On dit qu’ils vont tenter de passer malgré le vent.
On dit qu’ils ont passé avec le vent.
On dit qu’ils ont débarqué à Canope sous les cyprès.
On dit qu’Octave ne pourra pénétrer dans la ville tant que durera le vent.
On dit qu’Elle a trahi.
On dit que le nautère de Thèbes s’est retrouvé d’un coup
nu !
comme un enfant qui vient de naître et le vent fouettait sa graisse et son manteau dans le ciel :
un oiseau de pourpre frangé d’or !
Tous les grands personnages et les riches ont quitté la ville tous.
Le néocore et l’épistolographe et les riches : tous.
Mais que dis-tu sur les riches : les riches, ah ! on ne peut rien dire sur eux.
Ils partent et ils reviennent et sur eux tout repose.
Tout et eux.
Mais d’Elle que dis-tu : ah ! d’Elle on ne peut rien dire Elle est comme le vent.
Écoute !
Tous.
On dit qu’Antoine n’est pas mort.
On dit que nous vivrons on dit que le bas peuple n’a rien à faire de ces querelles territoriales on dit que la peine est éternelle.
On dit que le palais Lochias est au pillage.
Écoute !
On dit que la revanche des gens simples est dans le palais Lochias io ! les foules dans le palais Lochias éventrent les secrets et plongent leurs mains dures dans le doux des richesses.
On dit que les chambres sont au pillage on dit que les robes de la reine parent les esclaves.
On dit que : regarde ! je vêts cette robe et pourtant regarde ! mon corps demeure comme nu sous la transparence !
On dit que le faucon est mort.
Il a caché sa tête sous son aile et il est mort.
Des robes et des tuniques et des simarres et des choses dont le nom nous est inconnu la main ne les peut saisir.
On dit que.
Regarde mais regarde : cette litière !
Un riche encore qui s’en va sais-tu où est son palais.
Il a placé son bec sous l’aile et il est mort.
Les voix.
Les milliers de voix.
Mille fois mille mots.
Mille fois mille et mille fois plus encore dans le désastre enragé de vent.
Et les mouettes aussi et aussi le bruit des vagues et le bruit de l’écume encore et les baisers qu’elle donne au sable.
Mais cette litière qu’en fait-on cette litière si je la poussais de l’épaule vois ! elle roulerait sur les marches du port et elle n’obstruerait pas mon soleil et nous trouverions de l’or sous le cuir de ses tabliers au lieu que de mâcher du sable.
Cette folie cette furie et celle encore du vent.
Malgré le vent pourtant avec les voix encore mille odeurs circulent d’épices d’herbes de fleurs macérées de légumes frais de légumes secs de peaux assouplies dans les bassines de tanin de fruits de pains de poissons.
Mille.
Et mille encore.
Et mille fois plus que mille.
On respire aussi malgré le vent on respire l’aneth du Nil et le safran de Perse et les ivoire tièdes qui viennent des montagnes-en-marche et les plaques de bois précieux qu’on enveloppe de bandelettes et les petits pots de pigments en poudre pour les peintres de choses funéraires sous leur sceau de cire molle et les plumes des éventails et les matières translucides au cœur desquelles un insecte se tient dont on voit les ailes et dénombre les pattes et jusqu’au nombre même des facettes de ses yeux : si tu le places sous ta tête endormie tes rêves seront doux et Fortune te sourira et les femmes chercheront tes faveurs à genoux.
L’odeur entière d’Alexandrie ici.
Ici bat le cœur d’Égypte.
Ici reposent les trésors.
Ici dort le blé dorment les livres et le papyrus dans l’odeur entêtante de la Bibliothèque brûlée.
On dit que le faucon est mort et je dis qui l’embaumera.
Le vent n’a pas cessé.
Le vent ne cessera jamais.
Le ciel est d’un bleu de couteau la terre brille comme un autel.
Comme une louve entre les chiens comme une chose sauvage la mer bondit elle bave elle ouvre ses mâchoires vertes elle ne mordra jamais le vent.
Comme l’amour : jamais il ne mordra sa proie.
Le ciel est bleu comme le fard.
Mille fois mille bouches dans le vent.
Mille fois mille mots au bord du cœur d’Alexandrie.
Tu dis que l’amour est fait de trahisons et je dis qui jamais le saura.
Les marchands : ils s’inquiètent pour la cargaison des vaisseaux qui s’endorment.
Les enfants : ils galopent entre les jambes de leur mère de leurs sœurs de leurs tantes qui les nourrira aujourd’hui.
Mille fois mille mots dans le vent d’Alexandrie.
Mille fois mille regards et la Passe du Taureau est leur seul objet et le vent les mord aux paupières avec la lumière qui les mord aux paupières.
Mille fois mille regards dans la lumière qui vient de la mer.
Des scribes : leur crâne est une pierre rose dans la clarté qui est une chose blonde.
Des matrones : leurs doigts peints de la poudre des loukoums.
Des soldats : désœuvrés des soldats : amers des soldats : résignés leur bouclier est à leurs pieds et le soleil y tombe et le soleil
s’y brûle !
Des Juifs : ils viennent du quartier Delta.
Des Grecs des Romains des Égyptiens des Nubiens.
Le vieux peuple de Rakhotis : il a les mains fripées de saumure.
Le vieux peuple de Rakhotis : son rire entre les dents craque comme du sel.
Des étrangers : on ne sait leur pays ils ont des brumes dans les yeux et cette chose dans les yeux qui provoque les larmes comme un soleil au fond des brumes trop longtemps cherché.
Des magistrats.
Des cordonniers des teinturiers des repriseurs des lavandières des laveuses de morts des diseurs de bonne aventure des voleurs des.
Des mendiants.
Des lépreux ou des pestiférés ou des très malades : ils sentent mauvais.
Des précieux déguisés en très malades : ils sentent le parfum de prix.
Des revendeurs de figues de fèves de pastèques roses et friables de confitures de pains durs de fromages durs de brochettes d’agneau grillé et le sable s’y dépose : il craque sous la dent quand s’y porte la dent.
Des revendeurs de toutes choses licites et illicites et d’autres on ne sait : leurs plateaux passent entre nous comme les astres entre les nuées de la nuit certains d’osier d’autres d’étain.
Cette litière.
Des hommes.
Des femmes.
Alexandrie.
Des curieux et des anxieux et des indifférents surtout mais que mord la curiosité.
Alexandrie.
Quand en aurons-nous fini avec ce vent.
Mille fois mille fois la même morne attente.
On dit que la peine est éternelle.
On dit que le bonheur aussi est éternel.

Trois brèves légendes: première brève légende - 5