Développement de la culture mathématique des enfants doués

Extraits du livre de Grigori TOMSKI, Géométrie élémentaire de la poursuite, Editions du JIPTO, 2005

 

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On peut évaluer la culture mathématique chez un individu de la façon suivante :
Niveau initial : on commence à comprendre la notion de mathématisation ;
Niveau moyen : on acquiert un savoir mathématique qui peut aller du savoir très élémentaire jusqu’à la connaissance des théories mathématiques complexes ;
Niveau supérieur : on est capable de créer du nouveau savoir mathématique.
Notons que nos critères classent parmi les personnes de culture mathématique du niveau supérieur les grands mathématiciens de l’Antiquité comme Euclide, Archimède, etc., tandis que les individus non créatifs, mais initiés aux mathématiques supérieures universitaires, n’ont qu’une culture mathématique du niveau moyen. On peut diviser ce niveau moyen en quelque niveau d’après les critères supplémentaires, par exemple, le critère de l’ingéniosité :
Niveau moyen ordinaire : on sait résoudre des problèmes mathématiques qui ne réclament pas de l’ingéniosité ;
Niveau moyen avancé : on est capable de reproduire facilement les démonstrations des théorèmes étudiés et de proposer des solutions ingénieuses à des problèmes déjà résolus par les autres.
On peut subdiviser chacun de ces deux niveaux d’après le critère du savoir mathématique acquis : le niveau moyen avancé de l’école élémentaire (du collège, du lycée, de l’université, ou par classe : CM1, CM2, etc.)

