Nouvelle Acropole vue par les spécialistes : Antoine Faivre


NOUVELLE ACROPOLE EN FRANCE
par Antoine Faivre

Directeur de la chaire d’histoire des courants ésotériques et mystiques dans l’Europe moderne et contemporaine à l’Ecole pratique des hautes études (section des sciences religieuses)

Cette note consacrée à Nouvelle Acropole [n’a pas ]été écrite dans un esprit apologétique. Il s'agit seulement d'exposer ce que je sais de [cette] « Ecole », à laquelle je me suis naturellement intéressé en tant qu'historien des courants ésotériques modernes.

 

Principes et fondements

Les intérêts et les enseignements de Nouvelle Acropole, pour éclec­tiques qu'ils soient, sont sous-tendus par une philosophie de l'Histoire et par une anthropologie orientées dans le sens « traditionniste »….
II s'agit de dénoncer les méfaits d'une pensée unique, massifiante, d'une logique d'exclusion rendue responsable de conflits, de fractures sociales, de fragmentations. Bien que Nouvelle Acropole semble rejoindre ici certaines des analyses de René Guénon, celui-ci n'est point sa référence. Elle se réclame bien davantage de H.P. Blavatsky (cf infra), mais aussi d'auteurs bien différents, comme Bruno Lussato, Allan Bloom, Alain Finkielkraut, etc. Cette crise, entraînant une confusion des valeurs et une perte des repères, priverait l'homme de recul et de réflexion, le plon­geant dans un état de léthargie et d'égocentrisme qui le rendrait incapable d'assumer l'enjeu d'une rénovation culturelle.

II conviendrait donc d'éveiller un « processus d'individuation » chez l'homme, ce qui l'aiderait à développer une conscience de l'universel et de la vivre en société. Pour cela, on a créé des « écoles de philosophie » destinées, dans un monde en transition, à entretenir une « conscience active » et à déve­lopper des dimensions de l'existence présentes en chacun. Ce « processus d'individuation » serait de nature à réactualiser des facultés sous-exploitées de l'homme (telles que l'imaginaire, le rêve, le symbole - cf. les innombra­bles travaux, conférences et publications de l'association sur ce sujet), à sti­muler son pouvoir créateur, à le rendre capable de s'approprier, de reformuler, d'enrichir et de transmettre le patrimoine de l'expérience humaine, constitué de toutes les traditions de l'humanité. Cette ouverture de l'esprit (ils parlent de « réveil de l'homme authentique » qui est  « l'être » en chacun, et non pas une race ou un Élu) consiste à s'élever vers un point de conscience plus global, au-delà du simple ego, intégrant intuition et raison (on retrouve là le processus d'individuation au sens jungien du terme). Un tel éveil à une cons­cience universelle permettrait à « l'homme intérieur » de mieux connaître et accepter autrui, de concevoir l'humanité et la planète comme un tout. Cette conscience serait de nature à engendrer une logique inclusive, elle-même susceptible de relier par l'harmonie des contraires et d'intégrer les expérien­ces multiples de l'humanité dans une expérience personnelle.

