de Bull avenue Gambetta est terminée depuis plus de  10 ans. Bull privatisée en 1997 et dans lequel l’Etat n’a plus aujourd’hui  aucune part dans le capital a traversé de très grosses difficultés mais repart du bon pied, sur des bases il est vrai plus modestes. La vente récente d’un super calculateur au CEA témoigne de son renouveau.

  Il n’en reste pas moins que le 20 ème arrondissement de Paris a été le berceau d’une des plus étonnantes aventures industrielles du 20 ème siècle en France, berceau aussi de toute l’informatique française car plus ou moins directement tous les informaticiens français sont concernés par Bull. C’est là qu’ont été conçus de prestigieux matériels dont   l’un, la tabulatrice T 30, a été déclaré monument historique en 1998, distinction unique pour ce genre de matériel.

C’est  là qu’a été conçu et réalisé le mythique Gamma 60, dont l’aventure est décrite par José Bourboulon dans un ouvrage à paraître fin 2005, chez Hermes science publishing.

C’est là  qu’est née en 1974 la ligne GCOS 7, une ligne de produits qui, fait unique dans l’industrie informatique, est encore vivante aujourd’hui, plus de 30 ans après, grâce à l’audace de sa conception, et qui vient d’entrer dans le patrimoine national : quelques éléments significatifs de sa technologie ont été remis solennellement par Michel Guillemet, directeur des études de Bull à Daniel Thoulouze, directeur du musée des Arts et Métiers.

La Fédération des Equipes  Bull, qui s'est donné pour mission de conserver et de mettre en valeur le patrimoine culturel de Bull, a pour projet de matérialiser, avec le concours des organismes concernés, le souvenir de l'odyssée de Bull avenue Gambetta par une plaque commémorative apposée au seuil de son berceau.

C'est bien le moins que l'on puisse faire.

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