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On peut évaluer la culture
mathématique chez un individu de la façon
suivante :
Niveau initial : on commence à comprendre la notion
de mathématisation ;
Niveau moyen : on acquiert un savoir mathématique
qui peut aller du savoir très élémentaire
jusquà la connaissance des théories mathématiques
complexes ;
Niveau supérieur : on est capable de créer
du nouveau savoir mathématique.
Notons que nos critères classent parmi les personnes de
culture mathématique du niveau supérieur les grands
mathématiciens de lAntiquité comme Euclide,
Archimède, etc., tandis que les individus non créatifs,
mais initiés aux mathématiques supérieures
universitaires, nont quune culture mathématique
du niveau moyen. On peut diviser ce niveau moyen en quelque niveau
daprès les critères supplémentaires,
par exemple, le critère de lingéniosité
:
Niveau moyen ordinaire : on sait résoudre des problèmes
mathématiques qui ne réclament pas de lingéniosité
;
Niveau moyen avancé : on est capable de reproduire
facilement les démonstrations des théorèmes
étudiés et de proposer des solutions ingénieuses
à des problèmes déjà résolus
par les autres.
On peut subdiviser chacun de ces deux niveaux daprès
le critère du savoir mathématique acquis : le niveau
moyen avancé de lécole élémentaire
(du collège, du lycée, de luniversité,
ou par classe : CM1, CM2, etc.)
Ellen Winner (Université
de Havard) emploie le terme surdoué pour désigner
des enfants « présentant les trois caractéristiques
atypiques suivantes » : « 1. La précocité.
Les enfants surdoués sont précoces. Ils font leurs
premiers pas dans la maîtrise dun domaine plus tôt
que les autres. Ils font aussi des progrès plus rapides
dans ce domaine que les autres enfants, parce que lapprentissage
nest pas un effort pour eux. Par domaine, jentends
un champ organisé de connaissances tel que le langage,
les mathématiques, la musique, lart, les échecs,
le bridge, le ballet, la gymnastique, le tennis ou le patinage.
2. Une insistance à se débrouiller seuls. Les enfants
surdoués napprennent pas seulement plus vite que
les enfants ordinaires ou même brillants, mais aussi dune
manière qualitativement différente. Ils se débrouillent
seuls : il leur faut un minimum daide ou dencadrement
de la part des adultes pour atteindre la maîtrise de leur
domaine et, la plupart du temps, ils sont à eux-mêmes
leur propre professeur. Les découvertes quils font
dans leur domaine sont excitantes et motivantes, et chaque étape
les conduit naturellement à aborder la suivante. Souvent,
ces enfants inventent eux-mêmes certaines règles
du domaine en question et imaginent des manières inédites
et personnelles de résoudre les problèmes quils
rencontrent. Cela signifie que les enfants surdoués sont
par définition créatifs
3. La rage de maîtriser. Les enfants surdoués sont
intrinsèquement motivés pour donner un sens au
domaine où se manifeste leur précocité.
Ils font preuve dun intérêt intense et obsessionnel,
dune faculté de concentration extrême et de
ce que jen suis venue à appeler la « rage
de maîtriser »
» (Winner, Surdoué.
Mythes et réalité, Aubier, 1997, p.15-16).
Ces critères sont assez restrictifs, ils laissent à
part, par exemple, les enfants ayant des parents « qui
se donnent le temps et les moyens daider leur progéniture
à déployer leur plein potentiel » (Ibid,
p.16), même ceux qui sont motivés et sont capables
de travailler dur. Sans discuter avec Winner nous préférons
utiliser lexpression «les enfants doués »
qui nest évidemment réservée quà
une petite minorité de la population car le douement est
une propriété psychique générale
des êtres humains.
Pourtant les critères de Winner correspondent assez bien
à nos observations et à notre expérience
et nous allons les utiliser avec quelque réserve afin
de discuter de la question de douement mathématique.
Précocité : Les enfants doués en
mathématiques sont précoces, ils assimilent tôt
les objets mathématiques étudiés et néprouvent
pas des difficultés conceptuelles, ils font des progrès
plus rapides que les autres enfants, parce que lapprentissage
scolaire des mathématiques nest pas un grand effort
pour eux.