Pour eux, en quête d'une culture universelle fondée sur des principes d'union, de fraternité et de concorde, l'individu et la collectivité devraient acquérir une conscience de leur unité de destin et de leur interdépendance. Ils prennent pour modèle l'archétype de « l'homme céleste », image de « l'homme intérieur » qui ne correspond ni à une race biologique, ni à une culture particulière. L'archétype de « l'homme céleste », nommé aussi « homme cosmique », ou « planétaire », figure l'être collectif de l'huma­nité, un et multiple, dont chaque individu est une manifestation particulière et en même temps un canal d'accès. La quête spirituelle consiste dès lors à se rapprocher de cet archétype humain, ou homme cosmique, rapproche­ment qui permettrait à la fois, paradoxalement, de s’individuer et de deve­nir universel. Cette quête concerne tous les individus et non pas une élite, car ils considèrent qu'on ne peut parler d'évolution d'une humanité qui n'intégrerait pas toutes ses composantes. Celles-ci, en s'individualisant, parviendraient à une relation consciente avec l'archétype de « l'homme universel » et, en même temps, les individus reliés entre eux rendraient possible l'éveil d'une conscience collective de l'unité du genre humain. Le défi actuel serait donc, selon eux, non seulement l'individuation mais la prise collective de conscience que l'humanité est une, au-delà de toutes les différences apparentes. [...]
Cette approche philosophique du politique s'inspire d'une vision platonicienne selon la­quelle c'est l'individu qui est moteur de la société, par sa propre amélioration et moralisation, et pas simplement le système qui, par ses lois, susciterait automatiquement des individus meilleurs. Aussi, pour eux, la clé de voûte du politique est-elle l'éducation, dont le rôle est de faire jaillir les qualités intrinsèques de l'individu et les relations de solidarité et de fraternité avec autrui. Le regard critique qu'ils portent sur la modernité ne paraît point les avoir incités à développer un comportement asocial ou marginal (ils n'ont pas de communauté, par exemple). J'ai pu constater que leurs dirigeants fran­çais vivent de leurs activités professionnelles et encouragent tant l'intégration sociale de leurs membres que le respect des lois républicaines.


Une école de philosophie

Se fixant pour but l'éveil de « l'homme intérieur », Jorge A. Livraga Rizzi a voulu donner une forme originale à son association, puisqu'il a choisi de créer une école de philosophie. A en juger d'après les publica­tions françaises dont j'ai pris connaissance, cette philosophie serait de na­ture à stimuler des modes de pensée qui permettent aux individus de choi­sir librement les conduites de vie adaptées à chacun et à chaque circons­tance, compte tenu des limites de son propre jugement. La formation dis­pensée à Nouvelle Acropole se fonde donc sur l'éveil philosophique de l'individu, mais aussi sur les apports de la psychologie transpersonnelle et, à ce titre, elle comporte des ateliers pratiques. Pour conjuguer l'éducation du corps, de l'âme et de l'esprit, l'association complète son programme intellectuel par diverses activités, telles le hatha yoga, le tai chi, la musi­que, l'artisanat, le théâtre... Les activités intellectuelles (conférences, publications de travaux de recherche) portent sur différents sujets (symbolisme, psychologie, science, philosophies et traditions comme cel­les de l'Amérique précolombienne, de l'Asie ou des civilisations méditer­ranéennes).
Selon Nouvelle Acropole, les grandes spiritualités et traditions ont chacune à leur tour actualisé un des aspects de l'homme universel, mais chacune ne constitue qu'un fragment des possibilités de cet archétype, et ne peut donc se targuer d'en porter à elle seule toutes les valeurs. D'où l'importance qu'elle accorde à une étude comparée et éclectique de ces diverses sources, afin de tenter de se rapprocher de cet archétype à travers ses multiples aspects…
II convient cependant d'ajouter que Nouvelle Acropole ne paraît nul­lement suivre, du moins chez nous, une démarche d'embrigadement, ni prétendre détenir une révélation particulière, ni vouloir fonder ou promou­voir une quelconque religion. Aussi bien est-ce pour l'ensemble de ces raisons, qu'elle ne se reconnaît pas dans le terme « nouveau mouvement religieux ». J'ai d'ailleurs pu constater que l'origine des membres est multiculturelle. Y sont représentés des gens de différentes croyances. Elle défend la laïcité de l'État et il lui arrive même de prôner l'enseignement de l'histoire des religions dans les écoles. Par exemple, La Revue (n° 145, 1996), revue de Nouvelle Acropole, a publié un article (d'Isabelle Ohmann) consacré à la nécessité d'un tel enseignement, conçu dans un esprit laïc. […]

 

