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- - Cette lumière me rend fou: elle brûle mes yeux. Cette lumière
me rend fou: elle me contraint à ne voir qu’elle, et son empire
sans pitié sur toutes choses. Dans le pays où je suis né, les
choses sont choses et la lumière avec elles a formé alliance. Elle
les baigne, elle les touche, elle les nomme à voix basse et les
choses lui disent leur nom. Et même, dans mon pays, la lumière elle
ne roule pas du ciel comme un continuel éclair, et elle n’abat pas
les choses comme autant d’arbres abattus, mais elle monte d’entre
les choses et elle en est la condition.
- - Parle-moi de ton pays. Peut-être il se trouve que moi aussi je
viens de ce pays-là. Peut-être que cette gêne et ce poids
oppressant et ce resserrement que je sens là, où bat mon cœur, ils
sont la trace de l’exil. Peut-être que moi aussi, je suis dans l’exil
de ton pays et que je l’ai oublié, et que je suis exilé de l’exil
lui-même.
- - Mon pays, il est si loin dorénavant que ma mémoire même n’en
retrouve plus le chemin. Mon pays, il ne demeure plus qu’au-dedans
de moi, comme une mélancolie. Ainsi qu’un creusement en cicatrice d’une
plénitude, un bras d’air où s’attachait un membre de chair. Tu
établis le camp, tu établis l’Aigle et la Louve à l’orée du
camp, tu creuses autour du camp la douve prescrite avec les camarades,
ou tu es au bordel avec des femmes sur tes genoux qui rient et qui se
pressent, et les camarades te tendent une coupe de vin, et tu comptes
dans les rires les terres que Rome t’octroieras, et l’or qui
roulera de Rome jusqu’à toi – or soudain quelque chose te touche
si fort que tu veux mourir: mais la mort ne vient pas, elle n’entend
pas, la camuse, et tu sais que si tu veux vraiment mourir, c’est en
toi qu’il faudra en rechercher le moyen. Non dans ce qui t’entoure,
non dans ce qui t’entoura, mais dans ce que tu es. Et si la mort
même vient, ce n’est pas ta mort, mais une étrangère que tu ne
comprends pas et qui ne te comprend pas. Et de toutes les façons, tu
es volé et exilé. Ainsi est mon pays, pour moi. Il est cette
touche-là, à la place du cœur. Cette froideur soudain, ou cette fièvre
soudain, qui ôte à tout le goût de soi, et celui de vivre, et celui
d’être, et tu n’es plus que défaut de toi et déréliction. Il n’est
nulle part que dans son nom et dans son vide affreux.
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