Je vous propose aujourd’hui de vous parler de Charles Babbage considéré, à tord ou à raison par des informaticiens en mal de passé comme le grand ancêtre de l’informatique. Certains autres, assurant que les pionniers des années 1940 étaient peu au courant de ses travaux, le considèrent plutôt comme un grand-oncle que comme le grand-père. Peu importe, ce fut une figure originale et attachante qui mérite qu’on s’y arrête. Il ne fut pas seulement " informaticien ", mais inventeur, réformateur, mathématicien, philosophe, scientifique, critique, économiste. Toutes ses activités se manifestèrent par de nombreuses publications, 6 gros volumes et 90 articles. |
Sa mémoire fut célébrée par le Science Museum de Londres qui organisa pour le 200ème anniversaire de sa naissance une grande exposition où fut présentée une maquette en fonctionnement de sa machine à différences No 2, réalisée fidèlement d’après ses plans originaux. Charles Babbage est né dans le Surrey le 26 décembre 1791 d’un père banquier et fait de brillantes études, passant au Trinity College de Cambride et obtenant un MA en 1817. Elu FRS (Fellow of the Royal Society ) en 1816, il occupe une chaire de mathématiques à Cambridge de 1828 à 1839. Il mourut le 18 octobre 1871 à Londres. Babbage est connu pour ses travaux sur deux types de machines, les machines à différence et les machines analytiques. C’est la seconde qui est la plus évoluée sur le plan architectural et lui donne des droits sur la paternité de l’informatique. |
Les " Machines à différences " Au début du 19ème siècle, les moyens de calcul automatique se réduisaient au machines de type Pascal, dont le système de report de la virgule limitait la précision à 6 ou 8 chiffres. Les calculs de grande précision se faisaient à l’aide de tables, élaborées à la main , et qui comportaient beaucoup d’erreurs. En particulier les tables de marine, dont Babbage était un grand collectionneur, ont provoqué de nombreux naufrages et échouages.C’est dans le souci de fabriquer des tables précises et sans erreur que Babbage a conçu sa machine à différences. Le principe en est simple. Il est basé sur la constatation que, comme chacun sait, la Nème différence d’un polynôme de degré N est constante. Pour être plus concret, prenons par exemple la suite des cubes : 0 - 1 - 8 - 27 - 64 - 125 - 216 - 343 les différences sont 1 - 7 - 19 - 37 - 61 - 91 - 127 puis 6 - 12 -18 - 24 - 30 - 36 puis 6 - 6 - 6 - 6 - 6 |
On peut ainsi, en remontant, et de proche en proche, calculer les valeurs de n’importe quel polynôme, et , par conséquent , de n’importe quelle fonction (grâce aux développements limités) uniquement avec des additions, opérations faciles à mécaniser. L’objectif de la machine à différences était de sortir directement des tables, sans intervention humaine. Un dispositif d’impression était joint à cet effet. C’était donc une machine spécialisée. Pour les fanas, programmez en basic : a = 8 : b = 7 : c = 6 : for n = 1 to 98 : c = c + 6 : b = b + c : a = a + b : print a ; : next vous avez les cubes de 3 à 100, sans avoir fait une seule multiplication. Il est probable que l'idée de cette machine lui vint au cours d'un voyage qu'il fit en France en 1819 avec son ami Georges Hershell, le fils de l'astronome. Il y rencontra tous les savants français de renom et en particulier la baron de Prony qui avait fait réaliser de monumentales tables de logarithmes et de trigonoimétrie par une armée de calculateurs qui travaillaient à la main, suivant la méthode des différences. .Babbage construit un petit modèle expérimental en 1822 et constate que l’état de l’art est insuffisant pour fabriquer un modèle plus complet. Il effectue une enquête sur les moyens de fabrication et en tire un rapport complet " On the economy of machinery and manufactures " qui date de 1832. Il est certain que les travaux de Babbage, même s’ils n’ont pas conduit à la fabrication de machines complètes fonctionnant, ont fait faire à l’industrie des machines outils en Grande Bretagne des progrès justifiant les lourds investissements publics engagés. Il s’attache alors les services de Joseph Clement, excellent dessinateur et outilleur, pour réaliser la machine complète qui aurait travaillé sur 16 chiffres