Les sources de Nouvelle Acropole

Jorge A. Livraga Rizzi voulait créer une « approche éclectique et rationnelle », selon ses propres termes, de différents courants pour mettre en lumière des ressemblances et des points communs entre la pensée d'Orient et celle d'Occident. Il s’agissait pour lui de définir les éléments d'une phi­losophie de type universel, en renouant avec toutes les racines spirituelles, y compris celles qu'a rejetées l'Occident ; par exemple, celles de l'Égypte ou de l'Asie. Fernand Schwarz a d'ailleurs, pour sa part, écrit plusieurs ouvrages sur la tradition égyptienne. Outre l'étude de sources antiques, Nouvelle Acropole tente également de favoriser celles d'auteurs contem­porains comme C.G. Jung, Mircea Eliade, Joseph Campbell, Gilbert Durand, Henry Corbin, Paul Ricoeur, Dane Rudhyar, Jean Chevalier ou Edgar Morin.. Plusieurs parmi ceux-ci, ainsi que d'autres philosophes, scientifiques et sociologues, se sont exprimés librement dans les colonnes de la revue de l'association.
Dans le corpus de référence dont se réclament les publications fran­çaises de Nouvelle Acropole on retrouve la philosophie de Pythagore, de Platon, du néoplatonisme, ainsi que de l'hermétisme alexandrin et de la Renaissance. A cela s'ajoutent les deux grands courants théosophiques, celui de Jacob Boehm et celui d'Héléna Petrovna Blavatsky, ainsi que des éléments de philosophie orientale (hindouisme notamment, à travers les trois écoles purushiaques, le bouddhisme mahayana et tibétain). …
Outre sa forte tendance éclectique en matière de traditions et de philosophies du passé, elle s'intéresse beaucoup - du moins ses animateurs français - à la « nouvelle science ». Elle le fait en publiant des articles et des interviews qui témoignent de son ouverture d'es­prit en ce domaine, mais aussi de sa prudence car on ne voit pas ses auteurs et responsables prétendre prouver la « Tradition » par la science. Selon eux, cette dernière donne, certes, un cadre conceptuel pour réfléchir à des problèmes posés par des traditions ou des philosophies, elle procure des grilles de lecture, intéressantes, mais elle doit rester une discipline auto­nome, voie d'accès, parmi d'autres, à la culture.
Au cours de ces dernières vingt années ou plus, les activités culturel­les, et les stages de formation de Nouvelle Acropole en France ont été sui­vis par beaucoup de personnes. Quantité de gens ont passé par elle, sans pour autant - du moins à ma connaissance - se sentir contraints d'adopter personnellement ce qui serait la philosophie propre de cette association. Il semble que certains d'entre eux aient trouvé là une possibilité d'insertion culturelle, voire sociale. Au demeurant, l'on observe que la plupart quittent l'association une fois satisfaits leurs besoins spécifiques et que ceux qui restent se consacrent, pour beaucoup d'entre eux, aux actions bénévoles, notamment en faveur de la collectivité, apparemment, sans beaucoup de prosélytisme. Au demeurant, en ce qui concerne la vie quotidienne du mou­vement, une enquête sociologique serait évidemment nécessaire pour péné­trer plus profondément dans la connaissance de celui-ci. Il est certain aussi qu'il mériterait qu'on lui consacrât une étude sérieuse, beaucoup plus approfondie que la présente note.

Les campagnes de dénigrement dont Nouvelle Acropole fait réguliè­rement l'objet, … s'expliquent surtout par un emploi abusif du mot et de la notion de « secte »... On peut lui préfé­rer l'étude impartiale des données recueillies. Or, sitôt entreprise, celle-ci révèle non seulement que Nouvelle Acropole n'a jamais fait l'objet de pour­suites, mais aussi qu'aucun des critères retenus par la commission parlementaire pour définir la notion de sectes, ne parait devoir s'appliquer à elle.

Extraits de l’article « Les courants ésotériques et le rapport.
Les exemples de Nouvelle Acropole et de la Rose-Croix d'Or (Lectorium Rosicrucianum) » publié dans  « Pour en finir avec les sectes » Juin 1996, Edition Cesnur/Di Giovanni

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