Alan Turing

1912-1954

 
 Dans le chapitre sur ENIGMA, nous nous sommes entretenus  du décryptage des messages allemands durant la deuxième guerre mondiale, en insistant au passage sur le rôle d'Alan Turing. Je me propose aujourd'hui d'entrer plus en détails dans sa vie, en m'inspirant toujours de l'ouvrage d'AndrewHodges
 Issu d'une famille de petite noblesse, dont la devise était "Audentes fortuna juvat", son père Julius TURING né en 1873 avait été brillamment reçu au service civil des Indes, avait appris le Tamoul et le Telegu et fit carrière dans ce pays.

Lors d'un retour en Irlande en 1907, il fit la connaissance sur le bateau, entre les Indes et le Japon, d'Ethel Stoney, fille d'un riche et brillant ingénieur aux Indes, où il dirigeait le réseau ferré de la province de Madras, où Ethel était née en 1881. Eduquée d'une main de fer dans un collège Irlandais, elle était venue voir son père pour les vacances. Julius et Ethel firent le voyage ensemble, traversant le Pacifique, les Etats Unis et l'Atlantique. Le mariage fut célébré à Dublin en octobre 1907, et le jeune couple repartit pour les Indes.

 
 

 Conçu en octobre 1911 à Chatrapur, leur second fils Allan naquit à Londres le 23 juin 1912 et fut confié avec son frère John au colonel en retraite Ward et à sa femme, à St Leonard sur la côte sud de l'Angleterre près de Hastings. Leurs parents repartirent aux Indes, d'où ils revenaient de temps à autre. En 1916, Madame Turing s'installe définitivement en Angleterre, son mari restant aux Indes. Le jeune Alan apprit tout seul à lire en 3 semaines à l'aide du manuel "Lire sans larmes", mais il ne reconnaissait sa droite de sa gauche que grâce à une marque rouge qu'il se faisait sur le pouce gauche. Sa vocation était d'être médecin. En 1918 sa mère l'envoie à l'école privée St Michael pour y apprendre le latin.

Son père revient en 1919 et a du mal à rétablir son autorité sur son fils Allan qui a déjà une vive capacité de répartie et un solide esprit de contradiction. En 1921 il démissionne du service des Indes et s'installe en France à Dinard, pour échapper à l'income tax.

 
 En 1922 il envoie Allan dans une école de préparation aux public Schools à Hazelhurst où se trouve déjà le fils aîné John. Mais celui-ci intègre Marlborough quelques mois plus tard.

En 1925 Allan passe à son tour l'examen pour d'entrée à Marlborough, mais incapable de se plier à la discipline, il atterrit dans une autre public school à Sherborne dans le Dorset.

Il montre un souverain dédain pour les cours qu'on lui prodigue, ce qui ne l'empêche pas de passer brillamment les examens tout au moins dans les matières qui l'intéressent. Sa lecture d' Einstein et d'Eddington qui remettent en cause la mécanique classique de Galilée et Newton lui enseignent à douter des axiomes les plus évidents.

Comme disait son frère John, vous pouvez parier à coup sûr que si vous lui dites que la terre est ronde, il vous démontrera par des arguments imparables qu'elle est plate, ou ovoïde ou qu'elle a la forme d'un chat siamois qui aurait été bouilli 15 minutes dans de l'eau à 1000 degrés centigrade.

 C'est de cette époque de date sa très vive amitié pour Christopher Malcom, d'un an son aîné. Christopher l'initia à l'astronomie (il avait un petit télescope) et ils parlaient longuement de mathématiques et de sciences.En 1929 ils se présentèrent ensemble au concours des bourses du Trinity College de Cambridge. Christopher, qui était dans la classe au dessus, fut reçu et Allan recalé.

Ils se virent pour la dernière fois à un concert le 6 février 1930, concert au cours du quel Allan se dit " bien ce n'est pas la dernière fois que je le vois…"

Le 13 février Christopher mourait de la tuberculose bovine.

Ce choc marquera la vie d'Allan à jamais et n'est probablement pas étranger à sa vocation scientifique. Il écrira à la mère d'Allan :"Je sais que je dois mettre autant d'énergie sinon autant d'intérêt dans mon travail que s'il était vivant, parce c'est ce qu'il voulait que je fasse" et à sa propre mère : "je suis sûr que je rencontrerai à nouveau Morcom quelque part et que nous aurons du travail à faire ensemble".

 
 Il se remet donc au travail et, s'il échoue à nouveau en décembre 1930 au Trinity College, il obtient la bourse de 80 £ par an du Kings College, également à Cambridge.

Il s'intéresse surtout aux mathématiques pures et suit les cours des sommités de l'époque comme Hardy ou Eddington. Il obtient plusieurs prix et médailles, entre autres une bourse de 50£ par an de la fondation de Sherborne et une Médaille d'or Roi Edouard VI pour les mathématiques.

Il prépare les "tripos", examens de Cambridge, en particulier le "Schedule B" et est reçu avec succès en été 1934, ce qui lui vaut une nouvelle bourse annuelle de 200 £. Ceci lui permet de s'adonner à ses recherches personnelles et à viser le "fellowship".

Pendant les vacances il visite l'Allemagne en vélo avec un camarade, et se rend à Göttingen, la plus brillante université européenne, avant que le nazisme la vidât de ses plus éminents cerveaux.

Ses travaux portent alors sur les fonctions de Gauss et sur la théorie des groupes. Il suit les cours de M.H.A. Newmann, le grand spécialiste de la topologie, qu'il retrouvera quelques années plus tard à Bletchley park.

Le monde mathématique est à cette époque très actif. Bertrand Russell rédige une somme sur les mathématiques (Principia Mathematica) et, sur cette base, Hilbert pose les questions de la complétude, de la consistance et de la décidabilité des mathématiques.

Ces questions sont en grande partie résolues par le fameux théorème de Gödel, dont l'exposé théorique est complexe mais qui dit en deux mots qu'aucun système mathématique n'est complet et cohérent et que tous comprennent des propositions indémontrables ou indécidables. Très très grossièrement, il traduit dans le domaine des mathématiques la phrase "je suis un menteur", dont on ne peut pas décider si elle est vraie ou fausse.

Alan Turing complétera ce théorème et en tirera les conséquences en informatique, avec la fameuse "Machine de Turing" .

Faisons une brève parenthèse pour indiquer qu'Alan est élu fellow de Cambridge le 16 mars 1935, à moins de 23 ans, premier sur 46. Cela lui assure l'indépendance financière avec 300£ par an pendant 3 ans, éventuellement renouvelable.

Le 4 avril il présente une publication sur la théorie des groupes qui sera publiée un mois plus tard par la London Mathematical Society. Ce travail complétait une étude de von Neumann, qui durant l'été 1935 quitta Princeton pour donner une série de cours à Cambridge. Il est probable que Turing y assista.

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