décimaux, sur 7 ordres de différence, pesé plusieurs tonnes, mesuré 2,4*2*0,9m et compté 25000 pièces. Les travaux traînent en longueur et s’arrêtent en 1932 suite à un différend financier entre les 2 protagonistes. Le gouvernement anglais avait déjà dépensé 17470 £ alors que la locomotive John Bull de Stephenson est livré aux Etats Unis pour 784 £. A ce moment la plupart des pièces était fabriquées et une partie (environ le 1/7 de la machine entière) était assemblée et fonctionnait . Babbage en faisait la démonstration chez lui tous les samedis devant la haute société londonienne. Elle fonctionne encore aujourd’hui. Babbage conçut une seconde machine à différence en 1845-1847 qui bénéficiait d’améliorations issues de sa machine analytique (voir ci-dessous), et dont il donnera les plans au gouvernement anglais en 1852. Elle ne donna lieu à aucun début de construction avant 1985, quand fut entreprise la construction de la machine présentée au Science Museum en 1991, suivant fidèlement le dossier de Babbage et qui fonctionne parfaitement (sans le dispositif d’impression qui n’a pas été réalisé). Elle pèse 3 tonnes, mesure 2,1*3,4*0,5 m et compte 4000 pièces. |
On peut se demander pourquoi avec les moyens mis en œuvre Babbage ne put jamais terminer une machine. L’argument de l’insuffisance des technologies de l’époque semble assez fallacieux car en 1843 le suédois Georg Scheutz et son fils Edvard réalisèrent une machine à différences qui produisit effectivement des tables numériques. Elle était réalisé avec des pièces de qualité et de précision bien inférieures à celles de Babbage et de Clement, mais cela marchait. |
La machine analytique. Babbage commença à y travailler en 1834 et ne cessa de la perfectionner jusqu'à sa mort. Il s’agit d’une machine beaucoup plus ambitieuse : machine universelle programmée sur cartes perforées, montrant de nombreuses caractéristiques des ordinateurs : Mémoire (store), unité de calcul (mill) séparés, branchement conditionnel, boucles, microprogrammation, parallélisme. Elle aurait eu la taille d’une petite locomotive ( 6,1*3,4*1,8 m) et aurait fonctionné … à la vapeur. Cette machine ne fut jamais construite faute d’argent, sinon un élément du " mill "(fig), réalisé en fait par son fils entre 1880 et 1906. |
Il est certain qu'avec les moyens technologiques de l'époque cette machine n'aurait pas pu être construite car elle était extrèmement en avance sur son temps. |
Babbage ne publia lui-même pas de documents sur cette machine, mais laissa de nombreux manuscrits. Les documents publiés à l’époque sont le fait de l’italien Menebrea en 1842, après une visite de Babbage à Turin et surtout de Ada Lovelace, fille de Byron et collaboratrice estimée de Babbage qui l’appelait " Enchantress of numbers ". Partant du travail de Menebrea qu’elle complète elle fait une analyse pénétrante de la machine et est aujourd’hui considérée comme une pionnière de la programmation. L’Héritage de Babbage. Babbage fut un esprit universel et un grand inventeur. Parmi ses inventions, on trouve un système de monitoring des rails de chemin de fer, un système de communication optique avec les bateaux , un ophthalmoscope, un système d’éclairage de théâtre, une plume pour dessiner des pointillés, un " camper ", préfiguration de notre camping car, des chaussures munies de volets articulés pour marcher sur les eaux !, un système de communication par câble aérien. Il proposa aussi un sous-marin à air comprimé, une cloche de plongée, un automate jouant au morpion, un altimètre, un sismographe, un coronographe, un système pour attraper les vaches, une monnaie décimale pour le Royaume Uni |
Il a aussi prévu l’épuisement du charbon, préconisant l’utilisation de l’énergie des marées. Il eut aussi une grande influence dans la renaissance de l’enseignement scientifique en Angleterre . Malgré tous ses talents et toutes ses inventions, c’est par ses travaux sur les machines à calculer qu’il restera célèbre. Howard Aiken a dit en 1940 : " Si Babbage avait vécu 75 ans plus tard, j’aurais été sans travail. " Bibliographie : Charles Babbage and his Calculating Engines, de Doron Swade, édité par le Science Museum pour la célébration du 200ème anniversaire de sa naissance . |