La litière de nouveau s’ébranle, de nouveau la litière avance et de ses cahots, sous les tabliers de cuir, le seigneur Antoine gémit comme l’étranger à ses côtés lui éponge le front d’un linge humide qui exhale peut-être de l’eau de rose la senteur mélancolique.
La litière à nouveau reprend sa route et le vieil homme l’accompagne.
Les gens se sont écartés, la foule s’écarte et cède la voie et rit.
Ils rient et elle rit de ces esclaves noirs, ils ont la peau noire et luisante bossuée de muscles, ils avancent sourdement.
Opiniâtrement cette litière aveugle dans le vent balancée : qu’avons-nous à en faire nous attendons le seigneur Octave.
Un riche qui s’en va vous dis-je.
Il s’en va et il reviendra.
Et ce vieillard qui la suit obstinément un chien obstiné qui ne veut pas quitter son maître : qui le nourrirait.
Nous n’avons rien à faire de ces allées et venues.
Nous n’avons qu’à attendre nos yeux sont vers la mer ils sont dans le vent et le sable aussi est dans le vent.
Le vent tourne il gémit il grince et il griffe tout ce qu’il touche.
Il siffle il souffle il s’insurge il se plaint ô rebelle.
Il se plaint et ricane : ô malheureuse Alexandrie.
Le vent-murmure le vent-rumeur le vent-ramage le vent-ravage le vent.
Les soldats d’Octave on dit qu’ils sont dans la ville.
Ils sont entrés par la porte du Sud.
Ils longent le canal des morts.
Ils longent les façades et les vivants sont aux fenêtres qui reculent dans les chambres en poussant des gémissements mais d’autres : ils s’avancent et ils saluent.
Ils voient les arbres au rebord des murs des jardins ils voient les fleurs agitées ils voient les palmiers en affliction.
Ils voient la folie du vent dans Alexandrie leur bouche s’emplit de son goût.
Les enfants fuient devant les soldats les femmes et les vieillards : personne ne songe à les arrêter personne ne peut les arrêter à quoi servirait-il de résister : ils sont comme le vent ils sont pareils au sable.
Bouche le trou du toit et ils s’infiltrent par le trou du mur.
Or réjouis-toi : tes vaisseaux et mes vaisseaux vont repartir.
Cette musique à leurs oreilles : le vent d’Alexandrie.
Or attriste-toi : tout est fini Égypte est morte et le faucon.
Tout est fini et le faucon.
Or afflige-toi : nous n’aurons plus de Rois.
On dit qu’Octave est semblable au serpent.
Il s’enfouit dans le sable il se confond avec le sable et soudain il frappe.
Afflige-toi.
On dit que Rome est friande des parfums d’Égypte.
Nous ne verrons plus la trirème de la Reine briller dans le soleil tout est fini.
On dit que Rome apprécie les poteries d’Égypte je t’assure que le blé d’Égypte est à Rome nécessaire : notre grain ne pourrira plus dans les entrepôts réjouis-toi.
Nous n’entendrons plus les mélodies d’Égypte dans le palais des Rois.
Ils sont dans la ville.
Ils sont dans Alexandrie.
Nous n’entendrons plus les mélodies d’Égypte.
Nous devrions rentrer chez nous nous devrions fouiller la cendre des foyers et en barbouiller notre face : voici le temps de la servitude.
Et ce vent.
Nous devrions rentrer chez nous.
Nous préparerons des offrandes pour César Octave des fleurs pour César Octave le nénuphar et le lotus et la glycine et des vins rafraîchis dans la neige des montagnes et des femmes pour son lit.
On dit qu’Octave a le cœur sec.
Et ce vent.
On dit que les fourmis dévorent le faucon d’Égypte.
Nous serons belles pour Octave.
Et ce vent.
Alexandrie tout est fini Alexandrie.

Trois brèves légendes: première brève légende - 8