Parce que tu m’aimes j’entre en communion. Ou encore: parce que je t’aime, j’entre dans le retrait. Je pénètre dans le manque et le refus et l’absence. Est-il de source plus fraîche et plus fraîchissante à ta soif que la source qui ne t’est pas encore offerte et qui ne coule pas encore? Ce que tu n’as pas bu, ne te rassasie-t-il pas mieux par l’attente que tu en formes que par le souvenir de ce que tu as déjà bu maintes fois? A chaque geste que je fais vers le but que je poursuis, le vide du but qui me poursuit m’apparaît. J’en vois le vase, et le vide, et la vacuité, et j’en aime le vide et la vacuité qui lui octroient sa forme et l’investissent de la beauté de sa fonction. Le vin viendra – mais il lui faut la coupe qui ne le perdra pas et ne le gaspillera pas, mais le conservera dans sa jubilation de vin apprécié. La soif est là. Mais qui saura donner demeure à sa mesure de liqueur impétueuse? Et c’est comme nommer, mon épouse à venir sous le joug nuptial: tu nommes dans le plein de ton désir, mais tu ne nommes que ton désir. Or il existe une autre étape, et une plus persistante délice: si tu te détournes de ton désir afin de saisir et d’éprouver ton désir, mais l’éprouver du coin de l’œil, et comme dans la tangente de ton être, et si tu fascines ainsi ton désir, voici alors qu’il résonne du nom qui l’occupe dans le creusement même du désir, et qu’il sonne comme un très vaste vide très exact et très ajusté, comme un grand soufflement de vent virulent et provocateur: le monde entier vient y affluer pour le combler et y souffler à son tour, le monde dans son entier accourt et se place sous son invocation vacante. Ou c’est encore comme le baiser, ô belle bouche sur la mienne: le baiser, où est-il mieux baiser qu’en cette colonne de vide et d’air battant qui unit deux bouches acharnées à la réduire à deux langues abouchées. Je parle, ma belle, je parle et parle et parle: je ne sais point les choses que je dis. J’écoute les choses que je dis, mais je n’y ai aucune part. Elles creusent en moi un vide que je ne comprends pas, et qui prend ma place. Mais je vois un vase. J’y vois un recueil et un recel. J’y vois une grande humiliation et une intense humilité – et je te dis (les pieds dans la boue et le monde autour de moi courbé dans la courbure de l’humilité de ma tâche), je te dis: la pauvreté est en vérité la vraie richesse. L’absence est présence si forte qu’en défaillir ne saurait suffire, ne saurait coïncider à son impérieuse demande. Et, également, la terre est si humble que sans elle tu ne pourrais vivre. Et tout au monde n’est que pour se nier afin que, se niant, tout soit révélé et réconcilié à sa tâche de contenant et de coupe au rebord du débordement.
Mais c’était aussi le printemps – qui est appel aussi au creusement et à l’évidement afin que le neuf jaillisse et fleurisse.
Et les colombes étaient blanches comme le blé.
C’était le printemps: les agneaux, à l’approche de la Pâque, bêlaient sur les épaules des observants en marche vers le temple (et qu’est le temple, ô mon agnelle, que le vase où se recueille et se quintessencie l’absence de Dieu dans l’abondance, blonde entre les colonnes dures, de cette même belle absence?)
Or c’était le printemps, et la convocation à la succession, à la cession, en chaque chose, de la chose même afin que l’autre même chose s’y renouvelle – l’évidement de la terre pour qu’y prenne sa place le blé vert, l’évidement et l’évasement du ciel pour qu’y soit déployé le vent nouveau.
Et les herbes amères, même les herbes amères, l’ortie et l’oseille et les autres ignorées, les acariâtres, même elles pour les abeilles affairées offraient des vases de douceur et de couleur.

Trois brèves légendes: deuxième brève légende - 10