Il nest naturel de parler de lexistence de la culture
mathématique chez un individu quà partir
du moment où il assimile assez bien les objets mathématiques
de base. Si ce passage des objets concrets vers les objets idéaux
est facile pour un enfant, et, seulement dans ce cas, à
notre avis, on peut commencer à espérer quil
a un don mathématique. La rapidité et la facilité
de lacquisition du savoir mathématique est un critère
nécessaire de lexistence du don mathématique,
mais ce nest pas un critère suffisant.
Autonomie : Les enfants doués en mathématiques
se débrouillent souvent seuls : il leur faut un minimum
daide ou dencadrement de la part des adultes pour
atteindre la maîtrise des mathématiques scolaires.
Ils sont à eux-mêmes leur propre professeur et ils
peuvent sintéresser beaucoup aux livres de vulgarisation
des mathématiques, à lhistoire des mathématiques,
et peuvent dans les domaines qui les intéressent particulièrement
devancer leurs études. Les découvertes quils
font dans leurs études les excitent et les motivent, et
chaque étape les conduit naturellement à aborder
la suivante. Souvent, ces enfants sintéressent aux
jeux mathématiques et même aux problèmes
mathématiques irrésolus.
Rage de maîtriser : Les enfants surdoués en mathématiques
font preuve dun intérêt intense et obsessionnel,
ils ont la « rage de maîtriser » les mathématiques
et dacquérir le plus rapidement possible la culture
mathématique du niveau supérieur. Par conséquent,
les résultats mathématiques récents que
nous avons décris, les problèmes mathématiques
irrésolus que nous avons formulés peuvent être
intéressants et utiles («excitants et motivants»)
pour ces enfants.
Dans beaucoup de pays les Olympiades mathématiques sont
devenues une méthode traditionnelle de dépistage
des talents mathématiques. Les problèmes proposés
aux participants de ces compétitions sont fondés
sur les programmes de lécole secondaire, mais leurs
solutions réclament de lingéniosité.
Il existe dautres concours populaires, par exemple, le
concours international mathématique Kangourou qui est
accessible à un très grand nombre délèves
car lutilisation optimale de linformatique facilite
beaucoup son fonctionnement et automatise plusieurs tâches.
Pourtant les élèves détectés par
les olympiades et les concours mathématiques ne sont pas
forcément les surdoués satisfaisants aux critères
de Winner. Ces olympiades ne permettent pas de détecter
sans erreur les futurs chercheurs en mathématiques. Beaucoup
de vainqueurs des olympiades et leurs enseignants nont
quune culture mathématique du niveau moyen, ils
possèdent un savoir mathématique qui peut aller
jusquà la connaissance des théories mathématiques
assez complexes mais ne sont pas capables eux-mêmes de
créer un nouveau savoir mathématique. Bien sûr,
on ne peut pas exiger que tous les enseignants de mathématiques
possèdent une culture mathématique du niveau supérieur.
Daprès nos critères, la culture mathématique
du niveau supérieur est rare, il faut être capable
de créer du nouveau savoir mathématique.
Ce nouveau savoir mathématique doit être nouveau
pour lenfant et son entourage et pas obligatoirement nouveau
pour lhumanité. Mais sa solution doit demander beaucoup
plus deffort quun problème proposé
aux participants dune olympiade qui réclame de lingéniosité
mais un élève bien entraîné peut en
principe résoudre ce problème en une ou deux heures.
Tandis que dans le vrai processus de recherche mathématique
on cherche la solution dun problème irrésolu
pendant plusieurs jours, souvent plusieurs mois et même
des années. Parfois des générations de chercheurs
travaillent sur un problème tel que la démonstration
du Grand théorème de Fermat. En utilisant le lexique
du sport on peut comparer les Olympiades mathématiques
aux courses de vitesse sur petite distance et la recherche mathématique
au marathon.
En résumé, il existe les enfants doués en
mathématiques avec la culture mathématique de niveau
moyen avancé, qui se révèlent facilement
par leurs enseignants et pendant les olympiades et les autres
concours mathématiques, et les enfants doués en
mathématiques avec la culture mathématique de niveau
supérieur dont la détection est plus difficile. |