Ellen Winner (Université de Havard) emploie le terme surdoué pour désigner des enfants « présentant les trois caractéristiques atypiques suivantes » : « 1. La précocité. Les enfants surdoués sont précoces. Ils font leurs premiers pas dans la maîtrise d’un domaine plus tôt que les autres. Ils font aussi des progrès plus rapides dans ce domaine que les autres enfants, parce que l’apprentissage n’est pas un effort pour eux. Par domaine, j’entends un champ organisé de connaissances tel que le langage, les mathématiques, la musique, l’art, les échecs, le bridge, le ballet, la gymnastique, le tennis ou le patinage.
2. Une insistance à se débrouiller seuls. Les enfants surdoués n’apprennent pas seulement plus vite que les enfants ordinaires ou même brillants, mais aussi d’une manière qualitativement différente. Ils se débrouillent seuls : il leur faut un minimum d’aide ou d’encadrement de la part des adultes pour atteindre la maîtrise de leur domaine et, la plupart du temps, ils sont à eux-mêmes leur propre professeur. Les découvertes qu’ils font dans leur domaine sont excitantes et motivantes, et chaque étape les conduit naturellement à aborder la suivante. Souvent, ces enfants inventent eux-mêmes certaines règles du domaine en question et imaginent des manières inédites et personnelles de résoudre les problèmes qu’ils rencontrent. Cela signifie que les enfants surdoués sont par définition créatifs…
3. La rage de maîtriser. Les enfants surdoués sont intrinsèquement motivés pour donner un sens au domaine où se manifeste leur précocité. Ils font preuve d’un intérêt intense et obsessionnel, d’une faculté de concentration extrême et de ce que j’en suis venue à appeler la « rage de maîtriser »… » (Winner, Surdoué. Mythes et réalité, Aubier, 1997, p.15-16).
Ces critères sont assez restrictifs, ils laissent à part, par exemple, les enfants ayant des parents « qui se donnent le temps et les moyens d’aider leur progéniture à déployer leur plein potentiel » (Ibid, p.16), même ceux qui sont motivés et sont capables de travailler dur. Sans discuter avec Winner nous préférons utiliser l’expression «les enfants doués » qui n’est évidemment réservée qu’à une petite minorité de la population car le douement est une propriété psychique générale des êtres humains.
Pourtant les critères de Winner correspondent assez bien à nos observations et à notre expérience et nous allons les utiliser avec quelque réserve afin de discuter de la question de douement mathématique.
Précocité : Les enfants doués en mathématiques sont précoces, ils assimilent tôt les objets mathématiques étudiés et n’éprouvent pas des difficultés conceptuelles, ils font des progrès plus rapides que les autres enfants, parce que l’apprentissage scolaire des mathématiques n’est pas un grand effort pour eux.
Il n’est naturel de parler de l’existence de la culture mathématique chez un individu qu’à partir du moment où il assimile assez bien les objets mathématiques de base. Si ce passage des objets concrets vers les objets idéaux est facile pour un enfant, et, seulement dans ce cas, à notre avis, on peut commencer à espérer qu’il a un don mathématique. La rapidité et la facilité de l’acquisition du savoir mathématique est un critère nécessaire de l’existence du don mathématique, mais ce n’est pas un critère suffisant.
Autonomie : Les enfants doués en mathématiques se débrouillent souvent seuls : il leur faut un minimum d’aide ou d’encadrement de la part des adultes pour atteindre la maîtrise des mathématiques scolaires. Ils sont à eux-mêmes leur propre professeur et ils peuvent s’intéresser beaucoup aux livres de vulgarisation des mathématiques, à l’histoire des mathématiques, et peuvent dans les domaines qui les intéressent particulièrement devancer leurs études. Les découvertes qu’ils font dans leurs études les excitent et les motivent, et chaque étape les conduit naturellement à aborder la suivante. Souvent, ces enfants s’intéressent aux jeux mathématiques et même aux problèmes mathématiques irrésolus.
Rage de maîtriser : Les enfants surdoués en mathématiques font preuve d’un intérêt intense et obsessionnel, ils ont la « rage de maîtriser » les mathématiques et d’acquérir le plus rapidement possible la culture mathématique du niveau supérieur. Par conséquent, les résultats mathématiques récents que nous avons décris, les problèmes mathématiques irrésolus que nous avons formulés peuvent être intéressants et utiles («excitants et motivants») pour ces enfants.
Dans beaucoup de pays les Olympiades mathématiques sont devenues une méthode traditionnelle de dépistage des talents mathématiques. Les problèmes proposés aux participants de ces compétitions sont fondés sur les programmes de l’école secondaire, mais leurs solutions réclament de l’ingéniosité. Il existe d’autres concours populaires, par exemple, le concours international mathématique Kangourou qui est accessible à un très grand nombre d’élèves car l’utilisation optimale de l’informatique facilite beaucoup son fonctionnement et automatise plusieurs tâches.
Pourtant les élèves détectés par les olympiades et les concours mathématiques ne sont pas forcément les surdoués satisfaisants aux critères de Winner. Ces olympiades ne permettent pas de détecter sans erreur les futurs chercheurs en mathématiques. Beaucoup de vainqueurs des olympiades et leurs enseignants n’ont qu’une culture mathématique du niveau moyen, ils possèdent un savoir mathématique qui peut aller jusqu’à la connaissance des théories mathématiques assez complexes mais ne sont pas capables eux-mêmes de créer un nouveau savoir mathématique. Bien sûr, on ne peut pas exiger que tous les enseignants de mathématiques possèdent une culture mathématique du niveau supérieur. D’après nos critères, la culture mathématique du niveau supérieur est rare, il faut être capable de créer du nouveau savoir mathématique.
Ce nouveau savoir mathématique doit être nouveau pour l’enfant et son entourage et pas obligatoirement nouveau pour l’humanité. Mais sa solution doit demander beaucoup plus d’effort qu’un problème proposé aux participants d’une olympiade qui réclame de l’ingéniosité mais un élève bien entraîné peut en principe résoudre ce problème en une ou deux heures. Tandis que dans le vrai processus de recherche mathématique on cherche la solution d’un problème irrésolu pendant plusieurs jours, souvent plusieurs mois et même des années. Parfois des générations de chercheurs travaillent sur un problème tel que la démonstration du Grand théorème de Fermat. En utilisant le lexique du sport on peut comparer les Olympiades mathématiques aux courses de vitesse sur petite distance et la recherche mathématique au marathon.
En résumé, il existe les enfants doués en mathématiques avec la culture mathématique de niveau moyen avancé, qui se révèlent facilement par leurs enseignants et pendant les olympiades et les autres concours mathématiques, et les enfants doués en mathématiques avec la culture mathématique de niveau supérieur dont la détection est plus difficile.